Ce mois-ci c'est le retour des vacances (pour celles et ceux qui ont la chance d'en avoir) : les "miscellanées" tiennent compte de ce retour studieux.
Le paradoxe du singe savant

Un peu de mathématique pour commencer :
Le "paradoxe du singe savant" énonce que si vous laissez un singe taper sur une machine à écrire suffisamment longtemps, il écrira "hamlet" une infinité de fois.
Ce paradoxe est en fait une application du "lemme de Cantor-Borelli" : si on tente une expérience qui a une probabilité non nulle de réussir sans s'interrompre, alors on a une certitude de réussir un nombre infini de fois...
Reste à déterminer en combien de temps. Hamlet a approximativement 130000 caractères. Etant donné qu'il y a 26 caractères dans l'alphabet occidental, il faut donc que le singe tape sur 26 puissances 130000 caractères, soit 5 fois 10 puissance 264000. Si le singe tape un caractère toutes les nanosecondes depuis le big bang, cela ne fait que 5 fois 10 puissance 24.
Il est donc exclu que le singe arrive à créer "hamlet" en un temps raisonnable...
Référence : Cette anecdote et bien d'autres se trouvent dans un petit ouvrage facile à lire et savoureux : Bertrand Cloez, Recueil de curiosités mathématiques Editions Ellipses, 2022, 183 pages
Physique des flocons de neige
Les flocons de neige ont passionné deux catégories d'intervenants : les scientifiques et les artistes. Souvent regroupés dans une seule personne, ils ont étudié cette "merveille de la nature", les ont dessiné, passé au microscope, photographié, réalisé en image de synthèse, etc. Les premiers dessins ne sont pas forcément ni "réalistes" ni cohérents. Un des premiers dessinateurs, Olaf Mansson, est plutôt un poète, et ses flocons de neige n'ont quasiment aucun rapport avec la réalité. Mais même quand Descartes consacre l'un des chapitres d'un de ses ouvrages aux cristaux de neige, il les montre d'une façon qui ne correspond pas du tout à la réalité.

Des dessins plus réalistes vont ensuite être réalisés par des scientifiques ou des artistes. Un des plus notables était le couple Cecilia Glaiser et son époux, James Glaiser, qui s'est approprié sans aucun scrupule le travail de Cecilia. A noter que s'ils sont "réalistes" et ne contiennent pas de grossières approximations, ils sont quand même "retouchés".

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La découverte de la photographie a été une véritable révolution, mais elle a dû solutionner des difficultés inhérentes aux limitations de cette technique à l'origine : difficile de prendre en photo un objet qui va fondre avant que la pose ne soit terminée. Wilson Bentley va maîtriser cette technique et en faire un art. A noter qu'il retouchait ses photos pour les rendre "plus belles".

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Les mathématiciens, eux aussi, s'en sont mêlé et ont cherché à comprendre la logique "interne" de la construction des flocons de neige en utilisant des formules mathématiques, y compris en trois D. Ces créations peuvent être réalistes, ou pas.

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Reste à trouver pourquoi les flocons de neige présentent toujours une "symétrie d'ordre six". Ce ne sont pas les photographes, mais les cristallographes qui vont trouver la solution de cette énigme. En effet, la contribution essentielle de William Henri Bragg et de son fils Laurence a permis d'apporter une contribution essentielle à l'analyse des structures cristalines, via l'utilisation des rayons X et de leur diffusion au travers d'une fente. Mais c'est Linus Pauling qui va arriver à étudier la structure intime de la glace et de sa structure hexagonale. Mais n'oublions pas non plus la contribution de Ukichiro Nakaya qui a compris comment la glace se formait dans les nuages et réussi à faire de la neige artificielle...
ci-dessous, la structure de la glace déterminée par Linus Pauling :

Souce : ces histoires et bien d'autres autour de la glace se trouvent dans un petit ouvrage absolument fabuleux, Etienne Ghys La petite histoire des flocons de neige Editions Odile Jacob 2021 139 pages
Trois comportements animaux surprenants
L'éthologie animale (la "science du comportement" ) est pleine d'enseignements mais aussi d'étonnements, qui sont au fondement des sciences. Dans un but pédagogique, mais aussi pour vous distraire, trois comportements singuliers susceptibles de vous intéresser :
speed dating chez les Tétras

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Le tétras des armoises est un grand gallinacé se nourrissant d'Armoises (son nom manque totalement d'originalité) et s'y logeant. Mais ce qui nous intéresse, c'est sa parade amoureuse spectaculaire. En effet les tétras n'ont que quelques jours pour se reproduire : le temps presse !
C'est pour cela que dès le matin, des centaines d'adultes jeunes ou moins jeunes se réunissent dans des "leks", zones de parades nuptiales où les plus jeunes se regroupent à la périphérie tandis que les plus anciens et les plus forts se concentrent au centre.
Les femelles arrivent, et risquent de se faire dévorer tout cru : le "leks" n'arrive pas uniquement ces oiseaux en attente de parties haletantes de pattes en l'air (pour un Tétras, c'est osé) mais aussi de prédateurs prêts à dévorer tout cru tout ce monde-là !
Le mâle les attire déjà par un chant rauque et puissant, puis il parade en montrant avec fierté ses "sacs gulaires" qui sont (pour ces dames) une arme de séduction massive. Mais le "gonflement" de ces poches est épuisant (et dangereux si un prédateur en profite pour attaquer) Peu importe : la femelle inspecte l'ensemble de l'oiseau, sa taille, son état de santé, et évidemment ses "sacs gulaires". Et si cela la satisfait, l'accouplement termine normalement cette séance qui ressemble plus à une séance d'orgie romaine que de rencontre romantique !
L'entraide chez les vampires

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Les vampires ont une très mauvaise réputation. Il est vrai qu'ils ont la déplorable manie de "sucer le sang" de grands mammifères du type cheval, vache, cochon mouton, mais jamais d'êtres humains... Pour cela ils ont une trousse à outils dévolue à ce moyen de se nourrir : des canines acérées pour percer le derme de l'animal, un nez spécialement équipé de "capteurs sensoriels" pour trouver les zones riches en sang, et une salive riche en anticoagulant : tant que le vampire continue à sucer sa victime, le sang ne cesse de couler.
Mais le vampire est aussi capable d'abnégation et de sacrifice entre pairs : c'est qu'un vampire revient souvent bredouille de sa chasse. Il lui suffit alors de solliciter un congénère qui régurgite alors le sang qu'il venait juste de se procurer. Mais il n'oublie pas de contrôler que l'animal solliciteur est bien affamé : il ne faudrait pas avoir affaire à un imposteur !
Le baiser des chiens de prairie

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Les chiens de prairie n'ont rien à voir avec un chien : c'est un rongeur qui tient plus d'un écureuil auquel on aurait coupé la queue, mais dont le cris ressemble fortement à l'aboiement d'un petit roquet. D’où son surnom (le nom "officiel" est Cynomys)
Les chiens de prairie vivent dans des terriers complexes composé de nombreux tunnels, de chambres pour stocker la nourriture, de nursery. Ils y forment des clans familiaux baptisés "coteries".
Quand deux chiens de prairie se croisent, ils se font un "baiser" : chez eux rien d'affectueux. C'est juste un moyens pour déterminer si ils font partie de la même famille : si c'est le cas ils continuent à se congratuler. Sinon ils se séparent rapidement.
Sources Francois Verheggen Un Tangy chez les hiénes Delachaux et Nieslé 192 pages 2022
Scientifique oubliée : Maria Telke

Maria Telke est une biophysicienne ayant apporté une contribution importante au développement des technologies permettant d'utiliser l'énergie solaire et de limiter l'utilisation des énergies "fossiles". Elle a été la première à proposer une "maison passive" très peu demandeuses en énergie.
Pendant la seconde guerre mondiale, l'armée américaine finance de nombreuses recherches pour réduire le besoin en énergie fossiles de la population. Il n'est pas question alors de "réchauffement climatique, mais des besoins énergétique de l'armée lancée dans la seconde guerre mondiale.
Parmi les scientifiques du programme, l’américano-hongroise Maria Telkes travaille comme biophysicienne, fait des découvertes importantes dans l’énergie solaire. Elle est non seulement une scientifique rigoureuse, mais également une inventrice pleine d'imagination. Elle va ainsi développer des applications encore utilisées de nos jours.
L’invention qui lui rapportera plusieurs récompenses est celle du système de chauffage solaire pour un bâtiment entier avec des capteurs solaires et du sulfate de sodium. En collaboration avec deux autres femmes, l’architecte Eleanor Raymond et la sculptrice Amelia Peabody, ce système est mis en fonction pour la première fois dans la Dover Sun House en 1948. A l’époque, cette invention a ouvert la voie à la construction des maisons passives très peu demandeuses en énergie.
Une autre de ses inventions remarquable est également toujours utilisée de nos jours : une machine permettant le dessalement d'eau de mer fonctionnant à l'énergie solaire, invention que plusieurs considèrent comme sa plus importante. Ce distillateur a été intégré dans les radeaux de sauvetage de guerre. On l’a également utilisé pour garantir les besoins en eau potable des îles Vierges.
A la fin de la seconde guerre mondiale, les "majors" américaines reprennent le dessus et imposent de revenir à des solutions qui leur permettent des profits substantiels : essence à gogo et tout électrique.
Ci-dessous, la Dover Sun House de 1948.

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Le livre du mois : révolutions dans la théorie de l'évolution
La théorie de l'évolution est encore disputée. On parle surtout du combat politique qui oppose chrétiens fondamentalistes et progressistes bien décidés à ne pas céder face aux diktats de la religion. Mais tout aussi intéressant sont les querelles à l'intérieur de la théorie et c'est ce que permet cet ouvrage revigorant.
Il y a une discussion passionnante autour des interprétations des mécanismes mis en évidence par Darwin, en particulier celles de Stephen Jay Gould. Celui-ci est l'auteur de deux approches extrêmement discutées : le caractère contingent de l'évolution et la théorie des "équilibres ponctués" qui remet en cause le caractère extrêmement lent de l'évolution.
L'auteur contribue à ces échanges autour de ces thèmes en proposant un état des pratiques actuelles et de la mise au point d'une démarche expérimentale niée non seulement par les adversaires de l'évolution mais aussi de ceux de leurs plus fringants partisans.
C'est presque toujours passionnant et roboratif. C'est également très bien écrit et accessible.
Bref, si vous devez lire un seul ouvrage scientifique cette année, cet ouvrage est fait pour vous. De même si vous en lisez plusieurs. Et si vous n'en lisez aucun, c'est l'ouvrage idéal pour se lancer...
Présentation par l'éditeur :
L’histoire naturelle de la Terre est remplie d’exemples fascinants de convergence : certaines structures biologiques, telles que les yeux, les ailes ou les pattes caractéristiques des lézards grimpeurs, sont apparues de nombreuses fois au fil de processus indépendants. Pourtant, les biologistes de l’évolution nous apprennent qu’il existe également de nombreux exemples de contingence : des cas où le moindre événement – une mutation aléatoire, l’éternuement d’un papillon préhistorique – serait capable de modifier la trajectoire de l’évolution. Quel poids attribuer à ces deux forces dans une nature en perpétuel changement ? Les plantes et les animaux qui existent de nos jours, sans oublier les êtres humains eux-mêmes, étaient-ils tous destinés à apparaître ou ne sont-ils que le résultat du hasard ? Et quelles conclusions en tirer au sujet des formes de vie présentes sur d’autres planètes ?
Ce livre nous révèle les dernières découvertes de la biologie de l’évolution ainsi que les réponses qui ont été fournies à l’un des plus grands débats scientifiques de notre temps. C’est à un voyage autour du globe qu’il nous invite, à la rencontre des chercheurs qui sont en train de percer les mystères de la vie. Jonathan Losos, l’un des pionniers de l’approche expérimentale en matière d’évolution, nous explique comment des expériences sur des guppies, des mouches à fruit, des bactéries, des renards et des souris de chasse, ainsi que ses propres travaux sur les lézards anoles des Caraïbes permettent de rembobiner le film de la vie pour déterminer à quel point l’évolution peut être rapide et dans quelle mesure son caractère reproductible la rend prévisible.
Références : Johnatan B. Losos Destinées improbables, le hasard et la nécessité et l'avenir de l'évolution Editions la Découverte 2021 368 pages