La fondation Cartier propose avec "Mathématique un dépaysement soudain" une exposition au ton inédit sur les mathématiques, en partant des échanges entre artistes et mathématicien de haut vol, pour un questionnement subtil sur la place des mathématiques dans notre vie.
Le plus souvent, l'importance des mathématiques se fait via une approche pédagogique, qui tente d'expliquer aux néophytes les éléments de base de la compréhension mathématiques et des questionnements qui y sont rattachés. Une autre façon de parler de cette discipline est de montrer les applications qu'elle permet ou rend possible. Sans les mathématiques, par exemple, pas d'internet (via les protocoles de "routage" par exemple, qui permettent à l'information de cheminer dans le réseau sans se perdre) sans compter tous les domaines ou les mathématiques ont un rôle central, stratégique...
L'approche privilégiée par la fondation cartier n'est pas celle là : en mettant en contact mathématicien de hauts niveaux et artistes Sir Michael Atiyah, Alain Connes, Nicole El Karoui, Mikhaîl Gromov, Cédric Villani et Don Zagier sont tous des mathématiciens de réputation mondiale, connu et reconnus dans le milieu (et bien au delà) pour leurs apports décisifs et originaux. Ils ont été associés à la mise en place de l'exposition et des dispositifs qui y sont associés avec des artistes qui sont chacun à leur titre interrogés par les mathématiques : David Lynch, Patti Smith, Raymond Depardon, Akashi Kitano, Beatriz Milhazes Tout cela permet de créer un univers étrange, envoutant, suscitant le mystère. Chaque rencontre est un choc fonctionnant plus ou moins bien entre une vision artistique et un esprit mathématique.
Le paradoxe de cette rencontre est que l'univers sensible qu'il révèle est propre a chaque personnalités : vous pouvez par exemple plonger jusqu'a vous noyer dans les mystères de la bibliothèque concoctée par David Lynch, propulsée par la voix de Patti smith, ou y être totalement insensible. Vous pouvez jouer avec le jeu proposé par Takeshi Kitano ou décrocher totalement de l'univers proposé..
"La bibliothèque des mystères"
Conçue par David Lynch en collaboration avec Misha Gromov, le plus grand géométre de notre temps la bibliothéque nous conduit de façon instantannée et sans préparation au coeur des mathématiques, et de ses univers étranges et incompréhensibles. Plusieurs dispositfs nous donnent l'occasion de s' y affronter.
On est dans un premier temps plongé dans l'incompréhension des structures qui concourent a l'objectif mystérieux qui préside à la conception de cette bibliothéque, puis on comprend petit a petit comment celle ci s'organise, et se révèle. Un peu comme un mathématicien, plongé dans l'incompréhension de son probléme, comprend peu a peu les moyens qu'il faut utiliser pour le révéler.
"Gromov a voulu une bibliothèque, Lynch l'a réalisée. Une bibliothèque qui est aussi un ciel et dont Lynch a voulu faire le Saint des Saints, c'est le temple des mathématiques, la partie la plus la plus solennelle de l'exposition, la plus sacrée " dit le commissaire de l'exposition pour expliquer aux visiteurs cette première installation impressionnante.
Beatriz Milhazes nous éblouit ensuite avec les pavages de Penrose et autres " Paradis mathématiques Les pavages de Penrose sont des pavages du plan découverts par le mathématicien et physicien britannique Roger Penrose dans les années 1970. Ce sont des pavages non périodiques caractérisables par des règles locales : s'ils ne sont historiquement pas les premiers à vérifier cette propriété, ils sont parmi les plus simples, et à ce titre largement étudiés (le premier tel pavage, construit par Robert Berger en 1966, comportait 20426 tuiles).
Un autre dispositif efficace pour comprendre les rapports parfois étranges entre les structures mathématiques et notre expérience sensible nous est offert par "", des robots de l'INRI (Institut national de la recherche en informatique et automatisme) à la fois intrigants et ludiques. Avec notre participation actives, ils acquièrent des savoirs, des vocabulaires, et savent déchiffrer les signaux que nous leur adressons Ludique, aussi, (et difficile !), le petit jeu de Kateshi Kitano.
Au bonheur des maths
Le film Au Bonheur des maths de Raymond Depardon et Claudine Nougaret est également un grand moment de l'exposition. Rien de compliqué ou de mystérieux dans ce film somptueux, réalisé en 35 mm et en noir et blanc. L'esthétique en est très simple et percutante.
Chacun des mathématiciens associés a l'exposition raconte ses travaux, sa conception des mathématiques avec une passion communicative et une clarté assez bluffant (la palme revenant selon moi a Cédric Villani, qui nous introduit dans ses univers de recherche d'un tour de main) Mais tous sont passionnant y compris Nicole El Kouchi, la spécialiste mondiale des "mathématiques financières" dont le rôle dans l'explosion des "bulles financières" n'est plus a démontrer. « Le hasard, ça se mesure » évoque la mathématicienne française Nicole El Karoui dans le film. Tout est probabilisable ! » Elle citera plus loin Edgard Morin : « Le hasard est consécutif de toute vie »…
Mais ce qui m'a touché singulièrement est un tout petit dispositif, presque caché, une vidéo minuscule ou on voit Cédric Villani, en cours d'élaboration d'une démonstration mathématique. On suit ses mains, la craie sur le tableau (les mathématiciens aiment ce renfort crissant de la réflexion) et on s'ouvre a un style fait de bond et d'arabesque, presque une danse devant l'insondable mystère des structures.
Pour clore ce parcours, Hiroshi Sugimoto, en écho à l’élégance de la pensée abstraite évoquée par les mathématiciens devant la caméra de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, expose une forme hyperbolique, une surface de révolution à courbure négative constante, qui, tel un point d’orgue tendu vers l’infini, pose la question irréductible au coeur du projet : comment représenter l’abstraction mathématique ?
C'est évidemment la question posée par toute l'exposition, qui y répond d'une façon à la fois convaincante, neuve et subtile
"Mathématiques, un dépaysement soudain"
Depuis le 21 octobre 2011 et jusqu’au 18 mars 2012
Fondation Cartier, 231 boulevard raspail, paris
Tarif de l'expo : 10€ (cber !)