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Education populaire (science et techniques), luttes diverses et variées (celles ci qui imposent de "commencer à penser contre soi même") et musiques bruitistes de toutes origines

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Billet de blog 26 avril 2011

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La science de A comme autonomie à Z comme zététique: «G comme Guerre»

Science et guerre entretiennent des rapports anciens et constants.

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Science et guerre entretiennent des rapports anciens et constants.

Une des «images d'Epinal» de cette collaboration n'est elle pas la participation d'Archimède à l'effort de guerre de Syracuse en proie aux assauts romains, et la mise au point des légendaires «miroirs ardents» concentrant le feu du soleil, dont les rayons dévastateurs dirigés contre la flotte ennemie entrainèrent l'incendie des voiles des navires et la victoire finale contre l'ennemi? Réelle ou imaginaire (de nombreux scientifiques ont douté de la possibilité même del'efficacité d'un tel dispositif), il n'en s'agit pas moins de la première «arme de destruction massive» issue du génie scientifique...

De cette invention à la mise au point de la bombe atomique par la crème de l'élite de laphysique nucléaire, il n'y a qu'un pas à franchir, et de nombreuses étapes. Le rôle primordial des scientifiques, dans la mise au point de l'apocalypse nucléaire mais aussi la mise au point du radar, du moteur à réaction, et de tants d'autres innovations aura été déterminante dans le déroulé de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci n'était que l'aboutissement d'une démarche déjà entreprise lors du premier conflit mondial. L'image même de l'innovation et de l'horreur n'était elle pas la mise au point, puis l'utilisation des «gaz de combat» sous l'égide des chimistes (qui y gagneront une réputation sulfureuse), ces gaz dont l'effet était surtout psychologique ont représenté pour de nombreux combattants l'horreur à l'état pur. Le cas le plus typique fut celui de Fritz Haber, qui fut le redoutable créateur du «gaz moutarde», qui provoquait des brulures atroces et détruisait les poumons, et le Zircon B, substance insecticide utilisé à des fins d'extermination par les nazis. Cela ne l'empêcha pas de devenir titulaire du prix Nobel en 1919...

La première «révolution scientifique et technique» datait pour la France du lendemain de la grande défaite de 1871. Les militaires savaient analyser celle-ci et pointer le retard de la science nationale par rapport à la chimie allemande qui avait été d'une redoutable efficacité, en particulier dans la mise en place de nouveaux explosifs, alors que la chimie française avait pâti de son manque d'organisation et de l'individualisme exacerbé des chercheurs retirés dans la tour d'ivoire de leur laboratoire. Il s'en était suivi une réorganisation en profondeur, et le début d'une centralisation qui allait aboutir après bien des débats, des hésitations, des retournements d'opinion, à la création du CNRS.

Mais le projet qui allait mobiliser l'élite de la physique de son tempset changer durablement les modes de fonctionnement de la science fut le projet Manhattan qui abouti à la mise au point de l'arme nucléaire.

Projet Manhattan est le nom de code du projet de recherche mené pendantla Seconde Guerre mondiale, qui permit aux États-Unis, assistés par leRoyaume-Uni, le Canada et des chercheurs européens[1], de réaliser la premièrebombe A de l'histoire en 1945.

Sous la direction du physicien Robert Oppenheimer et du général Leslie Groves, le projet fut lancé en 1942 dans le plus grand secret, suite à une lettre de Leó Szilárd du 2 août 1939 co-signée par Albert Einstein au président Roosevelt selon laquelle l'Allemagne nazie travaillait peut-être sur un projetéquivalent[2]. En fait, les efforts de recherches allemandes sur le sujetétaient assez limités.

Le projet Manhattan conduisit à la conception, la production et l'explosion de trois bombes atomiques. La première, une bombe au plutonium (appelée «Gadget», «Trinity» étant le nom de code du premier essai atomiquede l'histoire), fut testée le 16 juillet 1945 dans le désert près d'Alamogordo dans l'État du Nouveau-Mexique. Les deux suivantes, l'une à l'uranium etl'autre au plutonium (appelées Little Boy et Fat Man), furent larguées respectivement sur les villes japonaises de Hiroshima le 6 août 1945 et Nagasaki le 9 août.

Ce projet allait mobiliser à plein temps plus de 800 personnes pendantplusieurs années. Il y avait non seulement des scientifiques qui étaient l'élite de leur temps, mais des ingénieurs et des techniciens pour résoudre l'ensemble des problèmes techniques.

La science livrait à l'humanité une force de destruction terrifiante. En parlant de la puissance phénoménale engendrée par la bombe lors des premiers essais en condition réelle dans le Névada, Oppenheimer évoqua un passage d'un texte Sanskrit (le Bhagavad-Gita, l'épopée sanscrite du dieu Shiva): pour intimider le Prince, Vishnu prit sa forme aux nombreux bras et dit «maintenant je suis Shiva, le destructeur des mondes». Plus prosaïquement, sonadjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra: «à partir de maintenant, nous sommes tous des fils de putes».

« La civilisation vient de faire un saut dans la barbarie »comme l'indiquait avec justesse Camus dans le seul article publié à l'occasionde l'explosion des deux bombes sur le Japon qui contenait une critique sanséquivoque de l'usage de cette arme dedestruction massive, terroriste par conception (elle est destinée par essence àviser les populations civiles) Mais par la suite le caractère barbare et lepotentiel de destruction sans limite allait susciter une opposition croissante,y compris dans les milieux scientifique, en particulier de Robert Oppenheimerqui subit pour cette raison les persécutions du maccarthysme (La « commission des activitésantiaméricaines » dirigé par le sinistre sénateur McCarthy ira jusqu'àinterdire au chercheur l'entrée dans ses laboratoire de peur qu'il ne divulgueses recherches aux soviétiques)

La science sera profondément bouleversée par cet évènement : nonseulement l'égalité « progrès scientifique progrès humain » allaitêtre mise en doute, mais aussi les façons de « faire de la science » seraientmodifiées en profondeur. En effet, le modèle du « projet Manhattan »allait être adopté pour de gros projets scientifiques guidés par le complexemilitaro-industriel qui allait se mettre en place à cette occasion.

Le terme de « Big Science est une image utilisée par lesscientifiques et les historiens de la science pour décrire une série dechangements dans la science qui se sont produits dans l'industrie nationspendant et après la Seconde Guerre mondiale , les progrès scientifiques de plusen plus venus à compter sur l'échelle de grands projets habituellement financéspar les gouvernements nationaux ou groupes de gouvernements.

Ce « complexe millitaro industriel » allait avoir uneimportance déterminante pour l'avenir. Peu de secteurs allaient échapper à sonemprise : l'informatique bien entendu (internet bien entendu, mais aussitout ce qui concerne les réseaux, et ne parlons même pas de cryptographie) maisaussi les lasers, le nucléaire bien sur, mais aussi la « rechercheopérationnelle », et même le LSD (qui avant de devenir le symbole de lacontre culture des années 60 fut un des nombreux projets de recherche del'armée américaine)

La logique de la guerre allait pénétrer la logique de la science :on mobilise des forces, on livre des combats, on considère la résistance de lanature à son déchiffrement comme une trahison. Nous n'en sommes toujours passorti, tout au plus la logique qui soutenait l'ensemble de l'édifice est ilpassé de la satisfaction des besoins étatiques à la recherche de bénéficesimmédiats, via le passage de la « big science » à latechnoscience....

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