La publicité n’est pas uniquement l’activité commerciale consistant à jouer sur les désirs humains pour arriver à écouler une production de masse, mais aussi le fait de rendre public des données ou des informations. C'est cette signification qui nous intéresse dans le cas des sciences, puisque c'est en assurant "la publicité des résultats et des découvertes" que la science est sorti définitivement des brouillards moyens ageux des savoirs secrets, des grimoires et des prophéties
On parle ainsi de publicité des débats dans le domaine politique, où cette revendication de publier le débat a été un prélude à l’instauration d’une démocratie caractérisée par l’importance d’une « société civile » et d’une « opinion publique ».
Au même moment que se joue la question de « la publicité des débats » la science occidentale est bouleversée par une série de bouleversements internes qui vont entrainer une véritable « révolution scientifique. Celle-ci est caractérisée par une revendication d’autonomie (les scientifiques se libérant des pesanteurs de la religion en particulier, après de durs combats qui n’ont d’ailleurs pas tout à fait cessés) mais aussi de transparence, qui met un terme aux pratiques de secrets jalousement gardés qui régissaient jusqu’à présent l’activité scientifique et technique. Dans le même temps, le régime du « Brevet » met fin aux mêmes pratiques dans le cadre des innovations techniques. Dans le bouillonnement du XVIII° siècle, se constitue ainsi toute une société savante ou curieuse qui s’organise en créant des institutions permettant de tenir compte des mutations de l’époque.
On a pu parler d'une « république des sciences » pour décrire ces intellectuels et cette élite cultivée. La diffusion des nouvelles connaissances scientifiques ne concerne en effet qu'une petite minorité de la population qui se réunit dans des cabinets de lecture, des salons, des académies ou des sociétés savantes.
C’est Condorcet, dans son ouvrage sur l’instruction, qui créa cette expression : la « république des sciences »
Il serait injuste, en invoquant l'expérience, de ne pas se borner à celles de ces sociétés qui ont pour objet les sciences mathématiques et physiques, parce que ce sont les seules qui jus-
Qu’ici aient pu jouir de quelque indépendance. Or, en admettant cette distinction, je demande si, depuis cent trente ans environ que les premières de ces sociétés ont été établies, il s'est fait dans les sciences une seule découverte qui ne se trouve dans leurs recueils, ou dont l'auteur, s'il n'est pas mort très-jeune, n'ait pas appartenu à quelqu'une de ces sociétés.
La république des sciences est universelle et dispersée, et il est impossible qu'aucune société puisse se soustraire à l'autorité souveraine de la république entière.
Au 18e siècle, la situation des sciences de la nature est tout à fait spécifique, et constitue un pan décisif de ce qui constituera la « société des lumières », ce dont rendra parfaitement compte l’importance de l’Encyclopédie des Arts ; des Sciences et des Techniques » concoctés par Denis Diderot et Jean D’Alembert. Après la mathématisation de la mécanique, les sciences expérimentales ont connu dès la seconde moitié du 17e siècle une éclosion dans quelques milieux très spécifiques.
Au 18e siècle, les unes et les autres prennent, dans la pensée occidentale, la place centrale occupée jusque-là par la théologie, l’érudition philologique et la métaphysique. Une illustration de ce déplacement pourrait être trouvée dans les honneurs accordés à Newton dans la dernière partie de sa vie (anoblissement, enterrement à Westminster), puis dans l’apparition, à l’époque des Lumières, d’un marché des philosophes et des scientifiques que se disputent les souverains éclairés du Nord-est de l’Europe.
Ce développement exponentiel, voir explosif, voit apparaitre la publicité et la transparence des connaissances comme préalable à toute science digne de ce nom.
La naissance des académies qui permet la diffusion des connaissances et leur évaluation collective est un élément central du dispositif qui se forme alors pour garantir les idéaux défendus tant par les scientifiques que par les philosophes de l’époque. Elle possède aussi un coté ambigüe dés sa création, en devenant un instrument de pouvoir, stratégique alors que la science devient aussi un élément central de pouvoir (à la fois réel dans la mesure ou il participe au développement des techniques consubstantiel au développement du capitalisme moderne qui se forme alors et également symbolique, dans la mesure ou il tend à remplacer la religion comme opérateur de vérité sur le monde environnant. D'une manière totalement différente : la religion "dit la Vérité" (avec une majuscule) alors que la science cherche la vérité (saus majuscule) et trouve une vérité toujours remis en discussion, sinon en doute )
Une académie des sciences est une société savante dont le rôle est de promouvoir la recherche scientifique. Les premières académies de sciences sont créées au XVIIe siècle en Europe (Italie, Prusse, Angleterre, France) au moment de l'essor des découvertes scientifiques. Les académies réunissent des chercheurs éminents, elles tiennent des séances au cours desquelles des travaux sont présentés et publient les comptes rendus de ces séances sous forme de revues scientifiques. Certaines académies ont également un rôle d'organisation et de financement de la recherche en gérant des instituts, en employant des chercheurs ou en finançant des programmes.
L’institut de France, qui chapeaute l’ensemble des institutions ayant forme d’académies (dont évidemment l’académie des sciences présente ainsi sa propre genèse :
« L'Académie des sciences doit son origine à la fois aux cercles de savants qui dès le début du XVIIe siècle se réunissent autour d'un mécène ou d'une personnalité érudite, et aux sociétés scientifiques permanentes qui se constituent à la même époque, telles l'Accademia dei Lincei à Rome (1603), la Royal Society à Londres (1645), … En 1666, Colbert crée une Académie qui se consacre au développement des sciences et conseille le pouvoir en ce domaine. Il choisit des savants, mathématiciens (astronomes, mathématiciens et physiciens) et des physiciens (anatomistes, botanistes, zoologistes et chimistes) qui tiennent leur première séance le 22 décembre 1666 dans la bibliothèque du Roi, à Paris. Pendant ses trente premières années, l'Académie fonctionne sans statuts. »
« Le 20 janvier 1699, Louis XIV donne à l'Académie son premier règlement et la place sous sa protection. L'Académie royale des sciences siège au Louvre. Ses membres sont nommés par le roi, après présentation par l'Académie. Ils sont au nombre de 70 auxquels s'ajoutent 85 correspondants. Au cours du XVIIIe siècle, l'organisation de l'Académie royale des sciences se modifie plusieurs fois. En 1785, une classe de physique générale et une classe d'histoire naturelle et de minéralogie s'ajoutent aux 6 existantes (géométrie, astronomie, mécanique ; anatomie, chimie, botanique). Par ses travaux et ses publications, l'Académie contribue de façon essentielle à l'expansion de l'activité scientifique. »
Une évolution importante intervient en 1835 : sous l’influence de François Arago, paraissent les premiers numéros des Comptes rendus de l’Académie des sciences qui deviennent un instrument de première importance pour diffuser les travaux des scientifiques français et étrangers.
Cette revue scientifique (qui existe toujours) remplace le « journal des savants » de création plus ancienne (1635) comme autorité scientifique du temps, en particulier parce qu’elle est dirigée par un scientifique à l’autorité incontestée Louis Arago physicien, astronome (son traité est un des grands succès d’édition de l’époque) et homme politique
Le Journal des sçavans, devenu plus tard Journal des savants, est le plus ancien périodique littéraire et scientifique d'Europe. Fondé par Denis de Sallo sous l’égide de Colbert, il constituera le premier outil de diffusion libre de diffusion des connaissances scientifiques
La parution du premier numéro du Journal des sçavans suscita immédiatement l'intérêt des membres de la Royal Society de Londres. À peine trois mois plus tard, le 6 mars 1665, un journal similaire, mais consacré plus spécialement aux nouvelles observations et expérimentations scientifiques, fut lancé par Henry Oldenburg sous le titre Philosophical Transactions. Ce périodique, dont la publication n'a jamais été interrompue, servit de modèle à tous les journaux scientifiques ultérieurs en Europe.
Les revues scientifiques constituent le moyen privilégié de fonctionnement de la communication scientifique entre pair. Chaque discipline scientifique reconnue possède son ou ses revues scientifique, et l’activité du scientifique est mesurée d’abord par ses publications dans ce type de revues, qui obéissent à des mécanismes particulier. Le fameux « Publish or perish » censé décrire l’ethos du chercheur (publier ou périr) concerne en premier lieu ces revues, qui constituent le premier critère d’évaluation du travail scientifique. Le but d’une revue scientifique n’est pas uniquement de publier des résultats scientifiques mais aussi de sélectionner les résultats les plus intéressants ou pertinents, et d’en garantir les conclusions. C’est ainsi que toute revue scientifique à un « comité de lecture » chargé d’analyser les articles proposés, et de les évaluer.
Cette publication (même si elle rend le travail du chercheur disponible pour l’ensemble de la communauté de son domaine de recherche n’est pas le seul outil de partage des connaissances, dans la mesure où il y a d’autres modes de communications entre chercheurs (comme les séminaires de recherches colloques et conférences) qui présentent un moyen de publication à chaud des résultats de recherches, aboutissant généralement à la publication dans les actes de la manifestation.
Une fois les résultats discutés dans ces manifestations, les chercheurs procèdent généralement à la rédaction d'un article dit primaire en se basant sur des règles de rédaction fixées par chaque discipline et sur les instructions aux auteurs du journal ciblé. Pour accélérer la diffusion et les discussions autour de ces résultats, ce manuscrit sera distribué aux collègues et aux différents chercheurs de son entourage, puis soumis au journal pour une évaluation et validation par les pairs avant sa publication. Il est à signaler ici la longueur des délais séparant la date de soumission et de publication d’un article qui peuvent aller de quelques mois à quelques années La démarche scientifique s'inscrit dans la libre circulation des idées, concepts et techniques afin que chacun puisse bénéficier des avancées faites par les autres chercheurs et que les recherches ne se fassent pas de façon redondante.Cette libre circulation des connaissances permet aussi l'émulation.
Mais cette diffusion des connaissances sans limites ni frontières, est limité par plusieurs facteurs contraire à cette libre diffusion.
Le premier facteur de limitation de la libre diffusion des savoirs scientifique est la raison militaire et nationale. Les recherches militaires ont en général des sérieuses demandes de confidentialité de la part des militaires soucieux de s’octroyer un avantage qu’ils imaginent prépondérant dans les affaires de la guerre. Les deux guerres mondiales ont mis à l’honneur l’alliance stratégique de la science et des militaires. Que l’on songe au fameux « Projet Manhattan » et la mise au point de l’arme nucléaire par les USA. Mise au point qui se déroulera dans un secret minutieux.
On connait également le sort funeste d’Alan Tuning, le mathématicien génial, persécuté par les services de renseignements américains qui le soupçonnaient de divulguer des secrets scientifiques aux russes. Il sera poussé au suicide par la CIA (celle-ci l’accusant de pédophilie, accusation plausible à l’époque en raison de son homosexualité et l’obligeant a une castration chimique ignoble, dont il ne se relèvera pas) Les deux guerres mondiales du XXème siècle ont scellé l’union ancienne entre la science et la guerre. Les vingt dernières années du XXème siècle ont été marquées par un rapprochement entre la recherche militaire et la recherche civile, pour palier les limites engendrées par des années de développement en vase clos. Ce rapprochement a entrainé un développement conséquent de la notion de « secret militaire » à vocation extensive
Un autre phénomène entrainant une remise en cause de la publicité comme dimension constitutive de l’activité scientifique est la privatisation relative de la recherche. Or le fonctionnement normal d’une entreprise, ce n’est pas la libre diffusion des connaissances, mais le secret commercial. Ce secret commercial tend à supplanter la libre diffusion des connaissances scientifiques et à poser de graves problèmes déontologiques. On peut par exemple voir une illustration de ce phénomène dans la polémique née par la découverte dans la « revue médicale suisse » de données non publiées sur les antidépresseurs, données qui cachaient soigneusement les résultats les plus controversés.
Voila l’introduction de l’article consacrée dans le numéro 154 de la « Revue Médicale Suisse » du quatrième trimestre par Bertrand Kiefer à l’affaire qui allait secouer le monde médical suisse (sans d’ailleurs avertir plus que ça le monde médical français)
Par certains côtés, la médecine souffre du même mal que la finance mondiale. Elle manque de données précises sur lesquelles appuyer son action. Non que ces données n’existent pas. Mais de puissants intérêts les manipulent, les masquent, en contrôlent le débit et la teneur. Du coup, le principe de réalité se dérobe. Ce qui met tout le système en crise.
Prenez les deux récentes et déjà célèbres méta-analyses sur les antidépresseurs de dernière génération. Du trouble qu’elles jettent, la médecine ne se sortira pas indemne. Leur originalité tient pourtant à peu de choses : elle vient de ce qu’elles portent non seulement sur les études publiées – les seules habituellement disponibles pour ce genre d’analyse – mais aussi sur les autres.
Le monde scientifique doit, dans de nombreux pays, en raison des faibles investissements étatiques, solliciter les financements des entreprises privées et les convaincre de financer en partie ou en totalité leurs recherches et donc se plier en partie à leurs exigences, outre la possible réorientation des recherches; ce financement peut imposer des clauses de confidentialité et donc se soustraire à la démarche de libre circulation des connaissances.
Enfin, un dernier frein à la libre diffusion des connaissances est le scientifique lui-même qui ne diffuse une découverte scientifique qu’une fois que celle-ci est bien établie et quand la « concurrence » ne peut pas utiliser ces résultats pour obtenir un résultat qui mettrait en péril les intérêts du scientifique. Une telle utilisation pernicieuse du secret est expliquée dans l’ouvrage de Bruno Latour « La vie de laboratoire ».
Cette analyse anthropologique du laboratoire de neuroendocrinologie du professeur Roger Guillemin à l'Institut Salk de San Diego (Californie) constitue une contribution majeure à la sociologie des sciences. Il s'agit d'une étude de terrain où les deux auteurs observent la manière dont s'effectue le travail scientifique à travers une description des routines et des pratiques de laboratoire qui tient compte également des enjeux entourant la publication d'articles scientifiques, de la notoriété des chercheurs ou des moyens financiers dont ils disposent pour réaliser leurs recherches. Un chapitre très éclairant est consacré aux « stratégies » de publication des résultats et des découvertes. Le professeur Guillemin va ainsi décider de ne pas publier un résultat intermédiaire qui permettrait à son principal concurrent de se rendre compte que la direction de ses recherches fait fausse route.
Un auteur d’un blog passionnant sur Médiapart Vincent Fleury, explique ainsi les « ruses » de la publication scientifique.
Il y aurait beaucoup à dire sur la notion d’embargo dans les publications scientifiques. Du fait que l’on ne peut parlé de son travail qu’après la publication, le public n’a accès aux recherches que bien après qu’elles aient été faites. Longtemps après. C’est pourquoi le récit qui en est fait est toujours un mythe dans lequel tout est repensé, reconstruit, réinventé ; faux. Aucun chercheur ne consigne jour après jour dans un carnet intime le progrès de son travail. Peut-être les blogs vont-ils peu à peu servir à ça.
Cette ultime réflexion ouvre un nouveau champ de réflexion et d’intervention possible. Il évoque également un autre champ de diffusion de l’information, le blog, cette fois en direction du public (et non de ses pairs)