
Il existe une communauté, une culture partagée, de programmeurs expérimentés et de spécialistes des réseaux, dont l'histoire remonte à plusieurs décennies aux premiers mini-ordinateurs, et aux premières expériences de l'ARPAnet. Les membres de cette culture ont créé le mot "hacker". C'est eux en partie qui ont créé l'Internet. Certains ont fait du système d'exploitation Unix ce qu'il est aujourd'hui. D'autres animent Usenet. D'autres encore font tourner le World Vilde Web. Cette culture fut d'abord une culture de niche, puis fut amenée à se disséminer largement dans le complexe techno social, au fur et à mesure que les connaissances techniques et sociales (le savoir faire et le savoir être) se diffusaient dans un large public À mesure que s’est étendue l’emprise des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur nos vies et nos activités quotidiennes, se sont également disséminés les savoirs faire, les coutumes et les modes de pensée qui antérieurement étaient du domaine des experts et des techniciens en informatique. Bien que la grande majorité des utilisateurs des NTIC, d’Internet en particulier, soient des consommateurs passifs, une certaine culture technologique est de plus en plus partagée, et désormais artistes, intellectuels, et activistes politiques y participent largement, en tant qu’amateurs avertis et innovants dans ce qu’il est devenu commun d’appeler le domaine public du cyberespace.
L'éthique hacker
Le hacker originalement n'est pas un "pirate" des réseaux, qui navigue sans foi ni loi sur les mers démontés du cyberspace et à vocation à ouvrir les "ports fermés" qui en protègent la navigation. Le mot signifie en argot d'informaticien, une "bidouille" (une utilisation détournée d'une fonction, une programmation inhabituelle) et le mot "hacker" était à l'origine un "bricoleur" (sans la nuance péjorative que peut posséder ce mot en français), quelqu'un en somme qui construit ses propres outils personnels. A l'origine, le hackers avait aussi la fâcheuse manie de pénétrer les réseaux, en général parce qu'on y accédait pas comme ça (l'accès était soit excessivement cher, soit réservé) ou que le fait de "bloquer" un réseau était vécu comme foncièrement immoral (selon la morale de "la communauté")
Au nombre de hackers connu, on peut citer le créateur de Linux, Linus Torward, celui qui développa le premier langage de programmation PERL utilisé dans la programmation d'applications web, Larry Wall, mais aussi Eric Steven Raymond le créateur du logiciel "open source", qui donne ainsi une définition de ce qu'est un hackers :
Par "hackers", je veux parler des passionnés d'informatique qui inventent et innovent pour le plaisir, pas des crackers (pirates) qui font du mal. Je crois qu'il reste énormément de choses de la culture originelle d'Internet. Le fonctionnement même du Web, par exemple, se fait encore avec des logiciels à codes ouverts mis en place par cette communauté. Deux tiers des serveurs du monde utilisent le système Apache, développé et maintenu par un réseau coopératif d'informaticiens. A l'inverse, les pratiques de Microsoft me semblent aller à l'encontre de cette culture. Microsoft est une entreprise géniale pour la commercialisation, sans innovation.
Mais ce qui me paraît plus fondamental, c'est que la "culture hacker" imprègne aujourd'hui une grande partie de la société. Elle se diffuse auprès des nouvelles générations et pas uniquement dans des domaines technologiques. Les organisations non gouvernementales (ONG) en sont une bonne illustration. Elles déploient des capacités d'innovation formidables pour arrêter la pauvreté en s'affranchissant des pesanteurs technocratiques des gouvernements. Plus une société est une société d'information et d'économie de la connaissance, plus la capacité d'innover à l'intérieur du système, avec des moyens créatifs, est importante. C'est ça la culture héritée de l'éthique des hackers.
Il décrit ainsi ce qu'il définit comme étant "l'éthique hacker" :
1. La croyance que le partage de l'information est une puissante source de bien positif, et que c'est le devoir éthique des hackers de partager leur expertise en écrivant des logiciels gratuits et en facilitant l'accès aux ressources informatiques chaque fois qu'ils le peuvent.
2. La croyance que l'entrée illicite dans les systèmes protégés pour l'amusement est éthiquement OK du moment que le cracker (pirate) ne vole rien, ne détruit rien, et ne dévoile par suite aucune information confidentielle.
Ces deux principes éthiques normatifs sont largement, mais pas universellement, admis par les hackers. La plupart souscrivent au sens 1 et beaucoup agissent dans ce sens en écrivant et en offrant des programmes. Certains vont plus loin et affirment que toute information doit être gratuite et que tout contrôle propriétaire est mauvais. C'est sur cette dernière philosophie que s'appuie le projet GNU.
Le sens 2 est plus controversé: d'aucuns considèrent que le cracking est en lui-même contre l'éthique, comme l'entrée par effraction. Cependant il y a la croyance que la cracking "éthique" exclut la destruction. De ce point de vue, c'est peut-être la plus haute forme de courtoisie hackienne de :
(a) forcer l'entrée dans un système, puis
(b) expliquer au responsable, de préférence par courrier interne, comment on s'y prend et comment boucher le trou.
L'une ou l'autre version de l'éthique du hacker est manifeste dans le fait que presque tous les hackers sont activement volontaires pour partager leurs trucs techniques, programmes et (quand c'est possible) leurs ressources informatiques avec d'autres hackers. Les énormes réseaux coopératifs tels que Usenet, FidoNet et Internet peuvent fonctionner sans contrôle central à cause de cela. Les deux versions dépendent d'un sens communautaire et cette éthique représente, parmi tous les fonds intangibles de la hackauté, celui qui a le plus de valeur.
On trouvera sans peine une homologie fondamentale entre cette éthique et ce que fait Wikileaks : un outil de partage de l'information. Le fait que soit affirmé comme étant particulièrement déterminant la qualité de l'information, et que la "mauvaise information" soit à combattre absolument montre des convergences immédiates avec le monde du journalisme (qui lui aussi se préoccupe de "partage de l'information")
Le journaliste et la "bonne information"
Le journaliste partage donc avec le hacker les soucis d'une "bonne information" Mais qu'est qu'une bonne information pour un journaliste ?
C'est d'abord une information pertinente; Et une "information pertinente" c'est une information qui touche le lecteur... Qu'elle fasse partie du registre des "sujets connus" (pour intéresser) ou qu'elle fasse partie d'un "nouveau registre de question" En clair les "marronniers" et les "nouvelles questions" sont tout aussi importante pour comprendre ce qu'est le journaliste.
C'est ensuite une information "fiable" (vérifiée contrôlée, regroupée)
C'est enfin une information auquel on peut donner un "angle" (de traitement)
Or on voit bien que Wikileaks ne se substitue pas aux journalistes (auquel au contraire il propose une collaboration fructueuse) L'information est brute (non triée selon son degré de pertinence) non regroupée, et surtout on ne donne aucun "angle" de traitement
Ce qu'est le journalisme
On a traité de l'information pour le journalisme (son traitement, sa mise en forme) Il convient maintenant de montrer que le journalisme n'est pas uniquement du traitement de l'information, mais aussi de la communication Or ce dernier rôle est fondamental pour le journal comme "constructeur" de l'espace public. La confrontation citoyenne ne prend pas seulement le chemin des urnes, elle utilise également ces agoras que sont les journaux. De plus, on sait que les journaux créent également la "communauté de leurs lecteurs" (puisque les lecteurs "du Figaro" ou "de Médiapart", ce n'est pas la même chose. La création d’une communauté "active" est au cœur me semble t il du projet "Médiapart", qui explore en même temps les possibilités spécifiques du média internet, et la culture d'une époque (qui rejette en grande partie la position ""en surplomb" de l'expert "sur de lui et dominateur"
Or cet espace est aujourd'hui menacé. D'une part, pour que l'espace public fonctionne de façon harmonieuse à l'intérieur d'un média, il faut que le média ne soit pas assujetti à des intérêts étrangers ou privés. Or la concentration (dans le domaine de tous les médias) obère cette "neutralité axiologique". De plus, la multiplication des canaux pose un grave problème d'engorgement Pour finir ce rapide tour d'horizon (et on pourrait citer bien d'autres éléments) il y a "éloignement" de plus en plus grand des "nouvelles" au sens le plus large vis a vis de l'expérience commune (ce qui est particulièrement problématique par exemple dans le domaine scientifique)
Ce que fait Wikileaks
Wilileaks n'est pas un outil "anti journaliste", il ne prétend pas se substituer à lui. Wikileaks n'est pas un "trouveur de scoop" (la plupart des révélations qu'il fait n'ont pas de valeurs de "secret" totalement surprenant)
ll tente de fournir de l'information brute de bonne qualité. Ce qui est modeste et déterminant à la fois (et pas si facile !)
Qui a intérêt à l'information de basse qualité ? Qui a intérêt à des zones de secret non négociées... On voit bien qu'au delà de la question du secret, c'est en fait la question de la démocratie qui est posée...