Bonjour,
Je pense que les analyses conduisant à affirmer que c'est Poutine qui a déstabilisé l'Est de l'Ukraine et pas les séparatistes eux-mêmes demandent à être prouvées. En disant cela, je ne me sens pas un "troll de Moscou", appellation qui a de sacrés relents de guerre froide et qui dans le match géopolitique qui oppose OTAN et Russie autour de l'Ukraine est un vrai parti-pris.
Quelques questions essentielles doivent être posées:
Etait-il légitime d'entamer une "guerre contre le terrorisme" dixit le nouveau pouvoir de Maidan, au lendemain de l'élection de Porochenko, face à ce qui n'était encore qu'une rébellion séparatiste peu armée et n'ayant pas mené d'actes de guerre, mais seulement des actions illégales de prise de pouvoir, ce qui n'est pas du tout la même chose?
Démarrer une guerre civile est une lourde responsabilité, de mon point de vue plus lourde que prendre le pouvoir "pacifiquement" dans une ville. En effet, la négociation n'a pas été tentée, et d'entrée de jeu, les séparatistes ont été déclarés "non fréquentables". Or, ils étaient soutenus par une part importante voire majoritaire de la population de l'Est, en témoigne la participation populaire au "référendum" des séparatistes.
A partir de l'engagement de cette guerre, il est devenu difficile d'accuser les Russes d'avoir commencé.
De nombreux journalistes (dont ceux de Médiapart, ce qui me déçoit) n'ont porté aucune attention à la division en deux radicale de l'opinion Ukrainienne depuis la révolution orange, comme en témoignent les résultats des élections présidentielles de 2004 et de 2010 où Ianoukovitch obtenait 90% dans l'Est Ukrainien et en Crimée. Il était inévitable que ces populations prennent très mal l'élimination de "leur" président (quel que soit son degré de corruption, d'ailleurs largement partagé des deux cotés). Imaginons un instant dans un pays démocratique les réactions de régions massivement électrices d'un Président renversé par des manifestations d'une autre région et pas par une élection. Rappelons que les gens de l'Est savaient très bien que 80% des habitants de Kiev (et des régions avoisinantes) avaient voté contre Ianoukovitch en 2004 et en 2010. Ils ne pouvaient prendre qu'avec des pincettes le procès fait par les manifestants de Maidan visant à faire partir le Président contre qui ils avaient massivement voté.
Cette division en deux s'inscrit dans une histoire violente et dramatique où l'ouest ukrainien a pris parti pour les nazis à leur arrivée en 1941 considérés comme des libérateurs des Rouges, alors qu'à l'inverse, ceux de l'Est ont été victimes d'une répression atroce de la part des nazis. De même, la Shoah par balles qui a tué 1,5 millions de Juifs a rencontré une neutralité bienveillante à l'Ouest de la part des nationalistes Ukrainiens issus des armées blanches des années 20. Alors qu'à l'inverse, les gens de l'Est se sont battus dans l'Armée Rouge contre les nazis. En tout 6 millions de morts en 5 ans de guerre, 20% de la poplulation!!!, le plus lourd tribu de tous les belligérants, faut-il le rappeler.
On peut comprendre la violence des traces que cette histoire a pu laisser quand on voit, en France, la permanence du souvenir des collabos et autres Vichistes, avec "seulement" quelques dizaines de milliers de morts.
Faut-il rappeler également qu'une des premières décisions de 2004 comme de Maidan fut de nommer Stepan Bandera héros de l'Ukraine, entrainant une virulente protestation d'Isrël et du centre Simon Wiessenthal, compte tenu de sa responsabilité dans la Shoah ukrainienne, et une vraie panique à l'Est devant le retour des "fascistes".
Enfin, ce n'est un secret pour personne que l'UE à travers l'accord d'association, et l'OTAN rêvent de séparer l'Ukraine de la Russie. Pour l'Est Ukrainien, intégré à la Russie depuis plusieurs siècles, ce n'est pas facile à avaler.
Voilà pourquoi je pense que, sans faire appel au complotisme, il est légitime de refuser de prendre pour argent comptant que le coupable, c'est Poutine. Que Poutine ait utilisé l'Ukraine pour redevenir populaire en Russie est une évidence. Mais cela veut dire aussi que n'importe quel autre dirigeant Russe en aurait fait autant.
Pour moi, il y a un pays dont l'unité nationale n'était pas réalisée, qui était très profondément coupé en deux. Des apprentis sorciers de part et d'autre à l'intérieur et à l'extérieur ont soufflé sur les braises et ils sont tous responsables au même titre. Le plus urgent c'est de les obliger à réussir les pourparlers de paix. Je regrette que ce crime de guerre (que les USA ont également pratiqué en son temps) ne soit pas resitué dans ce contexte. Car le plus urgent, plus que de juger les criminels des deux camps, c'est d'arrêter cette guerre civile!
Je vous joins un résumé sans prétention de l'histoire de l'Ukraine posté sur mon blog pour illustrer ce billet que je vous envoie. J'aimerai beaucoup que vous me répondiez.