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Billet de blog 4 juillet 2014

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Les chroniques d’un Autre monde: sourires

Sourire affable. NHC. Nouvel hôpital civil de Strasbourg. Service Anesthésie. Je sors de consultation. On se rend à l’accueil. Une secrétaire blonde entre deux âges est derrière le comptoir, elle râle, débordée. Je lui souris de loin. Spontanément. Naturellement. Sourire est une politesse et une attention qui ne coûte rien. Il faut que j’aille très mal pour ne pas sourire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sourire affable. NHC. Nouvel hôpital civil de Strasbourg. Service Anesthésie. Je sors de consultation. On se rend à l’accueil. Une secrétaire blonde entre deux âges est derrière le comptoir, elle râle, débordée. Je lui souris de loin. Spontanément. Naturellement. Sourire est une politesse et une attention qui ne coûte rien. Il faut que j’aille très mal pour ne pas sourire. Et encore. C’est tellement facile et si simple de sourire. Un réflexe inné ? Si ré-énergétisant et ravigotant

. « Il est lumineux, il dégage quelque chose », dit-elle à Jill lorsqu’elle est devant elle. « Il a un sourire qui communique bien, il n’a pas besoin de parler pour se faire comprendre », dit-elle encore. Comme je l’apprendrai par la suite. Jill lui parle alors un peu de ce que je fais en matière de communication. Avant que nous allions faire l’électrocardiogramme au fond du couloir, dans une pièce exiguë. Alors qu’on me le fait, profitant d’une accalmie (il est 12h30), par curiosité, la secrétaire cherche mon nom sur Google et trouve mon blog. Au retour, elle m’aborde pendant que Jill s’est éclipsée brièvement. Elle est alors souriante et très affable, pleine d’empathie à mon égard. Ce n’est qu’ensuite que je comprendrai pourquoi.

Grâce à un sourire, un simple sourire. Il nourrit celui qui l’offre et celui qui le reçoit. Il est le reflet de son être intérieur, un instantané de sa pulsion vitale. Pourtant, je croise majoritairement des visages tristes, fermés, préoccupés, absents, renfrognés, crispés et/ou asociaux. Sans vie. Sans joie. Sans allant ni élan. Sans don de soi par conséquent. Car sans liant. Dans une position indéfinissablement antagoniste. Or, la vie n’est faite que de liens qui se tissent même de façon fugace. Un sourire peut métamorphoser une journée, voire beaucoup plus. Transformer de la gravité en légèreté. Relativiser une situation. Un sourire est une main tendue. Il peut soulager même momentanément une souffrance. Alors pourquoi si peu de sourire ? De mains tendues du bout des lèvres et du fond des yeux ? Parce que le regard participe intensément à l’esquisse d’un sourire. Le regard ne trompe jamais. Si le regard ne sourit pas, le sourire sur les lèvres est probablement contraint, triste ou factice.

Un sourire c’est un peu d’amour et beaucoup d’intentions empathiques. Derrière un sourire rien n’est grave et tout est possible. Tout. Puisqu’il est le signe d’un respect mutuel.

Sourire effaré. Lorsqu’au hasard d’une lecture, je découvre l’existence des « hakikomori », mot japonais qui signifie littéralement « confiné ». Au pays du soleil Levant, il y a, semblerait-il, près de 250 000 jeunes, essentiellement de sexe masculin, entre 20 et 30 ans environ, vivant reclus dans leur chambre jour et nuit, où le seul lien avec les autres est leur ordinateur ; adressant à peine la parole à leurs parents. Rejet de la société ? Agoraphobie culturelle du XXIe siècle ? Angoisses existentielles ? Comportement pathologique ? Qu’importe, il s’est répandu dans les pays dits « développés », dont la France bien sûr. Ce ne sont pas des ermites ou des cénobites des temps modernes, leur refus d’une certaine société n’est inspiré par aucune foi ni conviction particulières, « juste » une fuite, une négation ou une dénégation existentielles.

Quel paradoxe interpellant ! Nous avons, d’un côté, des millions de personnes enfermées dans leur corps et/ou leur esprit qui cherchent par tous les moyens à leur disposition à acquérir un maximum d’autonomie que ces mêmes sociétés, néolibérales, le plus souvent leur refusent (cf. la reculade insensée, incivique, irresponsable et lâche que le gouvernement Hollande vient de concéder aux lobbys du BTP et aux collectivités locales en matière d’accessibilité des Établissements recevant du public) et, de l’autre, des centaines de milliers de jeunes qui s’enferment, s’emmurent dans l’espace réduit de leur chambre. D’un côté, un appel à la vie qui a tant de mal à se faire entendre et respecter et, de l’autre, des refus et des rejets radicaux de cette vie. Cela prêterait presque à sourire, bien qu’étant interloquant, si ce n’était pas inquiétant, parce que cela incite plutôt à s’interroger sur les méfaits insidieux de nos sociétés supposément civilisées et « avancées ». Quelle dose de mal-être ne faut-il pas pour en arriver là ? Ma vie, à l’instar de millions de personnes, est une lutte de tous les instants afin de vivre du mieux possible, quand la leur paraît être une abdication, une rupture avec l’existant, la revendication d’avoir le droit de survivre.

Sourire dépité. Le sexisme ordinaire a encore de beaux jours devant lui. Tel un eczéma chronique, un prurit de la virilité qui démange un atavisme mâle venu du fond des âges. J’avoue que je n’arriverai jamais à m’y faire. À mon goût, il y a bien trop de réflexions machistes à l’humour lourdingue, indélicat, mufle et fréquemment ridicule qui s’épanouissent fières et satisfaites d’elles-mêmes sous nos latitudes franchouillardes. Le plus désolant, à mes yeux, c’est lorsqu’elles se font en présence de leurs cibles, qui restent généralement muettes : femme et/ou fille(s) − plus rarement garçon(s). Résignées ? Indifférentes ? Il paraît que « qui ne dit mot consent ». Consent à quoi ? À essuyer des chapelets de goujateries sous la ceinture proférés par des parangons de virilité préhistorique ? Le sexisme et le machisme se développent dans la sphère privée, familiale. Et, grâce aux réseaux sociaux, il peut désormais se répandre copieusement…

Sur Facebook, atterré, je suis tombé sur cet échange public et, le trouvant très révélateur d’une certaine misogynie redondante, j’ai fait un copié-collé de cet extrait :

« Jean-Luc Letellier : Avec tout mon respect (et il est grand) pour celles qui (volontairement) font commerce de leurs charmes, un PETIT SONDAGE : comment nomme-t-on une pute qui ne se fait pas payer ? (si, si ça arrive) J'ai posé cette question à quelques personnes, les réponses sont intéressantes... A VOUS....

Gaëlle : une pute bénévole ??? dans tous les corps de métier, il y a des bénévoles, assumés ou pas... sinon, une épouse sans revenus, c'est, techniquement, une pute, à partir du moment où l'argent gagné par le conjoint appartient à ce dernier...

Clément : une sainte

Clémence : une épouse

Michael : un politicien , bien qu'on le paie indirectement et que se soit lui (ou elle) qui t'encule.....ou encore un traitre amoureux.....un amant, un amie, une ennemie, une perverse, une cougar, une nympho, une dragqueen, un travesti en manque, une pute qui se fait raquer par son proxo ou par les flics etc etc ...... qqun qui rend service, une ame charitable, une association à but non lucratif, une artiste de bienfaisance, une pute qui se fait violer et dont tout le monde s'en fout parce que ce n'est qu'une pute.... les artistes du téléthon ou des resto du cœur (ah pardon ils sont payés j'avais oublié)...... une femme ou un enfant victime d'un viole dans certains pays.... un(e) patient(e) chez un(e) sexologue....je ne dirais pas une épouse, car une épouse est loin d'être une pute à mon sens... encore que dans certains pays.....autre idée: qqun qui te souhaite bon anniversaire en retard .......... bon anniversaire (enfin selon facebook)

Gaëlle: Très inconnu Michael, une épouse (ou un époux) est une pute gratos, déjà, à partir du moment où rapport social (déclarations de vie commune, sous toutes ses formes) et vie amoureuse (censée être sans aucun devoir, même conjugal) sont confondus.

Charly Valenza : une salope?

Michael : je ne suis pas d'accord avec toi chère Gaëlle, une pute ne se marie jamais, sinon ça devient une épouse et non une pute.... ptêtre une salope à la limite mais pas une pute....

Saabii : Une fille qui aime le sex tout simplement

Mau Reen : Alors on est toutes des putes lol

Jean-Luc Letellier : C'est ce que dit GiedRé : Toutes des putes ! »

Détail non négligeable, l’auteur de la question, et de la conclusion de ce morceau choisi de bas étage, à mon sens, mais ça n’engage que moi, a pignon sur rue, écrit des livres et est président d’une association soutenue par la Fondation de France, qui plus est une association qui prône le droit à « la sexualité pour tous » et proclame que « leur sexualité n’est pas un handicap ». Ce que je ne peux que défendre, par ailleurs.

Il n’empêche, comment cautionner un tel échange ? Si la sexualité n’est pas un handicap, un tel sexisme et un tel machisme en sont assurément un sacré. Comment peut-on prétendre défendre la cause si vitale du droit des personnes en situation de handicap à vivre une vie affective et sexuelle ou, a minima, à l’expérimenter, et tenir de tels propos, de surcroît ouvertement sur Facebook, tout en espérant rester crédible et convaincant ? C’est ainsi que ces gens, parmi lesquels des personnes en situation de handicap souffrant, au moins pour certaines, de manques affectifs et sexuels, considèrent la femme, les femmes ?

J’ai l’impression d’être face au chien qui se mord la queue, aux spécimens d’une société qui marche sur la tête. Et quelle hypocrisie en sus ! « Avec tout mon respect »… Pour qui ? En traitant l’autre de « pute » ? Est-ce un crime d’avoir des partenaires multiples quand on est une femme, « juste pour le plaisir » ? Que les membres du STRASS parlent d’eux/elles-mêmes de la sorte est leur droit le plus strict mais, sorti de là, je trouve cela injurieux et cette question terriblement ambiguë en plus d’être un non-sens qui montre bien l’image qu’a ce monsieur, et les personnes qui sont allègrement ou virulemment entrées dans son jeu pervers. Y a-t-il des femmes un peu trop libres à leur goût ?

En attendant, il me semble que, nous les personnes en situation de dépendance vitale, nous sommes bien contents d’être accompagnées par ce que d’aucuns nomment si élégamment une « salope » afin d’être lavées, soignées, habillées et tutti quanti ; et il ne s’agit nullement, en disant cela, d’idéaliser ou d’angéliser quiconque mais simplement de respecter ; du respect le plus élémentaire de son prochain (même quand celui-ci est imparfait). Cet « humour-là » me déplaît profondément. Car, si j’estime qu’on peut rire de tout, je pense que rabaisser l’autre, le stigmatiser, n’a jamais eu quoi que ce soit de glorieux et de désopilant. Comment vouloir être accompagné sexuellement par une femme sans respecter La Femme ? Comment déplorer de ne pas rencontrer l’âme sœur en ayant aussi peu de considération pour La Femme ?

Cependant, le plus triste, sans pour autant être franchement étonnant, c’est de constater que des femmes participent à cette dérive. Cet échange n’est que le désolant reflet de nos sociétés obstinément patriarcales où, sous le vernis égalitariste, la misogynie à la vie dure. Il suffit d’aller voir le magnifique et stupéfiant film israélien intitulé « Le procès de Viviane Amsalem », de Ronit et Shlomi Elkabetz, pour s’en persuader ; quant à notre cher pays de cocagne, il suffit de voir la difficulté à obtenir une véritable parité à tous les échelons de notre société et à résorber les inégalités salariales… En fait, pas plus que celle des personnes « handicapées », la condition des femmes n’évolue franchement et dignement ; l’égalité, hélas, c’est comme la confiture, moins on en a à offrir plus on l’étale.

Sourires bucoliques. Retour à Nîmes. Où, excepté une périphlébite qui a ri jaune inopportunément, sans doute afin de pimenter notre séjour, nous avons vécu huit jours savoureux à tous points de vue. Nonobstant le fait, somme toute très « accessoire », que l’angiologue qui m’a reçu « en urgence » estime que son cabinet est accessible avec… deux marches de 7 cm environ de haut chacune à franchir ; ce qui est passablement aberrant lorsqu’on sait qu’il lui en coûterait à peine quelques centaines d’euros pour que l’accessibilité soit effective ; heureusement, je suis équipé, sinon il aurait dû faire le Doppler sur le trottoir… Avec l’aval de messire Hollande puisque, grâce à lui, il n’y a pratiquement plus d’obligations de mise en accessibilité des ERP désormais. Cette périphlébite est « juste » venue me rappeler que je ne suis qu’humain et que, comme le chante Lana del Rey, nous sommes « born to die », pas trop vite quand même (et pas à n’importe quel prix non plus, tant qu’à faire).

À part ça, durant ce petit séjour, j’ai découvert la beauté transcendante de la Bambouseraie d’Anduze. Un lieu enchanté par les grâces végétales qui respire une spiritualité presque palpable. J’aurais pu passer des heures dans ce parc créé au XIXe siècle par un passionné qui s’est ruiné afin de réaliser son projet fou, au pied des Cévennes, dans ce coin encaissé à l’exubérance verdoyante. Je me suis promené dans un musée vivant à ciel ouvert. Et la nature a eu la délicatesse d’attendre que nous entrions dans une boutique pour déverser un déluge céleste qui s’est abattu sur nos têtes emplies d’images et de sensations. Le lendemain, nous avons plongé dans les Carrières de Lumières des Baux de Provence, après avoir sillonné les étroites routes en lacets des grandioses et majestueuses Alpilles.

À l’intérieur de ces monumentales carrières à la fraîcheur stimulante, on projette actuellement en boucle un spectacle multimédia consacré à Klimt. Pendant près d’une heure, on se balade dans des galeries aux parois vertigineuses sur lesquelles défilent des œuvres du peintre autrichien, vous baignant littéralement dans un flot de lumières et de couleurs en mouvement, à ne plus savoir où donner des yeux. Enfin, petite virée rituelle dans le vieux Nîmes que j’apprécie un peu plus à chaque passage. Quelle ville paradoxale ! Si belle, si cosmopolite, si chatoyante, si agréable à vivre et cependant si grouillante de tensions tangibles, de xénophobie à fleur de visages, d’insidieuses « rigidités » chauvines, culturelles autant que cultuelles. C’est un plaisir indicible de flâner dans ses rues piétonnes jusqu’à la tour Magne d’où on surplombe la ville et ses environs.

Autre paradoxe : l’Ariège et le foyer d’accueil médicalisé situé à Saint-Girons où je suis intervenu le 28 juin. L’Ariège, le département le plus pauvre de l’Hexagone si je ne m’abuse et peut-être le moins peuplé ? Où c’est la croix et la bannière pour dénicher un hôtel adapté. Mais celui que nous avons trouvé, Les Minotiers, propose une adaptation parfaite et un confort que nous rencontrons trop rarement. Seul petit « bémol », il est à Mirepoix, à l’est du département quand Saint-Girons est à l’ouest, à l’autre extrémité. À 80 km par des (très) petites routes parfois, souvent sinueuses, environnées de paysages somptueux et giboyeux. À l’aller, nous mettrons près de deux heures grâce à une manifestation de paysans en tracteurs réclamant de chasser le loup jugé trop néfaste.

Mais, la veille au soir, nous avons commencé par visiter Mirepoix que je connaissais déjà pour l’avoir découverte six ou sept ans plus tôt. À l’époque, j’avais été très séduit par ce village médiéval d’un peu plus de 3000 habitants. Le centre touristique est un émerveillement visuel construit autour de la place du Maréchal-Leclerc, il n’est composé que de moyenâgeuses maisons à colombages − dont certaines décorées avec des sortes de gargouilles sculptées dans les poutres − ayant pour particularité notable d’être pourvues de passages couverts ou cornières ; cette architecture est typique de la région ; l’avantage, c’est qu’on peut se promener ou s’attabler dans ces « galeries » pittoresques par tous temps ; ce que nous avons fait pour nous régaler au Cantegril, un restaurant à recommander près de la mairie.

Saint-Girons n’est guère plus peuplée, ce qui ne l’empêche pas d’avoir deux librairies ! Quelques jours avant notre arrivée, une grande partie du personnel de l’établissement, ouvert en 2010, s’est mise en grève, avec raison je pense (http://www.ariegenews.com/ariege/jeunesse_societe/2014/77526/saint-girons-la-tension-monte-chez-le-personnel-du-fam-le-foyer-d-accu.html). Néanmoins, le premier fautif de cette situation, c’est l’État qui fait des économies de bouts de chandelle au détriment des supposés « foyers de vie » contraints de faire avec les moyens du bord. Ce qui a pour effet pervers de générer de la maltraitance, à l’encontre des résidents bien sûr mais également des professionnels, par manque d’effectifs suffisants, obligeant ainsi les équipes à pressurer le temps, donc la qualité des soins et de la présence ; le Charity business n’a pas d’états d’âme, il ne cesse de nous montrer la valeur réelle de notre prochain : le minimum social et même moins tant qu’à faire. Le plus hypocrite dans l’affaire, c’est que l’État dénonce les maltraitances dont il est largement complice par sa politique sociale et sanitaire mesquine, irresponsable et incohérente.

Le bâtiment d’un étage, géré par l’APAJH 09, est du dernier cri, spacieux, aéré et même aérien, puisqu’il surplombe un panorama grandiose. Il y a 20 chambres de 30 m² − c’est impressionnant comparé à celles de 15 m² maximum de surcroît quelquefois équipées de deux lits, comme je l’ai déjà vu dans certaines institutions où l’intimité est une rageante chimère −, elles sont occupées par des adultes atteints de handicaps d’origine neurologique générant une dépendance vitale (SLA, Locked-in-syndrome, AVC et tétraplégie graves, etc.) ; il y a majoritairement des hommes, d’après ce que j’ai constaté. La moyenne d’âge des résidents est de 40 ans environ. On m’a commandité pour parler de handicap et de sexualité, ce qui, vu l’âge des locataires de ce lieu, est on ne peut plus logique. Quoique…

En fait, la grève ne m’a pas vraiment étonné. En effet, non seulement, il y a une tension palpable dans ce cadre institutionnel presque « idéal » − car la structure s’y prêterait − entre deux visions opposées de l’accompagnement, l’une relevant essentiellement de l’assistanat, l’autre inspirée par le souci d’apporter un maximum d’autonomie aux 20 colocataires, et puis il y a des « tiraillements » à propos du sujet hypersensible de la vie affective et sexuelle des résidents, donc de l’accompagnement sexuel en filigrane. En outre, certaines tensions découlent probablement du fait du port obligatoire de « l’uniforme », créant une hiérarchisation insidieuse, j’en suis convaincu ; par ailleurs, cette contrainte vestimentaire inutile médicalise de façon pernicieuse ce qui est censé être un lieu de vie. Ici, on est d’abord malade avant d’avoir un handicap. Preuve que les fondements et la philosophie de la loi du 11 février 2005 n’ont pas encore complètement franchi la porte de l’établissement. Ce qui, sachant que nous avons affaire à des adultes qui, pour la plupart, ont eu une vie parfois trépidante avant le handicap (dans le lot, il y a entre autres un ancien basketteur qui s’est retrouvé en fauteuil roulant à vie après avoir sauté par la fenêtre pour échapper… au mari de sa maîtresse, mais aussi un ancien légionnaire…), est très interpellant : comment d’aucuns peuvent-ils émettre des doutes et des réticences, quand ce n’est pas franchement des refus et des rebuffades, vis-à-vis de la nécessité de reconnaître, d’accepter et de faciliter une vie affective et sexuelle entre ces murs ? Sauf à partir du principe que ces vies sont finies.

Il n’empêche qu’on m’a fait venir de l’autre bout de la France, pour un coût assez conséquent du fait des frais de déplacement, afin d’aborder ce sujet encore si controversé devant des membres de l’assemblée générale, du personnel et de certains résidents, preuve qu’une ouverture se dessine, que les progressistes ont réussi à se faire entendre. Même s’il y a loin de la coupe aux lèvres, on peut espérer l’amorce d’un virage. D’autant que j’ai rencontré des professionnels très intéressants, motivés et sincèrement humanistes dans ce foyer en devenir ; ainsi que, évidemment, du scepticisme et une certaine mauvaise volonté…

Après mon intervention, il y a eu un afflux de gens autour de la table où j’ai dédicacé mes ouvrages en compagnie d’une libraire radieuse, très attentive et affectueuse. Des personnes conquises par mon approche de l’accompagnement dans sa globalité.

Sur la route du retour vers Mirepoix, nous avons fait halte à Foix étant donné l’heure tardive, afin de trouver un restaurant acceptant encore de nous recevoir. Nous amenant à parcourir les rues de la ville qui, en dehors de son célèbre château, perché au loin sur son épine rocheuse, a un certain cachet. Mais que nenni, tous les restaurants ont refusé de nous servir à manger à… 20h45 ! À cause de l’heure ou du handicap, du fauteuil roulant trop imposant ? Dans les deux cas, c’est affligeant. Tous, sauf un, le Café Gros qui se vante de dater de la fin du XIXe siècle, comme les moules en carton que j’y ai avalées avec peine sous le regard torve du patron piteusement éméché derrière son bar, méprisant vis-à-vis de ses serveurs et graveleusement goujat à l’égard de Jill.

À bientôt l’Ariège.

Sourire rassuré. Il y a bien une justice indépendante en France maintenant. Nicolas Sarkozy vient d’être mis en examen. Quel plaisir ! Même si son arrogance persiste, elle est désormais de plus en plus pathétique. Il y a plus de 5 millions de chômeurs, plus de 8 millions de pauvres, plus de 6 millions de personnes « handicapées » dans ce pays et lui, avec ses 100 000 € par conférence et ses malversations, sa malhonnêteté chronique, continue à nous vendre sa salade napoléonienne de victime patentée. Pourquoi changerait-il de discours ? D’une part, il n’en a pas de rechange et, d’autre part, il sait parfaitement qu’il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre ; or, il reste d’indéfectibles sourds dans sa sphère peu comestible. À quand une condamnation ? Tel que faire des travaux d’intérêt public, comme Berlusconi ! Dans une FAM ou une MAS afin qu’il déguste la misère de près, au moins une fois dans son existence.

Sourire grinçant. À quand la répudiation de François Hollande et de sa cour obséquieuse ? Ce ne sont pas les « 100 frondeurs » qui l’obtiendront, à l’exception d’un seul, le député Christophe Léonard, ils sont lamentablement tous rentrés dans les rangs, à l’instar de toutes les grandes gueules de ce bas monde. Ils ont fait parler d’eux, c’est déjà pas si mal. Peur de perdre la face ou le pouvoir ou les deux ? Toutes les excuses et autres justifications bidon ont été déballées. Trop de gens de pouvoir n’ont pas goûté ou pas suffisamment le sel de la misère, de la souffrance, du rejet, de l’abandon et de l’injustice. Égocentrisme, égoïsme, égo quand tu nous tiens. Société en déperdition cherche désespérément un être de courage, d’humanité et de détermination. Quand les politiciens d’une nation ne sont plus crédibles, la démocratie est en danger.

Sourire ensoleillé. L’ineffable bien-être produit par la brève caresse du soleil à travers la vitre de la salle de bains sur le corps nu est une expérience chaque fois sublime et subtile. Comme la caresse gouleyante du soleil en général, du reste. Je connais mon bonheur. Mes bonheurs. Leurs fragilités et leurs forces. Ainsi que leur temporalité. Mon corps vieillit inexorablement, avec son cortège d’avanies inévitables, tandis que mon esprit ne cesse de rajeunir, ai-je le sentiment. Impression étrange et indéfinissable d’une humanité paradoxale. L’éternité se trouve peut-être dans ce paradoxe ?

La vie est décidément belle et généreuse. À condition de lui sourire.

Bonnes vacances aux quatre coins de la vie.

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