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Billet de blog 9 novembre 2013

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Les chroniques d’un Autre monde : que du bonheur (ou presque) !

Dans la précédente chronique, j’étais en mode « entretien préalable à une embauche possible ». En fin de compte, j’en avais sélectionné deux et gardé deux autres sous le coude, au cas où… Et, j’avais décidé de faire confiance aux jeunes sans expérience dans le travail d’accompagnement de personnes en situation de handicap, comme on dit dans les « milieux autorisés ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la précédente chronique, j’étais en mode « entretien préalable à une embauche possible ». En fin de compte, j’en avais sélectionné deux et gardé deux autres sous le coude, au cas où… Et, j’avais décidé de faire confiance aux jeunes sans expérience dans le travail d’accompagnement de personnes en situation de handicap, comme on dit dans les « milieux autorisés ». Les postulants doivent effectuer 2 × 2 jours de formation, si tout va bien. Cependant, chat échaudé craignant l’eau froide, avec William, mon formateur attitré, nous avons fait le choix d’en former deux en parallèle et de recruter le plus probant. Or, le premier n’est jamais venu, sans prévenir ni redonner signe de vie ; nous l’avons attendu pendant une heure en vain. Il semblait pourtant très intéressé par le poste. Il semblait… Je l’ai donc remplacé au pied levé par un des deux « réservistes »… Il est très jeune, 23 ans, plutôt sympa, timide, très poli et attentionné. Lorsque je l’ai rencontré, j’avais un doute, l’impression qu’il n’était pas assez mûr, mais il avait à son actif une brève expérience de brancardier.

Qu’à cela ne tienne, comment les jeunes peuvent-ils apprendre si on ne leur donne pas une chance ? Malheureusement pour lui, il a très vite été évident qu’il n’avait pas les capacités requises pour un tel travail. Le fait qu’il n’a pas cessé d’acquiescer toutes les 30 secondes par des « d’accord » ou des « oui », souvent hors de propos était révélateur. Cette attitude est significative d’un manque total de concentration et de compréhension voire, peut-être, de confiance en soi. Quand quelqu’un que vous formez passe son temps à vous répéter « d’accord », vous pouvez être sûr que cette personne vous entend mais ne vous écoute pas. C’est une antienne rédhibitoire. Et ça n’a pas manqué. Il a tout fait de travers, n’a rien imprimé. Une catastrophe.

J’en avais déjà vécue et j’en vivrai encore, mais celle-ci a été gratinée. Il était d’accord sur tout et n’importe quoi tout en étant incapable de reproduire le même geste, de respecter les consignes, même approximativement. Donc, au bout de 24 heures, j’ai mis fin au massacre. Les risques étaient trop importants pour moi, et pour lui. Cette expérience a confirmé la nécessité impérative d’embaucher des gens de tempérament, capables d’être autonomes et réactifs ; à domicile, il est dangereux de travailler avec des professionnel(le)s qui ont des capacités de subalternes, aussi bons soient-ils, car ces personnes n’ont pas suffisamment confiance en elles-mêmes pour assumer des responsabilités trop stressantes, surtout qu’elles sont seules avec moi.

Pendant les formations, je suis un objet de soins, un cobaye consentant par la force des choses, se faisant malmener par les formés du fait de leurs maladresses et de leurs hésitations inévitables. C’est d’autant plus difficile que chaque nouvelle formation est, pour moi, une mise à nu dans tous les sens du terme. Cette mise à nu « contrainte » rend indécente, à mes yeux, la polémique hypocrite qui règne autour de l’accompagnement sexuel ; les personnes « handicapées » payent, ou on paye pour elles, afin que des « professionnel(le)s » (attentionné(e)s et respectueux(ses) ou non) pénètrent dans leur intimité, prennent « en charge » leur plus intime tout au long de leur vie et, au mieux, ils/elles les respectent, les accompagnent avec empathie, au pire, ils/elles les maltraitent, les reluquent voire les violentent ou les violent ; par contre, que des personnes « handicapées » payent pour vivre l’expérience de la sensualité et de la sexualité, de la découverte de leur corporalité, de tous les sens de leur être, pour les aider à se réincarner, là la morale et les idéologies dogmatiques s’insurgent ; l’humanité a ses limites, les mêmes que la liberté, me semble-t-il…

C’est tellement plus simple de focaliser sur l’apparence… Il ou elle sourit, il ou elle a l’air heureux(se), donc forcément ils/elles le sont ; c’est souvent plus simple de le penser que de repenser la relation à autrui ; c’est plus facile de fantasmer la vie de son prochain que de s’y intéresser vraiment, d’être dans le compassionnel plutôt que dans l’empathique. L’apparence est trompeuse mais qu’elle est reposante pour l’esprit et pour la bonne conscience !

Mes enfants, que j’ai invités à manger entre les deux formations, sont par contre, eux, tout ce qu’il y a de plus réel. Tout ce qu’il y a de plus réjouissant et de plus décapant qui soit, pour un père, du fait de leur authenticité affectueuse et irrévérencieuse. Par leur présence, ils m’ont fait naître à moi-même. Je suis devenu bien plus que géniteur et père grâce à eux, moi qui me sentais si handicapé avant leur naissance, à tous points de vue. J’ai découvert toute ma dimension humaine et humaniste à leur côté. Aujourd’hui, Mathieu est instituteur, Élodie est chargée d’études dans l’énergie durable. Ils sont tout ce qu’il y a de plus autonomes ; reproduisant ainsi celle que je défends bec et ongles et que je revendique avec force depuis que je suis en âge de m’exprimer. Un amour profond coule entre nous, loin de toute forme d’interdépendance. Pour l’occasion, Karima, qui était de service, nous avait mitonné un couscous marocain savoureux, le meilleur que j’ai dégusté à ce jour. Mathieu et Élodie ont adoré, ainsi que Jill, leur nouvelle… « belle-mère ».

Depuis la séparation d’avec leur mère, ils sont régulièrement entraînés dans mes expériences existentielles et amoureuses, mes mues et mes évolutions spirituelles. Ce n’est pas banal d’être en face d’une « belle-mère » qui est un tout petit peu plus jeune que le premier et à peine plus âgée que la seconde. Une sacrée acceptation. Même si ma fille s’y attendait, à ma grande stupéfaction ; mais les enfants vous connaissent souvent bien mieux que vous-même. J’étais à 1000 lieues de ces fantasmes affectivo-sexuels en quête d’une maîtresse ou compagne encore pucelle ou très adolescente, contrairement à nombre de mecs. J’étais très attiré par les femmes à la quarantaine épanouie et quelque peu libérée. Jusqu’à ce que je rencontre Jill. Et que mon « moi, jamais avec une femme de l’âge de mes enfants » soit réduit en poussière.

Pourtant, il y avait des signes avant-coureurs troublants puisque chaque nouvelle compagne était plus jeune que la précédente ; l’avant-dernière avait 38 ans. De là à m’imaginer passer le Rubicon de la « petite » bleue… Mais l’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas… C’est un appel du large irrésistible lorsqu’il vous prend comme cœur de cible. Et je n’ai jamais su résister aux sirènes de la vie. Surtout quand elles sont belles et aussi lumineuses que Jill. Car, en fait, dans une telle relation, on oublie complètement la différence d’âge, aussi étonnant que cela puisse paraître ; on ne voit et on ne vit que la relation d’être à être ; du moins, en ce qui me concerne.

Le second candidat est arrivé deux jours après. Il a 26 ans et n’a aucune expérience dans le médico-social. Les premières heures sont très prometteuses. Il est observateur, attentif et semble très intéressé. Il présente toutes les qualités et les capacités indispensables pour ce travail. Et cependant, patatras, coup de théâtre ou de Trafalgar ! En début d’après-midi, il nous informe qu’il renonce à continuer la formation. Pourquoi ? Il n’en sait rien, dit-il. Le boulot l’intéresse, il aime l’ambiance, et le reste, sauf qu’il a peur… d’avoir « peur de ne pas aimer » ! C’est d’autant plus effarant qu’il n’apprécie pas son travail intérimaire actuel et qu’il aura rarement, voire plus jamais, l’occasion de se faire embaucher en CDI, sans expérience ni diplôme, avec la possibilité de pouvoir demander, par la suite, une VAE lui permettant d’entrer dans le circuit du milieu médico-social.

Nous sentons autre chose dans son regard qui ne se dit pas. Son discours est truffé de contradictions et laisse entrapercevoir une profonde instabilité ou une dérobade qui se lit dans son regard. Mais à quoi bon insister, c’est son choix, aussi incompréhensible soit-il. William, Jill et moi, sommes déçus sur le coup et dubitatifs. Mais rien ne sert de s’appesantir, il faut continuer ; c’est-à-dire remettre une annonce. Il n’empêche que, durant cette matinée, il s’est introduit dans mon intimité, dans le plus intime de mon intimité en assistant à ma douche et en me faisant quelques soins, comme son prédécesseur. Je me suis une fois de plus mis à nu pour rien. Et je vais devoir recommencer sans avoir davantage de garantie que ce sera le bon ou la bonne cette fois.

Cette mise à nu incontournable de mon corps n’est pas évidente à vivre car la condition sine qua non d’objet de soins est très inconfortable, même après 58 ans d’expérience intensive. Sans compter l’énergie et le temps que William, le formateur attitré de l’équipe, et moi, nous dépensons chaque fois. Parfois, j’ai envie de demander aux stagiaires de se mettre eux aussi à poil pendant la douche, pour avoir une petite idée de ce que je peux éprouver. Faire de l’accompagnement au quotidien, ce n’est pas donné à tout le monde. Ce type de déconvenues, vous le rappelle instantanément.

Mais comment ne pas s’interroger devant cette jeunesse si indécise (aussi indécise que notre cher président, ce qui est peu dire), si paumée (c’est vraiment l’impression qu’elle me donne, lorsque je rencontre cette jeunesse-là) et, surtout, si frileuse face à l’avenir. Si a 26 ans, alors qu’on est seul, qu’on a l’opportunité de changer de voie, d’expérimenter une autre philosophie du travail et de la vie, on préfère rester dans une certaine médiocrité (ce n’est pas un jugement mais une impression inhérente à leurs « confidences »), quand osera-t-on ? Il n’y a pas d’âge pour oser, me direz-vous, et vous aurez raison. Donc, je ne peux que leur souhaiter d’avoir un jour ce courage-là. En ce qui me concerne, après ce « patatras », c’est « bingo » ! J’ai très vite trouvé un nouveau postulant ayant apparemment le profil recherché ; espérons que sa formation en novembre aboutisse à un recrutement… Sinon, il y en a trois autres en attente… Il ne faut surtout pas désespérer.

Durant et après les formations, rien de mieux qu’une virée au cinéma pour me changer les idées. J’allais donc pas rater le film français palmé, La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, aux critiques dithyrambiques. Il avait une réputation sulfureuse et acrimonieuse avant même d’être en salles. Ouais bien, plutôt pas mal, tous les ingrédients pour avoir la Palme d’or étaient réunis : réalisation impeccable, impressionnante, avec ces gros plans serrés sur les visages, traquant les moindres émotions, les plus petites mimiques et des regards si parlants, les rares corps entiers que l’on voit sont le plus souvent réservés aux scènes de sexe ou de groupes ; des dialogues ciselés et interpellants, du style : « L’orgasme de la femme est mystique », ce que je ne peux qu’approuver ; mais, aussi, une interprétation bluffante et fascinante de réalisme.

Kechiche a fait un film naturaliste proche du documentaire, dans lequel tant Adèle Exarchopoulos que Léa Seydoux semblent prises au débotté. Toutefois, le film aurait mérité d’être un chouïa plus court, plus resserré. Kechiche avait ses raisons que bon nombre de spectateurs n’avaient pas… En tout cas, a priori, il ne va probablement pas faire exploser le box-office. Autre constat : dans la salle, il y avait majoritairement des femmes de tout âge, dont certaines, visiblement étaient en couple. Et puis une grosse interrogation… Il y avait plusieurs scènes montrant des rapports sexuels, dont une d’une dizaine de minutes plutôt réussie (je trouve que c’est très beau deux femmes qui font l’amour). Pourtant, je me suis demandé ce que ça apporte en plus au film ? C’est quoi cette société où il faut tout montrer ? C’est quoi être acteur et actrice dans ces conditions ? Jouer une telle scène, qui plus est sous je ne sais combien de regards, ça ne peut pas être anodin. C’est quoi ce cinéma impudique qui ne peut plus exister sans tout dévoiler, comme si les spectateurs sont désormais incapables de deviner, où est le suggestif du cinéma d’antan, avec des scènes autrement plus excitantes parfois ? En ce temps-là, on ne montrait pas tout et que l’imagination, les fantasmes, étaient mis en éveil !

Ces deux actrices n’ont pas pu ne pas être troublées, excitées voire jouir, surtout lorsqu’on sait le nombre de prises qu’il y a eu pour cette scène. Vous croyez que c’est sans répercussion sur leur psychisme ? C’est leur choix, c’est leur vie, mais la société de l’image sans limite, sans fin, sans intimité, du tout tout de suite, de l’exposition permanente, si ce n’est de l’étalage maximum, qu’apporte-t-elle de plus ? Sommes-nous pour autant plus libres ? Notre sexualité est-elle plus épanouie ? Pas au vu de ce que je vois et de ce que j’entends. Avec l’afflux des médias, la boulimie de chaînes de télévision et l’arrivée hégémonique d’Internet, nous sommes tombés dans un voyeurisme exacerbé, me semble-t-il. Il ne s’agit pas de juger cette (r)évolution mais garder un minimum de lucidité et de conscience, pour ne pas être bêtement prisonnier de cette réalité. Être un consommateur averti, plutôt qu’un consommateur invétéré.

Et puis, le cinéphage que je suis est allé voir 9 mois ferme d’Albert Dupontel. Son meilleur film. Hilarant, irrésistible, porté par une Sandrine Kiberlain époustouflante, géniale. Ensuite, j’ai vu Gravity : effets spéciaux sidérants, 3D et réalisation parfaites, images somptueuses, acteurs (Sandra Bullock et George Clooney) impeccables, mais un scénario très faiblard. Puis, nous avons regardé Omar d’Harry Abu-Assad. Un film palestinien scotchant, tendu et à la fin qui vous laisse K.-O. assis. Et, last but not least, entre mon retour de Dijon et mon départ pour Rennes, nous sommes allés voir Snowpiercer de Bong Joon Ho, le meilleur blockbuster de l’année, un film impressionnant, haletant, intelligent et roublard, un film qui, mine de rien, fait réfléchir.

Toutefois, le plaisir gourmand que j’éprouve au cinéma a été un peu gâché par « l’affaire Leonarda, la kosovare » et la réaction affolée et incohérente du président de la « République » qui lui a proposé de revenir en France… sans sa famille ! Alors qu’elle a 15 ans. Comment François Hollande, qui a quatre mômes, a-t-il pu faire une telle proposition ? Preuve s’il en était encore besoin de son incommensurable indécision, de sa maladive incapacité à trancher et à assumer ses responsabilités de chef suprême. Malheureusement pour lui, à constamment vouloir ménager la chèvre et le chou, il va se prendre de façon frontale le piquet social et sociétal et se payer une occlusion politique mortelle.

D’aucuns parlent de poudrière. Pas étonnant qu’il n’y ait plus que 25 % des Français qui lui fassent encore confiance. En plus, sa proposition est d’un cynisme médiocre car il se doute très bien de la réponse de cette jeune fille, même si son père est aussi minable qu’on le dit. Dieu qu’elle est lamentable jusqu’à la moelle notre démocratie en faillite. Et même pas honte ! Mais où donc est passé la dimension présidentielle ? Quand François Hollande va-t-il se réveiller ? Ça lui fait quoi d’être considéré comme le plus mauvais président (avec Sarkozy) de la Ve République ? Comment expliquer son entêtement à accumuler les reculades et les reniements incessants, les bourdes en matière de communication et son illisibilité politique ? Que fait-il de tous les éditoriaux l’exhortant de changer de politique, de se bouger, de devenir enfin un vrai président ? Certains réclament même sa démission… Après moi le déluge, ai-je l’impression. Et il joue la sourde oreille en dépit du bon sens.

Mais qu’importe, la vie continue. Ce qui compte c’est de la vivre à fond avec les moyens du bord et dans des conditions de vie de plus en plus oppressantes, ceux qui restent en notre possession au milieu d’un florilège d’étranglements socio-économiques…

En ce qui me concerne, ce sera un périple de 17 jours, en deux voyages, qui commence par un retour à Nîmes. L’humidité de Nîmes, le vent et la fraîcheur de Nîmes et de sa région. Avec des pointes de chaleur, à chaque éclaircie, offrant une température suffisamment clémente pour déjeuner chaque jour sur la terrasse. Périple ô combien gastronomique. Bien manger, un des plaisirs et des bonheurs suprêmes de la vie, pour moi. Plaisir gustatif et olfactif épicurien au possible. Comment bien vivre et mal manger ? Affres des cantines, des fast-foods, des bouis-bouis, des « Courtepaille » et consorts et de la
tambouille des hôpitaux. Le plaisir de la table est un puissant stimulateur de vie, fécondateur de floraisons vitales. Il est vrai que j’ai été à très bonne école avec ma mère et la plupart de mes compagnes, toutes des cordons-bleus. Elles ont fait vibrer mon corps de presque toutes les façons, elles m’ont fait connaître l’extase buccale ; je suis persuadé que c’est une des raisons qui ont permis à mon corps de déjouer tous les pronostics et diagnostics pessimistes.

La cuisine d’Édith est toujours aussi sublime, un bonheur indicible. Je vous conseille son phô, délicieux pot-au-feu vietnamien. Toutefois, nous ne sommes pas venus pour une cure culinaire mais pour fêter l’anniversaire de Jill en famille. Tant mieux si les deux font la paire, je serai le dernier à m’en plaindre. Dans le même temps, notre apprivoisement réciproque, à eux et à moi, continue son petit bonhomme de chemin. Pas simple de s’adapter à une situation aussi peu courante, la majorité des personnes que je croise ont cette difficulté, cette appréhension somme toute compréhensible face à un handicap très contraignant ; Hollande se promène avec ses gardes du corps, moi avec mes accompagnants, c’est-à-dire des intrus malgré eux qui troublent l’intimité. Pendant ce séjour, j’ai découvert le bon sens, l’humanité et l’intelligence expérientielle d’Édith ; la première fois, je n’ai pu qu’entrapercevoir ses qualités. Cette fois, elle est venue s’asseoir à mes côtés pour mieux échanger car je n’ai pas une voix qui porte et une oreille bouchée à l’émeri ; non seulement, elle connaît le monde du handicap du fait d’une sœur « handicapée » mais également à cause du poste qu’elle a occupé au Conseil Économique et Social.

Chaque rencontre a son rythme, comme nous allons le voir un peu plus loin… Plus la personne est timide, sensible, angoissée ou mal à l’aise face à ce qui sort de la norme ou face à la proximité physique, plus le temps d’adaptation sera long ; mais, sauf s’il y a un manque d’atomes crochus rédhibitoires, elle se fera toujours progressivement. Philippe, le père, est toujours aussi généreux derrière son abord fataliste, désabusé et remonté, d’une générosité attentionnée, et je découvre un homme au parcours professionnel passionnant et libre. Le jour de l’anniversaire, nous sommes invités dans un restaurant Chilien, Jill étant d’origine chilienne. Quand je dis « nous », j’entends aussi par-là mes accompagnants ; estimant que cette charge financière inhabituelle m’incombait, j’ai proposé de payer leur repas, ce que Philippe a décliné sans hésiter ; il n’empêche que nous sommes devant une des contraintes liée à une situation de dépendance : la présence constante d’un ou de plusieurs accompagnants ; une présence qui n’est pas facile à gérer pour les néophytes, et même pour les habitués ; pour Jill, cette présence imposée par les contingences de mon handicap n’est pas toujours aisée à vivre au quotidien, on peut donc comprendre qu’elle ne le soit pas pour l’entourage, car la parole n’est pas aussi libre et libérée devant ces oreille « indiscrètes ».

De ce fait, les parents de Jill ne sont pas seulement confrontés aux particularités « impressionnantes » de mon handicap mais aussi aux contingences qui en découlent ; et aux questions que cette situation suscite : quelle est ma place dans cette relation singulière, comment me comporter, comment avoir un peu d’intimité avec Marcel, échanger sans tiers, etc. ? Seul le dialogue vrai peut apporter des réponses satisfaisantes à ces gênes inattendues. Et c’est parce que je suis lucide sur toutes ces difficultés qui « encombrent » mon sillage que je suis indulgent et patient avec autrui, lorsqu’il s’agit de tisser une relation, surtout durable.

Le repas à peine fini, les parents de Jill, avertis que l’alarme couine dans leur maison, nous quittent précipitamment ; cet épisode m’a permis de prendre conscience de l’esclavage stressant que représente une maison truffée d’alarmes ; je comprends que ce soit un traumatisme d’être cambriolé mais, personnellement, je préfère assumer ce risque plutôt que de vivre sous la pression permanente et angoissante de cette technologie sécuritaire qui fait le lit des assureurs ; depuis toujours, je porte en moi une profonde confiance en la vie et elle me le rend bien puisque je suis toujours vivant et, surtout, très heureux, bien que frôlant régulièrement la mort et la côtoyant au quotidien. Nous avons décidé de rester en ville et Jill m’a fait visiter des coins que nous avions zappés la première fois. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés devant le musée d’Art moderne, face à la Maison Carrée, et que nous nous sommes laissés tenter par une exposition consacrée au photographe canadien Stan Douglas. Pour moi qui suis passionné de photographie, c’est une découverte marquante ; j’ai adoré son regard en contre-plongée, son acuité et son désenchantement.

Le lendemain, Édith et Philippe, nous ont emmenés aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Un lieu mythique pour les gitans, les gens du voyage, les assoiffés de liberté et de grand large. Un lieu mythique qui l’est de moins en moins, privé de sa substantifique moelle, c’est-à-dire de l’esprit gitan, aux dires d’un nostalgique de mes amis. Depuis le temps que je voulais y aller… J’ai vu tout ce qu’il y avait à voir : la Camargue, les chevaux, les taureaux, les flamants roses, les étendues d’eau, la mer bien molle, bien flasque, bien indolente, comparée à l’océan, et j’ai senti le mistral ou la tramontane me transpercer les os. Le bourg est typique de là-bas, de la région, sans rien d’original, ni de vraiment particulier ou de particulièrement remarquable. Vu la saison, j’ai évité les moustiques ; c’est l’essentiel. Décidément, je préfère la Bretagne… Et les Bretons. C’est très joli la Provence mais il n’y a pas cet esprit si convivial et généreux que je trouve dans le nord-ouest de notre beau pays.

Après ces deux jours de bien-être, de repos et de plaisirs, il nous fallait repartir car j’étais attendu à Dijon pour faire une conférence à l’université pour tous, en duo avec un de mes compères, Pierre Ancet. Puis, nous devions assurer deux jours de formation, en trio avec Émilie, l’épouse de Pierre. « Changer de regard sur le handicap pour changer le rapport à soi et aux autres : être soi » est l’intitulé de cette formation proposée à dix stagiaires de la Caisse d’épargne Bourgogne-Franche-Comté, tous des cadres-managers.

Mais d’abord, il faut bien évidemment passer par la case « accessibilité des établissements recevant du public (ERP). Cette fois, elle est particulièrement gratinée. Toutefois, la moutarde ne nous est pas montée au nez, nous sommes restés calmes et philosophes. L’hôtel Ibis centre gare est annoncé comme ayant des chambres adaptées pour personnes à mobilité réduite, en conformité avec la loi quoi… Ils sont tellement persuadés de leur fait qu’ils ont collé le logo, que l’on trouve sur les portes des toilettes, les parkings réservés, etc., sur la vitre des chambres prétendument aux normes. Tu parles d’un mensonge éhonté et honteux, avec l’aval d’une administration indigne ! Impossible, même pour un fauteuil manuel, de se garer à côté du lit ; pire, l’espace entre le lit et le mur est tellement congrue que, pour me coucher, me vêtir, me dévêtir et me faire les soins, les accompagnants se cassent le dos. La chambre est ridiculement petite et la salle d’eau itou. C’est de l’accessibilité minimaliste. Du n’importe quoi. Un constat que la réceptionniste prend de haut en se réfugiant derrière la sempiternelle resucée : « Nous avons l’agrément », et moi j’ai la rage. C’est incivique, irrespectueux, irresponsable et méprisant envers les personnes « handicapées » et leurs accompagnants. Cette chambre n’est accessible qu’aux personnes « handicapées » mobiles, c’est-à-dire malvoyantes, sourdes ou ayant déficience intellectuelle, cognitive ou psychique ; et celles-ci n’ont pas ou que très rarement besoin d’une chambre adaptée. En plus, le matelas est exécrable, je m’enfonce dedans d’une dizaine de centimètres ; le groupe Accor vante sa literie à longueur d’affiche alors que, la plupart du temps, les matelas sont trop mous. La décision est vite prise : il faut trouver un autre hôtel pour le lendemain. Coup de bol, un Ibis un peu plus excentré et plus récent a encore des chambres de libres, dont une adaptée. Et vraiment adaptée ! Aussi bien que celle de Rennes. Un plaisir. Un bonheur. Conclusion : tout est bien qui finit bien, presque dans le meilleur des mondes. Et dire que je suis à l’origine, pour une fois, de ce cafouillage, ma mémoire m’ayant fait faux bond, je me suis trompé d’hôtel (j’en vois tant dans une année que je les oublie très vite).

À force de fréquenter les hôtels aux quatre coins de la France, il y a un autre constat qui m’interpelle et me questionne : à Paris, les femmes de chambre, du moins dans les hôtels bas de gamme et moyenne gamme, sont essentiellement d’origine africaine, à Lyon, elles sont principalement maghrébines et, à Dijon, elles semblent surtout venir des pays de l’Est. Pourquoi ? Qui peut m’expliquer ce phénomène migratoire ? Et on peut remarquer la même chose dans toutes les grandes villes : il y a des dominantes ethniques. Et dire que d’aucuns voudraient foutre les étrangers à la porte, les renvoyer par charters entiers chez eux. Qui fera le ménage dans les hôtels alors ? Qui fera les « sales » boulots dont les « franco-français » ne veulent pas ? Combien de ces femmes de chambre, dont certaines parlent à peine le français, sont en situation irrégulière ? Ce qui n’est pas pour déranger les grandes chaînes hôtelières, je suppose… Les immigrés, surtout en situation irrégulière, sont sûrement une main-d’œuvre plus docile et moins coûteuse que le commun des coqs. Cette hypocrisie et cette exploitation mercantile me débectent. Pourquoi ne pas les régulariser car, visiblement, ils/elles ne prennent pas le travail à personne ? Ou alors, si on décide de mettre tout le monde dehors, je propose qu’on expulse les immigrés jusqu’à la deuxième ou la troisième génération et, dans ce cas, il faudra bien sûr que Nicolas Sarkozy et Emmanuel Valls fassent partie du voyage, puisqu’ils sont fils d’immigrés (que des enfants d’immigrés mènent une politique d’immigration aussi virulente depuis une dizaine d’années me navre et me consterne). Elle sera belle la France sans tous ces étrangers qui « nous prennent le pain de la bouche », elle ne sera plus qu’un conglomérat composé majoritairement de « vieux » pour lesquels les actifs devront trimer comme au XIXe siècle, à moins de privatiser la couverture sociale ; plus de 9 % des Français ont 75 ans et plus aujourd’hui et la natalité est insuffisante ; la jeunesse vient du sang neuf venu d’ailleurs. L’autre est une richesse inestimable qu’on stigmatise à satiété. Depuis Pasqua, la politique d’immigration est répressive et injuste, pour quel résultat ? Évidemment qu’il faut une politique d’immigration. Mais il faut aussi déghettoïser certains quartiers. Autre interrogation : pourquoi ne voit-on jamais des hommes de chambre dans les hôtels ? S’il y a un point commun entre toutes les cultures, c’est peut-être bien le machisme. Ça devrait rassurer les mâles du terroir. Non ?

Le lot de consolation du premier jour à Dijon, c’est un dîner avec Pierre et Émilie dans un restaurant de derrière les fagots, Les dents du loup, sis dans une petite rue piétonne. Il n’est pas très accessible mais le temps est suffisamment doux pour manger sur la terrasse. Retrouver des amis est toujours un plaisir, un bonheur authentique, surtout lorsqu’ils sont aussi atypiques ; à l’image de Pascal, Emmanuel, Sophie, Marion ou Guillaume, par exemple ; en fait, je me rends compte que mes amis sont toujours atypiques et très intelligents, ce qui est un honneur pour moi.

Dimanche matin, déménagement et en route pour Beaune où la mère de Jill est en maison de repos, après de graves ennuis de santé. Une trentaine de minutes plus tard, je découvre une très belle ville de caractère qui fleure bon le terroir bourguignon. Nous faisons d’abord une escale dans un… restaurant (évidemment, maintenant qu’on commence à me connaître, c’est une hérésie de m’imaginer me farcir un sandwich ou un Big Mac, plutôt jeûner) surplombant Beaune, Le bon accueil. Afin d’y accéder, nous traversons des vignes à perte de vue. C’est splendide, d’autant que les feuilles ont des couleurs automnales, ocre-rouge. Il fait très beau sur la région. Le restaurant est familial, la nourriture est plutôt bonne et relativement abordable ; je prends du ris de veau aux cèpes qui manque de goût, mais les autres sont plutôt satisfaits. Il est rempli aux trois quarts, comme celui de la veille, et comme le seront les trois suivants. Ce constat ne cesse de me laisser perplexe et interrogatif. Où sont les pauvres ? Quelle est cette France en crise ? Quand on sait qu’il y a plus de 8 millions de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, comment rester indifférent à cette réalité en payant l’addition ? Les pauvres sont décidément très bien cachés, suffisamment pour ne laisser voir qu’une France « apparemment » en bonne santé, voire nantie. Toute cette injustice, toutes ces inégalités et ce déni de démocratie républicaine, que sous-tend ce constat me révolte et me désespère, ils sont la preuve cinglante que le fossé des inégalités se creuse, dans l’indifférence ou l’impuissance. Dans le mépris d’un président qui s’enfonce jour après jour dans un discrédit pathétique, inquiétant et insupportable. Il n’empêche que c’est cette France moyenne qui risque de cruellement manquer aux restaurateurs si toutes les hausses, prévues pour l’année prochaine, sont appliquées.

À la maison de repos, l’accueil de Chantal est spontané et enjoué. Le handicap ne lui pose aucun problème, comme si elle me connaissait depuis toujours. Bien qu’elle ait une maladie cognitive, j’ai rencontré une femme cultivée, vive d’esprit et nature, très extravertie. Encore quelqu’un qui a eu une carrière professionnelle hors norme pour son temps. Et dire que son temps est le mien… Que les parents de Jill bénéficient d’une retraite dont je ne verrai jamais la couleur n’ayant pas assez cotisé du fait de ma situation… marginale ; et même si je pouvais me mettre à la retraite, je ne le ferais pas car j’ai l’avantage d’avoir une activité professionnelle qui peut se pratiquer tant que le corps et l’esprit restent « effervescents » comme me dira un stagiaire, et que le plaisir suive. En outre, je devrais toujours bénéficier d’une allocation qui, aussi congrue soit-elle, devrait être suffisante pour vivre décemment, dans la mesure où j’ai un chez-moi qui m’appartient ; en plus, je ne suis plus seul puisqu’il y a Jill… De toute façon, l’avenir a cessé de me faire peur tant j’ai foi en mon destin.

Nous quittons Beaune pour retrouver Émilie et Pierre, la sorcière et le philosophe, afin de préparer la conférence et la formation.

La première se déroule devant 80 personnes environ, la plupart à la retraite ou pas loin. Ces conférences en duo avec Pierre sont réjouissantes. Nous ne sommes pas à notre coup d’essai et c’est chaque fois le même plaisir, le même régal, fruit de cette complémentarité complice que trop peu d’entreprises et d’administrations encouragent. En France, nous n’avons pas la culture de la complémentarité, nous avons celle de la science infuse, de la chapelle, du clocher, du « je sais mieux que toi ». Après on s’étonne de l’inefficacité franco-française.

La seconde se passe à La bergerie, un domaine de caractère comme on dit, donc splendide, situé à la périphérie de Dijon, au milieu des champs à perte de vue, qui plus est sous un soleil radieux durant les deux jours. On y fait hôtellerie et restauration, une restauration très basique, très cantine, car ne sont accueillis que des groupes en séminaire, en stage ou en colonie de vacances. Ça tourne et ça doit gagner… Il faut être sur place de 9 heures à 17 heures et, en comptant 25 minutes de trajet pour s’y rendre, cela signifie pour les accompagnants départ vers 8h30. C’est du sport. Avec les soins qu’on doit me prodiguer avant d’être opérationnel, il faut se lever tôt et respecter un timing plutôt serré ; d’où mon refus, en général, de commencer à travailler avant 10h30/11 heures ; dans ces conditions, la plupart du temps, je me contente d’une toilette de chat (très frustrante) et des soins indispensables.

Nous avons déjà fait ce type de formation, il y a deux ans. Je savais donc à quoi m’attendre en acceptant de jouer le rôle de la mouche du coche. Le premier jour, tout le monde se fait serrer la paluche sauf moi, je n’ai droit qu’à des « bonjour » à distance plus ou moins « respectable », souvent furtifs et/ou du bout des lèvres, avec des regards gênés, malaisés, interrogatifs, très interrogatifs (c’est fou comme les yeux sont parlants) ; certains se demandent : comment je lui dis bonjour, je peux le toucher ? Et, plutôt que de demander à l’intéressé, on préfère ne rien faire, comme d’aucuns me le diront ; d’autres questions se posent mais celles-ci ne seront pas formulées car on a honte ou peur de les poser, même en sachant que je ne suis pas dupe et que je n’ai pas de tabous ; elles relèvent généralement de la commisération et de l’apitoiement. Ce n’est pas spécifique à ce groupe ; ils ne sont que le reflet de leur société, de la mienne donc ; la majorité des gens que je croise ont la même attitude distancée, dénotant soit un rejet pur et simple, soit une difficulté à être soi devant cet autre si différent et si semblable, ce miroir dans lequel on a tant de mal à se voir, ce miroir qui vous renvoie votre fragilité, votre faillibilité, votre mortalité ; on a mal et on est mal pour la personne, à en être insupportable, dans tous les sens du terme. Jusqu’à ce qu’on l’aborde vraiment. Alors l’apparence laisse la place à l’humanité, la dissemblance s’efface au profit de la ressemblance. Altérité quand tu nous tiens. Imperceptiblement, tout au long des deux jours, par des échanges et des exercices corporels et de méditation partagés, les stagiaires vont aller à la rencontre d’eux-mêmes, de leur corporéité, de leur rapport au corps, le leur et celui de l’autre, le leur en relation avec celui de l’autre, ils vont faire la différence entre proximité et promiscuité, entre la compassion et l’empathie, découvrir la confiance en soi et la confiance en l’autre, ou encore apprendre la différence entre plaire et séduire. Quel chemin d’être et de vie ! De vie authentique. Quelle métamorphose en deux jours ! Elle se lit dans les attitudes, les regards et, en dernier lieu, les comportements qui évoluent progressivement. Les corps se décrispent et les regards s’illuminent. On me touche la main pour me dire au revoir, le premier jour, ou bonjour, le second, voire on me fait la bise, non en se forçant (ça se sent tout de suite) mais spontanément ; et on ose certaines questions plus intimes. Cette transformation vaut tout l’or du monde, toutes les fatigues et quelques souffrances. C’est du bonheur à l’état brut. C’est le plus beau des voyages que ce voyage humaniste et humanisant. C’est ça la vie. C’est pour ça que je vis, que j’ai autant de plaisir à vivre. C’est pour cette raison que je « travaillerai » aussi longtemps que mon organisme me le permettra ; j’ai mis le mot entre guillemets car ce n’est pas du travail pour moi, c’est une nourriture réciproque intense. C’est une reconnaissance, au sens profond du terme. Éclairer le regard d’autrui et lui ouvrir la voie vers son être intérieur est le plus beau des cadeaux, la plus belle des vocations. Et, devant tous ces remerciements, ces encouragements, cette reconnaissance émouvante, enthousiaste, c’est moi qui soudain suis mal à l’aise, gêné, avec l’envie de me faire tout petit, de m’enfouir dans un trou de souris, tout en étant intensément touché. C’est important de recevoir des compliments mais c’est un exercice ardu, un travail d’humilité bouleversant. Il me suffit d’être moi pour faire ce travail, sincèrement et honnêtement moi. Pourtant, moi semble tellement inatteignable pour la majorité des êtres humains ; ce fut mon cas, en son temps. De telles rencontres sont un bonheur suprême et si, par-dessus le marché, cerise sur le gâteau, vous vivez trois jours de rêve gastronomique, cela frôle l’extase.

Repus de sentiments, de sensations, de saveurs, d’images, d’amitié et de rires, nous avons repris le chemin du retour avec plaisir, le temps d’aller au cinéma, d’assister à la première réunion du conseil d’administration de l’APPAS à la maison et de repartir.

J’ai soigneusement choisi les membres de ce conseil d’administration, de cette équipe prométhéenne, toutes des personnes exceptionnelles à tous points de vue, avec lesquelles je suis fier de m’engager en faveur de plus d’humanité, du respect du droit privé et du droit-liberté ; autre bonheur, que Pascal, l’Ami de 15 ans, celui qui m’a mis le pied à l’étrier de l’écriture, ait accepté une fois de plus de m’accompagner dans cette aventure, avec Emmanuel ; l’amitié est pour moi une valeur essentielle ; j’ai peu d’amis mais j’y tiens. La fidélité est une autre valeur suprême pour moi. Et puis le respect et l’estime. Je ne peux pas travailler avec des personnes que je n’estime pas. Or, j’ai une profonde estime pour Amélie, Laetitia, Judith, Michael, Sonia et Véronique qui sont, avec Jill évidemment, la proue de l’APPAS ; une majorité de femmes pour défendre et porter la cause de l’accompagnement sexuel. Quel pied de nez aux opposants qui prétendent que ce n’est qu’une revendication de mecs ! Je n’en suis pas peu fier ; et je le serai encore plus le jour où je remettrai le flambeau à une de ces jeunes femmes. Cette réunion fondatrice aura été fructueuse en décisions, en objectifs et en projets.

Parmi ces objectifs, il y a le souhait de mettre en place une réflexion avec le STRASS (Syndicat du travail sexuel). À ce propos, dans un rapport publié par le Sénat, le 8 octobre 2013, sur « la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées », on apprend que 80 à 90 % des prostituées sont d’origine étrangère et qu’il y aurait entre 10 à 15 % d’hommes et de personnes transsexuelles ou transgenres, tout en reconnaissant qu’il y a beaucoup de floue dans les chiffres. En effet, il y aurait entre 20 000 et 40 000 personnes qui se prostitueraient en France, ça fait une fourchette sacrément large. Cependant, ce qui me frappe en premier lieu dans ce rapport, c’est la victimisation généralisée. En 2013, on est toujours incapable de concevoir l’idée que des prostitué(e)s puissent être heureux(ses). Pourtant, j’en connais et ils/elles le disent ouvertement. Bien sûr, il est indéniable que la prostitution est un travail qui comporte certains risques ; mais, d’une part, celles que j’ai rencontrées étaient pleinement conscientes des risques encourus et, d’autre part, à juste raison, elles partaient du principe qu’il n’y a pas que la prostitution qui soit un métier à risques. Par conséquent, pourquoi cette focalisation équivoque sur les risques de la prostitution, concernant ceux et celles qui le font consciemment et librement ? Certes, ils et elles sont minoritaires mais ils et elles existent, donc pourquoi continuer à les ignorer au risque de les stigmatiser et de les exclure ? Ce rapport contient certaines propositions concrètes intéressantes. C’est parfait. Car il est largement temps de penser enfin à leur offrir un statut et l’accès aux droits sociaux. Hélas, la France n’en démord pas de sa volonté d’abolir toutes les formes de prostitution, sans la moindre nuance, et de s’attaquer aux clients. Enfin, faut-il forcément avoir de la « fascination » pour la prostitution dès qu’on défend le respect du droit-liberté et du droit privé ? C’est ce que semble penser les membres de cette honorable commission. A-t-on demandé leur avis à l’ensemble des professionnel(le)s du sexe ? C’est moins dérangeant de s’informer auprès d’experts « autorisés » et d’associations « forcément » objectives… Quant à moi, je persiste à penser que toute généralisation et toute radicalisation ne peuvent être que néfastes et nuisibles dans un pays démocratique. Cela étant, le STRASS et APPAS défendent les mêmes valeurs… Y aura-t-il un rapprochement possible pour mener des réflexions communes ? Vous le saurez dans la deuxième partie de ce périple de plus de 3500 km, au total.

À très bientôt donc pour la suite et la fin…

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