L'égalité des chances, l'inclusion, la justice sociale, l'équité, l'accessibilité, à quoi ça tient ? Si peu de choses et pourtant on est souvent face à des gouffres, par manque de dialogue, de concertation, de prise en compte, de concessions, de bon sens. Oui, de bon sens très souvent…
Deux exemples qui ont de quoi interroger ? Je les ai rencontrés dans l’Hérault mais on peut trouver comparable partout ailleurs en France.
À Montpellier, le tram est mis gratuitement à la disposition des usagers en situation de dépendance ainsi que de la personne qui les accompagne, ce qui est notablement généreux de la part de la municipalité. Ce n’est pas le cas dans bon nombre d’autres villes ayant opté pour ce mode de transport interurbain, je pense même que ce n’est pas le cas de la majorité d’entre elles – Strasbourg, par exemple, puisque je connais particulièrement bien cette ville. Toutefois, afin de bénéficier de cet avantage, il faut pouvoir se prévaloir d’un taux de dépendance déterminé – ce qui est normal – et justifier d’une domiciliation intramuros. Si ce n’est pas le cas, la personne « handicapée » extramuros, si elle est accompagnée par une tierce personne professionnelle, subit une double peine, puisqu’elle doit également prendre en charge le ticket de tram de celle qui assure la fonction d’accompagnante à ses côtés. Pour quel motif une auxiliaire de vie assumerait-elle le coût de son ticket, alors qu’elle est au travail, qu’elle ne gagne au mieux que le SMIC et que, sauf budgétisation des déplacements professionnels – inscrite dans le coût de la prestation –, ce n’est guère son employeur qui va assumer cette charge, laquelle incombe forcément de ce fait à l’usager en situation de handicap ou à sa famille ? Faisant par la même injustement peser sur elle un surhandicap sous la forme d’un surcoût de transport. En effet, bien que n’ayant que 810 € de ressources par mois pour vivre, on la contraint de facto à supporter le double de ce que dépense une personne se déplaçant seule sur le même trajet. Quand la SNCF et bon nombre d’autres services publics ou privés proposent la gratuité de la place aux auxiliaires de vie et autres accompagnants médicosociaux.
Que l’on fasse payer aux uns ce qui est gratuit pour les autres, parce qu’ils sont extramuros, pourquoi pas ; c’est un choix qui peut se défendre. En revanche, comment est-il possible de justifier une double peine socioculturelle « handicapante » et discriminante, ne serait-ce que par rapport au citoyen lambda, sans même qu’entre en ligne de compte un quelconque handicap ? Quid de la compensation ? Peut-être va-t-on me rétorquer que, dans ce cas, il « suffit » de s’adresser aux services sociaux de sa mairie ou d’ailleurs, en somme de quémander une fois de plus, de faire appel à la charité parce que le système n’est pas cohérent ? La gratuité pour les accompagnants met-elle l’équilibre budgétaire du service des transports urbains ? Pourquoi ne met-on pas en place, sur l’ensemble du Territoire français, des règles communes à tout le monde ou a minima à certaines catégories de personnes en fonction de leur situation ?
Résultat : je prends ma voiture.
Autre exemple. Le Pont du Diable. L’aménagement du site est superbe, indubitablement superbe, avec une mise en valeur indéniable. Seul bémol, il est signalé comme étant accessible aux personnes à mobilité réduite. Oui, bien sûr, les susdites PMR ont l’insigne privilège de faire approximativement 800 à 1000 m aller-retour sur un cheminement techniquement irréprochable, offrant un confort de circulation indiscutable ; elles peuvent même utiliser des toilettes parfaitement adaptées à mi-parcours, sans compter le « snack » et le restaurant durant la saison touristique et elles ont aussi la possibilité de tranquillement feuilleter des prospectus et des guides touristiques mis gracieusement à disposition afin de… baver au soleil – ou à l’ombre, si elles préfèrent – sur des sites de randonnée ou archéologiques… totalement inaccessibles avec leurs quatre roues motrices ou non. Mais que ne ferait-on pas pour s’offrir du rêve ? D’autant que, tout au long de ce parcours maigrichon, on peut se morfondre à s’en péter les yeux devant une magnifique plage en contrebas et… hors de portée de toute roue invalide. Alors qu’il aurait été tout à fait envisageable de prolonger ce cheminement jusqu’à la plage, avec un peu d’imagination, d’effort et un petit surcoût financier ridicule, comparé au budget total que ce projet a dû représenter. Et puis, cerise sur le gâteau, durant la saison touristique, en plus de votre handicap, vous avez le droit de déposer 5 € à l’entrée du site, à l’instar de tous les visiteurs – pour des raisons d’égalité des droits sans doute. Sauf que les heureux baigneurs vont profiter à satiété toute la journée, pour cette somme très raisonnable, de la plage, des activités proposées, des infrastructures, des sites touristiques environnants, du snack, du bar, du restaurant et des toilettes – quand ils n’urinent pas dans la rivière, les veinards. Pendant que, dans son fauteuil roulant, après avoir fait l’aller-retour de ce beau parc – à moins de le faire à s’étourdir –, d’avoir dépensé un peu d’argent à la buvette :-) et, à la rigueur, de s’être servi des toilettes accessibles – juste pour le fun, pour ne pas être venu pour rien ou presque – et de s’être langui devant ces vernis de baigneurs et s’être saturé les yeux d’un paysage enchanteur et poétique qui vous nargue impitoyablement, on repart frustrer et un peu triste. Mais en ayant quand même laissé 5 € à la caisse de l’accueil, comme tout le monde. Que ne ferait-on pas en ton nom chère égalité ! Et vive la France et sa cohérence et son sens de l’équité et de la justice sociale mondialement réputés.
Résultat : autant me promener ailleurs, la Terre est vaste et pas toujours hostile…
C’est un peu ainsi que Macron est en train de plumer allègrement les pauvres gogos qui ont mis ce petit Napoléon boursouflé de suffisance naïvement sur le trône, avec la bénédiction de la France d’en haut qui s’en frotte les paluches et se lèche les babines – on peut les comprendre, avec tous leurs ronds, ils peuvent aisément se faire descendre jusqu’à la plage du Pont du Diable, même en brancard si ça leur chante, et se payer tous les voyages en tram qu’ils souhaitent. Au fait, c’est quoi, Monsieur Macron, 5 € d’APL en moins par mois ? Une peccadille pour quelqu’un comme vous qui ne sait pas ce que manquer peut bien signifier. D’autant qu’il est beaucoup plus facile d’écraser les pauvres que les riches, n’est-ce pas… Monsieur le président des privilégiés. L’art de parler d’inclusion en pratiquant l’exclusion. Cependant, dans ma longue existence d’infirme civil, bien qu’ayant fait d’innombrables guerres et de continuer à en faire par la force des choses – on ne sort jamais vraiment des tranchées d’un handicap –, j’ai appris que, tôt ou tard, celui qui faible devant peut récolter un Irma très dévastateur, car toute arrogance rend aveugle et sourd – on a les handicaps qu’on peut, me direz-vous.
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