Particulier-employeur en situation de handicap cherche accompagnant. La France compte 3 millions de chômeurs et recruter n’est pas une mince affaire. À commencer par le coût de l’annonce dans le journal local (DNA) : 102 € pour une dizaine de mots ! Et quatre appels !!! Donc, on s’est rabattus sur la solution leboncoin.fr. Au final, tout sauf des professionnels du médico-social et du social ont postulé. En soi, rien de dramatique car, pour faire de l’accompagnement à domicile, ce qui compte c’est la motivation, l’adaptabilité, la réactivité, la disponibilité et les affinités. Non le savoir qui est souvent « polluant » ; rien de pire que d’être devant un quidam qui « sait » avant même d’avoir essayé, sous prétexte qu’il a un diplôme et/ou de l’expérience ; prétention dangereuse. La plupart de mes meilleurs accompagnants ont été « vierges » de tout savoir en matière d’accompagnement et de soins, donc très à l’écoute et très soucieux de bien faire ; allez savoir pourquoi, ils ont le plus souvent bossé dans le commercial ou la sécurité. Tandis que bien des « diplômés » ont fréquemment une conscience professionnelle relative, aussi mince qu’une feuille de papier à cigarettes dont ils et elles sont parfois si accro que fumer devient presqu’une question de vie ou de mort, une éthique théorique et une propension à se reposer sur leurs lauriers, voire le poil dans leurs mains, faisant par conséquent mal, approximativement ou pas du tout leur travail. Recruter est un parcours chaotique dans un champ de cas sociaux et de misères sociétales. Tel ce type qui n’a pas arrêté de rabâcher à Jill qu’il est « fils de médecin », comme si c’était une garantie de compétence ; et, après qu’elle lui ait annoncé ma réponse négative, il lui a envoyé ce SMS : « Quel dommage, mais si vous le souhaité, Melle prévost pourrait on se rencontré à Erstein ou à Sélestat pour faire plus ample connaissances vous et moi, si étes d’accord n’hésité pas à me le faire savoir !!! » (textuel). Démontrant qu’on peut être « fils de médecin » et pas nécessairement une lumière mais un véritable goujat (car il savait que Jill est ma compagne). Ou cette femme qui appelle en insistant pour me parler, sous prétexte qu’elle est une « ancienne amie » d’enfance et, quand je l’ai finalement au téléphone, c’est pour l’entendre me demander d’embaucher son copain, à elle qui me connaît (en fait, elle aurait été dans la classe de mon ex) et que je ne connais absolument pas ; comme s’il suffisait de me connaître pour obtenir le recrutement d’un proche (très proche celui-là), c’est un peu simpliste mais elle a eu raison d’essayer ; hélas, j’ai un très mauvais feeling lorsque ce n’est pas le postulant qui bigophone lui-même : s’il n’est pas assez grand pour faire ses démarches tout seul, il ne l’est pas non plus pour m’accompagner (je l’ai déjà vérifié), je préfère bosser avec des gens autonomes qui s’assument. Ou encore cet homme au demeurant très sympathique qui, à peine assis devant moi, a posé spontanément sa main sur la mienne et l’a laissée ainsi jusqu’à la fin de l’entretien ; vous en connaissez beaucoup, vous, des candidats à une embauche qui tiennent chaleureusement la main du recruteur ? Certes, c’était un mouvement affectueux, compassionnel, « partant d’un bon sentiment », mais je vous rappelle que nous sommes dans un entretien d’embauche pas dans une visite charitable ou amicale, qu’on vient pour trouver un boulot pas pour faire du sentiment, pour parler travail pas pour être dans l’affect et que, accessoirement, même si je suis le futur « sujet de soins », je suis aussi le futur employeur ; une telle attitude laisse donc présager un accompagnement maternant et orphelin de ce recul indispensable si on ne veut pas tomber dans le piège de la promiscuité et de la confusion des rôles ; je n’ai pas besoin d’être plaint mais qu’on compense mes déficiences motrices ; si je n’avais pas été « en situation de handicap », aurait-il eu ce geste ? Il y a également ce candidat de 45 ans qui, à la dernière minute, se désiste parce que sa femme refuse qu’il parte plusieurs jours en déplacement ; pourquoi avoir attendu le jour du rendez-vous pour renoncer à un job à temps plein qui lui aurait permis d’être chez lui trois semaines par mois ?… Et ce n’est qu’un petit échantillon de personnes qui ont postulé. D’aucun(e)s confondent même le travail d’accompagnement au quotidien avec le Secours Populaire et cherchent un boulot « facile », du moins c’est ce qu’ils et elles s’imaginent ; c’est en tout cas l’impression qu’ils donnent. Malheureusement, c’est tout sauf un travail « facile ». Il faut des capacités et des qualités humaines pas si courantes que ça. Si tout le monde les avait, ça se saurait et je n’aurais que des accompagnants « parfaits »… Quant à savoir comment sera le prochain, le énième qui intégrera l’équipe, je le saurai bientôt. En attendant, combien de paires de mains m’auront touché, lavé, décrotté, habillé, d’ici ma mort ? 200 ? 300 ? Plus ? Combien, parmi celles-ci, m’auront malmené ? Combien auront été réellement attentives et attentionnées ? Et toutes ces paires d’yeux qui se seront posées sur mon intimité. J’ai arrêté de les compter. Ainsi va, cahin-caha, la vie d’une personne en situation de dépendance vitale. Le plus terrible, c’est de me dire que je suis plutôt très bien loti en comparaison de la majorité de mes congénères. De plus, comment ne pas penser à celles et ceux qui partagent par amour la vie de personnes accompagnées quotidiennement en raison de leur handicap ? Imagine-t-on quelle forme de sacerdoce peut représenter un tel amour, du fait de la présence constante ou quasi constante de tiers à leurs côtés ; des tiers qui vaquent dans votre intimité et dont il faut quelquefois s’accommoder ? Quel amour !
J’embauche, je travaille, je cotise, j’écris, je voyage, et pourtant je n’entends parler à longueur de journée que d’intégration-insertion-inclusion des personnes en « situation de handicap ». Mais au fait on veut m’intégrer ou m’insérer ou m’inclure à qui, à quoi et pourquoi ? Je suis Français de naissance et alsacien depuis des générations (Nuss est apparu au XIIe siècle dans un petit village au nom imprononçable pour « un Français de l’intérieur », comme disent les Elsässer purs et durs)… Pourtant, on veut m’intégrer-inclure-insérer sous prétexte que j’ai un handicap. Ne se trompe-t-on pas de cible ? N’est-ce pas plutôt la société qu’il faudrait envisager d’intégrer-insérer-inclure dans le champ du handicap pour qu’elles changent de regard sur les « différents », ceux qui ont un problème avec ma présence et celle de mes semblables ou présumés comme tels (car il faut bien les ranger dans une case, une catégorie, une pathologie, c’est beaucoup plus rassurant) ? C’est la société qui a un problème avec moi (nous) pas moi avec elle. Et si on veut bien faire, c’est plutôt de reconnaissance qu’il faudrait parler. Il est urgent que les personnes « handicapées » soient reconnues sans plus chipoter, en commençant par reconnaître et appliquer leurs droits. On nous bassine, on se rengorge d’intégration-inclusion-insertion (ce qui revient au même d’où l’emploi des trois mots, le reste n’est que de la rhétorique), pour mieux enrober l’incurie en matière de politique d’accessibilité (avant de vouloir « intégrer » faudrait peut-être rendre les lieux publics accessibles et imposer aux hôtels d’être vraiment aux normes plutôt que de leur offrir sans barguigner des agréments indus, non ?), d’accompagnement au quotidien, de respect de l’intimité, de libre choix, de l’autonomie et de la sexualité. C’est français, terriblement français, cette manie de jouer sur et avec les mots pour mieux éviter d’affronter la réalité. En somme, à quand la reconnaissance pleine et entière des personnes également dites « porteuses ou atteintes de handicap » (encore des mots, des formules alambiquées pour atténuer ou cacher les véritables maux) ? Pas pour demain, je crains. Eh mon frère, faut d’abord s’occuper de l’apparence, des apparences, et de la crise !…
On veut nous intégrer, nous les « handicapés » (pour nous normaliser, je suppose), mais pourquoi faire au juste dans une société où la nomenklatura ne cesse de se décrédibiliser, de nous désespérer de toute idée d’égalité ? Enfin, je m’emballe en disant « on veut », car si on en avait réellement la volonté, ce serait fait depuis belle lurette.
Dernière révélation en date à propos d’égalité bafouée, en dehors des députés, sénateurs et autres élus nationaux ou locaux qui détournent du pognon à longueur de journaux, celle du directeur de l’Agence nationale du traitement automatisé des infractions, le préfet Jean-Jacques Debacq, qui a fait payer ses PV par le Trésor Public et, en prime, a échappé au moindre retrait de point sur son permis de conduire. Il y a au minimum une douzaine de contraventions, depuis 2010, qui sont en cause. Évidemment, ces PV, il les a chopés hors des heures de travail, le soir ou le week-end, sinon ce ne serait pas drôle (et si on découvrait qu’il se trouvait chez une maîtresse pendant qu’il se faisait verbaliser pour un stationnement irrégulier, vous imaginez le barnum ?). Le mec gagnait des milliers d’euros par mois et n’était pas fichu de payer ses amendes ! Par contre, il ne se gênait pas pour régulièrement stigmatiser les fraudeurs ; c’était un Cahuzac du pauvre, en quelque sorte. Comment voulez-vous avoir envie d’intégrer une telle société de moralisateurs tricheurs et menteurs ? Moi, elle ne m’attire pas du tout. Vous ? En outre, vous ne trouvez pas qu’ils sont franchement cons, tous ces fripons de la haute qui se sentent invulnérables, au-dessus de tout, protégés par leur position dominante ? Au moins, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas une justice en France qui, tôt ou tard, « corrige » certaines inégalités éhontées et méprisantes du droit et du peuple. Ça ne console pas mais ça rassure un peu. Morale de l’histoire : le pauvre a démissionné pour atténuer sa chute. Il faudrait peut-être songer à le décorer pour un tel acte de bravoure ?
Ça me fait penser à la naïveté de ces accompagnant(e)s qui s’épanchent ou me critiquent dans mon dos chez un ou plusieurs collègues, en négligeant que tôt ou tard ça pourrait revenir à mon oreille, plutôt que de m’en parler ouvertement. Quelle opinion puis-je après avoir de ces personnes auxquelles je ne peux pas faire confiance ? Comment puis-je avoir envie de continuer à travailler avec elles ? S’il y a une chose que je n’apprécie guère c’est l’hypocrisie ; et le plus révélateur c’est qu’en général ce sont les moins pro et respectueux du contrat, donc de leurs collègues et de moi, qui ont tendance à se plaindre par derrière.
La vie continue…
Je découvre la fac de psycho. Je n’étais jamais intervenu auprès de ce public, j’ai donc accepté sans hésiter la proposition d’intervenir devant des étudiant(e)s en Master 2, car j’adore élargir mon horizon, être confronté à d’autres univers. Les futur(e)s psychologues (un homme pour une vingtaine de femmes), auquel(le)s j’ai donné une conférence de deux heures, m’ont impressionné par leur attention et leur réel intérêt. Alors que, deux jours plus tôt, je m’étais retrouvé quatre heures durant devant sept étudiant(e)s en sport adapté, dont quatre ont passé leur temps à pianoter sur leur Smartphone… Perso, je gagne la même chose mais trimer dans ces conditions n’est pas très stimulant, c’est même plutôt ingrat ; de ce fait, préférant le plaisir à l’argent, j’ai l’intention de cesser de perdre mon temps dans cette filière ; c’est une occurrence qu’on a quand on n’a pas des fins de mois difficiles.
J’ai eu deux périodes dans ma relation avec les psys en tout genre (psychanalyste, psychologue, psychothérapeute ; j’ai préféré éviter les psychiatres, et j’ai bien fait je pense…). Premier temps, le rejet et la méfiance, de leur part, des comportements très peu professionnels (faisant par exemple clairement comprendre à mon ex qu’elle se sacrifiait en restant avec moi ou refusant de venir à domicile dans le but de suivre une psychothérapie, la plupart des cabinets n’étant pas accessibles). Deuxième temps, liaison avec une psychologue, analyses à demeure et amitié profonde avec un thérapeute humaniste. Donner des cours était donc un sacré retour sur investissement (j’ai failli écrire « une revanche » mais je ne suis pas revanchard). Après la conférence, quatre étudiantes m’ont rattrapé dans la rue pour me remercier de ce que je venais de leur apporter. Une telle reconnaissance ne peut pas laisser indifférent. Pas moi. Je vis d’expériences que j’analyse pour ensuite essayer de les restituer et d’éclairer des réalités et des concepts méconnus ou ignorés, afin de faire, autant que possible, évoluer et changer le regard sur les personnes autrement capables, de tout âge, y compris en EHPAD. J’aime transmettre, partager. J’aime interpeller, déclencher du dialogue, une réflexion pertinente voire une remise en question. Montrer qu’une vie avec un handicap peut avoir du sens, à condition de tenir compte de certains critères et de respecter certains fondamentaux ─ par exemple, être dans l’empathie plutôt que dans la compassion ─, et qu’elle peut donner du sens aux professionnel(le)s du social, du médico-social, du médical et du paramédical. La reconnaissance de ces étudiantes m’a touché parce qu’elle donne du sens à ce que je fais, à qui je suis, à mes convictions et à ma vie. Que demander de plus ? Ça me nourrit en profondeur et en intensité. C’est du plaisir à l’état pur. Or, que vaut une vie sans plaisir ?
Le lendemain matin, mon accompagnant me porte du lit de la chambre au lit roulant qui m’attend tous les matins docilement dans le séjour, pour prendre le petit déjeuner. Sauf que le petit déjeuner attendra, un tuyau du respirateur s’étant fendu durant la nuit, je n’ai donc quasiment pas d’air qui arrive dans mes poumons ; un problème récurrent depuis qu’on m’a changé de respirateur et de circuits ventilatoires. Cependant, ça n’affole pas franchement du côté de la maintenance de ce matériel sophistiqué (trop). L’accompagnant est à mes côtés depuis deux mois et, au lieu de prendre les choses en main, de faire ce qu’il doit faire, c’est-à-dire changer fissa le circuit défectueux, il stresse, panique même, fait appel à Jill, se repose sur elle et perd du temps à poser des questions inutiles pour cacher sa peur paralysante. Réaction inattendue et très peu sécurisante. En effet, qu’aurait-il fait sans Jill dont ce n’est pas le travail, qui n’est pas censée savoir changer un circuit ? Une fois de plus, la preuve est faite qu’il ne suffit pas d’avoir envie de faire ce travail pour en être capable. Être réactif et adaptable sont des capacités dont tout le monde n’est pas pourvu, encore moins de maîtriser certains stress. C’est comme ça. Chacun(e) a ses propres compétences, ses particularités et ses limites. Encore faut-il le reconnaître et l’accepter. Ce qui est très difficile au vu de mon expérience ; on préfère souvent se voiler la face plutôt que d’admettre qu’on est incapable d’assumer une situation, au risque de mettre l’autre en grand danger ; il est des renoncements difficiles à s’imposer.
Puis, avec l’accompagnant qui a pris le relais entre-temps, direction Montbéliard et un colloque organisé par l’APF formation recouvrant le Haut-Rhin, le Territoire de Belfort et la Franche-Comté, pour traiter de, je vous le donne en mille, l’intimité et de la sexualité des mollusques en période hivernale… Mais non, je plaisante, des personnes en situation de refoulement because abstinence forcée, j’ai nommé les paralytiques du XXIe siècle (tout le monde n’a pas Jésus sous la main). Cerise sur le gâteau, j’y retrouve des amis engagés jusqu’au cou dans la cause infinie du handicap et de la dépendance : François (Crochon), sexologue, et Pierre (Ancet), philosophe, mais aussi Bruno Py, juriste nancéien de haut vol, un des mentors de l’APPAS (association pour la promotion de l’accompagnement sexuel), dont je vais reparler bientôt et, également, Louis-Antoine Alric, psychanalyste sagace dont j’ignorais l’existence. Jill (c’est sa première intervention devant 200 personnes) et moi sommes bien entourés. Le panachage est intelligent. Les organisateurs ont trouvé le bon équilibre, une complémentarité parfaite entre les intervenants. Il faut le signaler car ce n’est pas fréquent, hélas. Sans omettre les témoignages prenants et poignants d’Amélie et d’Hélène, deux femmes « en situation de handicap », comme on dit dans les milieux autorisés. Que du parler vrai, une approche et une analyse transversales d’une problématique à la fois taboue, sensible et délicate à aborder. En conclusion, j’ai passé une journée passionnante et enrichissante. Une journée qui m’a amplement conforté, si tant est que c’était nécessaire, dans le fait d’avoir créé APPAS avec Jill.
Cette nuit-là, rebelote : je me fais réveiller parce que je manque d’air à cause… d’un autre tuyau qui a eu la bonne idée de se fendre (mais pas d’un sourire). Réveil en fanfare assuré. Je suis mal ventilé mais suffisamment toutefois pour tirer Jill de son sommeil ; elle sonne aussitôt afin que l’accompagnant de service, un chevronné, l’aide à changer le circuit rapidement. Surtout que, réveillé dans ces conditions, j’ai le souffle coupé par le choc. Plus inquiétant, comme je m’évertuais de le signaler depuis des mois, l’alarme du respirateur ne s’est pas déclenchée ; par conséquent, si je n’avais pas réussi à réveiller Jill, j’aurais été dans de beaux draps (si j’ose dire). Sang-froid, efficacité, réactivité : capacités vitales, même pour moi, voire surtout pour moi. En cela, Jill est époustouflante. Le tandem qu’elle forme avec Éric à ce moment-là est particulièrement efficace. Le positif dans l’affaire, c’est que le service de maintenance de mes respirateurs a enfin changé leurs paramètres pour que la prochaine fois l’alarme daigne retentir ; mais c’est quand même fou de se dire qu’il faut en arriver à de telles extrémités pour être entendu… Ce qui ne résout pas pour autant le problème de la fragilité des circuits… En fait, tout ce qu’on me propose c’est de choisir entre la peste et le choléra : entre des circuits défectueux et des circuits dont l’expiration est située à hauteur de mon oreille ; vous parlez d’un confort, c’est proprement infernal ! Nous sommes au XXIe siècle, ne l’oublions pas…
Pour m’en remettre, je suis allé voir La vie domestique d’Isabelle Czajka, un grand film implacable, du cinéma sociologique que beaucoup devraient regarder ; il traite du machisme et même d’un certain racisme ordinaires, de l’inégalité homme/femme, à travers le quotidien de quatre mères au foyer ; la première et la dernière scène sont saisissantes ; les dialogues, les silences et les regards sont d’une justesse scotchante ; le jeu d’Emmanuelle Devos, dont je ne raffole pas spécialement en tant qu’actrice, est impressionnant de véracité. Que de chemin encore à parcourir afin d’éradiquer cette insupportable inégalité des sexes, me suis-je dit en sortant du film ! Pas très glorieux pour la gent masculine. Le cinéma comme piqûre de rappel.
En rentrant, j’apprends que, dans une élection cantonale partielle, à Brignoles (département du Var, comme par hasard, Balthazar), le candidat du FN arrive largement en tête devant le représentant de l’UMP ; la gauche désunie a été laminée (avec 67 % d’abstentionnistes !). Ça étonne qui ? Vous croyez que ça va faire réfléchir François Hollande ? S’il est du même bois que Nicolas Sarkozy, c’est râpé. Cependant, n’oublions pas que c’est la politique désastreuse de ce dernier qui a permis à la gauche d’accéder à un pouvoir quasi hégémonique depuis 2012. Plus pour longtemps, à moins d’un miracle vachement improbable, c’est-à-dire une soudaine remise en question présidentielle et un changement de cap probant. Je peux me tromper mais je pense que François Hollande restera droit dans sa Doxa. Après moi le déluge, peut-on sérieusement craindre. Qu’on se rassure, même s’il perd en 2017, il n’aura pas à s’en faire, il pourra s’adonner sans peine à des conférences à 100 000 €, c’est à la mode chez les ex-hommes d’État depuis quelques temps. J’aimerais bien me tromper, moi qui suis de gauche, j’aimerais bien que François II s’avère être un visionnaire, je serai le premier à lui présenter mes excuses. En attendant, les élections municipales, cantonales et européennes, sont programmées pour le printemps prochain et tout le monde prédit une débâcle que je pressens aussi. Autour de moi, j’entends de plus en plus de personnes ayant voté pour Hollande me dire que, si Sarkozy se représente, elles voteront pour lui sans hésiter. C’est dire combien le pays est désabusé devant cette culture politique de la trahison qui semble devenir une règle depuis 2007. En revanche, si François s’en remettra, le Parti Socialiste, lui, aura du mal à encaisser l’addition.
Ensuite, j’ai appris la découverte, à Dijon, du cadavre d’un homme « handicapé » de 58 ans, mort depuis quatre ans. Quatre ans ! C’est hallucinant. Comment est-ce possible ? Quatre ans que les allocations et autres revenus continuaient à être versées sur son compte bancaire ; ce qui soulève une question : quid de la déclaration trimestrielle de ressources qu’il était censé remplir pour la CAF, depuis 2011 ? Quatre ans que le loyer et les charges continuaient à être prélevés pour un appartement qui servait de tombeau ! C’est effrayant. Il a fallu que les loyers ne soient enfin (si j’ose dire) plus honorés (la CAF lui avait-elle finalement coupé les vivres faute de réponse ?) pour qu’un huissier (bien sûr, il n’y a que le fric qui vaille encore dans notre société) et des policiers débarquent chez le « Toutankhamon » du XXIe siècle. Quatre ans que personne ne s’est soucié de cet homme ! Ni la famille (où est-elle, en a-t-il ?), ni les voisins (à part « bonjour », « bonsoir », dans un immeuble de 12 étages, tout le monde est le plus souvent anonyme, si ce n’est invisible), ni le banquier, ni les administrations pourtant promptes à vous chicaner pour n’importe quoi. Vous imaginez dans quel isolement cet homme a vécu ? C’est affolant. Dans quel monde vivons-nous ? Et personne ne se rebelle. Sommes-nous une société qui n’est plus composée que de moutons de Panurge ? Va-t-on rester encore longtemps amorphes ou indifférents face à un nombre croissant de personnes survivant sous le seuil de pauvreté (plus de 8 millions, dont près de 20 % ont moins de 18 ans), plus environ 3 millions de smicards subsistant au rabais ? Nous sommes dans un mouvement de paupérisation qui est d’autant plus difficile à digérer, que nous avons été nombreux à avoir fait confiance à Hollande pour réduire des inégalités devenues trop criardes ─ réforme des impôts, authentique politique sociale, etc. Or, c’est l’inverse que nous sommes en train de vivre et de subir. C’est très bien de demander des efforts à tout le monde en cas de « crise », à condition que ce soit proportionnel aux revenus de chacun. Ce qui n’est pas le cas, loin s’en faut. Résultat : les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, sont de plus en plus étranglés par des impôts indirects ineptes et insupportables dans tous les sens du terme, pendant que notre chef suprême engraisse les entreprises, comme Sarkozy avait engraissé les banques qui ont profité de cette manne « céleste » pour se renflouer et s’enrichir encore plus… avec notre argent. Une gauche qui préfère privilégier l’offre à la demande, en faisant appel à la raison… des français d’en bas pour mieux les pressurer (ça ressemble à de l’élevage intensif de poulets en batterie, vous ne trouvez pas), c’est une gauche droitisée. Donc sans intérêt, à mes yeux.
Autre tartuferie : le 8 octobre était célébrée la journée mondiale du handicap. C’est comme la journée mondiale de la femme, il n’y a que ceux qui ont pondu une telle parodie d’humanisme pour s’en gausser. Ne serait-ce pas plus honnête d’appeler ça la journée de la bonne conscience à bas prix ? Vous avez vu une différence, vous, le 8 octobre ? Vous êtes-vous sentis brusquement plus concernés et sensibles à la problématique des « pauvres handicapés », ce jour-là ? Quant aux femmes, il suffit de constater les comportements machistes et grossiers à leur égard, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, pour être convaincu de l’utilité de cette journée commémorative qu’on leur consacre si généreusement. L’égalité et le respect c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale…
Bon, c’est pas tout ça, du travail m’attend à Bonneuil sur Marne, dans le Val-de-Marne. Mais l’hôtel est à Créteil, juste à côté. Créteil quel choc ! Que c’est laid, déprimant. Ça ne m’étonnerait pas que le taux des suicides au kilomètre carré soit supérieur à la moyenne nationale. Comment peut-on y vivre, avec toutes ces rocades qui surplombent la ville, s’entrelacent et enlaidissent le paysage ? Par-dessus le marché, le ciel poisse pendant les deux jours où nous y sommes ; gros nuages gris sales, pluie et vent, la totale quoi. Et vous pensez bien que je ne vais pas manquer de vous entonner mon petit refrain sur l’accessibilité… Hôtel Ibis, en pleine zone commerciale, entouré de magasins discount et de restaurants « buffet à volonté », authentiques supermarchés de la bouffe ou cantine du peuple. De la fenêtre de notre chambre, on ne voit que ça et des lignes à haute tension. Avant de faire la réservation, Jill avait pris soin de redemander, deux ou trois fois, si le robinet de la baignoire était bien placé à une de ses extrémités, ce que le réceptionniste n’a pas manqué de lui garantir de façon péremptoire ; à peine s’il n’a pas trouvé son insistance déplacée et désobligeante. Manque de chance pour lui, une fois sur place, le petit filou de robinet s’est fixé au centre de la baignoire, probablement pour le désavouer. Le mec avait une chance sur deux de se planter… sauf s’il avait pris deux minutes pour aller vérifier, c’est quoi deux minutes pour le confort d’un client, qui plus est en situation de handicap ? Par conséquent, soit je changeais d’hôtel, soit je ne me douchais pas pendant deux jours ; car, lorsque le robinet est fixé au milieu de la baignoire, il est impossible de mettre le support de douche en place. Je me suis résigné à la deuxième option rien qu’à l’idée de passer je ne sais combien de temps à trouver un autre hébergement, pas forcément mieux. Le réceptionniste a reconnu son erreur mais n’a pas jugé nécessaire de s’excuser. Au moment du départ, le samedi matin, la réceptionniste de service, à qui Jill demandait une réduction sur la facture étant donné que, à cause de son collègue, je n’avais pas pu me doucher, lui a répondu qu’on n’avait qu’à changer d’hôtel et que l’hôtel a l’agrément ! Tu parles d’une référence ! Certes, on peut considérer la chambre comme étant adaptée… à certains types de handicap. Dommage que tout le monde ne soit pas logé à la même enseigne, mais c’est bien plus simple de généraliser. De surcroît, l’hôtel ose s’afficher comme trois-étoiles, alors que le service est minimaliste, la chambre défraîchie et la salle de bains même pas repeinte après des travaux de robinetterie ; tout ça pour gonfler le prix ; cependant, autant que je sache, dans un trois-étoiles, on trouve normalement un minibar et on peut se faire apporter le petit déjeuner dans la chambre. C’est la dérive chez Accor… Chez qui aller ? A qui faire confiance ? Alliant confort, coût raisonnable et chambres vraiment adaptées. Des bonnes âmes m’ont conseillé les Formule 1 sans connaître les contingences de mon handicap ; et passer une semaine dans des chambres en carton-pâte, vous parlez d’un pied !
Comme il n’y a pas non plus de restaurant dans l’hôtel, nous allons dans un des restaurants-cantine sis à 50 m alentour. On opte pour de la cuisine asiatique. Mon Dieu que c’est dur pour moi qui adore manger et déteste la malbouffe ! Car, non seulement, tout est tiède ou froid, mais, de plus, dans la mesure où on peut se servir à volonté, c’est une incitation à se bâfrer pour « en profiter ». Qu’importe la qualité, tant qu’on a la quantité ! Et la surcharge pondérale en prime.
Le lendemain, toilette de chat et on traîne dans la chambre jusqu’à l’heure du départ ; afin de me ménager physiquement, on se contente donc d’en-cas ; tant qu’à mal se sustenter, autant le faire confortablement. Mais que c’est long et ennuyeux d’attendre jusqu’à 14 heures sous une grisaille qui plombe la vue, dans une chambre pas accueillante et avec des femmes de ménage qui entrent sans même attendre d’avoir entendu « entrez » ; bonjour l’intimité.
À Bonneuil ─ tout aussi moche, sale et déprimante que Créteil ─, l’établissement donne sur une route nationale qui régurgite une circulation dense et un bruit incessant. De même qu’à Alfortville, il faut un code pour rentrer et sortir. Et, avec son grand portail en barreaux d’acier, ça fait un peu Fleury-Mérogis. La cour intérieure est minuscule. Nous sommes accueillis par une cheffe de service qui porte comme un holster un trousseau de clés sous le bras. En débouchant dans le réfectoire, nous plongeons dans une musique tonitruante. Et puis, toujours ces blouses blanches qui donnent plus l’impression d’être dans un hôpital psychiatrique que dans une maison d’accueil ; ça semble être au bon vouloir de chacun et surtout chacune puisque le personnel est majoritairement féminin ; pour certain(e)s ça doit être par facilité, pour d’autres, j’en suis persuadé, c’est pour maintenir (inconsciemment) une distance psychologique avec les
résidents. Peu importe, dans les deux cas, elles n’ont rien compris à la finalité de leur travail, elles auraient besoin d’une formation qui aborde le sens et l’essence de leur profession, comme la plupart des professionnels du médico-social et du paramédical qui ont oublié ou sont peu au fait des bases éthiques de leur travail du fait de lacunes dans les formations.
Cela étant, je suis plutôt agréablement surpris par ce que je découvre. L’impression qu’il y a (un peu) moins d’infantilisation ici, une équipe plus jeune qu’à Alfortville, donc une dynamique et un dynamisme absents à Alfortville. Toutefois, les conditions de travail sont aussi difficiles dans les deux établissements du fait de subventionnements insuffisants et des locaux inadaptés aux nouvelles « normes » de qualité d’hébergement. On ne le dénonce pas assez, ni assez fort, mais les MAS manquent cruellement de moyens financiers au vu de la charge de travail et des responsabilités inhérentes à l’accompagnement d’adultes en situation de dépendance parfois vitale, qui plus est associant plusieurs types de handicaps, pour certains très invalidants ; il en résulte, notamment, une embauche, que je pense être importante, de personnes faisant office d’AMP voire peut-être d’aide-soignant(e), en lieu et place de diplômé(e)s aguerri(e)s qui représenteraient un coût plus élevé en masse salariale ; ce qui n’obère en rien leurs compétences et leurs qualités mais pointe bien les restrictions pécuniaires qui sont imposées. D’autre part, je fais un constat particulièrement grave et inadmissible : il y a dans l’établissement ─ ce n’est pas spécifique à celui-ci, c’est même fréquent ─ des personnes qui n’ont rien à y faire ; certes, elles sont très ou totalement dépendantes physiquement mais elles n’ont aucune déficience intellectuelle ou psychique ; il n’empêche que, en dépit du bon sens et de toute logique humaniste, la MDPH les a dirigées vers cet établissement, sans se soucier des conséquences d’un tel placement inapproprié, faute de temps, d’effectifs et, elles aussi, de moyens suffisants ; de ce fait, (toutes) les MDPH dérogent à leur mission au détriment des personnes qu’elles sont censées protéger, rendre autonomes, respecter dans leurs besoins et accompagner dans leurs choix de vie, leur mieux-être et leur émancipation ; tant et si bien que le projet de vie, inscrit dans la loi du 11 février 2005, n’est plus qu’une mascarade, si tant est qu’il n’ait jamais été autre chose ; et pourtant on continue de demander hypocritement aux personnes « handicapées » d’écrire leur projet de vie, au risque de susciter de faux espoirs, alors qu’on ne prend même plus la peine de les lire ; si on les survole, c’est inespéré. Mais ce sont moins les MDPH qui sont à blâmer que les conseils généraux et l’État qui tiennent les cordons de la bourse. De ce fait, l’État est indirectement le plus grand pourvoyeur de maltraitance en France ; par mercantilisme, négligence et ignorance, il nourrit la maltraitance institutionnelle ; il l’institutionnalise froidement tout en se drapant de vertu ; la vertu moralisatrice de celui qui se prétend garant du respect des droits de l’Humain, de la sécurité et du bien-être de ses citoyens les plus fragiles. Et ce n’est pas le gouvernement de gauche qui donne le sentiment de vouloir y changer quelque chose, le social ce n’est pas son souci prioritaire, son souci c’est de gérer la crise… en offrant des munitions aux entreprises, quand bien même le milieu médico-social et social est le plus important « producteur » d’emplois.
Je retrouve Laurence-Catherine Debernardy, la directrice des établissements APAJH d’Alfortville et de Bonneuil ; une directrice pour deux établissements par souci d’économies ; celles-ci sont investies dans le mieux-être des résidents, ce qui est tout à l’honneur de la direction, tout en représentant une évidente surcharge de travail pour la directrice.
La salle est comble, il y a bien plus de monde qu’elle ne l’espérait. Le public est majoritairement composé de résidents, mais également de quelques professionnels et, surprise réjouissante, de parents qui ont tous, plus exactement toutes, plus de 60 ans. Comme à Alfortville, le thème est l’intimité et la vie affective et sexuelle en milieu institutionnel. En préambule, nous lançons la projection du film The Sessions afin d’illustrer le thème. Puis nous allons dans son bureau pour échanger tranquillement. Elle a conservé ce parler vrai et cette franchise que j’apprécie par-dessus tout. Comme la première fois, elle me reparle de la chance qu’elle a d’avoir au-dessus d’elle un président qui lui laisse les coudées franches ; en quoi je la comprends car ce n’est pas le cas de nombre de ses collègues, restreint(e)s par une direction à la vision frileuse et rigide de l’accompagnement en milieu « protégé » ; triste dictature du sécuritaire et des moyens.
Cette intervention était prévue de longue date mais elle se justifiait d’autant plus que, comme me l’a appris Mme Debernardy, mon passage à Alfortville a eu les effets positifs escomptés. Des résidents demandent désormais qu’on respecte leur intimité, notamment en attendant d’avoir l’autorisation d’entrer dans leur chambre après avoir frappé, certains ont même réclamé la clé de la porte de celle-ci, et, par ricochet, l’attitude du personnel soignant a également évolué dans le bon sens, sans doute impressionné par cette petite révolution émancipatrice, cette vague d’autonomisation de résidents catalogués incapables de toute autonomie et de tout libre arbitre. Le débat qui fait suite à la projection du film est très ouvert. Une résidente en profite d’entrée pour dire publiquement que sa mère a été violée à 14 ans ; un moment d’émotion intense qui entraîne un profond silence dans l’assemblée, d’autant que c’est la première fois qu’elle en parle ouvertement. Les questions sont posées par des résidents et par des mères, aucune professionnelle, à l’exception de Laurence-Catherine Debernardy qui me fera remarquer, en aparté, comme à Alfortville, le silence et l’écoute des résidents en général plutôt bruyants et dissipés. Pourquoi les professionnelles sont-elles restées muettes ? Par pudeur ? Par gêne ? Ou par difficulté de s’exprimer en public ? Certaines viendront subrepticement durant l’apéro-dînatoire pour me remercier. Elles n’ont pas la tâche facile, elles sont en première ligne. Une fois de plus, je suis impressionné par le travail qu’elles et ils font. Il faut des qualités humaines particulières pour accompagner des personnes ayant des handicaps aussi importants. Que nos gouvernants successifs n’aient pas conscience de cette réalité est révoltant et dramatique. Que nos politiques ne jugent pas prioritaire que ces professionnel(le)s soient mieux payé(e)s relève d’une exploitation légale ─ celle qu’ils condamnent par ailleurs lorsque ce ne sont pas les deniers de l’État qui sont en jeu. Les établissements médico-sociaux pourraient être des lieux de vie conviviaux et constructifs, si toute cette nomenklatura, cette technocratie à courte vue daignait sortir de ses calculs à court terme. De là à penser que l’humain passe au second plan… Mais a-t-il jamais passé au premier plan ? Voilà ce que c’est de ne pas entrer dans les « intérêts supérieurs de la nation ».
J’aimerais laisser le dernier mot à Jacqueline, petite bonne femme au crâne rasé et à la faconde savoureuse. Voyant une petite pochette bien remplie sur la table de présentation de mes livres, elle demande à Jill ce qu’il y a dedans. « Des cartes de visite », lui répond-elle. « Pour visiter qui ? » Question frappée au coin du bon sens, non ? Question qui bouscule nos préjugés au sujet des personnes « handicapées mentales ». Question réjouissante qui peut être retournée : on fait de la politique pour qui ? Je crains malheureusement que la réponse soit, le plus souvent, d’abord pour soi-même.
Finalement, quand tout le monde est retourné dans sa chambre ou chez lui, nous sommes encore restés un long moment à discuter à bâtons rompus avec Laurence-Catherine, dans un coin du réfectoire. Elle est la preuve que vivre (cessons de dire « placer », terme qui montre tout le travail qu’il reste à faire en matière de représentation, d’« inclusion » et de reconnaissance des droits des personnes en situation de dépendance) en établissement est un challenge tout à fait gagnable. À condition de commencer par le commencement, c’est-à-dire en faisant évoluer les formations de tous les professionnels du médico-social et du paramédical, du sommet à la base, mais aussi en accompagnant mieux les familles d’enfants « handicapés » et les personnes « handicapées » elles-mêmes. Durant cet échange, elle m’a interpellé à propos d’un constat dont je suis conscient depuis pas mal de temps : le manque regrettable de personnes « handicapées » faisant un travail de terrain semblable au mien ; ce d’autant plus que, comme je le pense, je ne suis pas plus éternel qu’omniscient. Certes, dans le milieu du handicap, ces dernières années, je suis devenu une référence, une icône, un symbole, enfin tout ce qui vous rend à la fois « indispensable » et trop unique, mais n’est-ce pas préjudiciable à la cause que je défends du fait de la place que j’ai prise ? En même temps, je connais des personnes « handicapées » qui portent les mêmes valeurs humanistes et le même regard holistique que moi sur la politique du handicap dans sa globalité, mais elles ne semblent pas avoir l’envie et/ou l’énergie d’assumer un tel engagement. Et j’en connais également qui font ce travail avec un manque de recul et de hauteur de vue rendant leur discours parfois trop réducteur, moralisateur et exclusif. Pour être compris, il faut comprendre. Il faut déstigmatiser le « terrain » dans son ensemble. Ma philosophie actuelle et ma connaissance de la sphère « handicap et dépendance » m’ont demandé des années d’expériences, de tâtonnements, de remises en question et d’analyses des pratiques.
Nonobstant cette réalité, oui, il est primordial que d’autres emboîtent mes pas, apportent leur pierre, leur savoir et leurs capacités, à l’édifice d’une société réellement égalitaire et intégratrice, afin de faire fructifier les partages d’expertise et de continuer à démontrer que nous sommes tous complémentaires ; nous devons devenir une société du « penser ensemble ».
Samedi matin, nous reprenons le chemin du retour. Non sans que j’apprenne, durant le petit déjeuner, le contenu éminemment existentialiste du questionnement de mes deux accompagnant(e)s, la veille au soir, dans l’intimité de leur chambre commune : as-tu un ticket de métro ou un jardin à la française ? Ou une réflexion très débattue autour de l’intérêt pour une femme de mettre un slip ou non sous le pyjama… De quoi me remettre en question car, à force de parler de vie affective et sexuelle, j’ai peur d’être devenu contagieux pour mon entourage proche. Mais, me direz-vous, il n’y a pas de questionnement idiot ici-bas… et vous avez raison. Surtout entre accompagnant(e)s.
Quant à moi, à peine rentré, direction cinéma. Pour voir un film magistral : Prisoners, réalisé par Denis Villeneuve, un petit génie canadien. Suspense et tension sont au programme. En plus, bonheur supplémentaire, Jill est de la partie, pour une fois… Morale du film : on peut faire dire à Dieu ce qu’on veut, de toute façon Il ne viendra pas nous contredire, d’où les intégrismes de tous bords.
Après ça, comment s’étonner que, dans un sondage IFOP paru dans le Nouvel Observateur, on apprend la montée impressionnante du FN dans les intentions de vote pour les élections européennes ? 24 % d’intentions de vote ! Du jamais vu. Pourtant, il suffit d’aller dans un village alsacien (ou provençal) pour en être convaincu ; les Brignolais se sont empressés d’entériner cette réalité, sans surprise. Merci au « président des entreprises », sa trahison dans les grandes largeurs de ses promesses de campagne, reposant entre autres sur une égalisation des droits et des chances en faveur du « bas » peuple, fait son effet à une vitesse vertigineuse. Et je parie qu’il a même pas peur, allô quoi ! Décidément, faut que je songe sérieusement à me réfugier en terre bretonne, un des rares îlots de gauche, pour le moment. Vous croyez qu’il va changer de cap fissa, faire un remaniement vite fait, y compris son Premier sinistre ? Ségolène, au secours !
Quant à Morano, elle ne sait plus comment faire pour faire parler d’elle… Maintenant elle porte plainte contre Guy Bedos qui l’a traitée de conne dans un spectacle à Toul. Sans conteste, c’est injurieux et très indélicat, mais vous imaginez l’engorgement que ce serait dans les tribunaux si tous ceux qui se font traiter de cons, en plus par Bedos, vont porter plainte ? Quelle idée franchement de prêter son flanc avec autant de désinvolture aux saillies d’un humoriste aussi décapant et irrévérencieux ? Cela dit, pour moi qui l’ai rencontrée, elle s’y connaissait en politique du handicap autant que moi dans la fabrication des sabots et, à cette occasion, je n’ai guère eu le sentiment qu’elle avait inventé la poudre ; de plus, son ego hypertrophié (comme nombre de politiques) et les inepties qu’elle débite avec une régularité de métronome doivent sacrément l’empêcher de réfléchir parfois. En fait, dans cette affaire, le bourreau se fait passer pour une victime, car Mme Morano n’a jamais été très tendre ni très fine avec ses adversaires, le contraire se saurait. Donc cette plainte est de la duplicité pour moi ; quand on fricote avec le pouvoir et les médias, il me semble qu’il serait décent, dans certaines limites, d’en assumer certaines conséquences, même désagréables et blessantes, surtout quand on est capable, comme elle l’a fait lorsqu’elle était ministre, de faire licencier une vendeuse Kookaï, dans le magasin Printemps de Nancy, qui avait osé plaisanter à son sujet avec ses collègues. C’est le prix à payer pour une exposition permanente, surtout face à un humoriste qui ne ménage personne ; d’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir entendu Mme Morano s’offusquer lorsque Guy Bedos s’est attaqué à d’autres qu’elle…
Oui, dans quel monde vivons-nous ? Heureusement qu’il reste les voyages de toutes sortes…
Voyage
Il y a autant de façons de voyager qu’il y a de façons d’être. Sois et tu voyageras sur le fil du tant. Au fond de tes entrailles bruisse comme un appel du large. Voyages intérieurs. Infinis voyages intérieurs qui vous mènent au-delà des frontières du cœur. L’amour est tout quand il est libéré de nous. L’amour est temps lorsqu’il est ivre de vent. Voyager au gré des sentiments, relié au firmament. Au firmament de nous deux voyageant sur un amour sidéral. Que les corps sont pesants, que les corps sont légers, selon le regard que le voyageur porte sur sa vérité. Voyager à tes côtés. Je veux voyager auprès de toi. Découvrir la vie comme on explore le monde. Ce monde qui nous crée à chaque instant de notre éternité. Aimer sa solitude telle une suprême liberté. Solitaire nous naissons, solitaire nous mourront. Que j’aime être seul entre tes bras ! Que j’aime cette solitude qui nous brasse, qui nous fait nous. Voyager à tes côtés. Voyager à t’écouter. Voyager dans ton regard éploré. Voyager sur la vague qui nous a rapprochés. Oser, oser voyager à deux, oser se pénétrer des étoiles de la jouissance singulière et multiple. Oser mourir à soi-même, à nous-mêmes, chaque jour, à chaque moment, pour renaître encore plus flamboyants. Voyager en toi pour mieux caresser la lumière de ma solitude. De notre solitude d’aimants amoureux. De la berge, un regard voyage sur les ailes d’un cormoran qui s’envole vers l’Océan de toutes les espérances. Sens-tu ma main posée sur ton sein ? Elle voyage dans le lit si chaud de ton cœur si beau. Je veux te voyager éternellement.