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Billet de blog 16 septembre 2013

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Les chroniques d'un Autre monde : prises de risques

Fin août. Finis les petits-déjeuners sur la terrasse, l’été commence déjà à perdre de sa vigueur au nord de la Loire. C’était pourtant bien agréable durant un mois, et bien ravigotant, mais trop bref. Les jours déclinent inexorablement. Trop vite. Beaucoup trop vite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fin août. Finis les petits-déjeuners sur la terrasse, l’été commence déjà à perdre de sa vigueur au nord de la Loire. C’était pourtant bien agréable durant un mois, et bien ravigotant, mais trop bref. Les jours déclinent inexorablement. Trop vite. Beaucoup trop vite. L’été ne sera jamais assez long à mon goût. J’ai l’impression que le temps s’égrène tel un chapelet stellaire récité par une Mamma italienne assise devant un bénitier de Lambrusco tout pétillant de bigoterie. Dans le voisinage, comme chaque année à la même période, une scie circulaire couine de bon matin, débitant l’été en bûches pour l’hiver, déjà. Il va bientôt falloir que je remette des chaussures et des chaussettes… Et, surtout, terminés les repas paisibles sous le catalpa en compagnie de Jill et d’un accompagnant.

D’aucuns pensent, et parfois disent ouvertement, qu’ils ont un travail pépère, cool et bien payé pour ce qu’ils font. Ceux-là jugent sans discernement, en se fondant sur des a priori déconnectés de la réalité. Être accompagnant d’une personne en situation de dépendance vitale nécessite des capacités et des compétences moins fréquentes que je ne le souhaiterais. Certes, mes accompagnants ont, certains jours, du temps pour eux, des temps de pause ou de repos plus ou moins conséquents en fonction de mes obligations et de mes envies de cinéma. Du temps pour se consacrer à lire ou à surfer sur leur ordinateur. Tout en restant toujours disponibles, c’est-à-dire dans un état de vigilance permanente, en cas de nécessité… Même la nuit et ce pendant 48 heures d’affilée. 48 heures d’une attention et d’un stress très particuliers, mine de rien, c’est nerveusement fatiguant. À tel point que certains se sentent incapables d’en faire 72. Je n’ai rencontré que trois exceptions, dont deux femmes, pourvues d’une énergie et d’un tonus exceptionnels, capables de travailler huit jours à la suite. Avec le recul, ce constat me laisse songeur, admiratif et bluffé, en me rappelant que la mère de mes enfants, un être hors du commun, a assumé seule durant 23 ans, jour et nuit, sans un jour de répit, ce que font désormais quatre accompagnants qui se relaient à intervalles réguliers ! Certes, je pesais en ce temps-là moins de 35 kg mais elle n’en pesait que 50 et me portait au minimum quatre fois par jour dans des conditions inimaginables, car pratiquement rien n’était adapté dans la maison ni dans la voiture, exigeant d’elle un déploiement d’énergie et un stress bien plus importants que maintenant ; en comparaison, certains de mes accompagnants sont des gaillards de plus d’1,80 m et de plus de 80 kg… Qu’est-ce qui peut expliquer une telle différence de tempérament ? L’amour ? Cet amour qui peut soulever des montagnes… Et j’en suis une de montagne. Et quelle montagne ! Une montagne de vie, de plaisirs, d’envies et d’amour.

Mais aussi une montagne régulièrement ébranlée sur ses fondements et, par la force des choses, amenée à assumer des prises de risque dont il est difficile de faire ressentir les sensations, ni le travail de maîtrise sur soi, de maîtrise des angoisses que cela génère, ou des peurs rétrospectives.

Exemple le plus récent. En mai, j’ai engagé une femme qui terminait sa formation d’Aide Médico-Psychologique (AMP). Elle est enthousiaste à l’idée de travailler avec moi quand je la croise, à la fin d’une intervention. Elle est très sympa et d’une vaillance impressionnante. Elle fait 1,55 m et pèse un peu moins que moi, c’est dire les efforts surhumains qu’elle doit déployer pendant chaque transfert et sa volonté de travailler à mes côtés. Tout était réuni pour que ça marche, si ce n’est les contrariants grains de sable totalement imprévisibles. D’entrée, je vais non seulement avoir mal aux côtes flottantes, du côté droit, dès qu’elle me porte et plus encore quand elle me repose, mais, de surcroît, je vais être confronté à un problème de confiance en elle qui l’amène à stresser dans certaines circonstances cruciales, d’autant qu’elle a des difficultés à intégrer et à maîtriser certains gestes et manque parfois d’une certaine logique ; par exemple pour me mettre le corset, ce qui entraîne, pour moi, au mieux de l’inconfort et, au pire, des douleurs posturales. Concernant les portés, étant à la limite de ses forces, il lui est difficile de changer sa façon d’effectuer les transferts ; je suis donc devant deux alternatives : soit je m’en sépare, soit je souffre, en prenant le risque que cela s’aggrave. Quant à son manque de confiance en elle et à son stress, ils ont été tels les trois premiers mois qu’elle me les a communiqués, tant et si bien que je vis, dans certaines phases du travail, les soins, dans un sentiment d’insécurité très oppressant ; particulièrement au moment de la douche où, le cœur battant, certains jours je dois maîtriser une peur panique qui m’étrangle les synapses et comprime ma respiration. La contamination est telle que j’en viens parfois, durant la douche, à me sentir insécurisé avec les autres accompagnants, aussi chevronnés soient-ils. C’est invivable. Je ne me souviens pas d’avoir éprouvé cela auparavant. Lui parler de mon angoisse, c’est prendre le risque d’augmenter son stress. Prendre sur soi, encore et toujours prendre sur soi, afin de se préserver autant que faire se peut… en préservant l’autre. Une règle d’or quand on est en situation de dépendance vitale. J’avais atteint mes limites. Et puis, Last but not Least, elle me vaudra la frayeur de l’année… Tout était réuni pour… Mon sentiment d’insécurité latente et le fait de me retrouver deux jours seul en sa compagnie, Jill étant partie dans le sud pour un mariage. Le premier soir, elle me met au lit comme d’habitude, me harnache de ma sonnette, me « coussine » ainsi qu’il se doit, éteint et s’éclipse. Comme je suis exceptionnellement célibataire, elle dort dans la chambre à côté de la mienne, et laisse nos deux portes entrebâillées par mesure de précaution. Un quart d’heure plus tard, j’aperçois du coin de l’œil la lumière qui s’éteint dans le couloir et je m’endors. Pour me faire réveiller, vers deux heures du matin, le cœur battant la chamade, par un hurlement strident et chevrotant, un cri de panique à glacer les sangs. « NoOoon ! Ah, nooOOon ! » Enfin quelque chose comme ça ; à ce stade-là, on n’est plus à une modulation près. Et aussitôt je vois un halo de lumière se dessiner sur les murs de ma chambre. Ensuite, des ombres se mouvoir sur le plafond. Quelqu’un se déplace dans la maison. J’écoute (d’une oreille malentendante) et je regarde (d’un œil myope), pas rassuré du tout, mais vraiment pas du tout. Totalement impuissant. À attendre la suite, cloué dans mon lit telle une chouette sur une porte de grange. Qu’est-ce qui se passe ? A-t-elle fait un cauchemar ? Fait-elle une brusque crise de démence inopinée ? Est-elle somnambule ? Que faire ? Si elle fait une crise de démence, vaut peut-être mieux pas trop me manifester. Et si elle est somnambule, c’est peut-être pas une bonne idée de la réveiller en sonnant. Surtout que ma sonnerie est tout aussi agressive que son hurlement. Et ça dure, ça dure. Et il s’en passe des choses sous un crâne dans un tel moment, le mien en l’occurrence. Et toujours ces ombres mouvantes sur le plafond. Que fait-elle ? Je reste calme et stoïque, avec un brin de méthode Coué et un zeste de bouddhisme de bon aloi, ça tient la route à défaut de tenir autre chose. De toute façon, qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Quand c’est l’heure, c’est l’heure. Inch Allah et à-Dieu-vat. En fait, j’écris instantanément dans ma tête des phrases que j’ai l’intention de retranscrire le lendemain ; dans le cas où j’en réchappe… L’instant est lugubre et stressant mais je ne pense ni à Jill, ni à mes enfants, ni à la dernière facture que je n’ai pas encore payée, ni à ma future réincarnation, non, je pense à écrire. C’est plus fort que moi, c’est instinctif, obsessionnel, tout ce que vous voulez mais c’est comme ça. Narrer ce que je suis en train de vivre et d’éprouver. Car je suis incapable de faire du Allan Edgar Poe ou du J. K. Rowling, je ne sais que raconter mes expériences et mes ressentis. Finalement, ce n’était pas encore mon heure. Soudain, les murs alentour s’éteignent, me replongeant dans l’obscurité et un silence touffu. Plus rien. Je reste aux aguets quelques minutes avant de m’endormir, épuisé. Elle n’a fait qu’un cauchemar. Ouf ! Sauf pour elle qui, d’après ses dires du lendemain matin, est coutumière du fait depuis vingt ans… En attendant, quelle nuit, mes aïeux ! Et quel esprit débordant d’imagination, que le mien en état de frayeur nocturne. En fait, si, j’avais pensé fugacement à Jill, quand je me suis dit qu’heureusement elle n’était pas là car elle aurait fait une attaque à coup sûr, me laissant veuf avant l’heure ; et tout le monde sait qu’avant l’heure…

Me séparer de mon accompagnante est inévitable. Nous sommes d’accord sur ce point, même si c’est difficile pour tous les deux, humainement parlant, car c’est quelqu’un de bien, une présence agréable. En attendant, elle ne fera plus que des services de 24 heures afin que je souffre moins.

Dans l’optique de trouver une remplaçante, j’ai rencontré une jeune femme très déterminée à travailler avec moi, une de plus, au point de s’accommoder avec sa foi : acceptant, par exemple, de dormir dans la même chambre d’hôtel qu’un collègue lors des déplacements, bien que ce soit « un péché », et de me laver à mains nues, y compris les parties génitales, sachant que j’ai horreur du contact des gants de toilette depuis mes séjours hospitaliers très prolongés. En revanche, elle ne transige pas sur la viande halal et le ramadan. Lors du test préliminaire, elle réussit à me porter, difficilement mais elle y arrive. Et pour renforcer ses chances de réussite, le premier jour de formation, elle débarque avec une séance quotidienne de musculation dans les bras. Elle me paraît plutôt sympathique, pour ce que je peux en voir et percevoir en quelques heures de côtoiement. Jusqu’au « drame ».

Je ne sais ce qui m’a poussé à lui demander de me mettre dans mon fauteuil, ce qu’elle a fait avec peine et, au retour du cinéma, de m’en sortir, ce qu’elle a été incapable de faire. Elle ne me décolle pas d’un millimètre, je ne sens pas le moindre frémissement musculaire dans ses biceps. C’est l’échec. Et la détresse pour elle. En larmes, elle m’apprend alors, un peu gênée, qu’elle a une tumeur au cerveau dont un des symptômes est une soudaine perte de forces passagères et impromptues… qu’elle avait omis de me préciser « car elle pensait que ça allait mieux ». Pourtant, ce « petit détail » aurait pu avoir des conséquences graves pour moi… Imaginez que ses muscles lâchent alors qu’elle m’a dans les bras ! Je m’explose 1,50 m plus bas sur le carrelage, et je laisse le reste du scénario à l’appréciation de chacun… Heureusement, j’ai eu ce réflexe intuitif. Je ne lui en ai pas voulu de son inconscience désespérée. À quoi bon ? Ça aurait changé quoi ? Ça n’aurait fait que l’enfoncer davantage dans son désespoir et les angoisses générées par son cancer. Elle venait de vivre un choc terrible à travers cet échec. C’était suffisant.

Néanmoins, avec le recul, je suis très perplexe devant les comportements irréfléchis et insensés que peuvent parfois générer les croyances religieuses. Avoir une tumeur au cerveau et jeûner pendant le mois de ramadan, quelle inconséquence suicidaire, me semble-t-il ! D’autant que le Coran exempte de jeun, entre autres, les personnes souffrant d’une maladie chronique ─ certes, à condition de nourrir des pauvres, mais des pauvres il y en a en veux-tu en voilà dans notre pays si développé. En outre, comment ne pas déplorer que, sous toutes les latitudes et dans tous les cultes, les croyances et les dogmes religieux rendent si facilement sourds à la raison et à toute forme de discernement objectif ? Les applications littérales de textes souvent apocryphes sont si courantes, qu’on y cherche parfois en vain une once de bon sens et de mansuétude.

Viande kasher ou halal, carême et poisson du vendredi, voile, kippa, crucifix, excommunication, burqa, excision, circoncision, refus de la transfusion sanguine, mariage liturgique, baptême, etc., à quoi bon, pourquoi édicter ces règles et ces rites ostentatoires, si c’est pour déverser son fiel, sa haine du prochain voire tuer au nom de Dieu ou d’Allah ou de Jéhovah, dès qu’on a quitté les « saints » lieux cultuels. Les religions rendent-elles l’humain plus humain, l’Homme meilleur ? Toute religion peut potentiellement déraper vers de l’intégrisme. Pourtant, on sait très bien par qui ont été écrits les textes qui composent la Bible ou le Coran, à quelles périodes et dans quel but « rassembleur » ils ont été écrits, ça n’empêche pas certains d’être quelquefois tellement convaincus de détenir La vérité, qu’ils inventent les guerres de religion, pouvant aller jusqu’à s’écharper « entre soi », fomentant ainsi des « Saint-Barthélemy » la main sur le cœur, pour les siècles des siècles… Dans ces livres « saints » qui prêchent la bonne parole, on trouve des passages d’une violence rare et des textes sacrés sacrément datés, car inscrits dans leur époque ; ce qui n’empêche pas les plus fanatiques d’en faire une lecture très orientée et incantatoire. J’ai pris mes distances avec toutes les religions… Les mystiques de tous bords sont trop intolérantes à mon goût, derrière des discours d’amour enflammés. J’ai besoin de spiritualité pas de religion. Ma foi, c’est l’amour du prochain, le respect des libertés d’autrui, même religieuses, tant qu’elles respectent les miennes de libertés. Hélas, ça ne court pas les rues, ai-je la désagréable impression. Pourquoi l’être humain manque-t-il tant de discernement ?

Je ne connais pas le destin de cette jeune femme, mère de deux enfants en bas âge, mais je crains que son état ne s’aggrave si elle n’ouvre pas les yeux, ne prend un peu de hauteur face à sa maladie ; la vie n’est pas apocryphe, elle est maintenant, tout de suite. Dieu, comme Allah, s’Ils existent n’interdisent rien, Ils sont empathiques et compatissants. À en croire la Bible et le Coran. Donc pourquoi s’inquiéter d’enfreindre des dogmes sans valeur divine si on est en accord avec soi-même et respectueux de son prochain ?

Petite précision, en peu de temps, j’ai fait la connaissance de deux femmes musulmanes, les deux étaient diamétralement opposées dans leurs convictions religieuses ; l’une pratiquante et l’autre pas du tout ; aucune ne porte le hijab ; et, si la première aurait été prête à quelques accommodements avec les dogmes afin d’avoir le poste, la seconde était totalement indifférente à ceux-ci et aux rites, tout en ayant une réelle éthique spirituelle. L’une était d’origine turque, l’autre d’origine marocaine. L’une ne mangeait que halal et l’autre s’était complètement occidentalisée ; mais si moi l’idée de manger halal ou kasher ne me dérangeait pas, la première ne transigeait pas sur ce point. Ce qui est son droit, comme cela devrait être un droit de porter le voile tant que ça n’empêche personne de respirer et de vivre sa vie, ou la kippa ou le béret basque ou le bonnet phrygien. Bien sûr, nous sommes dans une démocratie laïque mais en quoi les signes religieux ostentatoires sont-ils plus attentatoires que les coiffures à la « iroquois » de certains ou ces corps couverts de piercings et de tatouages qui agrippent notre regard, avec plus ou moins de bon goût ? Pourquoi cette discrimination visuelle ? Pourquoi ce prurit anti-islamique ou musulman ? Pourquoi ces généralisations, ces amalgames dangereux ? Du fait de l’attentat du 11 septembre 2001, à New York ? Oui, j’ai été choqué par les regards hostiles qui nous étaient lancés, en passant par un quartier musulman à Nîmes ; pour autant, je me refuse de mettre tout le monde dans le même sac. Il y a de l’amour partout. Suis-je naïf ? Non, je suis lucide. Et en accord avec moi-même, avec ma spiritualité.

Cela étant, comme il n’y a pas deux sans trois, une de mes assistantes professionnelles va également partir. Elle a commencé à travailler pour moi en juillet 2012. S’occupant de mes papiers administratifs, prises de rendez-vous, réservations d’hôtel et de quelques tâches ménagères. Depuis le début de l’année, à deux reprises, je lui ai dit que je ne pouvais pas continuer à lui payer 3 heures minimums de temps de pause pour 15 heures de travail hebdomadaire, à raison de 3 heures par jour ! Il lui est même arrivé de totaliser près de 1h30 de détente à mes frais sur 3 heures de présence ; 1h30 de papotages intensifs avec un ou une collègue présent(e), de cafés et de clopes. Étant « enfermé » dans mon bureau, elle s’imaginait, comme tant d’autres d’ailleurs, que je ne m’en doutais pas ; alors que je « sens » tout. Mais Jill était le bouc émissaire idéal, sous prétexte qu’elle me raconte tout. Préférant ainsi ignorer que je sais avec qui je travaille, je le sais très vite ; il ne m’est pas nécessaire de voir pour savoir, pour avoir une idée du professionnalisme de certaines personnes. C’est ça être autonome. Mais c’est triste et pitoyable, ce type d’attitude infantile de la part de gens qui sont censés être des adultes responsables et respectueux du contrat de travail. C’est triste mais c’est ainsi, il faut assumer lorsqu’on est employeur et qu’on préfère faire confiance à ses employés plutôt que de passer son temps à les cadrer et recadrer tels des gamins. Je l’ai avertie par deux fois, elle n’a pas eu l’intelligence de tenir compte de mes avertissements, comme si elle se sentait invulnérable et ne me prenait pas au sérieux. Je lui ai donc annoncé que j’allais réduire son temps de travail de 12 heures par mois, dès septembre. Et elle a pris la décision d’arrêter. Une fois de plus, sauf erreur de ma part, j’ai le rôle ingrat du « méchant » patron à endosser. Cette incapacité de certain(e)s à se remettre en question afin de mieux se poser en victimes de l’ingratitude patronale, c’est lassant et pathétique. Triste propension à voir le verre à demi vide. À moi de m’en accommoder puisque je tiens farouchement à mon indépendance.

Dans un premier temps, Jill va prendre le relais, m’évitant d’être sous pression pour trouver une remplaçante. Ensuite, il y aura toujours une solution de rechange lorsque les nouveaux besoins seront clairement définis.

Ainsi va la vie d’un « patron » de PME qui a une marge de manœuvre très petite. Quatre départs en quatre mois. Et d’aucuns pensent ou prétendent que le problème vient de moi. Mais c’est toujours plus facile de penser lorsqu’on n’est pas en première ligne. Et, chaque fois, il y a l’urgence de trouver quelqu’un d’autre pour ne pas mettre l’équilibre de l’équipe en danger. Encore faut-il trouver. Car les candidats potentiels, compétents, responsables et consciencieux, ne sont pas vraiment pléthoriques. Trop de « professionnels » ne voient que leur profil et/ou ne fonctionnent qu’en mode égotique.

Et pas que les professionnels, même les « ami(e)s »… Ainsi, très fortuitement, j’ai appris que le 7 août, l’émission Les Experts d’Europe 1, animé par Roland Perez, avait pour sujet : Handicap et sexualité : le tabou des assistants sexuels, un thème idéal pour les vacances. Dès le début de l’émission, l’animateur a présenté mon livre et a lancé un appel afin que je téléphone pendant l’émission, ses collaborateurs n’ayant pas trouvé mes coordonnées, allez savoir pourquoi. Même chez mon éditeur, on lui a répondu qu’on ne les avait pas, c’est dire qu’on était bien en vacances, surtout certains. Moi, la radio, ça m’est aussi étranger et rébarbatif que la télé, depuis quelques années. Ça m’assomme, m’agace, me stresse et m’emmerde à force de pubs et de bla-bla indigents. Je préfère écrire, lire ou converser de vive voix. Je ne connaissais donc pas cette émission, ni son animateur que, rétrospectivement ─ car j’ai quand même eu la curiosité de télécharger la chose pour l’écouter ─, j’ai trouvé très bon, intelligent dans ces questions et humain, très humain. Mais je m’éloigne. Ce n’est pas à cela que je voulais en venir. Non, c’est au fait que dans l’émission étaient invités trois experts, dont Catherine Agthe (Suisse) et Aminata Grégory (Pays-Bas), et que les deux me connaissent parfaitement et ont toutes les deux mon numéro de téléphone ; Catherine encore plus sûrement qu’Aminata puisque nous nous téléphonons de temps à autre et qu’il nous arrive de travailler ensemble… Par conséquent, pourquoi, ni l’une ni l’autre, n’a réagi spontanément en disant qu’elle me connaissait bien ? Pourquoi n’ont-elles pas donné mon numéro de téléphone ? Ou mon lieu d’habitation pour permettre à l’équipe de me retrouver ? Bizarre quoiqu’étrange. Je n’irai pas leur demander la raison de cette amnésie inopinée de crainte d’entendre une (fort) possible justification bidon. Le milieu associatif, comme tant d’autres, est un milieu très égotique où la solidarité est comme la confiture… Une telle attitude me passe par-dessus la tête, le cœur et le bon sens. On se bat pour une même cause jusqu’à… un certain point, le point où le Nous risque de faire de l’ombre au Moi-je.

Ce sens du profit personnel, des petits calculs mesquins et d’une éthique à géométrie variable, ne me donne pas du tout envie.

Encore moins depuis qu’une amie m’a demandé de corriger son mémoire, Vieillir et rester vivant, consacré au 4e âge en maison de retraite, et que j’y ai lu ceci à propos du vieillissement : « Olivier de Ladoucette (2005) et Robert Dilts (cité par Marie de Hennezel, 2008), dans leurs travaux respectifs, dressent le portrait de ces personnes du 4ème âge en bonne santé physique et psychique, et heureuses de vieillir. Ils ont notamment répertorié les dispositions psychologiques qui leurs permettent de « rester jeune ». Tout d’abord, ils notent, tous deux, que la capacité d’être heureux et en forme dans sa vieillesse se retrouve chez des gens ayant une histoire, une personnalité, des croyances et des stratégies de vie parfois radicalement opposées. Outre le sommeil, la nourriture frugale et équilibrée, l’évitement de l’alcool et du tabac, le mouvement, ces personnes ont en commun leur ouverture d’esprit, leur liberté de pensée et leur tolérance. Ils soulignent également leurs capacités à regarder le côté positif de la vie et des événements, à voir dans les épreuves de la vie une opportunité pour évoluer plutôt qu’un échec, à s’émerveiller, à lutter contre le stress, à s’adapter aux situations, à garder confiance dans leurs ressources, à savoir dire non, à accepter leurs limites avec humour, à savoir se faire plaisir, à partager avec leur entourage leurs soucis et enfin à se tourner vers l’avenir tout en sachant que leur vie est limitée.

Cette description n’est pas sans rappeler le concept d’intentionnalité vitale – c’est-à-dire le dynamisme qui permet d’entreprendre – très présent en haptonomie et dans le concept de résilience, cher à Boris Cyrulnik, qui représente la faculté de ne pas subir les événements défavorables de la vie et de trouver en soi les ressources nécessaires pour rebondir. »

Comment dire mieux ? Comment ne pas adhérer à ce portrait ? Peut-être faut-il le vivre et le ressentir de l’intérieur pour arriver à y croire et faire de cette « hygiène de vie » la sienne ?

En tout cas, pour continuer à rester positif, à m’émerveiller et à lutter contre le stress, et tutti quanti, j’ai invité Jill, une fois n’est pas coutume, dans un restaurant gastronomique : S’Geisstuewel (à vos souhaits). Késako ce nom barbare ? De l’alsaco pur jus qui signifie « la chambrette de la chèvre ». La maison est classée par les monuments historiques et… située dans le village de mon enfance, un patelin alsacien typique, avec maisons à colombages à profusion et accent guttural du cru à tous les coins de rue. Accueil aux petits oignons, repas savoureux, décor copieux, environnement onctueux, enfin tout ce qu’il faut pour mettre l’eau à la bouche et passer un bon moment en amoureux. En dégustant, je me suis dit que, contrairement à tant de personnes « handicapées » et d’autres mal-lotis de par notre pays de cocagne, j’ai le plaisir de pouvoir me permettre, non seulement, d’aller de temps en temps au resto mais, en plus, dans des restos de qualité. De toute façon, hors de question de croupir dans un fast-food ou un boui-boui quelconque, j’ai trop de respect pour mon palais et mon estomac, et pour la femme que j’aime. L’amour des bonnes et des belles choses. De plus en plus un luxe dans notre société ? Pour un nombre grandissant de gens, oui.

Puis, direction l’Allemagne, Kehl, pour acheter des canards (petit récipient avec bec de canard pour se désaltérer en position allongée, un truc médical quoi). Pourquoi de l’autre côté de la frontière ? Parce qu’ils sont opportunément en porcelaine là-bas, alors qu’en France, on neles trouve qu’en plastique. Or, le plastique prend les odeurs et les couleurs de tout ce qu’on lui fait ingurgiter : vin, café, jus de fruits, thé, etc. ; au bout de quelques utilisations, c’est peu ragoûtant ; de surcroît, ça dénature le goût originel des boissons ; là-dedans, un bordeaux grand cru ressemble à du picrate. Tandis que dans un canard en porcelaine, la subtilité des saveurs et des bouquets restent. Et puis, c’est bien plus hygiénique. Pour 10 €, pourquoi se priver ?

3 septembre, direction l’Italie, Florence, une semaine en Toscane. Avec une question : qu’est-ce qui va m’arriver cette fois puisqu’apparemment ça semble être le cas de façon récurrente, désormais ? Le voyage, bien que long (9h), s’est bien déroulé, la circulation ayant été fluide en Suisse, contre toute attente. Youpi ! À peine passée la frontière italienne, le premier constat c’est que les prix y sont très élevés ; et cela se confirmera jour après jour. Le pays est dans une crise économique sans précédent et on ne trouve rien d’autre à faire que d’étrangler un peu plus les Italiens. Le litre de diesel est à 1,59 € minimum, Mamma mia, et peut aller jusqu’à 1,69 voire plus ; en fait, chez tous nos voisins immédiats, excepté le Luxembourg, le diesel est plus cher ; de retour en France, il a grimpé à 1,37 en une semaine, une peccadille, mon neveu ! La restauration, les vêtements, tout est relativement onéreux, voire hors de prix ; sur les cartes des ristorante, les plats sont d’un coût très raisonnable, sauf que vous payez le pain (automatiquement mis sur la table) et 2 € par personne pour le couvert et l’eau (c’est très mal vu dans les restaurants italiens de demander une carafe et d’amener ses couverts…), Ce qui fait qu’au final ça revient à la même chose qu’en France, mais les ristorante sont bondés et pas que de touristes ; il n’y a jamais de crise dans les centres-villes.

Le gîte est de plain-pied. Mais c’est bien tout. Impossible de circuler à l’intérieur, donc le fauteuil séjournera sur la terrasse qui, fort heureusement, jouxte la chambre à coucher. Quant à la salle d’eau, ce n’est pas celle de la photo, celle de la photo est en sous-sol, en haut, il y a un rebord et le flexible est fixé au ras du sol, on imagine combien c’est pratique pour les accompagnants. Rebelote donc pour tapisser le carrelage de serpillières et de serviettes et pour éponger pendant cinq minutes avant de pouvoir en ressortir. Rebelote aussi pour ne me doucher qu’un jour sur deux dans ces conditions, d’autant que j’ai la respiration très difficile du fait d’obstructions trachéales très étouffantes ; bonjour l’urgence, la rapidité ; la douche plaisir est un calvaire, ce sera donc une douche utilitaire, et accessoirement rafraîchissante. Pourtant, ça devrait être des vacances. J’entends d’ici des petits malins me dire, sur un ton étonné ou sarcastique : « Mais pourquoi ne t’es-tu pas fait laver au lit avec un gant de toilette ? » Ben oui, pourquoi pas ? À quoi je peux évidemment répondre : « Parce que je suis maso, que j’ai horreur d’être lavé au lit après plus de cinq années d’hôpital et parce que j’ai pas envie, c’est tout et c’est suffisant, je préfère me laver tous les deux jours et en chier grave. »

Car étouffer, vaut mieux éviter si on peut, conseil d’ami… compatissant (dire qu’il y en a que ça fait bander et jouir de se faire étrangler pendant la baise, Mamma mia !) ; et les médecins qui n’arrivent pas à comprendre le problème, donc à le résoudre. Si l’appartement avait été vraiment adapté, j’aurais moins souffert et mes accompagnants aussi. Mais avec des « si », on mettrait la Terre en bouteille. Par conséquent, je ne suis pas que maso, je suis dépité face à tant de laxisme et de mépris devant certaines réalités que personne ne souhaiterait vivre. L’art de pourrir la vie d’autrui par négligence et indifférence. Accessibilité, vous avez dit accessibilité ? Et le site, Homelidays, qui héberge ces annonces est bien sûr co-responsable. Il faut regarder la réalité en face, on se soucie davantage des « handicapés » par obligation « morale » que par conviction politique (allez dans un appartement vraiment adapté, vous m’en direz des nouvelles, même valide vous allez apprécier, autant que vous appréciez votre inséparable télécommande, inventée dans les années 1950 pour les « handicapés ». Il reste la terrasse et le soleil, très réconfortant, comme lot de consolation. Et le prix de la location, très raisonnable. En somme, je conseille ce gîte à tout quidam ne circulant pas en fauteuil roulant.

On se fait livrer des pizzas, vu l’heure tardive à laquelle nous sommes arrivés. Elles sont dégueulasses, un comble quand on est en Italie.

4 septembre, nous allons dans le centre historique de Firenze. Nonobstant une chaussée et un pavage exécrables pour toute personne en fauteuil roulant, en poussette-canne ou en vélo (c’est pire qu’à Budapest, à tel point que je rentrais après quelques heures de visite complètement groggy), c’est une ville splendide qui mérite sa réputation. Une ville qui respire plus de 1000 ans d’histoire par tous les pores de ses magnifiques façades. Tout respire ici l’authenticité et la profondeur, la mémoire paisible ou tourmentée et chaleureuse des pierres et du marbre. Florence sans façades de marbre ne serait plus Florence. Nous avons le grès des Vosges, ils ont le marbre de Carrare. Très vite également, mon regard est interpellé par les volets verts quasi omniprésents en Toscane et l’avancée très importante des toits, alors que la neige ne doit pas fréquemment faire partie du paysage. Si le pavage est une abomination, l’accessibilité est moins bonne qu’à Vienne mais relativement correcte. Il y a des plans inclinés amovibles à tous les bâtiments publics, une idée très judicieuse puisqu’on ne touche pas à l’architecture ancestrale. Les boutiques sont moins accessibles qu’en France, Autriche, Allemagne, Belgique ou Luxembourg, que je connais. Mais une fois à l’intérieur des bâtiments historiques, du moins dans les musées, les ascenseurs sont catastrophiques pour quelqu’un qui a un fauteuil aussi imposant que le mien (1,40 m de long, du fait de ma position semi-allongée), étant insuffisamment profonds.

Nous nous sommes garés près de la cathédrale Santa Maria del Fiore, à la façade rutilante sous le soleil toscan. Pour qui ne connaît pas l’Italie, c’est surprenant ; rien à voir avec nos cathédrales en comparaison bien plus sombres et plus riches en décorations extérieures ; ici, c’est la sobriété et la lumière qui prédominent, c’est reposant pour les yeux et très séduisant ; petit détail croquignolet : pour entrer dans la cathédrale, dont l’intérieur est plutôt décevant, Jill a été contrainte par un gardien de couvrir son corps d’une blouse en papier (!), nous sommes bien en Italie : ici, on ne trouble pas le chaste regard du petit Jésus et de ses saints ; d’autres femmes seront refoulées ou refuseront la mascarade ; en sortant, le gardien lui en fera cadeau, au cas où elle visiterait d’autres lieux saints (ce qu’elle fera mais on la laissera passer, car elle accompagnait un « pauvre être handicapé forcément enfant de Dieu » ?). Le Duomo jouxte le fameux Campanile. Une tour splendide également revêtue de marbre, insolite à côté de cette cathédrale. La particularité de la cathédrale, c’est qu’elle est habillée de marbre sur toutes ces façades, alors que la plupart des églises florentines, il y en a une flopée, n’ont droit au marbre que sur la façade principale, les autres sont en briques. Pendant des heures, nous allons sillonner des rues et des ruelles typiquement méridionales. Passant, entre autres, à côté de la Loggia del Mercato Nuovo, sorte de marché couvert dont la particularité est que, à l’une de ses extrémités, un grand sanglier en bronze est nonchalamment assis sur son arrière-train attendant que les touristes viennent frotter sa truffe, au point de l’avoir polie à la longue ; finalement, chaque grande ville doit avoir son machin porte-bonheur à caresser, je rappelle qu’à Nîmes ce sont les parties génitales du toréador… La ville est pittoresque et vivante, engoncée dans plus de 30° très respirables. Tout ici est nonchalant, y compris la démarche des autochtones, contrairement aux autres pays visités. Au milieu des calèches (nettement moins classes qu’à Vienne car tirées par un seul cheval, qui plus est famélique le plus souvent), nous avons rejoint le Palazzo Vecchio, un superbe bâtiment du XIIIe/XIVe siècle ; il fait aujourd’hui office de mairie et de musée ; un musée aux fresques et aux plafonds qui ne… laissent pas de marbre… Ce palais est relié à la fameuse Galerie des Offices, le musée incontournable de Florence à en juger par le nombre de visiteurs qui piétinent le parquet pendant que nous y serons. La vitrine de l’art pictural florentin et, plus généralement italien. Lorsqu’on aime la peinture Renaissance, plus largement du XIe au XVIIIe siècle environ, il y a indéniablement une collection d’œuvres picturales et sculpturales impressionnantes et majeures. Ce n’est pas notre cas. Ça n’a jamais été le mien, je suis plutôt amoureux de la peinture à partir de la seconde moitié du XIXe siècle à nos jours, de l’art oriental et extrême oriental ou de l’art primitif ou premier. Évidemment Raphaël, Michel-Ange ou Botticelli sont des génies, il n’est pas besoin d’aimer leur travail pour le reconnaître. Mais, quand on n’aime pas, on survole de plus en plus vite au fil des salles. Cette peinture ne me touche pas, ne me parle pas ; je le savais, plus Jill, William et Igor, mes compagnons de route pour ce voyage culturel. Ils avaient envie de le visiter et je pars du principe qu’il ne faut pas nécessairement négliger ce qu’on n’aime pas, on peut toujours au détour d’un tableau être agréablement surpris. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. J’ai admiré, c’est déjà pas mal.

Au déjeuner, nous mangeons dans la cour intérieure ombragée d’un des innombrables palais de la ville, immeubles cossus du 18e et 19e. En fait, nous n’avons loupé aucune « spécialité » culinaire mondialement connue : pizza, pasta i pasta et encore pasta sous toutes les formes, raviolis (rien à voir avec les nôtres, il y en a cinq grands dans l’assiette, tout juste suffisant pour un estomac tel que le mien mais pas pour un gaillard d’1,90 m…), tiramisu, pana cotta et, évidemment, gelati à profusion, parce que les Gelateria (glacier) et autres Osteria (auberge) ou Ristorante, ne désemplissent pas aux heures de pointe.

5 septembre. Direction San Gimignano. Une perle dans un écrin médiéval, proche de Sienne. Une splendeur enchâssée dans une double rangée de remparts. Ce village si enchanteur et touristique, figurant dans le patrimoine mondial de l’Unesco (ô combien, avec raison), surplombe le Valdelsa, une vallée verdoyante plantée d’oliviers, et est notamment réputé pour ses 13 tours-maisons (au Moyen Âge, il y en avait 75). Nous le parcourrons plusieurs heures durant, mettant les freins-moteur de mon fauteuil roulant à très rude épreuve, avant de nous attabler au fond d’un restaurant « coconneux », dans lequel j’ai dégusté du hachis de sanglier… aux pâtes, al dente, of course. Un délice surprenant. Et, avec étonnement, nous nous verrons offrir de la Grappa et du Limoncello, une sorte d’eau de vie et un digestif à 30° (quand même). Auparavant, sur la Piazza della Cisterna, nommée ainsi à cause du puits datant du XIIIe siècle qui est en son centre, nous avons dégusté les meilleures glaces de notre séjour ; et, pendant que j’attendais face à la boutique, Jill et moi avons été accostés ; d’abord par un Américain empathique qui veut prier pour moi, ensuite par un allemand compassionnel qui veut en faire autant et, enfin, par une américaine qui, constatant que nous essayions d’entrer en vain dans une belle cour intérieure, vient spontanément vers moi et me montre sur l’écran de son appareil photo numérique les clichés qu’elle vient d’y prendre ; puis, un peu plus loin, devant l’entrée d’une boutique installée en sous-sol, nous sommes abordés par la vendeuse-propriétaire avec qui nous baragouinons quelques minutes, dans un mélange de plusieurs langues, elle vend entre autres des objets en albâtre et des bijoux en pierre ; quand nous lui achetons l’une ou l’autre babiole, elle est toute gênée : « Je ne vous ai pas parlé pour vous inciter à acheter… », dit-elle en substance. J’adore ce type de rencontres, elles sont le sel de la vie, elles valent tous les monuments historiques du monde. J’ai quitté ce village avec regret. Il se dégage de ses murs imprégnés d’histoires qui touchent le ciel, une âme indéfinissable, intense et vraie. Malgré le grouillement des touristes, il y a quelque chose de paisible en ce lieu antédiluvien. Cette découverte restera pour moi le plus beau moment de ce voyage. Le plus harmonieux.

6 septembre. Plein ouest, vers Pise. Comment être dans la région et rater la tour du même nom, universellement renommée ? La ville est, elle aussi, cernée par une muraille médiévale. Exceptée cette enceinte, le plus remarquable se trouve Piazza del Duomo, surnommé Piazza dei Miracoli,vaste esplanade moquettée de pelouse et ponctuée par la fameuse Tour penchée, une cathédrale et un baptistère, le tout scintillant de marbre, comme il se doit. L’ensemble est suffocant de beauté, du moins à l’extérieur. Le baptistère n’a rien de particulier à l’intérieur, surtout pour le prix d’entrée qui est demandé. Quant à la tour ou campanile, personne n’a finalement voulu monter à son sommet pour un tarif de 18 €… Le reste de la ville a moins d’attrait, si ce n’est les vendeurs à la sauvette (tous africains) et les marchands ambulants qui jalonnent ses rues. Aucun de nous n’est reparti sans avoir acheté quelque chose. Jill s’est refait une garde-robe ou presque…

7 septembre. Retour à Florence pour les trois derniers jours. La journée débute par un choc. Igor constate que je n’ai pas assez de comprimés de potassium ; l’accompagnant qui avait préparé les médicaments s’était trompé dans son calcul. Il en manque une dizaine, je décide donc de réduire les doses mais la possible carence en potassium risque d’entraîner un blocage du système digestif qui me ferait atterrir dans un service florentin d’urgences médicales, ce qui n’est pas souhaité. Après cet état des lieux peu réjouissant, nous commençons la flânerie par l’insolite Ponte Vecchio, le plus vieux pont de la ville, dont la singularité est d’être recouvert de bijouteries. Assurément, ça vaut le détour. Puis d’églises en palais, dont le Palais Pitti, mastodonte architectural sans grande grâce à nos yeux, transformé en plusieurs musées, et qui fait un peu penser à Schönbrunn du fait de son jardin immense, et de basiliques en palais, nous nous installons sur la terrasse d’une pizzeria qui nous attire. Mes compagnons se régalent pendant que je les regarde, à ma demande, car mon bide est au bord de l’explosion (un rapport avec le manque de potassium ?) ; quoi qu’il en soit, pas envie de prendre le risque de me retrouver dans un hôpital, surtout à l’étranger où il y a la barrière des langues. Au retour, nous prenons le temps d’une flânerie nocturne dans les ruelles de Florence, toujours avec mon aval ; c’eût pu être vachement romantique sans mon état de Bibendum gonflé au gaz naturel…

8 septembre. Seule journée pluvieuse du séjour. Nous en profitons pour faire les musées précités plus haut. Et nous finissons dans le même restaurant que la veille, à la même place et avec le même serveur. Mais cette fois, je mange avec appétit. D’abord des garganelli à l’encre de seiche accommodée de fruits de mer, ensuite un dessert à la pana cotta et aux fruits rouges. J’ai tout mangé, preuve que je me sentais bien et combien j’ai apprécié mon repas. Le pied gastronomique !

9 septembre. Dernier jour. Qui commence mal. Je ne me sens pas bien du tout côté digestif. J’ai très vite la crainte d’atterrir aux urgences si… Donc, première décision : je ne prends pas de petit-déjeuner pour ne pas tenter le diable ni mon estomac. Deuxième décision : acheter des comprimés de potassium dans une Farmacia. Ces comprimés seront ma seule nourriture de la journée. Étais-je en manque de potassium ? Possible, puisque, dès mon retour, un bilan sanguin a montré que j’étais à la limite basse ; or, entre-temps j’avais augmenté les doses quotidiennes par sécurité. Mais ce n’est pas certain ; en tout cas, il n’y a pas que ce problème. Autre symptôme troublant : je suis brûlant, mon corps est brûlant, ma tête est brûlante, je suis une centrale nucléaire au bord de l’implosion. Pourtant, incorrigible, j’insiste pour que nous visitions encore deux ou trois « trucs » dans la ville. En premier lieu, une église marbrée du XIIIe siècle, dont j’ai oublié le nom avec certitude du fait de mon engourdissement psychique (très probablement Santa Maria Novella). Peut-être la plus belle, la plus somptueuse, celle qui a les fresques les plus remarquables et l’aura la plus forte, intra-muros, de mon point de vue. À la sortie, par solidarité, mes compagnons de fortune se contenteront de sandwiches et de gelati, les moins bonnes d’après eux. Ensuite, après des heures, qui me semblent interminables, à cahoter sur des pavés encore plus infernaux en la circonstance, nous visitons le musée de la photographie. Sans regret. Des photos magnifiques de Paris et de Londres entre 1940 et 1970 environ. Si, un regret : je me suis cassé le dos parce que l’ascenseur est très petit, trop pour quelqu’un de ma carrure… Fin du voyage. Nous rentrons au gîte pour une dernière nuit. Bonheur de m’allonger, de me déshabiller, de me reposer. Enfin bonheur qui se fera un peu attendre, le nouveau venu dans l’équipe n’ayant pas encore le sens de l’urgence, de ce qui est important et moins ; en l’occurrence, il prend le temps de se déchausser et de se soulager de ses chaussettes… Travailler à mes côtés est un sacré apprentissage. On en sort grandi, enrichi, ou très bousculé, voire très contrarié car on ne supporte pas d’avoir été pris en faute. La présence à l’autre, ça s’apprend, ça s’acquiert, à condition de le vouloir. J’ai donc souffert un peu plus longtemps que ce qui était escompté. C’est aussi ma vie. L’empathie également, ça s’apprend, ça s’acquiert, à force d’entraînement et de volonté personnelle. Ce dont ce petit nouveau ne semble pas manquer.

Le lendemain, à 10 heures, nous reprenons le chemin du retour. J’emmène dans mes bagages une allergie cutanée et un dérèglement intestinal bien accrocheur ; dû au repas si délicieux ? Nous quittons la douceur florentine pour le brouillard et la froidure suisse, avant de retrouver une fraîcheur et une grisaille toute alsacienne. Mamma mia ! J’emporte des moments de bonheur, des images, des rires, des souvenirs plein la tête, mais également des interrogations et la mémoire des peurs et des douleurs que j’ai croisés cette fois-ci et les autres fois. Plein de vie en somme.

Ma vie est une prise de risque permanente. Je le sais depuis que j’ai décidé de préférer mon autonomie plutôt que ma sécurité, c’est-à-dire depuis l’âge de 23 ans environ, un bail. Mais, avant de me lancer dans Les chroniques d’un Autre monde, étonnamment, je n’avais pas réellement conscience de la fréquence des dangers que je frôle. On oublie si vite les souffrances et les frayeurs vécues. Fort heureusement. J’avoue que pendant ce séjour en Toscane et depuis le retour, cette prise de risque me fait beaucoup réfléchir ? Toute cette souffrance, ce déploiement d’énergie extrême, ce flirt quasi quotidien avec la mort, et ce phénomène d’étouffement, de respiration stressante et désespérante (dont les médecins ne savent pas, ou ne prennent pas ou plus la peine de savoir, de le comprendre, car leurs traitements restent obstinément impuissants). Est-ce bien raisonnable de persister à voyager ainsi ? Mais c’est quoi être raisonnable ? C’est quoi la vie ? Renoncer à tous ces voyages pour moins souffrir est-ce perdre de la vie ? Est-ce perdre du sens à sa vie ? Pourquoi cette envie de voyager maintenant ? Certes, avant j’étais plus jeune (quelle lapalissade) mais je n’avais pas les moyens, pas la possibilité de voyager. Est-ce que j’essaie de rattraper le temps (perdu qui ne se rattrape guère) ? Certes, j’aime découvrir, explorer, sentir, voir, me cultiver, me plonger dans d’autres atmosphères, d’autres cultures, d’autres univers, aller à la rencontre de l’humain. Mais à quel prix ? Pour quel plaisir au final ? Cela en vaut-il vraiment la peine, d’autant que j’entraîne avec moi mes accompagnants et, depuis quelques mois, ma compagne ? Et si j’arrête, si je décide de me poser, de me résoudre à ne faire, à ne plus faire que des voyages intérieurs ou de courte distance, des voyages introspectifs et méditatifs dans mon bureau, notre chambre ou sur la terrasse ? Puis-je imposer une telle décision à Jill ? Évidemment que non. Je n’aime pas une femme pour la rendre malheureuse, pour l’enchaîner à mon destin. Comment vivrait-elle ce bouleversement, elle qui est venue habiter auprès d’un homme actif, très actif ? Peut-on entraîner, par amour, quelqu’un dans les conséquences d’un tel choix ? Quelqu’un d’aussi jeune et plein de vie qu’elle, qui a encore tant à découvrir, à explorer et à ressentir. Suis-je en train de songer à renoncer à la vie, à une partie de ma vie, de ce qui est ma vie ? JE NE CROIS PAS. JE NE SAIS PAS. Les questions défilent et s’entrechoquent dans ma tête. Les réponses hésitent à venir. Surtout que d’autres questions s’ajoutent, terriblement existentielles. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Mais ça on le sait. C’est comme ça qu’on grandit, paraît-il…

Ironie du sort, trois jours après le retour au bercail, ma respiration s’est soudain améliorée. Pourquoi ? La vie n’est pas logique, donc rien n’est logique dans la vie ; si c’était le cas, ça se saurait aussi. Je ressens cette amélioration inattendue, après des mois de suffocation pénible, très pénible même, voire carrément innommable, comme un pied de nez. La vie me nargue, un petit sourire malicieux au coin des lèvres, me disant : « Rien n’est simple mon vieux, par conséquent ne simplifie pas, adapte et trouve le bon dosage, en commençant par moins prendre sur toi ; tu n’es qu’un homme ! »

Mais que c’est bon de respirer librement de nouveau ! On voit la vie autrement, avec beaucoup plus de légèreté et de vitalité.

Grandissons mes frères et mes sœurs ! Alléluia. Si réponses il y a, la vie ne se gênera pas pour les donner en temps utile ; ce n’est pas dans ses habitudes de perdre son temps ; ça, c’est une certitude.

En attendant, le cinéma et la Bretagne me tendent les bras. Comment résister à cet appel-là ? C’est simple, je ne peux pas, je n’ai pas envie. Pour le moment ? J’aime trop la Bretagne et le cinéma. Et Jill.

P.S. : j’ai une question qui me trotte dans la tête : qui sont ces gens qui ont payé les 11 millions de dettes de Nicolas Sarkozy, donc de l’UMP ? Qui a mis la main à la poche pour un ex-président qui n’a tenu aucune de ses promesses électorales, a roulé la majorité des Français, surtout les plus pauvres, dans la farine et s’est contenté de participer à l’effacement de sa dette avec un chèque de 7500 €, alors qu’il se fait 100 000 € par conférence, sans compter son patrimoine exponentiel ? Qui peut me répondre ? Quels sont ces Français qui adorent se faire plumer sans vergogne ? Même la reconnaissance de leur leader est factice, n’en doutons pas, pensez le contraire c’est de la pure naïveté face à un ego aussi hypertrophié. Et dire qu’il y en a de plus en plus, même dans mon entourage, qui espèrent son retour. Que Hollande soit plus que décevant, ça ne fait aucun pli, mais de là à souhaiter le retour de ce type, ça me dépasse. Mais ça met bien en lumière, de façon criante, l’échec retentissant de notre président actuel.

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