Vous connaissez le Manneken-Pis. Qui ne le connaît pas. C’est l’équivalent bruxellois de la tour Eiffel, en beaucoup plus petit… Cependant, qui sait qu’on peut le rencontrer rue des Augustins à Colmar ? Hormis des cars entiers de touristes japonais et des frontaliers allemands, qui est au courant de ce petit détail ? Du reste, comment des Asiatiques, aussi nombreux de surcroît, font-ils pour atterrir à Colmar ? C’est stupéfiant. Chaque fois que j’y vais, ça me laisse songeur. Ils ont tout à fait raison de visiter cette sous-préfecture du Haut-Rhin, la petite Venise d’Alsace en vaut vraiment le détour. Mais quand même. Paris ou Lyon, ça se comprend, même Strasbourg-Capitale-de-l’Europe (sur le papier). Mais Colmar. Comment font-ils pour se retrouver dans ce petit écrin alsacien ? Enfin bref, passons. Revenons au Manneken-Pis, réplique exacte, en grandeur nature, qui niche (c’est le cas de le dire) dans une rue colmarienne de la vieille ville. Une plaque nous apprend fièrement que c’est un cadeau du bourgmestre de Bruxelles au maire de Colmar, dans les années 50. Et il y en a qui vont en Belgique pour le voir, alors qu’il suffit de faire un crochet par Colmar et, accessoirement, ses vignobles environnants. Surtout que Colmar est plus jolie que Bruxelles, de mon point de vue, toutes proportions gardées ; cet avis n’engage que moi… Et est au moins aussi jolie que Bruges… la petite Venise du Nord, côté flamand. Il y a également à Colmar une reproduction de la Statue de la Liberté trônant au beau milieu d’un rond-point (ça doit faire partie des 2 milliards consacrés annuellement à l’entretien et à la décoration de nos carrousels municipaux), à l’entrée nord de la ville, dans une zone artisanale… Sauf qu’elle n’est pas grandeur nature, elle. Pauvre Bartholdi. Ben oui, il a été Colmarien ; je suis persuadé que les Japonais de passage touristique le savent, eux.
Autre curiosité, à Nîmes cette fois. Vous connaissez le toréador de bronze planté virilement devant les arènes ? Non ? Dans ce cas, si vous passez par là-bas, allez le voir de près, de très près. Vous verrez que le renflement qui représente les parties génitales est plus clair à force d’être soutenu et frotté par des mains anonymes, ainsi que ses mains. On a le fétichisme qu’on peut.
Le Père-Lachaise est également très réputé pour ce genre de frivolité. Il suffit de se rendre devant le très célèbre gisant de Victor Noir, dont la braguette particulièrement proéminente est fréquemment touchée, caressée, quand des femmes, à califourchon, ne se frottent pas carrément contre « son » érection provocante, au point de lustrer la protubérance de bronze ; ou bien d’aller sur la tombe de Guillaume Apollinaire, l’auteur du mémorable Les onze mille verges, qui est surmontée d’une sorte de menhir aux allures très phalliques, conçu par Pablo Picasso. Ainsi vont nos fantasmes, parfois. Du reste, le cimetière est connu pour être le lieu des galipettes en tout genre, à tout âge et dans toutes les positions, il est prisé pour les rendez-vous galants polissons ; Apollinaire et Marie Laurencin s’y ébattront gaillardement durant leur liaison très chaude.
Le Sexe et la Mort[1]. Éros et Thanatos. Sexe et handicap (une autre forme de mort dans l’inconscient collectif). Les deux sont indissociables ; sexe n’étant pas, en l’occurrence, spécifiquement synonyme de génitalité mais de Vie, d’Énergie, de Sensualité, de Vitalité, etc. ; de même que « mort » n’est pas ici synonyme de néant ou de fin. Du moins guère à mes yeux. Mais de deuil, de frustration, de renoncement, de temporalité, d’Infini, d’Éternité, de limite, d’humilité, de souffrances, d’humanité, etc. Le sexe c’est la vie et la vie c’est la mort et la mort c’est la transcendance des deux premiers. Non ? Je n’aime pas les enterrements, je n’aime pas les cimetières. Même si certains valent sacrément le détour du fait de leur dimension créative et artistique interpellante. Le/la « disparu(e) » mémorable s’inscrit dans notre mémoire, en nous, nous nourrissant et nous inspirant éternellement, dans un liant de Souffles et de Lumières, les uns incarnés, les autres éthérés ; ils/elles font corps et chair avec nous. N’est-ce pas cela l’Éternité ? Personnellement, j’estime que la mort n’est pas la fin de tout mais une continuité, une façon de vivre autrement avec l’être aimé(e) ; tout dépend des liens que nous avons entretenus avec ses prochains durant notre passage sur Terre. Et avec soi-même. Afin d’accepter sa fin physique, et celle d’autrui, il me semble vital d’assumer son être, être Vivant, donc libéré, et libre. Pour ce faire, il est indispensable d’aimer la vie, l’existant. L’existence et son essence dans une posture de dasein[2] « être présent ». Corps et âme ad vitam aeternam.
Ce constat aboutit au rapport que nous entretenons avec notre corps et celui des autres, du semblable et du différent. Le thème de la formation donnée à Dijon avec Émilie et Pierre, au profit de cadres de la Caisse d’épargne Bourgogne-Franche-Comté, d’EDF, de Cap emploi, de la Mission locale et de la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône. L’intitulé exact en est : Formation Etre soi – changer de regard sur le handicap pour changer le rapport à soi et aux autres. Nous la proposons depuis trois ans et depuis trois ans, immanquablement, le premier contact entre les stagiaires et moi (plus exactement mon handicap cataclysmique) est identique. Un mélange de gêne, de recul, de distance, de malaise et de maladresse, car on ne sait pas comment m’aborder, comment aborder ce corps pour me dire bonjour, « simplement » me dire bonjour. Dieu qu’un acte simple peut devenir compliqué face à un corps immobile et difforme, un chapelet de séquelles. « Je lui serre la main ? Mais peut-être que je lui fais mal ? Je fais quoi ? Je fais comment ? » À de rares exceptions, « je fais rien », comme ça je suis sûr de ne pas faire mal. Quoique. Cette attitude distante par peur ou par maladresse peut blesser. Pourquoi ne pas poser la question tout simplement ? Et comment, dans ces conditions, comprendre voire accepter qu’un tel corps soit sexué ? On fétichise les protubérances de statues (« Corps inanimés avez-vous donc une âme ? », serais-je tenté de pasticher Lamartine) et on asexue des êtres vivants. Comment comprendre qu’une personne en situation de handicap est une personne comme une autre, si ce n’est qu’elle a handicap visible, ou pas, qui l’empêche d’avoir les mêmes capacités que le lambda ? Mais pas les mêmes compétences. Société paradoxale qui focalise sur les différences plutôt que les ressemblances, sur ce qui nous sépare bien plus que sur ce qui nous unit ! À la fin de la formation, l’attitude à mon égard, l’approche du handicap, ont profondément évolué. Ces stagiaires ne verront plus le handicap, les handicaps de la même façon, ne les aborderons plus de la même manière, changeant leur regard et leur approche de leurs subalternes ou de leurs employés en situation de handicap, permettant ainsi la mise en œuvre d’une relation égalitaire, aux objectifs complémentaires ; le handicap sera alors appréhendé comme une spécificité qui nécessite des adaptations et des compensations particulières, et non plus comme une charge, une charité, une obligation contractuelle et légale dont on ne sait que faire, avec lesquelles on ne sait pas, on n’ose pas, jusqu’à culpabiliser de les traiter comme les autres employés de l’entreprise ; un comble. L’intégration, dans quelques milieux que ce soit, est à ce prix. Aller au-delà des apparences afin de découvrir l’être qu’il y a derrière ou sous. Ne pas s’arrêter au corps, à la différence, mais aux capacités spécifiques et sources de richesse de tout un chacun.
Mais c’est bien beau tout cela, lorsque le corps est sous la dépendance vitale d’autrui. La philosophie est alors souvent plus rude. Dans certaines circonstances, vous apprenez à vos dépens que vous n’êtes qu’une valeur marchande, un coût, une prestation, un devis et une facture. Je n’en veux pour preuve que ma dernière mésaventure en date. Mon fauteuil roulant est brusquement tombé en panne, en pleine ville. D’un coup, plus de jus, il est resté planté sur place, tous les clignotants au rouge. Ça peut arriver, hélas. Ça fait partie des aléas du contraignant « métier » de « handicapé chronique » ; le genre d’incident qui vous rappelle que vous avez un handicap, au cas où vous l’auriez oublié par mégarde ; on ne sait jamais. Mon accompagnant a aussitôt appelé le revendeur qui me l’a fourni pour… 28 000 € et des broutilles. Une pacotille quoi. Pour nous apprendre qu’on n’avait qu’à se démerder (en résumé). Alors que le magasin se trouve à environ trois ou quatre km à vol d’oiseau du lieu de la panne ; il est vrai qu’il était presque cinq heures, et l’heure c’est l’heure (éventuellement avant l’heure, mais surtout pas après), en tout cas pour certains… Qu’à cela ne tienne. Mon accompagnant est donc contraint de pousser seul un fauteuil de 250 kg, mon poids y compris ; il se fera juste aider par trois gaillards pour le monter dans la voiture. Et il faut insister pour que le fauteuil soit récupéré le lendemain, en vue d’une réparation censée être urgente ; car, bien sûr, un fauteuil électrique en prêt, faut pas y songer. De ce fait, comment vivre sans fauteuil roulant lorsque c’est votre seul moyen de locomotion ? À Nantes, une personne handicapée est restée tout l’été, plus de trois mois, sans son fauteuil en réparation permanente, dans une indifférence quasi générale ; parce que son revendeur-réparateur prenait son temps pour dénicher une panne qu’apparemment il ne détectait pas ; entre-temps, accessoirement, il est quand même parti en vacances sur ses deux jambes… Droit, égalité, participation, libre choix, liberté, ne sont que des concepts creux, de belles paroles, des promesses qui n’engagent que ceux qui les profèrent, le civisme, le sens des responsabilités et la solidarité de tout un chacun. Or, dans les milieux de la revente de matériels paramédicaux, c’est le plus souvent la jungle. Pour vous vendre quelque chose, on est très prompt, et même parfois très pro, si vous avez de la chance. Pour vous le réparer rapidement, c’est souvent une autre paire de manches. Ainsi, je tombe en panne le lundi, on daigne me chercher le fauteuil le lendemain, avec beaucoup d’insistance, je reçois le devis le mercredi, le temps de négocier et d’obtenir une remise de 35 % environ (pour un devis de 1300 € sans aucune aide), je donne mon accord le jeudi, le vendredi la commande est lancée, m’assure-t-on, et j’attends jusqu’au jeudi suivant où, n’ayant toujours pas de retour, je fais appeler un de mes accompagnants. Sachant qu’on me facture une heure pour changer la pièce défectueuse, un module de puissance. Pour s’entendre dire, par une secrétaire, qu’elle va se renseigner, avant de lui apprendre que… la pièce vient d’être envoyée de Suède le matin même. Comme par hasard. Pas grave, y a qu’à attendre. Je n’ai que ça à faire. J’ai des tas d’activités, notamment professionnelles, mais je n’ai qu’à attendre, à me mettre en maladie ou au chômage technique ou, mieux encore, à me reconvertir en valide en bonne et due forme. En revanche, quand il faudra payer la facture, on n’attendra pas. Au final, je rongerai mon frein pendant 12 jours. Alors que pour une panne identique, survenue tout aussi soudainement à Paris deux ans plus tôt, le revendeur a, non seulement, accepté de me prendre en urgence un vendredi à 17 heures et, de surcroît, n’ayant pas de module de puissance en stock – aujourd’hui, tout le monde fait du flux tendu –, il a démonté celui d’un autre fauteuil qui se trouvait dans son magasin. Pourquoi à Strasbourg n’a-t-on pas fait la même proposition ? Mystère. À coup sûr, on n’avait pas de fauteuil de démonstration… Ou pas de la même marque ou une autre excuse. Peut-on faire ce métier sans un minimum de déontologie et d’engagement personnel, d’humanisme ? On ne travaille pas pour des machines mais pour des humains, à moins que nous soyons des mutants – dans ce cas, il y a comme une odeur de discrimination dans la stratosphère. En attendant, certaines personnes vivent à leur corps défendant certaines situations… Et pourtant, on continue à nous servir la théorie réchauffée de l’égalité des droits et des chances « mais » ou « si » ; c’est ce qu’on appelle une égalité conditionnée et/ou conditionnelle. Quant à moi, une fois le module de puissance changé, j’ai découvert un problème de programmation qui n’avait pas été mise à jour dans la foulée, ce qui m’a valu un mail d’un technicien commençant par : Je suis disposé à vous consacrer une demi-journée… Et se terminant par : Je peux, exceptionnellement, me déplacer chez vous. En somme, maintenant, il faut encore être reconnaissant qu’on fasse son travail jusqu’au bout et correctement, comme si c’était une faveur de récupérer un fauteuil roulant opérationnel après avoir payé 950 € de réparation – avec 30 % de réduction ! Un handicap, c’est non seulement un luxe mais une arnaque quasi permanente.
Comment ne pas se sentir un extraterrestre dans une société où l’éthique est au mieux étique, au pire étriquée, usée jusqu’à la corde ? Où d’aucuns se défoulent sur l’apparence, les apparences, donc les corps et les cultures, avec un sentiment d’impunité grisant, parfois. En omettant la faillibilité, notre faillibilité à tous, et notre fragilité.
Partant, j’ai été très surpris d’apprendre, l’autre jour, qu’il y a 7000 naissances par an qui sont le fruit d’une fécondation in vitro (F.I.V.) ; ce qui signifie, sachant qu’il y a près de 70 % d’échecs en moyenne par an, on peut estimer à plus de 20 000 les couples ayant recours chaque année à cette méthode révolutionnaire d’insémination qui ne cesse de progresser. Nous sommes bien peu de choses et nous serions encore moins sans la science ; il y a 500 ans, en moyenne, on mourait à la quarantaine ; il y a environ 70 ans, mes chances de survie étaient nulles, etc. ! Pourtant, la haine, la bêtise, la méchanceté, la lâcheté, la violence, etc., sont des sentiments qui ont toujours de beaux jours devant eux et qui se modernisent, en plus… Alors même qu’on devrait être reconnaissant envers la vie, la vraie, d’exister et de ce parcours sur Terre qui nous est proposé, aussi chaotique soit-il… Toute vie est une opportunité à saisir et à faire fructifier ; mais ce n’est pas une obligation, nous sommes libres. Cependant, nous n’avons qu’une vie et qu’un corps à notre disposition, sauf à croire à la réincarnation. Et la vie est un parcours souvent si paradoxal. Ainsi, je suis très marqué par cette femme que j’ai rencontrée récemment, et que j’ai trouvée transcendée, lumineuse, profondément vivante et belle, d’une beauté bouleversante, tandis qu’elle est au seuil de l’Au-delà, après s’être autodétruite durant des années. Elle souffre sans cesse mais avec une légèreté et un humour renversants parfois. N’est-ce pas interpellant ? Était-ce le prix à payer, son prix à elle, afin d’atteindre cette dimension d’humanité rare ? Oui, puisque c’était apparemment son destin. Pour autant, est-il indispensable d’en passer par de telles épreuves afin d’atteindre un tel degré d’amour de l’autre, une telle grandeur d’âme ? J’espère que non. Mais je n’en suis pas sûr non plus. Je suis juste persuadé que nous avons notre libre-arbitre ici-bas, que notre vie nous appartient. Et que la vie est une discipline. Une discipline qu’une minorité d’êtres humains accepte de et arrive à suivre, notamment en raison de nos dépendances, faiblesses et peurs qui se dissimulent sous une « philosophie » du plaisir totalement dénaturées, de mon point de vue. Devoir prendre sur soi, renoncer, attendre, patienter, c’est fréquemment comme étant une privation insupportable, un effort insurmontable ou une perte de plaisir inacceptable. Cependant, négliger son corps, c’est négliger son être. Et négliger son être, c’est négliger sa vie. Je le crois, peut-être à tort, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, l’humain n’est pas à une contradiction près, à l’exemple de cet homme qui téléphone dix fois par jour à sa femme et à sa fille, parce qu’elles lui manquent trop ; pourtant, dans le même temps, il continue à fumer énormément, bien que sachant qu’il a une bronchite chronique due à son addiction et que, par conséquent, s’il ne fait rien, cela peut virer un jour au cancer, laissant au pire une orpheline et une veuve ! N’y a-t-il pas contradiction dans ce comportement ? Si. Mais nous sommes tous contradictoires. Ça fait partie de la condition humaine. On peut le regretter, ce que je fais, mais rien n’y change, ou souvent difficilement, au prix d’énormes efforts. Toutefois, il est primordial, me semble-t-il, d’être conscient du fait que nous ne sommes pas seuls, que chacun de nos actes et de nos choix a des répercussions directes ou indirectes sur nos proches, aussi bien constructives que destructives, à plus ou moins long terme. C’est ce que j’appelle l’effet papillon de l’affectivité. Il nous amène à nous interroger sur les tenants et les aboutissants de l’amour égoïste. Existe-t-il un amour qui ne le soit pas, qui ne soit que présence et attention à l’autre ?
Handicap, vous avez dit handicap, donc corps meurtri, contraint voire astreint, au pire, prison de chair à perpétuité. Voilà les extraits les plus significatifs de la conversation dénichée sur la page du parti Nouvelle Donne. Ces extraits sont le fruit d’un certain Nicolas Falempin, adhérent de Nouvelle Donne, mais aussi personne ayant un handicap (apparemment relativement léger, d’après ses dires) et bossant à la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) du Bas-Rhin. Voici le florilège en question : […] Certaines personnes coûtent 150 000 € par an de leur naissance à leur mort, c’est un choix de les maintenir en vie à ce prix. […] C’est un choix français, les handicapés sont traités différemment dans les sociétés occidentales. CQFD. […] Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. La question du handicap pose de véritables problèmes d’éthique et la souffrance des personnes rend leur examen difficile. […] Un exemple récent : un ancien chef d’entreprise qui ne payait pas ses charges patronales et qui est bien content aujourd’hui, après avoir eu un accident de travail qui l’a rendu invalide, de bénéficier d’une aide qu‘il n’a pourtant jamais financée. Que faire ? Le punir ou lui accorder cette aide ? C’est un choix de la société de lui accorder malgré tout. On pourrait aller plus loin avec comme exemple les criminels. […] Là c’est inhumain, c’est de la technique administrative. Je n’ai pas dit que j’étais en désaccord avec cette prestation, mais que son coût pour la société était élevé. Je ne savais pas que Nouvelle Donne hébergeait des fachos ; si j’avais su que j'allais adhérer à un parti qui laisse véhiculer librement en son sein des idées qui rappellent le nazisme dans ces années « glorieuses », j’aurais passé mon chemin. De plus, dans cette discussion à œillères très animée (il s’est mis tout le monde à dos sur la page Facebook), ce monsieur fait clairement allusion à moi. Oui, je fais partie de ceux qu’on maintient en vie pour 150 000 € – je ne l’ai jamais caché, ce fut même médiatisé à une époque ; grâce à ça, d’aucuns m’ont écrit pour me faire part de leurs regrets que les chambres à gaz n’existent plus, de façon anonyme bien sûr, estimant que cette subvention était du vol ! Quoi qu’il en soit, il ne fait que dire tout haut, ce que d’autres pensent tout bas. Mais cela soulève néanmoins des questions éthiques primordiales ? Est-ce que la vie a un prix et lequel ? Qu’est-ce qui vaut la peine d’être vécu et pas ? Cependant, pour le moment en tout cas, notre vie nous appartient et, à ce titre, nous sommes seuls juges de sa finalité. Quoique. Le suicide assisté étant interdit dans notre cher pays, il veut faire comment, Nicolas ? Laisser les gens mourir de faim ? En fait, en France, on n’a ni le droit de vivre, ni celui de mourir ; c’est kafkaïen et ubuesque. En attendant, avant de dire n’importe quoi, il aurait dû se renseigner. D’après lui, la PCH aide humaine (prestation de compensation du handicap, d’où vient la subvention « accordée(er) malgré tout »), c’est un choix français. C’est faux ! La France s’est inspirée du modèle suédois et d’autres pays européens y réfléchissent. Ensuite, avec ces 150 000 €, j’emploie cinq personnes qualifiées à temps plein, charges comprises ! Dans un pays qui compte plus de 5 millions de chômeurs, ce n’est pas négligeable. Sans oublier que, grâce à cette subvention, j’ai pu entrer dans le monde du travail et fonder mon entreprise, créer des associations et m’engager bénévolement en faveur du droit des bouches apparemment « inutiles » pour ce monsieur, ou encore payer des cotisations et des taxes. Toute vie porte en elle sa propre richesse. Il faut vraiment avoir un handicap physique très léger et très lourd du côté du cœur et/ou de l’esprit, en somme, être très aigri et envieux, pour tenir de tels propos. Et dire qu’il exerce ses talents (avec tous les chômeurs en situation de handicap qu’il y a sur le marché, il peut être heureux) dans une MDPH. En fait, si on apprenait que ce monsieur est sponsorisé par le Conseil général du Bas-Rhin, ça ne m’étonnerait pas ; ils ont une telle soif de faire des économies… À l’instar de tous les CG d’ailleurs.
Pour en revenir et terminer avec le duo corps-sexe, j’ai été effaré d’apprendre qu’en 48 heures 72 mecs ont téléphoné suite à une annonce « coquine » parue dans W-annonce ; ils crèchent évidemment, pour la majorité je suppute, dans un rayon de quelques kilomètres autour du lieu de résidence de la soi-disant responsable de ladite annonce – car elle était fausse et n’avait pour but que de provoquer un harcèlement malveillant. La misère humaine dans toute sa gloire, sa désolation, sa solitude, sa désespérance, sa lâcheté, sa dépravation, sa déchéance et/ou sa veulerie. Le sexe peut rendre fou, mais aussi débile voire méchant. En tout cas, la prostitution a encore de très beaux jours devant elle. Pour certains, plus rarement certaines, il faut peut-être s’en réjouir, pour d’autres, on peut le déplorer. Mais l’interdire serait une grosse stupidité et une utopie. Du reste, dans un article signé Barbara Krief, paru sur le site du Nouvel Obs et intitulé : Pour une majorité de Français, les handicapés sont négligés par l’État (http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20141106.OBS4343/pour-une-majorite-de-francais-les-handicapes-sont-negliges-par-l-etat.html), on apprend notamment que 55 % des Français sont favorables à l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap ; quand bien même ce type d’accompagnement très particulier relève juridiquement de la prostitution. Le vent tournerait-il vers davantage de respect des libertés, y compris sexuelles, de tout un chacun ? On a le droit de rêver. Et après la reconnaissance du droit au mariage pour tous (à quand le droit à l’assistance médicale à la procréation ?), on peut peut-être rêver à une jurisprudence en matière d’accompagnement sexuel ?
En fait, j’ai une conviction : la vie est belle. Mais n’est pas donnée, à personne d’ailleurs, contrairement aux apparences parfois… C’est une rude école de patience, de volonté, d’autonomisation et d’amour. Surtout d’amour.
Et comment la vie ne serait-elle pas belle en ayant la chance de regarder un spectacle de Peter Gabriel ? Ça me paraît impossible après avoir eu ce bonheur-là. Quel magicien de la musique ! Son show est du grand art à tous points de vue : musical, vocal et scénique. Peu lui arrivent à la cheville. L’art de la perfection à l’état pur. Même pour le choix de la première partie. Jennie (Abrahamson) & Linnea (Olson), l’une au xylophone, l’autre au violoncelle, une Suédoise et une Norvégienne, toutes deux également choriste de Peter Gabriel. Avec des voix sublimes. En plus, il y avait le batteur Manu Katché, une pointure dans son domaine. Et puis, apanage des très grands, il a eu l’immense respect de son public en s’adressant à lui en français pour lui donner le programme de la soirée ; de même qu’il a introduit en français sa dernière chanson, dédiée à Steve Biko, et chantée en souvenir des étudiants massacrés récemment au Mexique et de tous les militants de la Terre contre les injustices. Deux heures de bonheur rare ! Depuis le temps que je rêvais de ce moment-là (40 ans !). Tout advient. À quand Mark Knopfler ?
P.S. : il faut voir Marie Heurtin de Jean-Pierre Améris, avec Isabelle Carré parfaite dans le rôle d’une religieuse très fragile et très forte à la fois, pleine d’amour et de conviction lorsqu’elle croise la route de Marie, une adolescente sourde et aveugle, dans une institution religieuse à la fin du XIXe siècle. Elle va l’éduquer, la civiliser, lui rendre toute sa dimension humaine en lui apprenant à s’exprimer et à lire contre l’avis général, mettant au point une méthode qui est toujours utilisée. Le film est passionnant et émouvant. Malheureusement, il est à craindre qu’il fasse un flop, car pas suffisamment commerciale. Pourtant, il est très instructif et nous interroge intelligemment.
Quant à La prochaine fois, je viserai le cœurde Cédric Anger, avec un Guillaume Canet dans son meilleur rôle, glaçant et effrayant à souhait, le film, d’une grande qualité, a perdu beaucoup de son intérêt à cause de la bande annonce montre l’essentiel, gâchant tout le suspense.
[1][1] Essai passionnant de Jacques Ruffié, éditions Odile Jacob.
[2] Dans Être et Temps de Martin Heidegger, éditions Gallimard.