Je ne m’y retrouve pas dans cette société percluse d’intolérances, de discriminations, de doctrines d’un autre temps, de mensonges et de mauvaise foi, sous des prétextes fallacieux et moralisateurs. Non, je ne m’y retrouve pas dans cette société de l’exclusion sans discernement. Mais m’y suis-je jamais vraiment retrouvé ? Non. Clairement non.
Normal, depuis ma naissance, je suis catalogué « anormal » et, comme si ça ne suffisait pas, en plus j’ai une vie jugée « anormale », c’est-à-dire ne rentrant pas dans les cases prédéfinies de la bienséance, du religieusement et du culturellement corrects. Aux yeux de, je vous le donne en mille,… cette société en mal de tout et surtout d’elle-même, je crois. Dieu et Allah ont bon dos, on leur fait dire tout et n’importe quoi depuis des centaines d’années. L’amour du prochain est secondaire dans le champ miné de la rhétorique dogmatique.
Il me semble que nous titubons au cœur d’une indigence intellectuelle et morale particulièrement conséquente pour une société qui se dit ou se pense (si) évoluée. Ainsi en va-t-il du combat d’arrière-garde des opposants au mariage pour tous. Je trouve personnellement affligeants et consternants certains propos entendus pendant la manifestation du 13 janvier. Déplorable que des gens se disant catholiques et pratiquants brandissent de façon aussi ostentatoire et sans le moindre sens du ridicule une foi aussi desséchée, intolérante et sans amour pour son prochain, sans le moindre souci pour l’égalité des droits et pour les libertés individuelles ─ il n’a jamais été question de mariage religieux dans cette affaire, juste de corriger une inégalité au niveau du Code civil. Entre la démagogie et l’idéologie se construit l’exclusion. Il en va de même pour les anti-IVG, anti-arabe et autres anti-par principe et/ou par éducation. Il n’est pas question, à ce stade, d’être pour ou contre quoi que ce soit mais de tolérer et de respecter les choix d’autrui.
On a le droit d’être contre ce qu’on veut, de penser ce qu’on veut, mais pas d’interdire de pratiquer ce qui relève d’un choix personnel et n’entame pas la liberté du prochain. C’est dangereux quelqu’un qui prétend détenir la vérité, qui plus est une vérité écrite (donc subjective) et détournée à des fins partisanes (donc intolérante).
Le plus hallucinant dans tout ça et le plus désolant pour les partisans du « mariage pour tous », c’est que François Hollande a décidé d’inviter Frigide Barjot et sa clique, cautionnant ainsi une homophobie galopante et insidieuse. C’est méprisant et humiliant pour les partisans de la réforme, pour tous ceux et toutes celles qui se battent pour le respect des libertés et l’égalité des droits. Il va inviter des intégristes de bazar noyautés par les papistes et autres intégristes catholiques purs et durs, les descendants de ceux qui ont brûlé Jeanne d’Arc, orchestré l’inquisition, converti tous ceux qui n’avaient pas une couleur de peau et des pratiques religieuses très catholiques, j’en passe et des meilleurs. Alors même qu’il n’a pas eu un mot pour les personnes homosexuelles et leurs familles qui n’ont pas arrêté d’encaisser des quolibets, des mensonges et autres contrevérités. La décision de François Hollande me paraît donc être une faute grave qui risque de laisser des cicatrices. Ça ressemble à du « je vous ai compris » mais je ne peux rien faire car je me suis engagé « en dépit de mon plein gré » de très mauvais goût. Pourtant, j’ai croisé un éditorialiste (Renaud Dély du Nouvel Observateur) pour avoir une autre analyse, pas forcément plus juste ou plus fausse ; complémentaire ? Tous les goûts sont dans la potée démocratique et tant mieux.
Quoi qu’il en soit, c’est quoi cet « amour » aveugle dogmatique jusqu’à l’écœurement ? Cette pensée unique et inique qui voudrait s’imposer à tous. L’amour n’est pas une doctrine. Il est multiple et singulier. À ce titre, il ne peut vivre que s’il est libre. Il ne peut respirer, s’épanouir et s’exprimer que s’il n’est pas endoctriné, régenté, contingenté et contraint.
Ainsi, dans mes deux précédents billets d’humeur, j’avais évoqué ma rencontre avec Jill, son travail très particulier et notre amour. Depuis, par amour, Jill a décidé très vite, me surprenant moi-même, d’arrêter d’être escort-girl et assistante sexuelle. Par amour ! Et il en faut pour prendre une telle décision. En effet, passer du jour au lendemain de revenus mensuels de plusieurs milliers d’euros au RSA, c’est-à-dire d’une aisance certaine à la « pauvreté » (je mets des guillemets car il y a aussi mes revenus), ce n’est pas rien comme décision. Même si elle est portée par l’amour. Car ce choix va l’obliger, pour rester financièrement autonome, de retrouver un travail « convenable » et… mal payé, au moins le temps de trouver sa voie. Celle qui lui permettra de s’épanouir et réaliser. Mais sur ce chemin elle ne sera pas seule…
Elle a préféré l’exclusivité à la liberté sexuelles. Elle ne voulait plus se donner, même pour beaucoup d’argent, à d’autres hommes, y compris « handicapés ». Pour ma part, j’avais accepté sans difficulté son activité « pas très convenable » ; comment aurait-il pu en être autrement si j’éprouvais vraiment de l’amour pour elle ? Comme j’ai accepté sans hésitation sa décision d’arrêter son travail du sexe ; comment aurait-il pu en être autrement sauf à vouloir la maintenir sournoisement dans la vente et l’exploitation de ses charmes, et à négliger tout l’amour qu’il y a dans son geste ?
Mon amour n’était pas conditionnel. Et le sien a désormais quelque chose d’inconditionnel. C’est le genre d’amour que l’on n’a pas envie de décevoir. Que je ne veux pas décevoir.
Un tel geste est à mes yeux bien plus qu’une preuve d’amour. Quel don ! J’ai été profondément touché. Bouleversé.
Évidemment, cela n’empêchera pas les grincheux, les atrabilaires, les fatalistes, les coincés du bulbe, les perclus de principes et autres angoissés existentiels, de le juger, dénigrer, disséquer et/ou cataloguer, cet amour en dehors des clous, de la normalité voire de la décence. L’être humain est ainsi fait que, souvent, trop souvent, il préfère entraver, fustiger ou sermonner ce(ux) qu’il ne comprend pas.
Par manque d’amour ? De soi-même et/ou de l’autre, du différent trop semblable pour être ignoré ?
Je ne sais pas. Je sais simplement que nous sommes libres, Jill et moi, car nous osons prendre le risque de vivre, donc de nous tromper. Mais nous tromper sur quoi ? Sur la durée de notre relation ? Liberté ne se conjugue pas avec sécurité et qualité ne se conjugue pas avec quantité. Entre six mois de bonheur à deux, intense et à la lisière d’esprits réprobateurs, ou cinquante ans à se côtoyer ou à se supporter côte à côte, je n’hésite pas. Nous n’hésitons pas. Pourtant, à en entendre certains, c’est ridicule de s’engager dans une relation amoureuse que la différence d’âge va beaucoup écourter, c’est délirant de penser peut-être faire un jour un enfant avec un homme qui ne vivra pas assez vieux pour le voir grandir, etc.… Car statistiquement il est dit… Que la vie et l’amour s’en foutent des statistiques. Les statistiques sont faites pour les frustrés et les anxieux.
Dans ma longue vie, j’ai au moins appris une chose : être libre et autonome a un prix. Il faut oser. Depuis longtemps, je n’attends plus les trains, je les prends, car je veux vivre et aimer sans calculer ni regretter, ni attendre. Attendre qui ou quoi d’ailleurs ? De mourir ? Le bon moment ? Mais c’est quand le bon moment ? Pour certains jamais à force d’attendre ? Je suis né pour vivre pas pour survivre. Jill de même. Nous avons décidé de vivre ce que nous avons à vivre. Par amour. De nous aimer aussi longtemps que la vie à deux nous aimera. Le plus longtemps possible bien sûr, comme tout le monde je suppose.
Et, contrairement à ce que pensent les donneurs de leçons et les détenteurs de vérité aux principes bien arrêtés, cela ne nous empêche pas d’être lucides. Ni d’avoir peur (la peur aiguise la lucidité).
Par exemple, Jill se demande si ça ne lui manquera pas de ne pas changer de partenaire et de ne plus être tenue, caressée par des mains, serrée par des bras ? Interrogations on ne peut plus légitimes et lucides. Essentielles pour faire vivre un amour, qui plus est atypique. Moi aussi, je me suis demandé si je pouvais l’entraîner dans une telle aventure, si elle n’était pas trop jeune pour moi, moi qui auparavant ne comprenais pas de tel couple et m’étais toujours refusé à l’idée de succomber un jour à un tel amour inconcevable ? Elle non plus n’avait jamais imaginé un seul instant devenir follement amoureuse d’un homme ayant 30 ans de plus qu’elle et très handicapé physiquement par-dessus le marché. Si je saurais la rendre heureuse ? Ou encore si je ne me lasserais pas de revenir à la monogamie après deux années de liberté ? Voire si j’étais prêt à envisager de redevenir père « à mon âge », alors que je ne le voulais plus depuis 20 ans et que je ne le comprenais pas avant elle ? À ma grande surprise, j’étais prêt à prendre un virage à 360°, dans bien des domaines. Pourquoi ? Pourquoi avec elle ? Les mystères de l’amour sont impénétrables.
Mais en être conscient est une chose, renoncer à un amour (ou quoi que ce soit d’autre) pour éviter une désillusion ou pour rester docilement dans les rangs, en est une autre. Qui peut savoir de quoi demain est fait ? Personne. Donc autant aller voir soi-même. Et ainsi grandir un peu plus en apprenant un peu plus et en se découvrant de mieux en mieux. Ainsi, on se trouve des ressources souvent insoupçonnées et on croise des chemins inattendus.
L’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas, prévient un dicton frappé au coin du bon sens. Nous sommes tous à la fois la Belle et la Bête de l’autre, comme me le disait aujourd’hui un très cher ami psychologue, de façon beaucoup plus subtile et enflammée que moi… Et comme il a raison. Nous sommes tous ombre et lumière… Le savoir et le reconnaître éviterait peut-être à certains de tomber dans la marmite du prêche dogmatique et exclusif ? Qui sait.
Par amour tout est possible. Même l’impossible. La vie n’est faite que d’adaptations et de concessions.
Par amour, on pourrait aisément admettre et côtoyer toutes les différences, toutes les singularités, tous les cultes respectueux du prochain et tous les types de mariage, entre autres. Par amour…