Il y a des périodes où on a l’impression de ne plus voir le bout du tunnel, où tout vous agace, vous énerve, vous horripile, où vous avez envie de tout envoyer bouler, voire de massacrer. Où la sérénité et la sagesse sont aux abonnés absents. Ça vous arrive ? C’est mon cas en ce début d’année. C’est tellement rare que c’est surprenant. Pour les autres.
J’ai 59 ans. 59 ans ! Déjà ou seulement ? Ni l’un, ni l’autre. Chaque année est un plus, jamais un moins, une victoire sur la vie, cette vie que d’aucuns m’avaient prédit très courte… Dans ma tête, j’ai le sentiment d’être éternel. Dans mon corps, c’est une autre affaire. Si la première ne cesse de rajeunir, le second commence à sérieusement regimber sous les usures du temps, c’est-à-dire d’un vieillissement physiologique naturel. Si ce n’est que certaines pathologies compliquent cette décrépitude inéluctable et donnent des résultats pas vraiment réjouissants. S’adapter. La vie n’est faite que d’adaptations. J’ai étrenné cette nouvelle année en croulant de la tête aux pieds sous les doux termes en « ite » ─ il y a des cycles ainsi où tout s’accumule ─ mais la vie continue, dans le style tant bien que mal, bon an mal an, à cœur vaillant rien d’impossible et, sauf exception, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. En fait, c’est comme si j’empilais les problèmes pour en être débarrassé le reste de l’année. Si c’est le cas, je fais volontiers contre mauvaise fortune bon cœur. On en reparle dans dix mois. Réanimation, respiration et suffocation sont le tiercé gagnant de cette course d’obstacles très particulière. Mais formulé de cette façon, ce n’est pas très évocateur. Du genre : certes, soit et alors ? Angoisse, épuisement, stress et envies suicidaires, dans les phases paroxystiques − celles où on est prêt à renoncer de respirer tant c’est invivable −, gesticulent dans une arène endiablée. Toutefois, que les rabat-joie fatalistes se rassurent, il est possible de « vivre » des enfers heureux. Très heureux même. La vie peut être à ce prix, je crois. Et la liberté donc. Cette vie dont je connais le coût depuis des lustres ; c’est une bonne école un handicap de naissance, on y apprend à endurer (en tout cas moi), à relativiser et à apprécier les moindres petits moments d’accalmie et de luminosité qui s’offrent à vous. Ce qui explique qu’au fil du temps et des freins, j’ai appris à la défendre et à les savourer avec détermination, ma vie et ma liberté ; les freins sont une stimulante litanie existentielle pour s’octroyer des libertés en gagnant du temps sur le temps, pour cesser de tergiverser et oser sa vie. Le bonheur est à ce prix. Nonobstant le fait que je suis très mal placé pour me plaindre : je suis inspiré par de grands enfants irremplaçables, une jeune femme irremplaçable, des amis irremplaçables, un parcours de vie irremplaçable et des expériences irremplaçables car toujours, à leur manière, uniques.
En tout cas, quoi qu’il arrive, surtout ne pas renoncer à son espace de liberté, aussi restreint puisse-t-il paraître, et refuser d’être un assisté irrémédiable, sauf à être prêt à vendre son âme à la commisération. Cela nécessite certes une volonté inflexible et une foi indéfectible en sa vie et en soi, mais quelle sensation de liberté au bout du compte. La liberté, comme la vie, ne se bradent pas. Faute de quoi elles perdent tout sens profond et créateur. L’éthique du moins-disant n’a jamais épanoui personne. C’est une chance d’avoir la force et la volonté de les défendre jusqu’au dernier souffle.
Par exemple, un de mes accompagnants vient de me quitter à la fin de sa période d’essai. Judicieuse décision de sa part. S’il ne l’avait pas prise, je l’aurais licencié, à bout de nerfs. Hormis ses tocs assez « originaux », le quidam, qui se revendique antisystème − refusant entre autres toute forme d’astreinte prolongée, telle que travailler huit heures par jour, cinq jours par semaine (ce qui est son droit le plus strict mais explique bien la suite) −, a passé les trois mois à manger à longueur de journée, à dormir dès qu’il y avait un moment, c’est-à-dire dès qu’il pouvait s’éclipser tel un voleur, comme piqué par une mouche tsé-tsé, et à faire son boulot avec désinvolture et mal en général, ne se souciant guère de respecter son engagement contractuel à mon égard ni des répercussions sur ses collègues se retrouvant devant ses tâches négligées ; de telle sorte qu’il m’a semblé totalement dénué d’une conscience professionnelle élémentaire, ou alors elle n’a pas été évidente à déceler. Pire, les règles d’hygiène basiques lui sont passées par-dessus la tête, j’ai eu beau l’alerter régulièrement − une hygiène déplorable dans le cadre d’un tel travail peut avoir des conséquences graves −, je parlais dans le désert. C’est un genre de parasite égoïste et égocentrique planant et paresseux congénital (ou d’une fatigabilité anormale) qui pourrit l’ambiance dans une équipe, tout en se décrivant lui-même benoîtement comme étant fainéant. En plus, malgré ma demande, il filait se coucher sans même me prévenir, se goinfrait sans demander ni informer quiconque, suscitant des tensions et des exaspérations car les stocks de nourriture se vidaient aux dépens des autres, et toujours en douce, à l’instar d’un gamin pris en faute. Est-ce un refus de payer le prix de la vie ? De devenir adulte ? Et sa liberté antisystème, en est-elle vraiment une ? Je ne voudrais pas et je ne pourrais pas vivre ainsi, avec aussi peu de souci de mon prochain, d’authentique intérêt empathique pour autrui, j’aurais l’impression de vivoter, d’exister au rabais. En outre, détail très révélateur et qui me consterne particulièrement, il est d’une inculture totale et assumée, voire proclamée, par flemmardise. Or, à mon sens, la culture c’est la vie, le plaisir, l’ouverture d’esprit et à l’autre, aux autres, le fondement même de toute liberté. Refuser de se cultiver, c’est se couper implicitement de son environnement et de la Vie.
Une amie journaliste fustigeait l’autre jour l’emploi galvaudé du terme « valeur », employé à toutes les sauces et à tort et à travers, d’après elle. Soit. Mais qu’en est-il de l’empathie et de l’éthique dans ces conditions ? Que peut être une société sans empathie ni éthique humaniste, sociale, spirituelle et politique ? Une société où le sens de l’effort se résumerait à du chacun pour soi et après moi le déluge. C’est ce que j’appellerais de l’irresponsabilité civique et sociale.
Néanmoins, pour être complet, je me dois de préciser que le bonhomme, sous ses allures de clodo, est quelqu’un d’affable et d’un abord agréable et sympathique, il faut une fréquentation régulière et prolongée pour découvrir l’envers du décor : c’est-à-dire un zozo irréaliste, naïf ?, inconscient, irresponsable, glandeur, lymphatique, nonchalant et asocial, profitant largement d’un système qu’il rejette. Dire qu’on fustige les étrangers qui sont accusés de tous les maux, dont celui de vivre à nos crochets…
Et comme si cela ne suffisait pas d’avoir à me coltiner un tel olibrius, il y en a un deuxième, du même âge, ayant un sens de l’hygiène aussi déplorable, un souci très étique de respecter les règles contractuelles et, par la même occasion, ses collègues, capable lui également de faire la moitié de son travail et de s’installer en toute quiétude dans le canapé pour passer des heures à pianoter sur son téléphone portable, dans mon dos. Avoir tellement peu d’éthique et de sens de ses responsabilités me consterne et m’afflige au plus haut point. Le plus désolant, c’est que je suis convaincu qu’il n’y a aucun calcul dans son comportement, il est totalement inconscient de son inconséquence et de son manque de professionnalisme, il est simplement très laxiste et n’a que peu le goût du travail bien fait ; le rapport à la propreté et au sens des responsabilités ne font pas non plus partie de ses « valeurs » spontanées.
Je pense qu’il n’y a nul cynisme ni aucune malveillance chez ces deux personnes, juste de l’inadvertance, de l’insouciance et de l’immaturité. Pour autant, c’est ce qui les rend maltraitants. De ce fait, ils font de l’accompagnement mais ils ne sont pas accompagnants, au sens profond du terme, parce que la conscience de soi prédomine chez eux sur la conscience de l’autre, me semble-t-il. Ils ne voient jamais à mal mais ils font mal du fait de leur attitude indolente ou je-m’en-foutisme et de leur manque d’investissement personnel.
Impossible de se reposer sur de tels accompagnants et de se sentir en sécurité avec eux. À vrai dire, dans ces circonstances, je pense embaucher des adultes consciencieux et je me retrouve à devoir constamment recadrer des gamins inconsistants. C’est désespérant, exaspérant et très épuisant à la longue. Mais sans issue. Car, après eux, il y en aura d’autres, comme il y en a déjà eu avant eux. C’est le lot commun de toute personne en situation de dépendance vitale que de croiser régulièrement de tels personnages. À la seule différence que, contrairement à beaucoup de mes congénères, j’ai les capacités et la force de me défendre. C’est le prix d’une vie autonome et libre. De ma vie. Et celle de ma compagne, désormais.
Deux cas aussi extrêmes ne sont malheureusement pas exceptionnels dans un milieu médico-social et sanitaire où la misère humaine côtoie la misère humaine et la phagocyte, tels des vampires sociaux ou des sangsues de l’assistanat, sans le moindre scrupule. Pour se faire du fric, tout est bon et, dans ces milieux largement sous-payés, de telles personnes le sont encore trop. On n’a pas idée de la maltraitance psychique et nerveuse qu’elles induisent, volontairement ou non, sous le sceau du silence, de la fatalité et de la résignation. Ces métiers représentent une vraie manne pour de tels travailleurs inaptes ou en recherche de planque car très peu empressés à bosser en usine ou en entreprise. D’autant plus dans une société où le sens du travail bien fait ou, a minima, correctement fait et le respect des engagements contractuels est quelque chose qui se délite. Moins j’en fais et mieux je me porte. Hélas, ils n’ont pas grand-chose à craindre, il y a une telle pénurie dans ces professions que les présélections sont très poreuses. Trop souvent à mon goût, l’autre ne vaut plus que le prix de sa propre tranquillité.
Mais qu’on se rassure, il y a également dans les milieux du médico-social et du sanitaire des êtres impressionnants de professionnalisme et d’humanité. J’en rencontre assez régulièrement. Ça rassure et ça permet de continuer à espérer en l’humanité et en l’humanisme. Merci Marie, Yannick, Aline, Emma, Éric, William et Lesly, pour ne citer que les plus marquants qui ont fait un bout de chemin à mes côtés, ces douze dernières années. Ce sont des personnes avec lesquelles j’ai travaillé ou je travaille encore les yeux fermés, sur lesquelles j’ai pu me reposer en toute confiance car, non seulement, le boulot était fait et bien fait, l’investissement et les prises d’initiatives réelles mais, en plus d’une éthique irréprochable, il y avait ou il y a une authentique complicité et une affection réciproque inestimables.
La morale se perd dans un pays aussi moraliste que la France. Et on parle de liberté. Et on parle de « foyer de vie ». Et on parle du respect de la parole donnée. Et on parle d’éthique, de sens, de solidarité, de fraternité. On parle, on parle, on parle. Pour mieux noyer le poisson d’un égarement socioculturel et faire du vent, à l’image de la majorité de nos élus. Il est temps d’agir, de s’engager et d’oser. Trop de bla-bla tue la parole, comme trop de non-dits tuent le sens.
Nos dirigeants sont de pathétiques opportunistes-arrivistes et des parangons de fatuité. Des hommes et des femmes prêts à vendre leur âme pour conserver leur pitoyable pouvoir et s’abreuver des ors de la République, en essayant de nous enfumer avec une langue de bois politicienne, donc ambiguë et hypocrite, qui ne trompe plus grand monde. Duflot, Taubira (qui m’a bien bluffé lors de son passage sur Mediapart et bien déçu depuis la conférence de presse de son patron), Montebourg et Hamon, pour ne citer qu’eux, en sont l’illustration la plus criarde et la plus désolante, la plus désespérante aussi. Nous ne sommes plus dans le compromis mais dans une compromission détestable. À l’instar de Jacques Dutronc, la main sur le cœur, ils pourraient entonner en chœur : « Je retourne ma veste toujours du bon côté ». Tout et n’importe quoi est bon pour justifier qu’on ne démissionne pas d’un poste de ministre quand bien même le président de la République piétine les « valeurs » que soi-disant on défend ; en cela, je rejoins mon amie journaliste car je commence sérieusement à penser que les valeurs, notamment en politique, c’est comme la confiture, moins on en a plus on les étale. Pendant ce temps, une certaine démocratie part à vau-l’eau. La liberté a un prix que très peu semblent disposés à payer, ai-je le sentiment. Mais que savent-ils de la vie, ces prédateurs du pouvoir ? La bonne conscience à bas prix a le vent en poupe. Quant à la vie, celle des autres, des citoyens de basse caste, elle est soldée toute l’année, excepté en période d’élections. On se contente de déplorer, la main sur le cœur, la mort d’une fillette de 8 ans dans un bidonville de la région parisienne. Ça ne mange pas de pain et ça permet de garder sa bonne conscience pour soi, tout en évacuant toute idée de politique sociale intégratrice digne de ce nom. Au fait, maintenant qu’il est seul notre président, il pourrait peut-être accueillir quelques SDF ou familles sans logement décent dans son grand palais de l’Élysée ?
En parlant du prix de la vie, vous rappelez-vous qu’en novembre, avec une petite délégation des Handignés, nous avions été reçus dans le salon bleu de l’hôtel de Marigny ? Depuis, silence radio, très certainement à cause de la NSA. De ce fait, j’ai envoyé un petit courriel aux deux femmes si « compréhensives » qui nous avaient reçus, afin de prendre des nouvelles au sujet de l’avancée de nos revendications. Où en sommes-nous trois mois après ? Eh bien, je vous le donne en mille… Nulle part. Ça fait trois semaines que j’attends une réponse qui ne vient pas. Internet doit être en panne gouvernementale. À moins que ce soit trop difficile de répondre que rien n’a avancé et n’est prêt à avancer dans des temps proches, voire avant la saint-glinglin. Donc, plutôt que de répondre par des formules sibyllines et jésuitique ou d’annoncer avec délicatesse que vous pouvez crever la bouche ouverte, tout en étant fort marri « mais l’austérité c’est pour tout le monde », on ne répond rien. C’est beaucoup plus simple. Il est des sphères où la vie d’un être humain vaut que dalle, juste le coût d’une carte de sincères condoléances, et encore. Il y a urgence vitale mais le bas peuple est au clou. On est en train d’appauvrir généreusement la classe moyenne mais la politique d’austérité brame. Le plus prépondérant, après tout, c’est que notre honorable président de la République, le gouvernement, les fonctionnaires d’État et tous nos parlementaires se portent à merveille. Le navire coule mais tant que l’équipage reste droit dans ses bottes de marins de pédiluve, pas de quoi s’inquiéter et encore moins de se plaindre. Non ? Quel courage ! Quelle exemplarité ! Quel stoïcisme ! Quelle cohérence ! Quelle dignité ! Quelle compétence ! Cela mérite bien d’être grassement rémunéré ou indemnisé. Et, vu sous cet angle, la France du bas est sacrément ingrate devant autant d’audace et d’abnégation ! À commencer par moi… Qui sait bien que la vie et la liberté ont un prix que certains ne sont pas pressés de débourser, préférant essayer de nous rouler dans la farine avec une rhétorique insane… ou de jouer à l’autruche et à « courage fuyons », comme dans le cas de la PMA ou AMP (assistance médicalisée à la procréation) pour les spécialistes. Une lâcheté et un reniement piteux de plus à mettre à l’actif de notre chef d’État (major) qui préfère baisser pavillon que d’affronter quelque 80 000 moralistes à l’idéologie cathobobo obscurantiste. Un renoncement à la vie et à l’amour indigne dans une société censée être évoluée. Tout ça parce que l’AMP serait accordée à des femmes seules ou à des couples de femmes. Ça gêne qui, à part ces intégristes coincés du cul et du reste ? Tant qu’on y est, pourquoi on n’interdit pas les couveuses ou les respirateurs ? Parce qu’elles ne sont pas très naturelles, ces machines (sans assistance respiratoire ça fait 40 ans que je serais ad patres), qui sait peut-être qu’elle contrarie profondément Dieu ? De même que l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté doivent Le mettre hors de Lui. C’est sûr que ça doit terriblement Le courroucer, Le contrarier, Dieu, Lui qui adore voir l’humain se tordre de douleurs et de souffrances physiques et/ou psychiques. Le Paradis se mérite… ici-bas. En attendant, la vindicte de Dieu promise à cor et à cri par ces prédicateurs stériles, on l’attend toujours.
Contrairement à l’intelligence, je crois que la bêtise n’a pas de limites. On l’oublie trop facilement. Heureusement, la vie et la liberté sont inestimables, c’est ce qui permet d’espérer qu’elles auront, tôt ou tard, le dernier mot.
Inch Allah, comme dirait Dieu ou à Dieu vat, comme dirait Allah. Rien ne vaut une intolérance urbi et orbi.
Pendant ce temps, les ukrainiens, les Bosniaques et les Croates se révoltent. La Bosnie-Herzégovine et l’Ukraine se soulèvent contre ses élus, ses édiles, allant jusqu’à renverser le président Ianoukovitch. Des peuples se déchaînent contre tous les politiciens ou politicards de leurs pays, au prix du sang pour certains. Même si la violence est regrettable dans ce type de soulèvement, à l’instar de toute violence du reste, comment ne pas les comprendre ? Car elle n’est probablement qu’à la hauteur du ras-le-bol, de l’exaspération et du sentiment d’abandon, de mépris, d’indifférence et de suffisance avalés depuis trop longtemps. Cela ne signifie pas qu’on est nécessairement dupe des probables récupérations en sous-main de cette révolte, de la part de calculateurs cyniques qui savent tirer profit du courage du peuple pour récupérer le bébé, une fois accouché, comme ce fut le cas durant la révolution française. Il n’y a pas d’omelette sans casser d’œufs…
De là à penser que les pauvres, les laissés-pour-compte, en France, sont encore trop nantis pour oser s’insurger, se dé-chaîner contre une politique socio-libérale qui les exploite avec une morgue présomptueuse et les pressure sans barguigner, au nom de la crise et du bon droit régalien. Comment peut-on rester impavide, atone et aphone face au saccage de notre héritage social ? Comment ne pas se demander si François Hollande n’est pas un usurpateur ? S’il est encore à sa place, lui qui est si inconsistant et indifférent au mécontentement du peuple ? À quand un « nouveau printemps » en France ?
Parce que, par chez nous, on croise désormais des SDF qui travaillent, comme me l’a raconté ma fille bénévole dans l’association Abribus. On y offre à manger à des ouvriers qui dorment où ils peuvent, étant donné qu’ils sont trop pauvres pour supporter un loyer et pour se nourrir décemment ! Vous croyez que ça les émeut là-haut ? Vous imaginez ce qu’on pourrait faire avec les réserves parlementaires (plus de 80 millions d’euros à partager) pour tous ces pauvres plutôt que « d’acheter » ses électeurs potentiels ? Vous avez dit démocratie ? On se croirait sous la monarchie avant la révolution, avec beaucoup moins d’éclat apparent, quand même. Sauf qu’il n’y a personne (pour le moment ?) qui soit susceptible de renverser cette royauté surannée et réclamer à toute force une VIème République. De toute façon, me direz-vous, pour le remplacer par qui ? Vous voyez une femme ou un homme politiques de la carrure d’un De Gaulle, une femme ou un homme qui vaille la peine qu’on y croie ? Personnellement, personne à l’horizon, juste bonnet blanc et blanc bonnet, le ridicule en plus pour faire bonne mesure. Je ne suis pas du genre nostalgique mais je cherche quelqu’un(e) qui ait de l’envergure et du génie politique, pas un métronome insipide.
Fréquemment, je suis contacté par des hommes en situation de handicap qui ont entre 25 et 45 ans. Ils aimeraient bénéficier d’un accompagnement sexuel, ils répondent aux critères pour y prétendre. Et puis, tout aussi brusquement, ils se rétractent, font marche arrière à cause de… maman. « Je ne peux pas faire ça à maman. » « Maman n’acceptera jamais. » « Maman ne comprendra pas. » Maman par-ci, maman par-là. Certaines de ces personnes sont sous tutelle de leur mère : « Il faut que je demande l’argent à maman, je n’ose pas. » Quand bien même maman ou n’importe quel autre tuteur serait dans l’obligation de donner cet argent puisque la vie intime, affective et sexuelle, n’entre pas dans le champ du tutorat. Mais la peur est plus forte, qu’elle soit avérée ou non ; dans la plupart des cas, ces hommes n’ont jamais abordé directement, ou même indirectement, le sujet avec leur mère, montrant bien le nœud coulant affectif qui se tisse entre le tandem mère/fils, a fortiori lorsqu’un handicap vient compliquer la relation. Donc, on s’abstient, on refoule, on se frustre à cause de maman ou, plus simplement, par manque de courage et d’affirmation de soi. C’est dommage. C’est triste. La vie et la liberté ont un prix. Encore faut-il avoir la force, le courage et la volonté pour se libérer de telles chaînes affectives ? Cette vérité est valable pour tout le monde, y compris et peut-être surtout pour les personnes « handicapées ». Sans le courage d’affronter et d’assumer cette vérité, on se condamne à la double peine. Elles se condamnent à la double peine, à un surhandicap supplémentaire. Comment les aider ?
Après ça, libre à vous d’aller voir Ida de Pawel Pawlikowski, un sublime film en noir et blanc montrant les ambiguïtés et les abjections d’une Pologne méconnue pour la plupart d’entre nous, en suivant les pas de deux femmes à la recherche de leur passé et de leur avenir. La liberté et la vie passent aussi par l’exhumation d’un certain passé quelquefois. Pour se rendre compte que, au final, la vie et la liberté ne sont peut-être pas là où on les attend…
Et aussi Gloria du Chilien Sebastian Lelio, un autre film magnifique qui, lui de même, repose et décrit la trajectoire d’une femme touchante et attachante. Gloria a 58 ans et, dans un Chili actuel, elle cherche l’amour et la vie désespérément autant qu’avec acharnement ; l’actrice Paulina Garcia est époustouflante dans ce rôle omniprésent. « Deviens un homme ! », lance-t-elle au type lâche et faible qui lui disait l’aimer. Ainsi que tous les hommes qu’elle rencontre dans des boites de nuit pour désœuvrés.
SiIda trouve finalement la vie et la liberté dans la prière et la méditation, le mouvement intérieur en somme, Gloria les trouve dans la danse, le mouvement extérieur, le seul qui lui permette d’exprimer toute son énergie vitale et sa volonté d’exister. Car ces deux femmes sont vivantes au milieu de morts-vivants qui sont incapables de payer le prix de la vie et de la liberté.
Le soleil est resplendissant aujourd’hui. C’est un soleil d’hiver printanier. Un soleil régénérant et revitalisant. Un soleil qui distille la vie à profusion. Je respire mieux depuis quelques jours. C’est progressif mais réel et encourageant. Les maux en « ite » se résorbent sans rechigner. La sérénité et la sagesse reviennent. L’espoir reprend le dessus sur les doutes et les interrogations protéiformes. Je revis. Intense bonheur plutonien. Il est bien plus facile de vivre et de renaître auprès d’une femme lumineuse que dans la solitude d’une existence nonsensique et abstruse. Qu’il devient soudain futile de perdre mon temps à m’agacer, à m’énerver et à m’horripiler vainement. Il est urgent d’envoyer bouler tout ce qui n’est pas la vie et l’amour. Tout ce qui bride insidieusement la liberté, à commencer par cette politique politicienne insipide et sans espoir ni panache. Alors que l’amour en a tellement à mes côtés…