Le 7 novembre va paraître aux éditions Autrement Je veux faire l'amour.
Pourquoi ce livre fruit d'un an de réflexions et d'expérimentations ?
J'ai fait ce « travail »car, l'année dernière, j'en avais par-dessus la tête d'une certaine hypocrisie et de pas mal de lâchetés, voire d'une certaine inhumanité, en ce qui concerne le sujet brûlant « sexualités et handicaps ». C'est beaucoup trop facile d'exhorter à la patience les « pauvres handicapés », de leur donner des conseils bidon, de déverser sur eux une compassion hypocrite, tout en hurlant au loup dès que l'on parle d'accompagnement sexuel, pour surtout ne rien faire au nom d'une morale aux principes rigoristes. Dans ce dossier, certes très sensible, je déplore particulièrement l'engagement mollasson (et c'est un euphémisme) de la part des associations censées plaider en faveur de l'accompagnement à la vie affective et sexuelle pour les personnes en situation de handicap. D'avoir pris mes distances avec le milieu associatif m'a laissé toute liberté dans l'écriture de ce livre. J'ai repris ma liberté de parole et d'action car j'étais lassé du bla-bla ambiant stérile afin de protéger ses arrières ou je-ne-sais-quoi, au risque de faire du surplace ou d'avancer à très petits pas. En quoi j'ai eu raison, rien d'enthousiasmant n'ayant germé depuis. Du moins rien qui bouscule les consciences, excepté une pétition (que j'ai signée) qui n'a pas changé la donne.
Mais quid de ce nouveau livre ?
Je ne sais si vous vous rappelez que, durant le premier trimestre 2011, dans certains milieux plutôt vindicatifs, on avait décidé d'entonner le hallali de l'accompagnement sexuel, avec l'aimable soutien exalté et consternant de Roselyne Bachelot, la désormais chroniqueuse à 20 000 € de D8 (une autre façon de vendre ses appas, non ?). À cette occasion, on a entendu tout et n'importe quoi sur ce sujet difficile, délicat et si humaniste. Notamment de la part de Roselyne qui s'entraînait sans doute pour sa future activité de chroniqueuse sur le retour…
Les picadors de l'accompagnement sexuel proclamaient entre autres, avec du trémolo dans la voix et une larme à l'œil, que les personnes « handicapées » avaient droit à l'amour « comme tout le monde », que c'est ce qu'elles voulaient et vers quoi il fallait les encourager à aller, plutôt que de revendiquer l'accompagnement sexuel. OK. Je les ai donc pris au mot. Je me suis inscrit sur une dizaine de sites de rencontres pour voir quelles réactions allait susciter mon handicap auprès de la gent féminine en mal de tout ou en recherche d'escapades sexuelles (ça tombait bien, j'étais disponible).
Je n'ai pas été déçu du voyage. Par contre, nombre de personnes « handicapées » n'en seraient pas ressortie indemne, tant la violence du rejet est fréquemment terrible. Par exemple, j'ai voulu m'inscrire sur Attractive World, le site de rencontres qui se dit ouvertement élitiste. Ayant un CV « honorable », je devais normalement rentrer dans les clous sans difficulté. Que nenni. Ma candidature a été rejetée pardeux fois. Par conséquent, j'ai refait une troisième tentative mais, cette fois, en mettant la photo d'un de mes accompagnants plutôt beau garçon, tout en gardant bien sûr le même CV. Et qu'est-il arrivé ? Ma candidature a été aussitôt acceptée. Seulement, une fois dans la place, j'ai remis ma propre photo et… trois jours plus tard, on m'a fermé le site. Pour le webmaster, que j'ai contacté, ce n'était pas de leur faute, c'étaient les abonnées qui avaient décidé de me fermer la porte de façon arbitraire (alors que j'avais déboursé 59 € de droits d'entrée pour trois mois). Bien sûr, c'était un grossier mensonge ! Vous avez dit discrimination ? Quelle médisance !
C'est ce voyage sur le net, dans le monde de l'apparence et des préjugés, que je raconte. Mais pas que…
J'ai également testé une autre solution que l'accompagnement sexuel. En l'occurrence faire appel à des escorts-girls ou des escorts-boys indépendants et volontaires. Donc des personnes travaillant librement avec leur corps et leur sexe mais qui ont rarement affaire à des clients « handicapés ». Et là encore l'expérience a été significative et prometteuse. En effet, si sur 10 rencontres, à l'exception de la dernière, toutes les prestations ont été très décevantes et frustrantes, la plupart de ces femmes ont néanmoins confirmé qu'elles pourraient devenir de très bonnes assistantes sexuelles, si elles étaient dûment formées aux différents types de handicap et à leurs spécificités ; ainsi, l'une des escorts, une fois dans ma chambre, est restée scotchée 10 secondes devant mon lit, m'a dit : « J'ai juste quelque chose à faire, je reviens. », et n'est jamais revenue…
De plus, cette expérience et mon adhésion au STRASS m'ont confirmé qu'il y a des travailleurs et des travailleuses du sexe qui font cette activité autant pour le plaisir que pour l'argent, même s'ils sont minoritaires, n'en déplaise à certains et certaines ; c'est leur choix et nous avons le devoir de le respecter et de protéger ces personnes.
Quant à moi, la conclusion du livre montre que tous les espoirs sont permis, à condition d'avoir confiance en soi, d'oser, et de respecter son prochain (sa prochaine ?). Mais cette conclusion n'en atténue pas moins l'urgence à mettre en place un accompagnement sexuel parfaitement encadré afin d'apaiser des souffrances iniques, de mon point de vue.
Dans le même registre, le 2 octobre 2012, une poignée de sénatrices et de sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à l'abrogation du délit de racolage public. Une démarche intelligente. Depuis 2003, le délit de racolage a montré son inefficacité et ses effets néfastes sur les personnes qu'il était censé protéger. D'autant que la notion de racolage est on ne peut plus subjective. C'est comme le délit de faciès, ça dépend de l'humeur et de l'éthique du flic. L'abrogation de ce délit ouvrirait peut-être la porte à un assouplissement du positionnement à l'égard de l'accompagnement sexuel de la part de certains élus ?
Et puis, toujours dans le registre du sexe pour tous, avez-vous remarqué, d'une part, le nombre croissant de chroniqueuses du sexe un peu partout dans les médias et, d'autre part, cette information hallucinante : un jeune américain (la vingtaine) sur six prend régulièrement du Viagra. Vous me direz quel est le lien entre les deux ? J'y viens.
C'est parfait que les femmes parlent de sexe. C'est une évolution sociétale essentielle. Mais c'est tout de même interpellant, en tout cas en ce qui me concerne, de voir cette profusion d'articles et de billets d'humeur sexologiques proposée par des femmes (sur les sites médiatiques que je fréquente, je n'ai pas encore rencontré de chroniqueur masculin abordant ce sujet, alors que dans ce domaine la réputation des mecs n'est plus à faire). Et c'est d'autant plus interpellant que la plupart de ces chroniques sont au ras des pâquerettes, sans intérêt, digne d'un mec justement. Donnant le sentiment de parler de cul pour le cul ─ ce qui est leur droit le plus absolu, aux femmes (tant qu'à tendre vers une égalité des sexes) ─, toutefois je trouve personnellement que c'est un peu dommage. Je m'attendais par exemple à plus de profondeur que d'ergoter sur la « morphologie » comparée des queues et de leurs incidences sur la jouissance des meufs. Ça fait très people (des magazines que, par parenthèse, beaucoup de chroniqueuses égratignent). Suis-je un vieux ringard ? Complètement à côté de la plaque ?
Et puis il y a ces jeunes américains qui se dopent avec du Viagra avant chaque rapport sexuel ou presque. Sachant que les dérives américaines débarquent tôt ou tard en Europe, il y a de quoi s'inquiéter. Cette information m'a laissé pantois. Un jeune américain sur six ! Si l'état psychologique des jeunes américains est révélateur de l'état psychologique des jeunes occidentaux, où allons-nous ? De qui ou de quoi ont-ils peur ? Des femmes ? Mais de quelles femmes ? De la femme en général ? Des susdites chroniqueuses ? Je décèle aussi derrière cette angoisse l'obsession omnipotente de la performance sexuelle chez les mâles. C'est terrible. C'est quoi le sexe pour ces jeunes ? C'est quoi la femme pour ces jeunes ? Se bourrer du Viagra alors que l'on est à l'âge où l'on est rempli de sève, où l'on a des triques mémorables, n'est-ce pas désolant ?
Quoi qu'il en soit, dans ces deux constats, je vois deux extrêmes, deux accélérations apparemment opposées qui se rejoignent. Une sorte de paroxysme. Mais pas forcément plus de liberté.
Vivement l'accompagnement sexuel pour apaiser les esprits malades d'eux-mêmes, de vie et d'amour. Car, prostitution spécialisée ou non, l'accompagnement sexuel pratiqué par des personnes compétentes relève d'une certaine thérapie. Une thérapie qui devrait être généralisée à toute personne souffrant de misère affective et sexuelle. Car elles sont bien plus nombreuses qu'on ne le pense.
Vous avez dit légalisation de la prostitution ? Non, encadrement et protection des professionnel(le)s du sexe. Plutôt que répression, exclusion et stigmatisation.
P.S. : sur un autre registre, je viens de passer deux jours au Luxembourg à la demande de l'association Nëmme Mat Eis et du Département des travailleurs handicapés. À leur demande, j'ai participé à une conférence sur le thème de l'accompagnement au quotidien.
Le Luxembourg est un pays riche, très riche. Ici, on imagine difficilement des Luxembourgeois moyens. Des riches, des très riches et des pauvres (il en faut quand même un peu) mais pas de classe moyenne. En tout cas, j'ai eu du mal à l'imaginer en parcourant les rues de Luxembourg. Cela ne prémunit pas ce pays, plus petits que le Bas-Rhin et beaucoup moins peuplé que Strasbourg, d'être exempt de concitoyens « handicapés ». Combien ? 50 000 environ ? Et sur ce nombre, combien ont une dépendance conséquente ? La moitié ? Qu'importe. Pour autant, au Luxembourg, avoir un handicap ce n'est pas une sinécure. En matière de compensation du handicap l'aide à la personne se résume à trois heures maximum par jour d'accompagnement. La même situation que connaissait la France avant 2005. Dans ce pays riche, on a préféré institutionnaliserles « handicapés » comme si, derrière les murs, ils faisaient moins tache dans l'opulence environnementale ? De ce fait, les intéressés se révoltent et ont organisé une conférence le 27 octobre à laquelle ils m'avaient convié afin de témoigner de l'évolution en matière d'accompagnement à la personne en France depuis 2005. Évoquer cette révolution sociale ainsi que les bienfaits et les avantages de la Prestation de Compensation du Handicap [PCH]. Car il y en a. Même si de nombreux politiques hexagonaux, ouvertement ou en douce, la remette déjà en cause depuis l'ère Sarkozy.
Malheureusement, de journaliste, il n'y en a eu qu'une. Logique, ici comme ailleurs les éclopés ce n'est pas un sujet porteur. Peut-être même moins ici qu'ailleurs ? Joseph Bech (qui sait encore ce qu'il a fait ?) est loin et les idées de grandeur, d'union, d'égalité, de rassemblement et d'humanité d'après-guerre également. L'Europe prend un coup dans l'aile depuis longtemps.
Si encore l'accompagnement au quotidien était un investissement à perte (pour se mettre bassement au niveau des tiroirs-caisses étatiques) mais il est source d'emplois qualifiés, un élément vital pour faire fonctionner une économie fébrile, pour booster le marché du travail. Qu'un pays aussi nanti, se disant défendre les valeurs européennes et les Droits de l'Humain, ait aussi peu et mal le souci de ses citoyens les plus fragiles et les plus démunis, c'est révoltant à mes yeux. D'autant que, proportionnellement, il y a nettement moins de personnes « handicapées » chez nos voisins luxembourgeois qu'en France.
Quelle valeur le Luxembourg accorde-t-il aux Luxembourgeois en situation de handicap ? Quelle est leur place dans ce paradis financier ? C'est quoi cette Europe à plusieurs vitesses, cette Europe inégalitaire qui n'a d'intérêt que pour des préoccupations mercantiles, des arguties technocratiques et de la politique politicienne chauvine ?
Et si tout passait par la liberté sexuelle pour faire bouger les lignes, humaniser nos sociétés de plus en plus désincarnées ?