Enfin c'est ce que croient ou que va s'ingénier à croire une majorité de gens bien-pensants.
J'ai un handicap et pas des plus passe-partout, un de ces handicaps qui interpellent ou dérangent, si ce n'est agressent la vue, un sens hégémonique de la normalité, une tyrannie de l'image, de l'apparence. Je suis censé n'être qu'une gêne compassionnelle. Pour tous ceux qui ne me connaissent pas, qui n'ont aucune idée de ce que je vis. Pour ceux-là, je relève de l'inimaginable. De l'impensable. Donc de l'impensé.
Et il a des enfants, vous imaginez ! De qui ils sont ? De lui ? C'est pas possible. Comment il a fait ? Mais comment il a fait ? Les pauvres, avoir un père dans cet état ! En plus, comment peut-on éduquer sans autorité (car autorité égale poigne paternelle sous nos latitudes) ? Merci pour eux, ils ont l'air de bien se porter…
Puis beaucoup se demandent comment ils font (les handicapés) l'amour, les enfants, pour vivre (comment peut-on vivre dans cet état ?), pour être heureux (encore plus difficile à croire) ? Sans parler de les désirer et d'en être amoureux(se).
On le pense, on le chuchote, on le marmonne, on le commère, mais très rarement on ira demander, tout simplement demander à la personne visée. C'est d'ailleurs très frappant, dans les écoles de formation des futur(e)s accompagnant(e)s, lorsqu'on aborde le sujet de l'intimité et de la sexualité des personnes « handicapées », alors même que ces professionnel(le)s vont être en première ligne. Ils/elles se posent (légitimement) de nombreuses questions touchant au sexe, à la sexualité et à la sensualité des personnes qu'ils/elles vont accompagner au quotidien, pourtant peu osent les poser ouvertement. Par crainte de réveiller l'eau qui dort ou par gêne ? À cause d'une sexualité personnelle mal vécue, fruste ou frustrante ?
On adore parler de cul en France mais on ne sait pas parler de sexe, de sexualité ou de sensualité. Et on adore médire. Par contre, on n'aime pas ne pas comprendre, ça angoisse. Ça perturbe. Ça déconcerte. Pourtant, ce serait tellement mieux si chacun(e) s'occupait de ses fesses plutôt que de celles d'autrui.
Donc, comment il fait (bande, jouit, j'en passe et des meilleurs) ? Et toi, tu fais comment ? Bien sûr, avec mes rhumatismes congénitaux et ma paresse abyssale, je ne prétends pas pratiquer la levrette. Mais faut-il savoir pratiquer la levrette pour faire jouir et, accessoirement, procréer ? Là est la question. Je ne pratique pas non plus la position du missionnaire. De toute façon, elle est si éculée, si banale. Et dire qu'y en a qui connaissent rien d'autre.
Hélas, lorsqu'on est classé dans la catégorie des « anormaux monstrueux », difficile de s'imaginer qu'il y ait quelque chose de normal dans « ça ». Surtout le sexe et la sexualité, mon bon monsieur, ma brave dame. Certes. Mais c'est aller vite en besogne. Dommage pour les esprits chagrins. Ça a du désir une chose pareille. Et du plaisir. Et des fantasmes. Et va falloir sacrément s'y faire… Car ça rue de plus en plus dans les brancards, les « handicapés » de l'Hexagone, ça veut sa place, le respect de sa liberté et de sa citoyenneté. De l'humanité, bordel ! Plus d'humanité dans ce libéralisme qui pue l'individualisme à plein nez et le moralisme à tue-tête.
Après, bien évidemment, quand on se demande comment il fait, on se demande forcément aussi comment elle fait ─ conjointe, compagne ou maîtresse, qu'importe ? Plus insupportable encore, et dépassant tout entendement dans mon cas, comment elles ont fait et surtout comment elles font désormais ─ car en plus je vieillis… comme tout le monde ou presque ─ pour… m'aimer (c'est à la limite de l'innommable, tant on a du mal à le concevoir et à l'exprimer parfois), et puis pour… me désirer et faire l'amour avec… avec un tel « stigmate vivant » (au mieux ce sera « lui », ou « elle », car il y a des femmes « handicapées » convolant avec de beaux messieurs et ayant des enfants qu'elles ont portés dans leur ventre)… et pour jouir en plus ! Ça c'est le pompon. Comment peut-on jouir avec un… un ersatz d'humain ? Un mutant, un extraterrestre, même sous nos latitudes très civilisées ? C'est inconcevable. Mais voilà, ce n'est pas parce que c'est inconcevable que ce n'est pas faisable, que ce n'est pas une réalité. Et, surtout, que ce n'est pas bon et jouissif, voire intensément jouissif ! C'est quoi cette manie, cette maladie, de cataloguer, de classifier, de quantifier et de vouloir tout le temps se mettre à la place de son prochain, alors qu'on a déjà suffisamment de mal à se mettre à la sienne ? Bref. Passons. Il n'est pas question de changer le monde, juste de l'amener à faire évoluer son esprit crispé et à éduquer ses préjugés. Il ne s'agit même pas de comprendre, juste de respecter cette réalité, cette vérité si dérangeante pour le lambda. Y a rien à comprendre. Ni à voir (même si d'aucun(e)s aimeraient bien pouvoir zyeuter par le trou de la serrure pour voir comment ils font). Je sais bien que c'est agaçant et déboussolant de se dire que des « handicapé(e)s » peuvent avoir du charme et être désiré(e)s. Alors que ce serait si simple à assimiler, si on faisait la différence entre plaire et séduire, comme je ne cesse de le répéter. On plaît avec ce qu'on montre, avec son apparence, sa prestance (de ce fait, je ne peux pas ou beaucoup plus difficilement plaire, ce dont je n'ai pas la prétention). Par contre, on séduit avec ce qu'on est, sa personnalité, ce qu'on dégage (à ce titre, tout le monde peut séduire). Par conséquent, on peut plaire sans séduire et séduire sans nécessairement plaire. Et c'est bien ce qui chipote d'aucun(e)s, ce qui agace leur vision limitée de l'amour et du désir. Oubliant que l'amour et le désir n'ont aucun préjugé.
Oui, des femmes m'ont aimé et désiré et joui avec moi. Et alors ? Où est le problème ? Ça oppresse qui cette réalité ? Un certain orgueil mâle ? En attendant, ironie du sort, certains viennent maintenant me demander comment séduire, désemparés par leur solitude affective. Preuve que nous sommes tous complémentaires, que nous avons tous besoin les uns des autres. Et que les apparences sont trompeuses… Quand comprendra-t-on cela ?
Cependant, non contente d'en rester là, la vie m'a offert la possibilité d'aller encore plus loin dans mon engagement contre les préjugés et autres a priori, ainsi que dans mon refus d'un moralisme sectaire. Entre autres en matière de sexe et de sexualité. Dans ma quête en faveur de davantage de liberté intérieure et de respect des libertés de l'autre.
La conséquence première en sera que dorénavant j'aurai vraiment tout faux et plus qu'avant. Je deviens un hérétique irrécupérable. Pourquoi au juste ?
Ma nouvelle compagne a, non seulement, 29 ans de moins que moi et, en plus, elle est escort-girl et assistante sexuelle. Le comble du comble. Moi encore, on va comprendre, avec une pointe d'indulgence apitoyée, que je me rabaisse à « ça ». Mais elle. Que peut-elle trouver à un « vieil handicapé » ? Quoique. Prostituée, c'est une profession sujette à caution. Une véritable déchéance, une faute de parcours, une tache indélébile impardonnable et incompréhensible. Pourtant c'est légal. Ça rentre dans le champ des professions « sexuées » (strip-teaseuse/eur, acteur/trice, etc), celles où on se sert de son sexe et de sa sensualité pour en vivre (bien mieux qu'à l'usine), en prenant son pied de préférence. Qui dit mieux ? Donc celle qu'une certaine morale réprouve et condamne sans état d'âme, et sans aucun souci pour le respect des droits de l'Humain. En fait, ce n'est pas la politique mais la morale qui gouverne dans nos contrées sectaires.
Nous sommes censés être libres de faire de notre corps ce que bon nous semble, tant que c'est fait hors de toute contrainte et volontairement. Mais, visiblement, nous sommes seulement censés être libres, face à des intégristes souvent très cathos, tellement cathos qu'ils en oublient les fondements de la foi et de l'amour du prochain.
En fait, de quoi allons-nous être suspects, elle et moi ? Car c'est forcément, comment dire, pas très catholique une union pareille. Du genre Marie-Madeleine et le monstre ou le mariage de la carpe et du lapin. Il y a anguille sous roche. Soit j'en suis réduit à aimer une prostituée faute de mieux. Soit je l'exploite, je la maque. De l'amour dans ce contexte, c'est inimaginable.
Comment peut-on supporter que son aimé(e) ait des rapports sexuels avec de nombreux hommes ou femmes, dans le cadre de son travail par-dessus le marché ? Étant donné que tout ce qui touche au sexe, par chez nous, est jugé comme douteux, sale et impur, sorti d'un certain cadre moral, surtout s'il y a en plus de l'argent à la clé qui est tout aussi douteux, sale et impur que le sexe dans notre culture (tant qu'à faire, on préfère l'hypocrisie et les mensonges du cocufiage, celui où les apparences sont sauves…). De ce fait, une femme ou un homme qui vend ses charmes (ou joue dans des films pornos, également) est considéré(e) généralement comme étant irresponsable et ayant nécessairement des problèmes d'ordre psychologique, au point de ne pas savoir ce qu'il ou elle fait. Parce qu'il faut être sacrément taré(e), vénal(e), lubrique pour « tomber aussi bas ». Être anormal(e) quoi.
Anormal, le qualificatif suprême pour tout ce qu'on ne comprend pas et qui n'entre pas dans le cadre moral et visuel d'une certaine société. Mais faut-il comprendre pour tolérer ? Qu'est-ce qui fait peur dans la liberté des autres ? « Les braves gens n'aiment pas que l'on prenne une autre route qu'eux », chantait Georges Brassens dans La mauvaise réputation, c'est toujours aussi vrai aujourd'hui. Le même intégrisme continue à vouloir s'imposer par les mêmes gens intolérants et discriminants. Et le plus désolant, c'est qu'ils prétendent faire ça au nom de l'amour ! Le ridicule ne tue pas. D'ailleurs qu'est-ce qui est normal ? Qui décide de ce qui est bien ou mal, pur ou impur ? De quel droit se permet-on de juger et de condamner autrui sur de simples critères moralistes et des présomptions d'incapacité et d'irresponsabilité ? Toute norme est subjective, donc exclusive, hélas. Une normalité tolérante est individualisée, éducative et culturelle.
Pour moi, le sexe n'est pas l'amour, il fait partie de l'amour, nuance. Cependant, fidélité et sexe sont automatiquement associés dans notre culture judéo-chrétienne. Il semble donc impossible de dissocier le sexe-travail et le sexe-amour. Pourtant c'est possible. À condition de ne pas être possessif et jaloux ou jalouse à mort. Cela implique également de ne pas confondre fidélité et exclusivité amoureuse. L'exclusivité est un choix de couple qui engage les deux à ne pas avoir de partenaires extraconjugaux et à respecter ce contrat. Mais on peut parfaitement être fidèle sans être exclusif, fidèle à l'amour que l'on éprouve pour sa ou son partenaire sans s'enfermer dans une exclusivité sexuelle. Où est le mal ? Nulle part tant que cela reste dissimulé et que ce n'est pas professionnel, qu'on ne vit pas de son sexe et de sa sensualité.
Personnellement, j'estime que l'autre ne m'appartient pas, pas plus que je ne lui appartiens, même sexuellement. J'aime l'autre pour ce qu'il est, pas pour ce que j'aimerais qu'il soit. Si je ne l'accepte pas comme il est, ce n'est pas vraiment de l'amour, me semble-t-il. Mais mon choix n'engage que moi et mon amie. Il ne se prétend pas être la vérité mais notre vérité. Et en aucun cas nous n'avons la prétention de l'imposer à quiconque, nous défendons notre liberté et la liberté de mon prochain. Et, afin qu'il n'y ait pas de malentendu, je précise que nous ne cautionnons absolument pas la prostitution mafieuse, esclavagiste et maltraitante ; nous la condamnons.
J'aime et je suis profondément aimé, n'en déplaise aux coincés du bulbe. Il ne peut pas y avoir de hiatus entre nous puisque l'un et l'autre nous sommes consentants et conscients de ce qui nous attend. Dans ces conditions, en quoi cet amour hors norme, à la marge, peut-il déranger si ce n'est qu'il remet en question, donc bouscule très désagréablement, un ordre moral antédiluvien et jésuite.
Cet ordre moral établi qui fait tout pour s'opposer à la reconnaissance de l'accompagnement sexuel des personnes « handicapées ». Qui préfère justifier et imposer une souffrance inhumaine, plutôt que d'assouplir sa position (si j'ose dire) et de libérer son regard, sous prétexte que cela serait la porte ouverte à la légalisation de la prostitution. On croit rêver. À se demander ce qu'il y a vraiment derrière cette croisade chez certain(e)s ? Car il faut être bouché à l'émeri pour s'imaginer que la prostitution peut être éradiquée (cf. la situation en Suède), pas plus que la pornographie, et toute activité touchant au sexe de près ou de loin. Au contraire, Internet ne fait que libéraliser davantage ce secteur très « porteur » de jour en jour.
Et, convaincus de l'urgence et de l'importance à faire reconnaître l'accompagnement sexuel en France, nous allons créer une association qui va ouvertement le promouvoir et faire le lien entre travailleurs(ses) du sexe/assistant(e)s sexuel(le)s, sur le modèle de l'association anglaise TLC (http://www.tlc-trust.org.uk/index.php).
Aujourd'hui, ce type d'accompagnement existe de façon officieuse et discriminatoire chez nous car, pour en bénéficier, il faut habiter dans la bonne région et être entouré de gens compréhensifs ou être hébergé dans un établissement dirigé par des personnes ayant et assumant des convictions humanistes et humanisantes. Une telle inégalité n'est pas justifiable dans une démocratie républicaine, une société où la sexualité et la sensualité s'étalent dans tous les médias à longueur de journée. Il faut obtenir une jurisprudence ou une exception à la loi, au plus vite. C'est tout à fait possible. C'est juste une question de volonté et de courage politiques. De détermination.
J'ai tout faux. Nous avons tout faux. Soit. Mais ce sont des regards étriqués et congestionnés qui le décrètent. La seule chose répréhensible qu'on peut nous opposer c'est que nous ne sommes pas, mais pas du tout dans la norme… de certains. Alors qu'au regard de la loi, nous sommes dans la légalité, si elle reste en l'état.
Nous refusons toute forme d'enfermement, d'atteinte à la liberté, de discrimination, de ségrégation, d'exclusion, de confusion délétère. Nous assumons qui nous sommes. Est-ce une faute ? Nous souhaitons plus de tolérance, d'ouverture d'esprit et de respect de la liberté de chacun. Est-ce une erreur ? Nous voulons plus de justice sociale. Est-ce condamnable ?
Nous sommes pour l'accompagnement sexuel, pour une certaine prostitution, pour l'euthanasie, pour l'avortement, pour le vote des étrangers, pour le respect des Roms, pour la réforme des minima sociaux, etc. Est-ce un tort ?
Que souhaiter pour 2013 à cette France et à ces Français sclérosés ? Un changement de regard sur le différent, l'autre, plus de tolérance, d'amour véritable, moins de préjugés, d'a priori, d'à peu près et d'injustices sociales. Que la liberté, le sens de la liberté vraie, abreuvent chacun abondamment !
Bonne année à tous