Ils prirent très tôt l'habitude de garder les volets fermés; ça bouchait l'horizon, ça faisait plus intime, on se sentait à l'abri, et puis on n'avait pas à s'en préoccuper le soir, après les fatigues; et tout cela à cause du mauvais temps, de la tempête, des orages… Faut les fermer, disait-elle, que ça rue pas dans les carreaux. Vision d'arche ensevelie. Sale ville. Pluie tous les jours; friture qui balançait, indécise, de droite et de gauche. Sans relâche. Une giclée. De la purée. Une éclaircie. Puis ça repartait à crachoter, flanquée d'une volée de vent, pour un oui, pour un non. Langue de vipère. Un éclair, griffonnage, et allons-y: méchamment, sans raison, des étincelles. Sifflant. Grinçant. A tire-d'aile. Ca branlait. De toutes parts. Et elle se pelotonnait. Ferme-les, disait-elle. Mais oui ! Saleté. Il les fermait. S'y ferait jamais. Sa femme non plus, mais c'est toujours lui qui se les tapait.
Maintenant allongé, il détaillait le plafond, les marbrures au plafond, les taches au plafond, le plafond et cette saleté autour. Mouchetis, mouchetures. Chevelure qui frisotte sous la pluie tandis qu'elle courait vers le bus avec son compagnon - un Noir. Le chauffeur qui se décide à ouvrir la portière; déroulis d'une étoffe maculée, tache fendue sur un ventre en sueur, aisselles poilues, et celles qui gouttent derrière, entre la rangée de sièges, puis les voilà qui s'affalent, sous son nez, essoufflés. Odeur femelle. Ca rissolait. Odeur de femme sautée. Il reniflait. Tiens, s'était pas trompé: le Noir lui avait glissé une fleur à l'oreille, et elle, toute à sa macération, d'éclater: "Oh ouiii !" Pauvre fille. Visage pommé, regard luisant. Tout le bus s'était retourné. Elle ne comprenait pas, la petite. Cette réprobation, cette hostilité. Puis, soudain, elle avait piqué un fard; et son compagnon de détourner la tête, en quête d'un alibi. A cette heure-là… La pluie continuait à faire écran contre la vitre. Opaque. Une vraie prison. Le chauffeur avait finalement secoué la tête et démarré. Tout ceci l'avait révolté, et il se serait bien levé pour leur dire leur fait, que c'était pas leur affaire si elle préférait s'envoyer un nègre. Mais il était resté assis, assis avec toute sa tension pulsant contre l'écrin où elle avait logé l'éventail fumant de son derrière. Viande aimantée… "Aïe! Ca va pas, non ?" Ses crocs avaient aussitôt recraché le morceau. Il s'était appesanti sur ce butoir; écrasé: cette manie de dire merci, sans raison. Ferme-les. Et il les fermait. Il lui aurait tordu le cou.
L'homme porta son attention sur la nuque de sa femme. Une molle trame grilla ses yeux. Il considéra le bas du dos. Elle grogna; il rabattit les draps. Des fesses blêmes et plates. Fesses quand même. Rances. Et il se regarda: il ne s'était jamais senti aussi robuste. Un couteau. Mais la violence de la tempête vint le distraire. Il y perçut une menace, et l'appréhension ne le quitta plus. Comme pour la conjurer, l'homme se répéta: c'est cette foutue tempête qui fait grincer les volets… c'est cette foutue tempête qui fait grincer les volets… Foutue… Grincement… Volets. Et, tout logiquement, il lui vint à l'esprit que sans volets, plus de grincements. Il voulut se lever, mais une crépitation s'acharna contre les volets et le soulagea. Alors, avec une satisfaction trouble, dos bien calé au mur, l'homme vit la pluie s'infiltrer et imbiber la tapisserie, sous la fenêtre. Les joints n'avaient pas tenu. Forcément. Boulot d'Arabe. Des mois qu'il disait à sa femme de changer de logement, marre des HLM; mais non, elle tenait à ses travaux de rénovation, et voilà le résultat.
L'amertume le gagna tandis qu'il guettait l'apparition de la flaque. Il attendit, yeux rivés au parquet. Puis elle fut là. Enorme, bien grasse, luisante. Une blatte. Et l'immobilité se fit de part et d'autre. Enfin un frémissement; le fil se rompit, et la flaque commença à s'étaler, d'abord en long, triangle moiré, puis en large, majestueux, toujours en avant, de plus en plus dodue, grignotant stries et ramas. Au comble de l'excitation, l'homme voulut réveiller sa femme, mais il la vit emportée par les flots. Chairs dissoutes, mèches poissées, sexe boursouflé. Océan de bourgeons carnivores; lui sur une barque, piochant dans cet amas d'alvéoles. Sang noir. Sucs étoiles. A sa guise. Encore. A la lie. Saleté. Devant, derrière. Libre. Et toujours en diagonale. Raide.
N'y tenant plus, il se tourna vers sa compagne. Elle ronflait. Brave femme. Surtout désirable. Il hésita; puis sa main s'aventura et se posa sur une flaque pansue, chaude. Il attendit, le cœur battant. Doucement, araignée, sa main s'escarpa vers l'entrejambe et buta contre le silence. Ses oreilles bourdonnèrent. Une douleur commençait à lui mordiller le coude quand le ronflement reprit. L'homme libéra un soupir; son doigt gourd put enfin explorer le terrain. De la toile émeri. N'empêche. Mais, piège à rats, un grognement puis un claquement de genoux le projetèrent sur l'autre bord. L'homme compta ses doigts et transperça sa femme du regard.
La pluie avait redoublé de violence; par vagues successives, la tourmente venait se fracasser contre les volets. L'homme ouvrit les yeux et fixa le parquet. La flaque avait reflué. Dégoûté, il s'arracha des draps et prit ses cigarettes. Comme il se dirigeait vers la sortie, une voix embrumée l'interpella: Où vas-tu ? - Griller une clope. - Et les volets ? - Fermés. Mais une lueur frétilla dans le regard de la femme; l'homme se hâta vers la porte. Eteins donc la lumière, c'est pas une heure… L'homme serra les poings et pressa l'interrupteur.
Arrivé au salon, il s'empressa de rallumer. Après avoir vidé un demi-litre de rouge, il se laissa tomber nu dans un fauteuil. La chatte vint bientôt se frotter contre ses jambes. Il la laissa faire. Mais quand elle abandonna ses arrondis pour lui lécher la peau, il lui flanqua un coup de pied. Elle s'éloigna de travers, en miaulant, puis revint prudemment se tenir près du fauteuil. Saisi de remords, l'homme la prit sur ses genoux. Quelques attouchements; ensuite il la fit glisser du fauteuil. La chatte le fixa, la queue dressée, l'expression perplexe, ramassée. L'homme considéra méchamment son propre instrument. L'impression qu'il ne lui appartenait pas ajouta à son sentiment d'impuissance. Il s'en serait bien dessaisi. Mais il était là, collé à lui. Immense, dressé, noueux. Stèle cramoisie. Masse de nerfs tourmentés qui n'aspirait qu'à se ruer. L'homme éprouva un malaise et comme une sorte d'injustice, de malédiction. Accablé, il eut la vision d'un jardin, d'une pelouse au soleil, puis d'un tuyau d'arrosage en liberté. En liberté… Tuyau en folie, sous pression, colonne convulsée, fouettant l'air, le gazon, éclaboussant terre, ciel… Palmier sacré, Dionysos !… Mais la chatte fit un bond et se retrouva sur lui. L'homme tressaillit et, de colère, sa main s'abattit. Il y eut une vibration. La chatte sauta à bas du fauteuil, la queue basse. La chienne ! N’avait même pas bronché. L'homme en conçut un mélange de respect et de crainte. Pour rien au monde il ne l'aurait échangée; et, dans un déchirement fulgurant, il vit qu'une bonne part de son malheur provenait de ce refus: il exécrait la femme. Il se souvint de la manière dont il s'y prenait des années plus tôt, quand ça lui arrivait. Alors, baissant les paupières, il marmonna un "Notre Père", puis deux, trois… En vain. A tout hasard il essaya un "Je vous salue Marie" - sans plus de succès. Couché ! aboya-t-il. Couché ! Mais avec une vigueur accrue, sa queue affirma son inébranlable absolu. Et c'est dans cette posture qu'il l'emmena aux toilettes.
***
Il était en train de pisser quand il fut alerté par un bruit. Il dressa l'oreille. Une toux. Ses sens exercés n'hésitèrent pas une seconde: la souris d'en haut. Alors, les yeux brillants, la queue frémissante, il se plaqua contre le mur et retint sa respiration. Un pur jaillissement vint bientôt transpercer son attente. L'homme frissonna de douleur; le flot irradia tout son être et un ravissement l'inonda. Il se tint figé, puis imagina la jeune femme sur la lunette des vécés, le derrière dilaté, fendu, enserrant sa tête, et faisant gicler ses humeurs. Sur sa tête… Et sa colère monta d'un coup. C'est que cette salope lui pissait tranquillement dessus. Elle lui pissait dessus… Cette pute qui se faisait tringler nuit et jour par un nègre et qui gueulait tellement qu'on les entendait où qu'on se trouvait. Et fous-moi ça, et fous-moi ça, et fous-moi ça… La chienne ! De tous les côtés qu'on se tournait, à droite, en haut, à gauche, en bas, c'était pareil, que du bruit, du bruit, du bruit… On ne se sentait plus chez soi: ça hurlait, ça rigolait, ça dansait, et la musique, la télé; ça pissait, ça chiait, ça baisait; et les clébards, les mômes… ça aboyait, ça chialait, ça criaillait; et les vide-ordures qui faisaient un boucan de tous les diables et à des heures pas possibles, l'ascenseur qu'arrêtait pas de descendre et de monter, les cavalcades sur le parquet, dans l'escalier, les portes qui claquaient, les meubles qu'on déplaçait, l'aspirateur qui vrombissait, la sonnerie des réveils, des téléphones, des démarcheurs; les perceuses qu'on branchait pendant le week-end comme si c'était pas des jours où qu'on avait envie de se reposer un peu, et toujours leur foutue musique de cocotiers, de harissa, d’Allahouakbar… y avait que ça dans le quartier, et des Arabes, des juifs, des Turcs, des musulmans, des Africains… Ils étaient peut-être bien gentils, vous invitaient à bouffer, à trinquer et tout, mais cherchaient pas à se faire discrets alors qu'on leur demandait rien d'autre, mais non, fallait absolument qu'ils se fassent entendre, qu'ils foutent leur merde partout et leurs habitudes de métèques. Avaient l'air de s'en foutre complètement ! Un immeuble HLM tout neuf ! En moins de temps, un dépotoir ! Des chiens partout, allocations de mioches, des chats, bientôt des rats, et les boites aux lettres défoncées, le hall couvert de saletés, les vitres pétées, des traînées de capotes, des odeurs empafées, du haschisch en veux-tu en voilà, et l'ascenseur déglingué, les murs encrassés, les bagnoles désossées, les motos n'en parlons plus, et quand ça vous attendait pas au coin de la nuit pour vous barboter votre fric, ça vous paradait des mines à vous trancher la gorge, et personne qui faisait rien contre, personne qu'avait assez de couilles pour leur dire merde et que ça suffit comme ça et que s'ils sont pas contents qu'ils aillent se faire voir chez eux s'ils veulent pas être comme tout le monde. Et maintenant cette salope là-haut qui lui pissait dessus… Une gentille petite pourtant, toute mignonne et tout, mais qu'avait trouvé moyen d'aller se maquer avec un qui se disait musicien - encore un de ces feignants ! Se contentait de vous casser les oreilles et de vous trimballer sa trompette nuit et jour sous le nez, avec l'air de se payer votre poire. Ce macaque… A se demander ce qu'elle pouvait bien lui trouver… Forcément… montés comme des cons !… Et ça n'arrêtait pas, ça n'arrêtait pas, et viens-t-y qu'on s'encastre, que ça chuinte, que tu gémisses, que je grogne et qu'on fasse grincer les ressorts - pour emmerder ces cons de voisins. Saleté ! Et voilà qu'elle lui pissait dessus, histoire de lui dire un peu plus merde. Qu'elle croyait !
L'homme sortit des toilettes, tourniqua dans le salon, puis s'arrêta pour soulager sa nuque de plomb. La chatte en profita. Le coup de pied qu'il lui décocha l'envoya bouler à l'autre bout de la pièce. Après quoi il fonça vers la chambre. Il alluma et attendit. Mais sa femme semblait dormir profondément. Ecœuré, il éteignit - non sans libérer un soupir, ce qui le rendit encore plus furieux - et se coucha; puis, bras croisés, il se mit à rouler la mâchoire, les yeux au plafond.
La tempête faisait rage et, à travers chaque fibre de son corps, l'homme en suivait les grincements, cramponné au plafond. Le vent devint plus régulier. Les grincements aussi. L'homme haussa son dos contre le mur et concentra toute son attention sur l'unique lueur qui rivait son cerveau au plafond. Ils avaient remis ça bien sûr, histoire de le faire chier. Une bourrasque claqua; l'homme tressaillit. Il y eut un gémissement; l'homme gonfla la poitrine. Les salauds ! Il se hissa plus haut et se retrouva bientôt debout, le long du mur, les pieds sur l'oreiller. Mais les rafales de vent et le battement de ses artères le perturbèrent soudain. Surtout le ronflement de sa femme. Il pencha la tête et dut surmonter la brutale démangeaison qui s'empara de son pied; puis, forçant son attention jusqu'à l'incandescence, il réussit à s'abstraire. Alors, fil brûlant environné d'un écheveau d'obscurité, il se tint à l'écoute, le corps moite, le muscle raidi, le nerf saillant, cependant que se poursuivaient les grincements. Il voulut s'astiquer la colonne puis se ravisa. Comptait peut-être se la taper à perpète juste pour l'emmerder. C'est que ce salaud le cherchait vraiment.
Exténué, l'homme se recoucha. Il reçut le souffle régulier de sa femme. Sans plus de cérémonie, sa main partit et son doigt s'enfonça. Il fut agréablement surpris et décida de se payer un petit moment. Mais la voix claire de sa femme le coupa:
- Enlève-les donc tes doigts.
L'homme resta sans réaction. La femme haussa le ton:
- je t'ai dit d'enlever tes doigts.
L'homme les retira doucement. Puis il éclata:
- Et pourquoi que je dois les enlever ?
- Parce que. Je n’ai tout simplement pas envie que tu les fourres là.
- Et si moi j'ai envie ?
- Moi j'ai pas envie, c'est mon corps, il m'appartient, c'est moi qui décide et faut me demander.
L'homme parut désorienté, puis:
- Ah bon, maintenant faut que Madame se fasse prier. C'est ce que tu veux, hein ? Dis-le, si c'est ce que tu veux.
- Je ne veux rien. Comprends que j'ai pas envie, que c'est pas une heure.
- De toute façon t'as jamais envie, et c'est jamais l'heure. Le matin, à midi, le soir, c'est jamais l'heure avec toi, jamais ! En attendant ça fait semblant de dormir pour mieux faire trempette.
- Je t'ai dit que j'ai pas envie, un point c'est tout.
- T'as pas envie, t'as pas envie… mais alors explique-moi pourquoi t'es mouillée pire qu'une grenouille. Y a bien une explication à ça, ces trucs ça vient pas tout seul. Alors comment tu réponds ? Vas-y, je t'écoute. Alors ?… Hein, tu vois !… Eh bien, moi je vais te le dire, jeta-t-il en se redressant. De deux choses, ou tu rêvais que t'étais en train de t'envoyer en l'air, ou c'est le moricaud d'en haut avec sa gonzesse qui t'ont foutue dans cet état, et je penche plutôt pour ça. Tiens, écoute-les ! Arrêtent pas de se tringler. T'entends ? T'entends leur pieu qui grince ? Tiens, écoute… Alors ?
- Mais ne sois donc pas idiot, tu sais bien que c'est la tempête qui fait grincer les volets.
- La tempête, la tempête… Tu parles de tempête comme si j'étais pas capable de faire la différence entre des volets et un lit, entre un mec qui baise et un qui se les gèle. Continue à me prendre pour un con !
- Ca sert à rien de t'énerver, tu ferais mieux de dormir.
- Mais moi j'ai envie, merde !
- T'as envie, t'as envie… éclata-t-elle à son tour, on dirait un gamin. T'as envie, c'est tout, mais t'as pas vraiment envie, t'as pas envie de moi, tu veux pas être à ma place, t'as juste envie, comme les bêtes. Vous n'êtes tous que des bêtes ! Voilà ce que vous êtes ! Et moi j'ai pas envie de ça.
- Parce que toi ça t'arrive pas d'avoir envie tout simplement ?
- Non.
- A d'autres !
- Ecoute, mon biquet, je te répète que c'est pas une heure.
- Et eux là-haut, c'est une heure ?
- Eux c'est eux, et puis je suis trop fatiguée pour faire des choses, et c'est pas toi qui iras me faire ma toilette après
L'homme poussa un soupir.
- C'est moi qui me crève toute la journée au chantier, et tous les jours, mais c'est toi qui fatigues à ma place alors que t'en fous pas une de la journée, juste là à t'exciter sur le moricaud d'en haut et sur sa trompette. Et puis d'abord je vais aller leur dire deux mots, commence à en avoir marre de leur bordel tous les soirs. Je veux bien me faire entuber mais y a des limites. Vais régler ça une fois pour toutes.
L'homme jaillit du lit, alluma, puis enfila un pantalon et décrocha son fusil. Il vérifia le chargeur et l'arma: c'est - pas - un nègre - qui - va - venir - me - faire - chier - et - se - foutre - de - ma - tronche - commence - à - en - avoir - ma - claque - de - leurs - sales - gueules - vont - pas - rigoler - longtemps - c'est - moi - qui - te - dis. Et tout l'appartement fut bientôt éclairé. La chatte amorça un mol déhanchement dans sa direction; le canon du fusil décrivit un arc et la chatte se raidit. Comme il finissait de vider sa bouteille, un moustique l’agaça. Il secoua la tête mais le moustique revint à la charge. L'homme pivota, et le moustique le happa dans un tourbillon. Alors l'homme crocheta l'air et son poing imprima le vide. Il se retrouva par terre, la tête bourdonnante, l'épaule démise. N'empêche… Il se releva d'un bond, en grimaçant, le bras droit inerte, le gauche soutenant son fusil, et se rua vers la porte de sortie. Sa femme trottinait derrière lui. Gorgone dans une toge.
- Mon biquet, mon biquet, fais donc pas l'idiot et donne-moi ce fusil.
- Fous-moi la paix, c'est pas un nègre qui va venir me faire chier.
- Sois raisonnable, mon biquet, et donne-moi ce fusil.
- Mais, putain, fous-moi la paix ! Je vais lui régler son compte, c'est pas dit que ça se passera comme ça.
Ils luttèrent tous les deux, mais l'homme était beaucoup plus fort.
- Espèce d'abruti, je t'ordonne de me donner ce fusil ! Tu m'entends ? C'est moi qui te parle.
L'homme ne disposait que d'un bras valide; il coinça le fusil entre les jambes et s'escrima contre la porte. Tandis qu'il cherchait à débarrer les serrures de sécurité, la femme tirait le fusil de son côté, pleurant et balbutiant: Mon Dieu… Mon Dieu… C'est la tempête qui fait grincer les volets… Mon dieu… Les volets… Les volets… Et l'homme pestait, emmêlé, butant contre la porte, les volets, visage écarlate, en sueur. Son ton devint bientôt larmoyant: Mais fous-moi la paix… Fous-moi donc la paix… La paix… Mais, putain !… Fous-moi… Fous-moi… Et lentement, sanglotant, par soubresauts, il se laissa glisser. A genoux. Front contre sa propre porte. Face contre vitre.
Marcel Zang