Cela n’a échappé à personne dans le monde de l’Enseignement Supérieur et de la recherche (ESR), Antoine Petit est candidat à sa propre succession à la présidence du CNRS. Et compte-tenu du processus, il y a peu de chance qu’il ne soit pas reconduit par ceux qui l’ont installé à ce poste, malgré la candidature salutaire et bienvenue d’Olivier Coutard, ancien président de la CPCN, et qu’il est encore temps de soutenir.
Lorsqu’une personne arrive en fin d’un mandat, il est d’usage de rendre hommage à son œuvre au poste concerné. Antoine Petit raffole des métaphores sportives, tout particulièrement footballistiques, et des provocations comme celle désormais fameuse célébrant les vertus du darwinisme social dans la recherche.
C’est au mieux particulièrement malvenu quand on a la responsabilité de piloter un organisme avec tant d’agents en souffrance, au pire, signe d’une vacuité épistémologique extrêmement problématique quand on dirige un des plus grands établissements de recherche publique au monde.
Mais foin de critiques, puisqu’il parait si évident à Antoine Petit que le foot représente un excellent modèle pour la recherche, en manière d’hommage à son mandat finissant, renversons la perspective et imaginons ce qui se passerait si une équipe de foot, au hasard le PSG, fonctionnait comme l’ESR en général, et le CNRS notamment.
Petite fiction donc …
NAK : Bon, j’ai décidé de faire des économies et j’ai viré pour ça une partie des personnels d’encadrement du PSG. Mais comme il faut quand même faire le boulot, je vais vous demander à tous de réduire votre temps d’entrainement d’un quart pour faire une partie du travail des personnes que j’ai virées. Voilà comment on va faire. Gianluigi et Keylor, vous serez à la plonge, ça vous fera pas un gros changement. Kylian, tu seras au bar vu que tu es spécialiste des cafés crèmes. Marco, Angel, Julian et Ander, vous vous occuperez du nettoyage des tenues, ça vous apprendra peut-être à être efficaces au pressing. Neymar, tu seras à la billetterie, au moins, assis derrière un guichet, tu risqueras pas de te tordre une cheville. Sergio, Nuno et Marquinhos, vous bosserez à l’entretien en espérant que vous soyez plus efficaces que d’habitude pour nettoyer les surfaces. Et pour compléter, Rafinha, Leandro et Layvin, vu que vous cirez déjà le banc, vous pourrez aussi cirer les sols. Mauricio, toi tu bosseras à la compta, peut-être qu’en manipulant des chiffres, tu trouveras enfin une formule de jeux plus efficace que ton 4-3-3.
MP : Pardon, mais si on fait ça, on aura moins de temps pour s’entrainer.
NAK : Mauricio, on veut faire des économies je te dis. D’ailleurs, on a aussi revendu notre centre d’entrainement et une partie du matériel. Si bien qu’il n’est plus possible d’entrainer tout le monde. J’ai donc mis en place un mécanisme d’appel à projets. Les joueurs qui veulent jouer au foot et s’entrainer doivent déposer un dossier dans lequel ils expliquent comment ils veulent s’entrainer et jouer et seuls ceux qui ont les meilleurs projets pourront participer aux matchs.
MP : Donc ça veut dire qu’une partie de l’effectif ne pourra plus s’entrainer ?
NAK : Oui, c’est ça.
MP : Mais ceux qui ne s’entrainent pas ne pourront pas être compétitifs.
NAK : Pas grave, avec cette logique d’appel à projets, seuls les meilleurs le seront. On n’a besoin que des meilleurs, les autres devront en tirer les conséquences. C’est la logique de l’excellence, tu peux pas comprendre Mauricio, c’est une technique de management que j’ai importée de la façon dont fonctionne la recherche en France.
MP : Mais qui examinera les dossiers pour savoir qui sont les meilleurs ?
NAK : Les joueurs eux-mêmes, ils évalueront les dossiers les uns des autres.
MP : Mais ils auront tous encore moins de temps pour s’entrainer alors, comment pourront-ils rester compétitifs ?
NAK : Mauricio, tu comprends décidément rien aux bienfaits de la compétition darwinienne pour aboutir à l’excellence.
Que ce petit dialogue vous ait amusé ou pas, même ceux qui n’y connaissent rien au foot auront compris qu’avec une politique d’une telle absurdité, le PSG ne resterait pas bien longtemps en tête du championnat et en situation d’être compétitif à l’échelle internationale.
De fait, il se trouve, que dans le classement international des grands pays de recherche, la France a reculé de la 6ème place à la 9ème et sortira inéluctablement bientôt du top 10.
Soyons bien clair, voir une place dans un classement comme un objectif en soi n’a de sens que pour les apologues béats du darwinisme social à tous les étages de la société. Mais, même si la science n’est pas un concours aboutissant à un classement de ceux qui ont la plus grosse (recherche), ce recul de la France y est extrêmement inquiétant par ce qu’il traduit vraiment : le décrochage entre le classement de la France en termes de richesse et celui de sa place dans la recherche mondiale.
Il y a une vingtaine d’années, la France occupait environ la même place dans les deux (5ème ou 6ème). Ce n’est plus le cas aujourd’hui, la France est mieux classée dans le classement mondial de la richesse que dans celui de la recherche. Ce que cela veut dire est donc limpide, et hautement inquiétant : la France accorde moins d’importance à l’ESR, par rapport à sa richesse, que de plus en plus de pays.
Cela montre donc très clairement que la politique de l’ESR menée depuis une vingtaine d’années en France ne fonctionne pas.
Quand des chercheurs réalisent des expériences pendant 20 ans et qu’elles ratent inéluctablement, ils en déduisent rationnellement qu’il est préférable de changer la méthodologie de leurs expériences pour essayer de réussir. Sauf quand ces chercheurs deviennent ministres, présidents du CNRS, d’Universités, d’HCERES ou autres instances pilotant la recherche dans notre pays.
Cet abandon total de la méthode scientifique qui est pourtant la leur, dès lors qu’ils participent à la politique de l’ESR, ne peut s’expliquer autrement que par une sidérante cécité idéologique : « En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. » Ou quand l’idéologie ultralibérale appliquée à l’ESR (vous pouvez ajouter tous les champs du service public, santé, éducation, justice, etc.) percute de plein fouet la philosophie shadok dans son refus pathétique à reconnaitre son échec éclatant.
Mais puisque c’est cette logique qui est à l’œuvre, puisque le darwinisme social et la quête de l’excellence gouvernent l’ESR, appliquons-les à la lettre à ceux qui sont aux commandes.
Quels sont leurs résultats ? Diminution dramatique des effectifs, précarisation, souffrance au travail, augmentation de la « malscience », bureaucratisation tentaculaire, abandon des étudiants pendant la pandémie, accroissement des mécanismes inégalitaires pour l’accès à l’université, etc.
La liste serait bien trop longue s’il fallait qu’elle soit exhaustive. Et pour autant, tous ces ravages existent en pure perte puisque donc la France ne cesse de reculer dans le paysage international de la recherche, recul auquel le CNRS, par effet de masse, contribue notablement.
Alors revenons au foot pour, comme le souhaite Antoine Petit, s’en inspirer dans l’ESR. Au foot, quand un entraineur a des résultats aussi catastrophiques, il dégage.
Et vu l’ampleur des dégâts, ce n’est pas juste l’entraineur du CNRS qu’il faut virer, mais bien tout le staff de l’ESR.