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D’où que l’on vienne, où que l’on soit né·e, Notre pays s’appelle Solidarité

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Billet de blog 25 septembre 2024

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« Humanité et fermeté » ? Une analyse de la signification de la loi Darmanin

Débattre de la signification de la loi Darmanin c'est aussi bien se donner les moyens d'analyser la situation créée par le vote de cette loi raciste, et donc les conditions concrètes dans lesquelles il nous faut désormais organiser la lutte, que de comprendre ce qui nous a manqué pour la repousser. Nous publions ici des extraits d'un article rédigé par 3 membres de la Marche des Solidarités.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet été un article intitulé « Au prisme des migrant.es et Sans-papiers : La vérité des Jeux Olympiques de Paris » a été publié dans la revue papier Contretemps. Sur demande de la revue, l’article a été écrit par Anzoumane Sissoko, Pierre Gayral et Denis Godard, membres de la Marche des Solidarités*

Nous publions ci-dessous un passage de cet article sur l'analyse que les auteurs font de la signification de la loi Darmanin. Cette analyse n'engage que ses auteurs.

Pour celles et ceux que ça intéresse vous trouverez le texte complet de cet article ici : https://antiracisme-solidarite.org/wp-content/uploads/2024/09/Les-JO-au-filtre-des-migrant-2.docx

"Humanité et fermeté"

La loi Darmanin introduit un changement qualitatif vis-à-vis de la situation antérieure et des précédentes lois : elle tend à (re)transformer les sans-papiers en clandestins. En effet, la logique profonde de cette loi est de clore la période ouverte par la lutte de St Bernard en 1996.

Cette lutte avait permis aux migrant·e·s, considéré·e·s, politiquement et juridiquement, comme des clandestins de se nommer Sans-papiers. Dans la foulée de l’occupation de l’église St Bernard de multiples collectifs de Sans-papiers s’étaient créés, coordonnés dans un mouvement national. Ils ont contribué à construire un mouvement qui tenta de fédérer les « sans » : sans-emploi, sans-abri, sans-papiers.

Ils et elles s’intégraient ainsi - au travers du mouvement social et de problématiques qui n’étaient pas seulement liées à la question migratoire - à la société dont ils et elles étaient, politiquement comme juridiquement, officiellement exclus.

Cela a forcé l’État à une semi-reconnaissance de ces Sans-papiers, avec l’instauration, à partir de 1997, de « critères de régularisation ». Une sorte de reconnaissance partielle de leur existence, soit-elle « en sursis » : ils et elles étaient, de fait, reconnu·e·s comme sans papiers c’est-à-dire comme de potentiel·le·s possesseurs de papiers… à l’avenir. L’avenir étant mesurable (années de présence, nombre de fiches de paie…).

Certes, juridiquement, la loi Darmanin laisse ouverte les canaux antérieurs de régularisation et d’asile (6).

Mais par divers mécanismes (fermeture, de fait, des guichets en préfecture et des moyens de dépôts des dossiers, instauration « légalisée » de l’arbitraire préfectoral et multiplication des raisons de refus, entonnoir créé par la carte « métiers en tension ») elle limite drastiquement les possibilités de régularisation.

Le volet répressif conduit à fermer, de fait, pour l’immense majorité des sans-papiers, la voie légale des régularisations en multipliant les motifs d’illégalisation (qui font des Immigré·e·s des délinquant·e·s devant la loi) et en allongeant considérablement les périodes de statut non régularisable (la notification d’une Obligation de Quitter le Territoire Français - OQTF - suspend ainsi tout processus de régularisation pour trois ans au lieu d’un). Pour compléter le dispositif répressif, le gouvernement va augmenter le nombre d’expulsions et les places en centres de rétention et autres moyens d’incarcération.

Il faut ajouter, car c’est loin d’être un détail, les concepts - juridiquement flous - de « menace à l’ordre public » ou de « non-respect des valeurs républicaines » - utilisés comme motifs de retrait des papiers et donc d’expulsion. Ils visent à précariser la situation des Immigré.es « légaux ».

L’équilibre impossible

La situation créée par la « semi-reconnaissance » des Sans-papiers était forcément instable, et le sens de son équilibre (dans le sens de raccourcir le sursis ou de le rallonger) ne pouvait bien sûr dépendre que du rapport de forces, les politiques de l’État poussant toujours pour rendre les critères plus exigeants tandis que la lutte maintenue, avec des hauts et des bas, par les Collectifs de Sans-papiers et le mouvement de soutien, cherchait à arracher le plus de régularisations possibles.

Mais cet équilibre n’était pas seulement instable et insatisfaisant. Il était politiquement intenable. 

Le sociologue Abdelmalek Sayad (7), pour qui « exister c’est exister politiquement », avait démontré que les migrant·e·s soulevaient une question insoluble pour la politique qui n’est conçue et pensée que comme un ordre national. Qui ne conçoit les droits politiques que pour des citoyen·ne·s nationaux. Raison pour laquelle il parlait d’une « double-absence » des migrant·e·s : absent·e·s de la société d’origine en tant qu’émigré·e·s et absent·e·s de la société d’arrivée en tant qu’immigré·e·s.

Quand, par leurs manifestations publiques (grèves, grèves de la faim, occupations, campements etc.) ces immigré·e·s se rendent visibles, Abdelmalek Sayad parlait à leur propos d’« hérétiques de l’ordre national ».

D’où, pour lui, les deux voies utilisées par l’État à leur encontre : en les invisibilisant ou en en faisant des hors-la-loi (qui est manière de les réintégrer dans cet ordre).

Or la semi-reconnaissance des Sans-papiers n’a non seulement pas résolu la question de fond, elle n’a fait qu’exacerber ce problème posé par les migrant·e·s à l’ordre politique tel qu’il est organisé en en faisant des acteurs et actrices permanent·e·s d’une lutte ouverte, d’un rapport de forces.

Ce qui inspire la loi Darmanin n’est donc plus tant de modifier le sens de l’équilibre (du côté de l’État) que de tenter d’y mettre fin.
C’est aussi ce qui explique l’évolution de l’argument central mobilisé pour justifier cette loi.
Ce n’est plus seulement un argument économique - soit-il faux -, celui des ressources (« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ») comme les précédentes lois contre l’immigration.

L’argument mis en avant par Gérald Darmanin, dès la préparation du projet de loi à l’été 2022, est cette fois celui de l’immigration comme danger et menace pour les valeurs supposées de la société ou plus directement pour la sécurité de ses membres. 

Ce glissement ouvertement raciste justifie le fond politique : il ne s’agit plus de limiter l’immigration mais de la tarir (8). Publiquement le débat ne porte plus sur l’accueil mais sur la nature des obstacles à développer pour le prévenir.

Illustrant toutes les ambiguïtés du concept d’intégration, il charrie tous les débats sur la place des « héritier·e·s » de l’immigration : jusqu’à quel point va la définition des « immigré·e·s ». Il ouvre ce faisant la porte aux courants les plus racistes et aux fascistes, aux idées de « nettoyage ethnique » portées par les concepts de « grand remplacement » ou « d’islamisation de la société » devenus scandaleusement des thèmes de débat public.


* Anzoumane Sissoko est porte-parole de la Coordination des Sans-Papiers de Paris et élu du 18è arrondissement de Paris sur la liste EELV
Pierre Gayral est membre de Droits devant !! et d’Ensemble
Denis Godard est membre de 20è solidaire avec tou·te·s les migrant·e·s et du collectif Autonomie de Classe

6- Cela permet d’une part de laisser ouverte la voie de « l’immigration choisie », c’est-à-dire choisie par l’État et le patronat, pour une minorité d’étranger·e·s. Cela permet aussi de continuer d’enfermer des associations dans une stratégie principalement juridique et au cas par cas épuisante en termes de ressources et excluant de fait la lutte collective où les Sans-papiers sont des sujets.

7- Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. Tome 3 : La fabrication des identités culturelles, Paris, Raisons d’agir, 2014.

8- Même si officiellement on dira toujours qu’il s’agit de l’immigration illégale. Et que cela n’empêche pas au pouvoir de se laisser la possibilité d’une « immigration choisie ». Pour laquelle la pression à la surexploitation est d’autant plus forte que les politiques anti-migratoires sont offensives.

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