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Un spectre hante l'Europe : le spectre de la guerre. Une guerre, qui, dans ce contexte, ne signifie pas seulement invasion militaire. C'est aussi une course au réarmement, le réarmement le plus rapide à l'échelle européenne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et c'est la guerre jusque dans le lexique, dans la façon de penser qui est devenue militariste. Discours rhétoriques, fanatisme ultra-nationaliste, militarisation progressive (sans débat parlementaire) des états européens.
La violence effrayante et inattendue de l'invasion russe en Ukraine a suscité une réaction que nous n'aurions jamais attendue de la part de l'Europe, dont la philosophie était précisément de préserver les peuples d'Europe d'une éventuelle nouvelle guerre, certainement pas en armant les nations jusqu'aux dents et en les poussant à l'agression militaire. Aujourd'hui, l'invasion de l'Ukraine a réveillé les sentiments les plus belliqueux et les plus violents des nations européennes et aucun politicien européen ne semble être en mesure d'arrêter cet élan militariste qui traverse l'Europe. Par moments, on a l'impression de revivre le débat entre interventionnistes et non-interventionnistes au début du siècle. Ces discours politiques enflammés, dont ceux du président ukrainien Zelensky, qui chaque jour dans les médias européens appelle l'Europe aux armes en évoquant une guerre mondiale, ne vont-ils pas finir par nous conduire dans l'abîme d'une guerre à l'échelle planétaire ?
L'Allemagne, par exemple, a révisé sa position pacifiste et, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a accepté de livrer des armes à l'Ukraine, ce qui lui avait toujours été interdit dans une zone de conflit. Le chancelier allemand Olaf Scholz a également annoncé que son pays investira plus de 2% de son produit intérieur brut (PIB) par an dans la défense (plus de 100 milliards d'euros). Autrefois partenaire économique de la Russie de Vladimir Poutine, Berlin a également changé de cap en suspendant l'approbation du gazoduc Nord Stream 2 et en soutenant l'exclusion des banques russes de la plateforme de paiement internationale Swift, un rouage essentiel de la finance mondiale. L'Allemagne a commencé à envoyer des lance-roquettes, des missiles Stinger, des obusiers et des véhicules blindés. Un scénario inquiétant.
La Belgique, pour sa part, a annoncé qu'elle fournirait à l'Ukraine 2 000 mitrailleuses, 3 800 tonnes de carburant et 3 000 fusils automatiques. La Suède livre des armes antichars, les Pays-Bas envoient des fusils de précision et des casques à la résistance ukrainienne, et bientôt des missiles sol-air portables Stinger. En bref, il y a un air de guerre, de marches militaires, d'interventionnisme en Europe. Sommes-nous peut-être en train de revenir à l'ère des États-nations et à la folie des deux guerres mondiales ? La République tchèque, un pays notoirement pacifique (comment oublier la réponse pacifique à l'invasion soviétique de Prague), a promis d'envoyer à l'Ukraine 30 000 pistolets, cartouches et obus d'artillerie. La Finlande, qui a toujours maintenu une certaine neutralité vis-à-vis de son voisin russe et n'est même pas membre de l'OTAN, a pris la semaine dernière la décision historique de fournir des armes à l'Ukraine, comme l'a annoncé le Premier ministre Sanna Marin. Les dépenses sont importantes : 2 500 fusils d'assaut, 150 000 munitions, 1 500 lance-roquettes et 70 000 rations de campagne. C'est la première fois que cela se produit depuis 1939, lorsque l'URSS a attaqué la Finlande. Et la France ? A Paris, le gouvernement reste très discret, évoquant l'envoi, depuis le début du conflit, de matériel purement défensif comme des casques, des gilets pare-balles et du matériel de déminage.
L'Union européenne va financer, pour la première fois à un pays tiers, des armes létales à hauteur de 450 millions d'euros. "L'offensive russe est de plus en plus brutale. Notre soutien est crucial", a insisté Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Il a promis, sans plus de détails, "des équipements défensifs, des armes et des munitions dans tous les calibres nécessaires". C'est un tournant dans l'histoire de l'Union européenne: d'une île de paix à une forteresse guerrière. L'idée d'une défense européenne semble se profiler à l'horizon. C'est ce qu'affirme le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki: "Nous avons besoin d'une armée européenne forte qui permettra à l'Europe de jouer enfin un rôle important".
Désormais sans complexe, l'Union européenne pousse au réarmement des nations. Plus d'armes, plus de rhétorique, plus de "nationalisme" à l'échelle européenne. Le sentiment anti-russe est accentué par un embargo culturel digne du Moyen Age (les auteurs et l'art russes ont été bannis des programmes culturels de nombreuses institutions européennes). Même les pays les plus pacifiques ou neutres (voir la Suisse) envoient candidement des armes à la résistance ukrainienne dans une spirale de haine et de violence que personne ne semble pouvoir arrêter.