En 1914, les partis politiques se sont rangés derrière l’« union sacrée » : la lutte des classes était mise entre parenthèses, et des millions d’ouvriers, de paysans, de travailleurs de métropole et des colonies étaient envoyés au massacre dans les tranchées. Déjà, à l’époque, les femmes payaient un lourd tribut, tant les infirmières du front que celles qui produisaient l’armement derrière les lignes dans des conditions de travail déplorables. Aujourd'hui, elles sont passés en première ligne du combat sanitaire. Nous sommes en 2020, notre président perlimpinpin déclare la guerre à un virus et proclame l’union nationale, rebelote sociale !
La Ville de Paris a serré le frein de toutes les mesures de prévention demandées par les agents et leurs représentants depuis le début de la crise sanitaire, aussi Anne Hidalgo donne-t-elle maintenant dans la surenchère en demandant le durcissement des mesures de confinement. Elle compte faire passer sous silence le fait que les jardins publics ouvraient lundi 16 mars au matin, avant de fermer sous la pression des ouvrières et ouvriers du service d’exploitation. Elle compte faire passer sous silence le fait que les musées et bibliothèques recevaient une succession d’ordres d’ouverture et de fermeture jusqu’au dimanche 15 mars, et que les CHSCT ne reçoivent aucune nouvelle des directions depuis. Elle compte faire passer sous silence l'abandon des animatrices et animateurs livrés à eux-mêmes sans directives pour organiser l'accueil des enfants du personnel soignant.
La Ville de Paris se targue d’avoir mis en place des plans de continuité de l’activité (PCA)… tellement bien mis en pages qu’ils en feraient oublier le fait qu’ils transcrivent des désirs à cent lieues des réalités. Un aveu reste figé, celui du relais des mensonges du gouvernement, qui affirme que les masques ne sont pas utiles pour celles et ceux qui ne sont pas malades, et refuse « en même temps » de réaliser des tests, si bien que personne ne sait s’il est infecté par le coronavirus. Or, on est contagieux plusieurs jours avant d’être malade, car la charge virale monte tandis que la réponse immunitaire ne s’est pas encore mise en place. Le rhume et la fièvre sont les symptômes de la réponse immunitaire, tendant à faire chuter la charge, mais c’est bien au début des symptômes qu’elle est maximale, comme le rappelait encore ce matin le docteur Philippe Juvin au micro de Nicolas Demorand sur France Inter.
Aussi dans les EHPAD du centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP), les masques sont rationnés, délivrés au titre de la protection individuelle aux aides-soignantes lorsqu’elles s’occupent de résidents suspectés de contamination. Les masques doivent être utilisés comme des protections collectives, pour ne pas courir le risque qu'une collègue infectée transmette le virus à une flopée de résidents, le transmettant à leur tour aux soignantes, et provocant une hécatombe au sein de cette population fragile. À l’EHPAD François-Ier, des premiers cas de décès chez les résidents ont été signalés, concomitamment à des arrêts maladie chez le personnel soignant.
Au CASVP encore, on tranche entre le risque lié au déplacement et celui lié aux interactions sociales. Mauvaise pioche : la limitation des déplacements est une sous-catégorie de la limitation des interactions sociales, or les trains, les métros, les bus sont presque vides, et les Vélib n’ont jamais été aussi disponibles. La direction a ainsi fait le choix, malgré le droit d’alerte exercé par la CGT, de recourir au regroupement des agents. C’est-à-dire de mélanger jusqu’à quatre services au sein des mêmes locaux, quand bien même certains agents avaient déjà présenté des symptômes caractéristiques du Covid-19. Le « dialogue social » n’a jamais autant été un dialogue de sourds, un monologue entaché d’illégalité puisque la procédure découlant de l’exercice du droit d’alerte n’a pas été poursuivie. Devant ces directions incapables de réfléchir par elles-mêmes, aveuglés par les directives qu’il ne faudrait surtout pas surpasser, des agents se sont retirés face au danger.
L’AFP indique qu’« aucun agent parisien n’a fait valoir son droit de retrait », et là encore le mensonge est flagrant, car les cas se comptent par centaines, même si parfois ils trouvent une résolution. Dès le 3 mars, à la suite de l’exercice du droit d’alerte par la CGT au CHSCT de Paris Musées, les agents des Catacombes faisaient usage de leur droit de retrait, jusqu’à obtention des moyens de protection : gants et gel, mais pas de masques, proscrits par la direction générale, pour qui le plus grave aurait sans doute été d’effrayer le public et de faire diminuer les recettes. Les finances de l’établissement ne se seraient pas encore remises de la grève victorieuse de 2018 ? Toujours est-il qu’à présent les projections financières s’assombrissent
A la direction de l'immobilier, de la logistique et du transport (DILT), les agents montent à 3, sans masque, dans les cabine de camion. Un agent d’accueil à la santé fragile était maintenu en poste le 16 mars, dans un immeuble qui n’accueillait déjà plus de public. Quand l’agent écrit à sa hiérarchie pour exercer son droit de retrait, le responsable d’agence répond que « ce n’est pas un droit de retrait » ! Ils sont vraiment fortiches ces chefs, à mieux savoir que vous si vous flippez pour votre vie ou pas ! La raison de ce déni systématique ne trouverait-il pas son origine dans des mystérieuses consignes ? Ces consignes ne seraient-elles pas elles-mêmes guidées par la crainte du juge ? En effet, l'article L4131-4 du code du travail stipule que "Le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé."
Il est donc recommandé à chaque agent qui a un doute sur sa parfaite mise en sécurité dans une situation de travail prescrite par l'employeur, d'exercer son droit de retrait et de le formaliser par écrit au registre des dangers graves et imminents (DGI), ou au registre hygiène et sécurité (HS), faute de pouvoir accéder au registre DGI.
A Hongkong, touché bien avant la France, le bilan serait de 4 morts, sans avoir eu besoin de recourir au confinement de la population, malgré une densité de population extrême. Dès la première alerte, les Hongkongais ont de concert dégainés leurs masques. Mais non, le gouvernement français sais mieux que tout le monde et n'y voit aucun lien de cause à effet. Ou plutôt, il cherche à la fois à minimiser sa responsabilité dans le manque d’anticipation dans l’approvisionnement en masques et à réduire les effets de panique et surtout de colère subséquents. Et l’AFP comme la Maire de Paris succombent à l’union nationale, en recelant ce qui sera peut-être un jour jugé devant la cour d’assises.
Contrairement à ce qui est souvent dit et écrit, la CGT sait être force de propositions, encore faut-il avoir su les entendre. Elle sait aussi s’armer méthodologiquement et assurer la veille réglementaire. Elle avait noté, entre autres, que le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 « relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 » empêchait tout bonnement n’importe quel employeur de procurer des masques à ses fonctionnaires ou ses salariés sans risque de voir ses stocks réquisitionnés. La balle était donc dans le camp du gouvernement. Elle a relevé depuis que le décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 venait modifier le premier, en apportant une souplesse, en l’occurrence la possibilité d’adresser une demande d’importation au ministre des solidarités et de la santé, qui a soixante-douze heures pour prononcer une réquisition, « le silence gardé par ce ministre (...) au-delà faisant (...) obstacle à la réquisition ».
La CGT préconise donc à Madame la Maire de Paris, de procéder à toute les commandes possibles en utilisant toutes les ressources mondialement disponibles, en adressant toute demande utile au ministre dès les stades de préparation de commandes. Puisqu’elle déclarait à l’AFP pouvoir « sécuriser nos équipes deux mois à raison de trois masques par jour et par personne », pour les 9 000 agents mobilisés sur le terrain et 7 000 agents en contact direct avec le public, il devrait même être possible de passer un appel d’offres en procédure accélérée, comme le ministère de l’intérieur l’a fait pour les policiers. Toujours est-il que les agents ne doivent pas attendre pour recevoir les masques !
La bonne nouvelle, c’est que la Chine produirait des excédents de masques après avoir passé le pic de l’épidémie, ces Chinois dont se moquait la porte-parole du gouvernement français. Madame Hidalgo, osez rompre cette unité nationale de pacotille et prendre le parti de la responsabilité en protégeant la population parisienne et les agents du service public parisien. Les travailleurs et travailleuses de ce pays veulent bien donner encore une chance à leurs édiles locaux, mais ils ne peuvent plus rien pardonner à ce gouvernement qui triche, ment comme il respire, éborgne, arrache des membres, emprisonne et vole les plus pauvres pour donner aux plus riches.
Au CASVP la politique commencerait à s'infléchir, puisque plusieurs collègues des secteurs de l'intervention sociale et de la lutte contre l'exclusion nous remontent que les masques leurs sont maintenant mis à disposition en quantité cohérente. Reste à entendre leur propriété de protection collective dans un contexte de crise sanitaire, et de procéder à la distribution de masques, au minimum anti-projection, à tous les usagers en contact avec les agents. En revanche, il semble que dans les EHPAD ce soit encore le statut quo. Il faudra applaudir encore plus fort nos personnels soignants ce soir à 20h, car notre clameur ne parvient pas encore au sommet de certaines tour d'ivoire.
P.-S. : La CGT a aussi relevé que le site Legifrance n’était pas à jour, puisque la version consolidée du 1er décret ne prenait pas en compte les modifications apportées par le second. Les agents chargés des mises à jour du Journal officiel de la République auraient-ils ou elles exercé leur droit de retrait ?