Le 2 mars 2024, à Reims
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Monsieur le député, Madame la députée.
Le 25 novembre 2017, date de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le Président de la République a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la Grande Cause du quinquennat. A travers son discours du 24 novembre 2017, M. Emmanuel MACRON confirme avec détermination que l’éradication des mutilations sexuelles féminines (MSF) est une priorité de son mandat.
Ce fort engagement se concrétise par le travail de Madame Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, qui mobilisa la société civile pour réaliser en juin 2019 le « Plan National d’Action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines. ». Il prévoit un ensemble de mesures comme l’amélioration de la santé des femmes excisées, la sensibilisation et la formation des professionnels, la création d’outils de prévention, la mise en œuvre d’études de prévalence et un meilleur ciblage des territoires les plus concernés.
Nous pouvons être fier que la France soit une nation pionnière en ce qui concerne la lutte contre l'excision. En effet, la mise en place d'un cadre juridique solide, la création d'une chirurgie du clitoris inventée par le Dr Pierre Foldès et entièrement remboursée par la sécurité sociale, la mise en place d'unités de soin multidisciplinaire pour accompagner les femmes concernées, ainsi que le premier plan d'action de 2019 montrent la détermination de notre pays à faire respecter le droit des filles et des femmes.
Cependant, je me permets de vous interpeller sur une situation gravissime, celle de l’ONG « Les Orchidées Rouges ». Marie-Claire Kakpotia, survivante de l'excision, fonde cette institution en 2017 à Bordeaux pour lutter contre les mutilations sexuelles féminines et les mariages forcés. Fruit de sa détermination, elle ouvre en 2020 dans la même ville le premier Institut Régional médico-psychosocial spécialisé dans l’accompagnement des femmes survivantes de l'excision et des mariages forcés. Un deuxième institut voit le jour à Abidjan en Côte d’Ivoire en 2021 et un troisième à Lyon en 2023.
Actuellement, ces instituts médico-psychosociaux regroupent 60 professionnels de différents domaines disciplinaires : médecins généralistes, gynécologues, chirurgiens, sages-femmes, infirmières, psychologues, sexologues, socio-esthéticiennes, juristes, assistantes sociales. En fonction du besoin des femmes, l'accompagnement individuel avec les acteurs cités ci-dessus se complète par des dispositifs collectifs tels que les groupes de paroles ou des ateliers d’éducation à la sexualité. Cette démarche globale et multidisciplinaire, alliant consultations individuelles et outils collectifs, permet de répondre à la souffrance des femmes excisées en favorisant la reconstruction psychologique, la réappropriation de leur corps, et pour celles qui le souhaitent, une transposition du clitoris.
L’impact thérapeutique locale des « Orchidées Rouges » n'est plus à prouver. Depuis l'année 2020, 900 filles et femmes survivantes d’excision et de mariages forcés ont été accompagnées dans les instituts médico-psychosociaux ; 85 % d'entre elles affirment se sentir mieux psychologiquement 3 mois après le début de leur accompagnement, et 95 % d'entre elles déclarent se sentir soutenues et épaulées par les équipes ; pour finir, au moins 16 000 personnes ont été sensibilisé grâce aux actions de terrain (Rapport d'activité 2022).
Le travail rigoureux de l’ONG a été récompensé publiquement à de multiples reprises :
- En 2020, elle reçoit le Grand prix de la Fondation des Femmes pour son projet de création de l'unité de soins régionale et pluridisciplinaire pour les survivantes d’excision et de mariage forcé.
- En 2021, elle obtient un statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU ainsi que le « Prix Résilience ONU Femmes France ».
Cependant, malgré le travail pionnier et essentiel des « Orchidées Rouges », l'existence de l’ONG est aujourd’hui menacée. En effet, lorsqu'elle a ouvert son institut médico-psychosocial à Lyon en 2023, l’Etat et les collectivités locales ont promis un financement à la hauteur des besoins présents sur le territoire - la région Rhône-Alpes étant le deuxième territoire le plus touché par l’excision. Or, les engagements politiques n’ont pas été tenus puisque les subventions promises pour l’ouverture du centre n’ont jamais été reçues. La raison serait la labellisation de l’Etat de certaines structures sanitaires qui doivent être développées sur l’ensemble du territoire, ce qui obligent les collectivités locales à dédier la plus grande part de leur budget vers la création de ces établissements. Si nous saluons toutes et tous l’initiative de l'Etat d’ouvrir ces établissements, ceci engendre involontairement une inégalité en privilégiant le financement de certaines structures plutôt que d'autres.
Cette situation met l’ONG dans une situation financière intenable, et les maigres subventions accordées ne permettent pas de couvrir les charges fixes, et encore moins la rémunération de ses salariées et de ses intervenants extérieurs. Sans réaction forte de la part des collectivités locales et de l'Etat, la fermeture des « Orchidées Rouges » engendrerait des conséquences sanitaires et sociales importantes : d’une part pour les femmes françaises et étrangères excisées qui ne pourront plus être soignées par des équipes spécialisées. Alors qu'on estime que 4 000 femmes, au minimum, résident dans le département du Rhône, les conséquences sanitaires en seraient donc terribles. D’autre part, ce sont des emplois qui seront supprimés, de Bordeaux jusqu'à Lyon.
En tant que député.e de la nation, je vous écris cette lettre pour vous demander d’agir au nom de la défense du droit des femmes. Pour éviter la fermeture de l’ONG et de l'ensemble de ses instituts médico-psychosociaux, seule une réponse politique forte pourra résoudre cette situation delicate.
Alors que notre Nation désire jouer un rôle essentiel, tant au niveau national qu’international, sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes, l'enjeu présent dépasse donc celui du seul sauvetage de cette ONG exemplaire. Il met en jeu notre cohérence et notre détermination dans l'application de nos valeurs républicaines et universelles en permettant aux Orchidées Rouges de continuer leurs activités essentielles.
Alors que nous sommes à quelques jours du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous ne pouvons célébrer ce jour historique en laissant une institution pionnière dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines et les mariages forcés fermer ses portes, ce qui engendrerait des inégalités d'accès aux soins pour des milliers de femmes.
En espérant que ma lettre retiendra votre attention, veuillez accepter, Monsieur le député, Madame la députée, l’expression de mes salutations distinguées.
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Valentin ASTIER