Cet article traite de la primaire populaire qui s’est terminée le 30 janvier avec la victoire de Christiane Taubira. Dans un premier temps, je poserai la question de la légitimité du dispositif à partir de deux variables : les candidat.e.s et les sympatisant.e.s de “gauche”. Petite parenthèse, j’utiliserai le terme « gauche » toujours entre guillemets. En effet, ce terme a pour fonction, dans cet article, d’englober l’ensemble des candidatures qui s’en réclame, que ce soit de manière réelle ou supposée (je parle ici de la nébuleuse du PS). Ensuite, je soutiendrai l’hypothèse que son organisation a eu comme effet de produire une double discrimination de classe et d’âge. Pour finir, j’évoquerai la victoire de Christiane Taubira.
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Quelle légitimité de la primaire populaire ?
On peut se demander quelle est la légitimité de la primaire populaire pour représenter les forces de « gauche » aux élections présidentielles. Pour répondre à cette question, prenons la population des votant.e.s et des prétendant.e.s. Commençons par ces derniers. Le choix des 7 candidats s’est réalisé de manière partiale. En effet, tous s’inscrivent dans la gauche réformiste, du social-libéralisme du PS à l’anti-libéralisme de la France Insoumise. La primaire populaire bride donc arbitrairement les frontières de la « gauche », entre ceux qui sont respectables et les autres. Où sont Nathalie Arthaud, Philippe Poutou et Anasse Kazib ? Bien évidemment, les trois refusent catégoriquement toute alliance avec les autres partis réformistes ou libéraux, mais leur refus reste le même que celui de Mélenchon, Jadot et plus récemment Hidalgo.
Ensuite, comme je l’avais déjà noté dans un précédent article, il est intéressant de voir qu’en majorité, ceux et celles qui soutiennent cette primaire, ou l’ont soutenus, (Hidalgo, Montebourg, Taubira, Larrouturou), s’inscrivent dans la nébuleuse du parti socialiste, un parti bourgeois et libéral qui a engagé une guerre sociale carabinée envers la classe ouvrière pendant 5 ans. Cet appel à l’union de la gauche sonne moins comme une volonté de mettre en place un véritable front de lutte sociale qu’un désir opportuniste de ne pas mourir politiquement. Par ailleurs, comment oser parler d’une union entre les libéraux et les antilibéraux ? On devrait plutôt parler d’une tentative de réconciliation, celle-ci étant par définition impossible puisqu’une partie de la « gauche », par son acceptation du capitalisme néolibéral, ne l’est plus depuis longtemps ! Pour finir, la perspective de l’union permet de faire table rase du passé, en distribuant aux membres actuels ou anciens du PS une nouvelle virginité après un mandat littéralement antisocial : guerre sociale contre de la classe ouvrière, austérité, CICE, Pacte de responsabilité, détricotage du code du travail, dénie des violences policières, discrimination envers les personnes en situation de handicap et les réfugiés etc.
Ensuite, discutons de la légitimité de la primaire populaire à partir des citoyen.ne.s. Nous savons que seulement 392 738 personnes ont voté alors que l'électorat de “gauche” s’élève à 10 millions d’individus (élections présidentielles de 2017), soit 3,93 %. Outre la très faible participation à cette primaire, il y a un autre problème de représentativité. Ceux et celles qui ont voté sont principalement des sympathisant.e.s du PS. Comme le montre le sondage réalisé par l’IFOP, 62 % des sympathisant.e.s du PS sont intéressé.e.s par la primaire contre 33 % pour la France Insoumise. Par ailleurs, bien que le sondage n’apporte pas de données sur ceux et celles qui ont réellement voté, un simple aperçu des résultats montre que la tendance socialiste s’est manifestée de manière très forte. En d’autres termes, la primaire populaire offre une fausse représentativité de “gauche” pour élire un.e candidat.e avec peu de poids politique, dont Christiane Taubira en est le schéma. Les dés sont donc pipés depuis le début.
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Une double discrimination classiste et agiste ?
L’organisation de la primaire populaire a-t-elle eu pour effet de discriminer certaines personnes ? Petite parenthèse, cette hypothèse n’est en rien un jugement contre les organisateurs.trice.s qui n’ont eu que peu de moyens pour mettre en place une tel dispositif. Cependant, la question de la discrimination doit être posée.
La sociologie des élections nous montre que les primaires sont des options politiques qui mobilisent principalement les classes sociales à fort capital culturel, y compris économique, c’est-à-dire des classes moyennes à la petite-bourgeoisie, contrairement aux dynamiques populaires qui favorisent des candidat.e.s hors primaires. Le sondage Ifop de janvier 2022 sur l’intérêt de la primaire populaire corrobore cette analyse. En effet, on constate que plus le niveau de diplôme est élevé et plus l’intérêt pour la primaire grandit, ce qui favorise une nette participation au dispositif. Ainsi, 31 % des personnes détenant un diplôme du supérieur sont intéressées, 28 % pour un niveau de 1er cycle (licence, DEUG, LMD), 20 % pour le baccalauréat (mais sans distinguer le professionnel et le général alors que cela peut avoir une incidence sur la position sociale), 22 % pour les non-diplômé ou détenant le BEPC, et 16 % pour le CAP/BEP. Ainsi, on remarque une différence de 9 points entre les diplômés du supérieur et les non diplômés et jusqu’à 15 points entre les premiers et les CAP/BEP. Le principe de la primaire est donc une discrimination de classe.
La seconde discrimination est liée à l'âge. En effet, les primaires mobilisent peu les personnes d’un certain âge. Le sondage IFOP réalisé en janvier 2022 sur la primaire populaire montre que plus l’âge est avancé et plus le désintérêt pour la primaire progresse. Ainsi, 26% des personnes entre 18 et 24 ans sont intéressées, 30% pour les 25-34 ans, 36 % pour les 35-49 ans, pour fortement diminué à 17 % pour les 50-64 ans et 18 % pour les plus de 65 ans.
Mais surtout, la participation à la primaire populaire par l’usage d’internet aggrave les difficultés de contribution de certaines personnes à cause de la fracture numérique. Selon l’INSEE, en 2019, 15 % de la population n’a pas accès à internet au cours de l’année. L’Institut établit qu’il y a trois populations qui subissent les plus fortes inégalités : principalement les personnes âgées, puis les moins diplômés et les revenus faibles et précaires - nous retrouvons à nouveau notre discrimination de classe à partir de la fracture numérique. Ainsi, « une personne de plus de 75 ans sur deux n'a pas d'accès à Internet depuis son domicile (53%), alors que seuls 2% des 15-29 ans ne sont pas équipés. C'est également le cas de 34% des personnes peu ou pas diplômés (contre 3% des diplômés du supérieur), et de 16% des ménages les plus modestes (contre 4% des ménages les plus aisés). » Par ailleurs, les départements d'outre-mer sont également concernés par les inégalités d’accès à internet. Pour finir, le sondage montre que l’intérêt pour la primaire se concentre principalement dans l’agglomération parisienne (28%), bastion du parti socialiste, ensuite dans les communautés urbaines de province (23%), et pour seulement 17% pour les communes rurales.
En définitif, malgré l'absence de volonté de discriminer certaines populations, l’organisation de la primaire populaire a eu des effets discriminatoires en termes de classe et d’âge.
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Sur Christiane Taubira
Il y a quelques semaines, j’ai écrit un article sur Christiane Taubira où je posais l’hypothèse que sa candidature s’inscrivait dans une logique sociale-libérale. Il semblerait, au regard de ses premières propositions, que Taubira ait évoluée vers une gauche social-démocrate en comparaison de sa candidature en 2002, et à son implication dans le mandat socialiste libéral. Cependant, même après avoir musclé son jeu, un doute sur sa crédibilité demeure.
Il y a quelques jours, la gagnante de la Primaire Populaire a fustigé François Hollande en affirmant “qu’il a sa part de responsabilité dans l’état de la gauche”, en minimisant par la même occasion son implication durant 4 ans au gouvernement Ayrault et Valls. Pendant celui-ci, par sa présence volontaire, elle a accepté la violence sociale de la classe ouvrière à travers l’austérité, la loi Macron, le CICE, le Pacte de responsabilité, la déconstruction des actions positives sur les personnes en situation de handicap, les tests osseux sur les migrants etc. On peut noter également son silence assourdissant face à la mort de Rémi Fraisse. La ministre s’est fendue d’un simple tweet de soutien à la famille alors qu’elle était forcément au courant des causes de la mort du militant écologiste. Elle n’a jamais condamné pleinement les violences policières au barrage de Sivens, ni l’impunité des agresseurs, tout en participant activement au renforcement des dispositifs répressifs de la justice.
Par ailleurs, si sa candidature est honnête, elle devrait inscrire dans son programme l’abolition de toutes les lois antisociales et anti-ouvrières du mandat du PS. En effet, c’est beaucoup trop facile de faire table rase du passé ou de remettre la responsabilité sur les autres. Il faut assumer ses responsabilités politiques et les conséquences de son investissement et de sa participation au mandat libéral, raciste et bourgeois du parti socialiste.
Ensuite, dans mon précédent article sur Taubira, je tentais d’expliquer cette aura si positive qu’elle dégage et qui lui permet, sans aucun programme, d’avoir d’ores et déjà des centaines de milliers de voix. Or, on ne gagne pas une élection présidentielle seulement sur une image ou sur une éloquence, et son impréparation s’est révélée lors de son audition pour la Fondation Abbé Pierre. Alors que l’association n’a posé aucune question piège, Christiane Taubira fut très en difficulté pour répondre aux questions : impréparation, imprécision et improvisation sont les trois termes qui qualifient cette interview qui, pour le coup, est particulièrement gênante.
Evidemment, l’ensemble des opposants de la droite profitent de cette occasion pour attaquer l’ancienne ministre de la Justice, tandis que la « gauche » la soutient prétextant que tout le monde peut rater une prestation. Mais soyons honnête, si cette interview ratée avait été le fruit de Pécresse, Macron, Le Pen, Dupont-Aignan ou Zemmour, l’ensemble de la « gauche » aurait tancé le ou la candidat/e de droite pour son manque de rigueur, son décalage avec les réalités du terrain, son insuffisance voire son incompétence pour répondre aux questions des personnes fragilités dans leur logement.
Ainsi, la réalité est tout de même là. Christiane Taubira s’est introduite à la présidentielle il y a trois semaines, sans programme, sans aucune préparation, simplement soutenue par cet aura positive dans un certain milieu de la « gauche » tout en espérant se construire une légitimité par la primaire populaire. Son impréparation s’est révélée au grand jour et il pose question. Le mal-logement et le sans-abrisme sont des sujets importants qui concernent 4 millions de personnes (6% de la population), c’est pourquoi un.e candidat.e ne peut être aussi imprécis.e sur ces sujets. On ne peut pas improviser des idées devant une association qui lutte contre le mal-logement, et encore moins pour prétendre à la présidence et répondre aux besoins des premiers concernés.