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Billet de blog 9 avril 2022

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Un besoin de communisme

Pour ce jour d’élection présidentielle, je n’ai en aucun cas envie de parler de politique politicienne. Je voudrais vous proposer autre chose, partager nos convictions, nos espérances, nos valeurs, nous, les communistes révolutionnaires. Trop souvent caricaturé, le communisme nous propose pourtant des figures du possible et une orientation concevable pour s'émanciper du capitalisme mortifère.

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1. La difficulté de se définir communiste

Dans les milieux militants, je suis toujours surpris par la difficulté d’accepter l’hypothèse communiste. Celle-ci est victime des expériences politiques qui se sont réclamées de son héritage mais qui, pour la quasi-exclusivité, ne sont que corruption du projet philosophique, social et politique de Marx et de ses successeurs. Par ailleurs, j’observe qu’un nombre grandissant de militants et de militantes se définissent « anti-capitaliste ». Cette expression me déplaît puisqu’elle est vide, sans contenu, sans imaginaire politique, et ne définit pas d’orientation plausible pour l’avenir des travailleurs et des travailleuses. Pourtant, nous avons deux grandes hypothèses dont chacune d’elles possèdent une pluralité de propositions pour nous aider à penser notre émancipation du capitalisme. Encore aujourd’hui, ces deux théories posent des concepts d’une grande puissance, mais elles sont victimes de l’autorité des forces conservatrices qui ont réussi à empêcher même leur nomination : le communisme et l’anarchisme.

Contre cette forme de retenue à se définir proche, voire communiste, je pense qu’aujourd’hui, il est la voie la plus pertinente à suivre, tout comme les certains enseignements de nos camarades anarchistes - le fédéralisme, la question du pouvoir et de l’autorité, la critique bakounienne du dépérissement de l’Etat -, et pour lesquels je refuse toute guerre fratricide caricaturale, contrairement à trop de camarades trotskistes pour qui ce qui n’est pas trotskyste est petit-bourgeois.

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2. L’hypothèse communiste

Se définir communiste n’est pas une position politique anodine. Elle repose sur des orientations concrètes qui permettent de concevoir un nouveau rapport au monde. Comment expliquer ses modalités ? Je propose une double entrée : la première traite d'éléments structurants la philosophie communiste, la deuxième présente des institutions concrètes, autrement dit des figures politiques du possible. Ces deux approches ne sont pas antagonistes mais complémentaires. Il est certain que mes approches seront contestées et contestables. Mais le communisme n’est pas une doctrine figée et unidimensionnelle. C’est un projet ouvert qui permet à chacun de penser un rapport au monde à travers une pluralité de propositions.

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Six éléments structurants

Je voudrais définir le communisme à partir de 6 éléments structurants. Premièrement, l’idée communiste nécessite d’assumer la rupture épistémologique engagée par Marx au 19ème siècle contre l’idéalisme, pour qui l’analyse du réel et le changement social s’opèrent à travers les idées. Contre cette attitude bourgeoise, Marx propose une philosophie de l’action en partant des êtres humains, de leur activité concrète et de leurs conditions matérielles pour penser le monde. Le changement social devient un phénomène historique produit par des êtres « en chair et en os » - selon les propos de Marx -, qui, poussés par des conditions matérielles délétères engendrent leur propre émancipation collective. Par sa méthode matérialiste, Marx montre comment la réalité est socialement construite. Il ouvre donc la voie à l’analyse des rapports de domination qui génèrent des effets sociaux concrets en termes de déséquilibre dans les ressources matérielles, économiques, sociales, culturelles et symboliques, qui désavantage les groupes dominés au profit des groupes dominants. 

Deuxièmement, quitte à enfoncer des portes ouvertes, l’hypothèse communiste repose sur la conviction que l’humanité peut s’extraire du totalitarisme du mode de production capitaliste. Le poids oppressant de la propriété privée, des marchés financiers, la quête de profit et de la rentabilité comme principale loi de l’économie, la fréquence régulière des crises économiques, produisent des formes d’inégalités intolérables aux effets mortifères. Par ailleurs, le capitalisme est un mode de production qui inscrit la mort au sein même du travail, n’en déplaise aux petits-bourgeois qui nous proposent leurs programmes de gestion bienveillante et d’entreprise libérée à la sortie des écoles de commerce et de management. Ainsi, libérer l’espace collectif de l’emprise du capitalisme est l’élément fondateur du communisme. 

Troisièmement, le communisme est la certitude que la propriété privée et la division du travail dans l’entreprise doivent être dépassées. Autrement dit, ce sont les travailleurs et les travailleurs, qui, par leur libre association, doivent organiser le travail. La réappropriation du travail ne peut se réaliser sans la récupération de l'outil de production qui permettra de garantir à tous les travailleurs et les travailleuses, un droit politique de participation à l'organisation des procédures de travail et à l'organisation économique de l'entreprise.

Quatrièmement, l’idée communiste soutient que l’Etat, établi par Marx comme un outil coercitif séparé de la société et utilisé par la bourgeoisie pour mater la classe ouvrière, n’est pas une forme indispensable pour structurer les sociétés humaines. La violence, le conservatisme, la bureaucratie, sont intrinsèques à l’Etat bourgeois. Ainsi, si l’Etat est l'instrument de la classe dominante, l’outil qui lui permet de maintenir l'antagonisme des classes sociales mais également l’ensemble des contradictions de nos sociétés, alors il faudra savoir s’en passer. Contrairement aux caricatures qui font des communistes des passionnés des formes étatiques, l’idée communiste au contraire aspire à la suppression de l’Etat bourgeois par son dépérissement progressif, en y amenant des pratiques fédéralistes et démocratiques qui permettent aux localités d'acquérir une autonomie certaine.

Le cinquième élément est l’internationalisme. Parce que le communisme est un mode de production transnational basé sur la libre association des producteurs, il ne peut être nationaliste. L’internationalisme recherche une solidarité internationale entre tous les prolétaires, unis par une condition sociale et des intérêts communs. Il s’impose donc comme une pratique anti-impérialiste, anti-colonialiste, pacifique, et fraternelle entre les prolétaires de tous les pays.

Le sixième élément structurant du communisme est l’aspiration à la résolution des contradictions. C’est le grand projet de Marx : la mise en place d’une société délivrée de ses antagonismes et de ses aliénations pour une totalité harmonieuse. Ces oppositions sont diverses : capital et travail, bourgeois et prolétaire, Etat et société civile, activité industrielle et environnement, ville et campagne, homme et femme, racisé et blanc, hétérosexualité et minorité sexuelle etc. Si Marx n’a jamais travaillé sur nombre de ces oppositions, notre travail de contemporain.e est de poursuivre cette voie par la méthode matérialiste, afin d'émanciper les classes dominées des multiples dominations structurelles qu’elles subissent dans les rapports sociaux de classe, de race, de sexe, de genre et validiste. 

Ces six éléments forment donc une alternative globale et radicale à proposer pour l’humanité. Cependant, je sais par expérience que ce propos ne convainc pas forcément en raison d’une trop grande abstraction. Certaines personnes ont besoin de figures concrètes pour imaginer une alternative cohérente. C’est la deuxième entrée pour présenter le communisme.

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Quelles figures pour le communisme ?

La démocratie ouvrière et autogestion

L’institution principale du capitalisme est la propriété lucrative des moyens de production. Elle attribue le droit pour un individu ou un groupement d’individus de posséder et de disposer d’un instrument de production et de toutes les forces productives en son sein (les travailleurs, les machines, les matières premières etc.). La détention des moyens de production et des forces productives par la bourgeoisie lui assure une suprématie économique et politique en subordonnant des classes sociales dominées dépendantes du rapport salarial, de l’exploitation et de la division du travail. 

L’idée communiste propose une réappropriation de l’outil de production par les travailleurs et travailleuses, qui, par leur libre association, planifient la production en fonction des besoins de la société. En France, nous avons déjà des formes alternatives à la propriété capitaliste, comme l’exemple des SCOP. Comme le rappelle le sociologue Benoît Borrits, dans ces coopératives les travailleurs sont majoritaires en voix comme en capital ; les décisions se prennent sur la base d'une voix par personne ; l’objet social est prioritaire sur l’objet économique. La production s’organise par la libre association des travailleurs pour le développement social et écologique de la société. En effet, on observe un questionnement aigu dans les SCOP sur l’impact de la production sur les salariés (diminution des risques psychosociaux) et sur la société, en termes de qualité de produit et de protection écologique. 

Néanmoins, la coopérative n’est pas une forme parfaite. Sa critique remonte au mouvement ouvrier naissant au détour du 19ème siècle. Deux objections sont importantes : la détention d’un capital et la recherche de marchés pour survivre. Ainsi, la Scop ne conteste pas les mécanismes de marché, et il est également possible que les travailleurs associés puissent se conduire comme des capitalistes pour augmenter leurs revenus et écraser leurs concurrents. Pour autant, la SCOP propose une alternative concrète dont les limites peuvent être dépassées par leur généralisation et une réflexion globale sur nos manières de produire et d’échanger, autrement dit sur des nouvelles règles de commerce. 

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Salaire à vie et qualification personnelle

Les récents travaux de Bernard Friot et du Réseau Salariat nous permettent de proposer de nouvelles figures du possible. Leurs propositions sont tellement radicales qu’elles permettent de se libérer, outre de la propriété lucrative, du marché du travail, de la mesure de la valeur par unité de temps de travail et du crédit bancaire. Plus précisément, elles permettent de proposer une alternative globale et non parcellaire d’un avenir communiste concevable. Les supports sont le salaire à vie, la qualification personnelle et la cotisation sociale. 

Dans le système capitaliste - excepté l’auto-entreprenariat dont il faudrait également faire une critique -, le travailleur doit se soumettre au rapport salarial, c’est-à-dire à un rapport d'obéissance antidémocratique dont l’un va dépendre de l’autre, ou se voit contraint de survivre par l’assistance sociale ou l’autosuffisance. Le salaire à vie, sans doute mal nommé puisque la proposition permet justement de mettre fin à l’exploitation salariale, permet au contraire de sortir du rapport salarial, mais également de la logique du marché et de la mesure de la valeur par unité de temps de travail (rémunération en fonction du temps de travail). Il propose de verser à tout.e citoyen.n.e d’au moins 18 ans un salaire comme droit politique indépendamment de son activité quotidienne. Si dans le capitalisme la valeur d’une activité, même néfaste, est reconnue par la valeur économique qu’il crée, avec le salaire à vie c’est l’ensemble des activités et des savoirs du travailleur qui est reconnu comme une valeur sociale bénéfique pour la société à travers une rémunération mensuelle automatisée.

Le montant serait défini selon un niveau de qualification personnelle. Par exemple, nous pouvons fixer plusieurs échelons, de 1 à 4, dont le premier niveau pourrait être fixé à 1600 € net et le dernier à 4000 €. Je sais que c’est un élément qui passe mal dans l’univers trotskyste qui voudrait que tout le monde reçoive une part égale de revenu au risque de reconduire des formes d’inégalités. Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec cette idée. Je pense que le maintien d'échelon de salaire est pertinent, mais qu’il doit être construit démocratiquement en fonction de critères comme par exemple l’ancienneté, la pénibilité et de la dureté du travail, le niveau de responsabilité. Comme dans le modèle de la fonction publique, cette qualification ne peut pas être retirée ou diminuée, c’est un attribut inaliénable du travailleur, d’où l’absence de chômage dans la fonction publique. 

En conclusion, le salaire à la qualification personnelle est un droit politique qui reconnaît au travailleur son statut de producteur. Il transforme un salarié de l’entreprise capitaliste en sujet politique investi pleinement dans l’organisation d’une société authentiquement démocratique, parce que communiste.

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La cotisation sociale, une nouvelle répartition communiste de la valeur économique

Les propositions du Réseau Salariat ne sont pas parcellaires et incohérentes. Elles forment au contraire une alternative globale - bien que de très nombreux éléments sont encore en travail -, avec comme pilier la cotisation sociale. Concrètement, ce nouveau modèle communiste propose de socialiser l’ensemble de la valeur ajoutée (totalité du PIB) produite par les entreprises et de supprimer tout profit et capital. La valeur ajoutée des entreprises est envoyée dans différentes caisses gérées par les travailleurs eux-mêmes : les caisses des salaires (pour la distribution des revenus), les caisses d’investissement (pour l’investissement et l’autofinancement des entreprises), et les caisses de gratuité (éducation, santé, transport etc). La répartition communiste de la valeur économique peut prendre plusieurs formes. Par exemple, on peut destiner 60 % du PIB aux caisses de salaire, 25 % aux caisses d’investissement, et 15 % aux caisses de gratuité. En définitif, la cotisation sociale permet aux travailleurs organisés de maîtriser la répartition de la valeur ajoutée des entreprises, devenues des collectivités de production. 

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3. Proposer une orientation radicale

On a souvent caricaturé les communistes, à l’instar de nos camarades libertaires, comme des prêcheurs d’un paradis et d’un fantasme de la société idéale sans jamais fournir d'arguments solides. Ceci est un faux-procès. Il n’y a rien d’exceptionnel dans les formes politiques concevables de la société communiste. Dans ce modèle extrêmement schématique que j’ai présenté ci-dessus, on peut proposer une nouvelle organisation sociale, économique et politique de la société en nous passant des actionnaires, des employeurs et des prêteurs. Comme le rappelle le Réseau Salariat dans leur manifeste, la co-propriété des moyens de production nous permet de reprendre le contrôle politique sur l’organisation de la production, la cotisation de nous rendre la maîtrise de la valeur économique que nous créons, le salaire à vie et la qualification nous libère de l’emploi et du marché du travail. 

Cette hypothèse communiste promeut un nouveau statut du producteur qui abolit la convention capitaliste du travail par la reconnaissance de toute la valeur sociale produite par les individus. Par ailleurs, elle détruit également les rapports de production tout en fracturant la division raciste et sexuée du travail. La co-propriété des moyens de production, la cotisation sociale, le salaire à vie et la qualification personnelle, sont des figures du possible qui fondent un nouvel horizon pour une authentique démocratie qui ne porte qu’un nom, le communisme.

Pour autant, il est vrai que la question de l'avènement de la société communiste pose de nombreuses questions : comment fait-on pour généraliser la co-propriété des moyens de production ? Pour collectiviser l’agriculture ?Pour organiser la planification ? Pour établir de nouvelles formes de commerce ? Pour neutraliser les effets nocifs de la concurrence ? Autant de questions dont je n’ai pas de réponses à fournir, et… heureusement. Les communistes ne doivent en aucun cas soumettre un programme politique rigide, mais proposer des figures du possibles et une orientation concevable au regard de la situation présente.

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