Je suis toujours surpris de constater comment les classes dominantes, bourgeoises ou aristocratiques - bien aidées par le système médiatique -, réussissent à aliéner les populations pour leur faire aimer, voire idolâtrer, celles et ceux qui les dominent. Que ce soient le nationalisme, le patriotisme, le libéralisme, mais encore la fascination pour la culture et/ou le mode de vie bourgeois et noble, toutes ces idéologies ont toujours poursuivi la finalité de refouler les appartenances de classes et d'invisibiliser les rapports de domination qui structurent nos sociétés stratifiées.
À la suite du décès de la reine Elizabeth II, Emmanuel Macron désire associer les français au deuil des britanniques. Ainsi, le Gouvernement français a décidé que « les drapeaux devaient être mis en berne sur les bâtiments publics, d’une part, pendant une durée de 24 heures suivant l’annonce du décès de Sa Majesté […] et, d’autre part, le jour de ses obsèques solennelles ».
Que l’État bourgeois soit en peine, qu’il le soit, mais qu’il ne demande pas aux travailleurs et aux travailleuses de l’être. L'Union sacrée avec l'État, institution conservatrice et anti-ouvrière, est une condition sine qua non pour que les dominants puissent continuer d'exister comme ils existent, c'est-à-dire de continuer à dominer comme ils dominent en faisant oublier les conflits de classe.
Si la mort n'est jamais une fête, l’injonction de la peine pour les dominants me répugne. De leur vivant, je n’ai aucune sympathie pour eux. Par cohérence, je n'aurais aucune peine pour leur disparition.
D'ailleurs, je ne crois pas que ces gens versent la moindre larmes pour les prolétaires qui (sur)vivent dans la précarité, en raison de l’opulence de leur richesse acquise par le processus d'exploitation capitaliste. Comme au siècle dernier, le camarade Friedrich Engels accusait la bourgeoisie d’assassinat social. Aujourd’hui encore, nous pouvons faire cette accusation, et elle restera pertinente tant que la bourgeoisie persistera à exister en tant que classe dominante.
L’État bourgeois et néocolonial voudrait donc que l’on soit en peine, mais où sont les drapeaux en berne pour les centaines de milliers/millions de morts du néocolonialisme ? Pour la classe ouvrière française et immigrée mutilée par l'exploitation au travail ? Pour les 135 000 ouvriers qui seront morts d'ici 2025 à cause de l’amiante, dont sa dangerosité était parfaitement connue de bourgeoisie et de l’État depuis le début du 20e siècle ? Pour les 16 000 travailleurs qui contractent annuellement un cancer en raison de l'absorption d'agents cancérigènes principalement issus du travail ouvrier ? Pour les 10 000 morts du chômage par an ? Les 1200 décès annuel de l’activité professionnelle qui fait de la France la première nation des accidents mortels et non-mortels au travail ? Pour les centaines de suicidés au travail ? Les immolés devant Pôle Emploi ?
En réalité, le capitalisme est le premier mode de production qui a inscrit la mort au sein même du processus de production. Mais que l'État bourgeois et néocolonial soit sans crainte, les travailleurs et les travailleuses n’ont aucunement besoin de drapeaux en berne. Si notre dignité est fragilisée par nos conditions matérielles d'existence, elle ne sera jamais revalorisée par les classes dominantes.
En cherchant à toujours associer les travailleurs et les travailleuses à un deuil collectif pour celles et ceux qui nous dominent, l'État ose procéder à une injonction autant révoltante qu’écœurante : alors que ces parasites, les classes dominantes, nous font monter les larmes aux yeux par nos angoisses et nos craintes liées à la précarité de nos existences, nous devons en plus en verser pour leur mort.
J’en suis si peu désolé, mais je n’ai pas assez de larmes pour tout le monde, et je ferai l’économie de les verser pour nos dominants. Pour eux, je leur réserve la colère et la rage dans nos luttes sociales. Pour mes camarades des classes dominées de France et d'ailleurs, la solidarité, la ferveur, et le chagrin pour nos blessés et nos morts que l’on ne compte plus sous le mode de production capitaliste.