Entre les années 70 et 90, la France s’est livrée à une diffusion des thèses pédosexuelles. Que ce soit le champ intellectuel ou médiatique, la culture du viol – c‘est-à-dire des représentations, des croyances et des mythes sur la sexualité des enfants – a atteint son paroxysme. Je vais exposer dans ce billet comment le champ intellectuel a été investis par cette pensée. Dans un second billet, je ferai de même avec les médias. Comme je l’ai déjà expliqué, je refuse d’utiliser le terme de pédophilie car son étymologie diffuse l’idée d’un amour et donc d’une possible réciprocité entre l’enfant et l’adulte. Or, il ne peut y avoir de tendresse dans le viol ou l’agression sexuelle. Cependant, pour discuter une catégorie psychique, j’utiliserai parfois le terme de « pédosexualité ».
Dans un contexte post-68, toutes les institutions de la société sont remises en cause : la prison, l’asile, l’armée, la police, le travail, l’éducation, l’école, la famille, la sexualité, l’homosexualité etc. Toute interaction qui engage une relation de pouvoir doit être contestée. Les partisans de la pédosexualité (qu’ils la pratiquent ou non) se sont engouffrés dans ce mouvement global de remise en cause des normes et de libération des mœurs. Pour ce faire, ils utilisent plusieurs techniques rhétoriques, intellectuelles et politiques. Je vais en présenter quelques-unes ici, mais je renvoie le lecteur ou la lectrice aux livres du sociologue Pierre Verdrager, spécialiste de la pédocriminalité.
- Faire de la pédosexualité une dimension de l’homosexualité
En matière de sexualité, l’homosexualité a toujours été discriminée. Par exemple sous le régime de Vichy, la discrimination s’opère par une asymétrie de la majorité sexuelle en fonction de l’orientation sexuelle. La majorité sexuelle des personnes homosexuelles est au même niveau que la majorité civile de l’époque (21 ans), alors que celle des personnes hétérosexuelles est de treize ans. A la libération, la majorité sexuelle hétérosexuelle passe à quinze ans mais aucun changement pour l’homosexualité. Il faut attendre 1974 pour que celle-ci soit réduite de 21 ans à 18 ans lors de l’abaissement de l’âge de la majorité civile. Puis, c’est seulement l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 qui met fin à cette discrimination. En 1982, la majorité sexuelle homosexuelle descend à 15 ans comme celle de l’hétérosexualité.
Les partisans de la pédosexualité jouent sur la stigmatisation de la majorité sexuelle homosexuelle en la mettant au même niveau que la stigmatisation des pédocriminels. Puis, lorsque la discrimination de la majorité sexuelle homosexuelle est abolie en 1982, cette avancée est considérée comme un premier pas vers l’abolition de toute référence d’âge sur la majorité sexuelle quelle que soit l’orientation sexuelle.[1] L'amalgame entre pédocriminalité et homosexualité est ancien. Cependant, ce lien va se constituer plus profondément dans les années 70. En effet, certains militants connus et appréciés de la cause homosexuelle sont également des militants de la cause pédosexuelle. Pour eux, elle fait partie de l’homosexualité ou en constitue une partie, un cas spécifique. On peut citer des militants comme Gérard Bach, René Schérer, Guy Hocquenghem, Gabriel Matzneff, Tony Duvert et d’autres. Gérard Bach, qui sera l’un des inventeurs du PACS, remarque que pendant longtemps « homosexualité et pédophilie ont été confondus[2] ». Ainsi, rassembler les deux types de sexualité, les reconnaître comme équivalentes en termes de légitimité et de reconnaissance sociale, permet de qualifier le rejet de la pédosexualité comme une nouvelle forme d’homophobie.[3]
L’inscription de la pédosexualité dans l’homosexualité se réalise également dans les mouvements politiques homosexuels. En effet, pendant la « semaine homosexuelle », une journée entière est consacrée à la pédérastie et à la sexualité des enfants organisée par le Groupe de Libération Homosexuelle Politique et Quotidien (GLH-PQ)[4]. Comme nous le verrons plus loin, une partie de la presse gay défend le lien pédosexualité-homosexualité. Le principal journal homosexuel « Gai Pied » (1979-1992) revendique ouvertement le droit de la sexualité entre enfant et adulte, tout comme la revue Homophonie fondée par le Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuelle (1980-1987), et la revue Humoeurs de Gérard Bach crée en 1993.[5]
Il faut attendre les années 90 pour que la séparation entre homosexualité et pédosexualité soit nette dans les mouvements gays. En 1994, l’International Lesbian and Gay Association (ILGA) affirment que les associations qui sont favorables aux relations sexuelles entre mineur et majeur seront exclues. A partir de cette date, tout rapprochement entre l’homosexualité et la pédosexualité est qualifié par la grande majorité des mouvements gays comme homophobe[6], intolérable et patriarcal.
- Pathologiser la société
Pour les défenseurs de la pédosexualité, il faut inverser le rapport entre la victime et le coupable. Si ce ne sont pas les actes pédocriminels qui sont le problème, c’est plutôt dans quel imaginaire sociétal ils s’inscrivent. Ainsi, c’est la société qui devient la fautive. Une société répressive qui empêche les enfants et les adolescent.e.s de pouvoir explorer leur sexualité. Prise dans des croyances, des mythes, des traditions, la société est malade de ses conceptions autoritaires en matière de sexualité. Cet autoritarisme conduirait à une véritable hystérie névrotique, une « chasse aux sorcières » à l’encontre des pédocriminels. Certains intellectuels émettent l’hypothèse d’une phobie contre la pédosexualité, une « pédophobie ».[7]
Pour les thèses pédosexuelles, il faut libérer l’enfant de la famille. Elles disqualifient l’institution familiale car elle est considérée comme « le lieu d'exercice privilégié de la domination », comme une « prison sous l'emprise du patriarcat et des relations hiérarchiques et autoritaires parents et enfants ». Pour extraire l’enfant à ce rapport de forces inégal, la pédosexualité se présente comme une porte de secours à l’enfant qui permet de rétablir des relations équilibrées avec l’adulte au travers de la sexualité.[8]
La langue de bois est également utilisée au travers des comparaisons absurdes qui peuvent être rangées comme « point Godwin ». En effet, afin de marquer les esprits, les défenseurs de la pédosexualité comparent le traitement réservé aux pédocriminels aux oppressés d’hier. Ils comparent leur persécution à celle des communistes, aux femmes emprisonnées pour avortement, aux sorcières brulées vives, et jusqu’à la persécution des juifs. Les pédocriminels sont les nouveaux juifs, et le philosophe René Schérer compare leur rejet à la « Solution Finale[9] ».
- L’utilisation des sciences sociales et humaines
L’utilisation des sciences est stratégique car celles-ci possèdent un haut degré de reconnaissance et de légitimation. Par exemple, les militants de la pédosexualité comme René Schérer utilisent la biologie pour tenter de prouver que la puberté ne démarre pas à 15 ans, mais vers 6 ans[10], ce qui permet de penser une possible sexualité entre adultes et mineur.e.s. La médecine est aussi utilisée. Dans la revues Homophonies, des médecins témoignent que la sodomie des enfants n’est pas un problème. Un d’entre eux écrit qu’il « était surpris de voir qu'il est plus facile de faire des touchers rectaux aux petits enfants qu’aux adultes[11] ».
La psychanalyse Freudienne est mise à contribution. Ses concepts de « pervers polymorphe », de « sexualité infantile » et du « complexe d’œdipe » sont beaucoup utilisés pour justifier la pédocriminalité. Par ailleurs, le concept de « résistance » permet de montrer comment la société résiste aux critiques opposées à la sexualité infantile et contre la pédosexualité. En d’autres termes, si la société réprime la pédosexualité, si elle est en prise à une hystérie obsessionnelle et névrotique en la condamnant, c’est parce qu’elle résiste à la libération de la sexualité car elle est prise au piège dans des tabous moraux[13].
L’anthropologie est aussi mise à contribution. En constatant que dans certaines sociétés primitives les relations sexuelles entre adultes et enfants sont normales - l’inceste n’étant pas interdit voire valorisé -, les pédocriminels concluent que l’interdit de notre société est une construction sociale et politique basée sur un arbitraire bourgeois et religieux, qui refuse de reconnaitre le droit à la sexualité infantile. Par ailleurs, la sexologie est utilisée notamment au travers des rapports du Dr. Alfred Kinsey (1948-1953). Les travaux de ce professeur de zoologie affirment que l’enfant prépubère a une sexualité génitale orgasmique comme celle de l’adulte. Cependant, l’Institut Kinsey reconnait en 1995 que toutes les données sur les « orgasmes infantiles » ne proviennent pas de témoignages de mineur.e mais d’un seul pédocriminel qui a exploité sexuellement des enfants.[14]
Pour finir, la littérature est mobilisée dont l’écrivain Tony Duvert qui est l’un des grands promoteurs de la cause. Dans ses livres, il met en scène des relations pédocriminelles et la revendication de celles-ci trouve un certain écho positif dans le monde littéraire et politique. En effet, en 1982 le Ministère de la Jeunesse et des Sports publie une brochure intitulée « j’aime, je m’informe », qui recommande un livre de l’écrivain qui célèbre les relations entre les enfants et les adultes, donc des viols d’enfants.
Comment ne pas parler de Gabriel Matzneff qui est sûrement le meilleur représentant de la cause pédocriminelle au sein du champ littéraire. En 1977, il publie « Les moins de 16 ans » dans lequel il revendique le droit à la sexualité entre adultes et mineurs : « l’extrême jeunesse, celle qui va de la dixième à la seizième année » est un « véritable troisième sexe » qu’il faut reconnaître. La pédosexualité selon l’écrivain est « la chose la plus naturelle qui soit ! Partout les poètes l'ont célébrée. L'adolescent est dans la plénitude de sa beauté, c'est l’âge tentant qu'on a envie de prendre dans ses bras » et il ne « comprend pas pourquoi tout le monde n'est pas pédophile.[15] Dans son journal il détaille ses relations sexuelles - ses viols d’enfants - avec des enfants prostitués lors de ses voyages aux Philippines. Il évoque : « un joli gamin, pétillant de malice, parlons un bon anglais, écolier bien propre, 13 ans » qui « n'a pas voulu que je le baise, mais il m'a sucé à merveille et m'a fait jouir[16] ». Il écrit qu’il lui « arrive d'avoir jusqu’à 4 gamins - âgés de 8 à 14 ans - dans son lit en même temps, et de se livrer avec eux aux ébats les plus exquis[17] ».
- Abolir la majorité sexuelle
Pour les défenseurs de la pédosexualité, il ne faut pas de majorité sexuelle car celle-ci est arbitraire et ne repose que sur des mythes et des croyances sociétales autoritaires. Seul le consentement de l’enfant doit être pris en compte. Ainsi, René Schérer et Guy Hocquenghem vantent les mérites des relations entre les mineurs de tous âges et les majeurs.[18]
L’un des promoteurs de l’abrogation de la majorité sexuelle est Michel Foucault. Le philosophe conteste la médecine et les nouvelles disciplines comme la victimologie et la traumatologie, qui considèrent que le traumatisme est inhérent à la relation sexuelle entre un enfant et un adulte. Pour Foucault, ces sciences psychologiques qui veulent parler à la place des ‘’victimes’’ les prennent en otage et discipline la singularité de chacun au nom d’un pouvoir médical.[19] En 1978, le philosophe affirme que « De toute façon, une barrière d’âge fixée par la loi n’a pas beaucoup de sens. Encore une fois, on peut faire confiance à l’enfant pour dire si oui ou non il a subi une violence[20] » Il dénonce ainsi le pouvoir médical et psychiatrique qui se substitue à la parole de l’enfant alors que selon lui, seule la parole de l'enfant permet « d'établir à peu près quel a été le régime de violence ou de consentement auquel il a été soumis ». Il est surprenant que Michel Foucault, l’intellectuel qui a mené toute sa vie philosophique dans l’analyse des relations de pouvoir, n’ait pas compris le rapport de forces asymétriques entre l’enfant et l’adulte – alors que ces rapports de domination sont analysés dans la famille -, ni l’emprise que peut exercer l’adulte envers l’enfant notamment en matière de sexualité.
La volonté de supprimer toute majorité sexuelle se réfère à trois arguments principaux : Premièrement, la critique se porte sur le fait que le critère principal de la légalité de la sexualité est défini par un âge fixé par la loi. Deuxièmement, que la violence – et donc le traumatisme - n’est pas inhérente à la relation sexuelle pédosexuelle. Troisièmement, les pédosexuels veulent se dissocier de ceux qui « violent réellement » les enfants, et qui sont majoritairement les membres de la famille et les proches.
- L’extrême droite et la pédocriminalité
Entre les années 70 et 90, on a tendance à penser que la pédocriminalité sont seulement le fruit d’une gauche « libertaire », or rien n’est plus faux. La droite, mais surtout l’extrême droite, valorisent la pédocriminalité. Gabriel Matzneff est l’un des écrivains les plus appréciés de la revue de la Nouvelle Droite, il donne des interviews à Radio Courtoisie et c’est un proche de Jean-Marie Le Pen.[21] Roger Peyreffite, lui-même pédocriminel et Alain de Benoist qui sont également des amis de Matzneff qui le défendent dans ses activités. Pour les autres partisans de la pédocriminalité, on peut citer Gérard Dosser, Bernard Alapetite, Guillaume Faye, Philippe Randa[22], ou encore Renaud Camus qui écrit que la pédophilie « Les enfants ont une sexualité et des pulsions sentimentales bien connues, qui peuvent très bien se porter sur des adultes, professeurs de gymnastique ou moniteurs de colonies de vacances, comme nous l'avons tous vu. Ca n'a en soi rien du monstrueux, et beaucoup des prétendus ‘’traumatismes’’ qui en résultent sont la création pure et simple et rétrospective de la société, qui ne peut pas supporter que des relations de ce type ne laissent aucune trace douloureuse, et moins encore qu'elles laissent des souvenirs heureux, ou drôles, ou agréables, ce qui pourtant peut bel et bien être le cas[23] ». C’est sans doute Michel Caignet qui est la figure principale de cet univers. Négationniste, dirigeant d’un mouvement néonazi, fondateur du journal Gaie France, un journal à la fois néonazi homosexuel et pédophile, et créateur des éditions de la Mouette qui publient à partir de 1987 des ouvrages pédocriminels, il sera condamné pour trafic de cassettes pédopornographiques.[24]
Mais ce qui sépare les pédocriminels de droite et ceux de gauche, c’est ce qu’ils pourraient nommer, leur « éthique » de la relation sexuelle entre un enfant et un adulte, donc en soit, ce qui les excite sexuellement dans le viol d’enfants. Comme le montre le sociologue Pierre Verdrager, alors qu’à gauche l’apologie de la pédocriminalité repose sur une éthique de l’égalité, « en faisant référence à la qualité de personne de l'enfant, à son autonomie, à son libre arbitre, à ses choix, à sa maturité affective et sexuelle », l’apologie d'extrême droite « repose sur une éthique de l’asymétrie », qui est légitimée en « vertu de son caractère pédagogique ». Selon eux, « le bien-être de l'enfant dépend donc de sa capacité à apprendre de son pédophile : l'enfant apprend et le pédophile apprend à l'enfant. »[25]
[1] Gérard Bach et le GRED, « L’âge de la majorité sexuelle », Homophonies, n°9-10, aout 1981, p24-25, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p17
[2] Gérard Bach, « Chroniques d’un solitaire », Gai Pied Hebdo, n°242, 1ier-7novembre 1986, p43, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p10
[3] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p11
[4] Ibid, p12
[5] Ibid, p12
[6] Ibid, p65
[7] Ibid, p54
[8] Ibid, p19
[9] René Scherer, L’infini « La question pédophile », n°59, 1997, p129, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p10
[10] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p21
[11] Jean-Marc, « Débat sur la pédophilie », propos recueillis par Jan-Paul Pouliquen, Homophonies, n°4, février 1981, p11, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p21
[13] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p21-22
[14] Ibid, p23
[15] Gabriel Matzneff, « Le démon des anges », entretien, Gai Pied Hebdo, n°317, 21 avril 1988, p21
[16] Gabriel Matzneff, « Mes amours décomposés, Paris, Gallimard, 1990, p222
[17] Gabriel Matzneff, « Un Galop d’enfer, Paris, La Table Ronde, 1985, p284
[18] Recherches, « Co-ire. Album systématique de l’enfance », n° 22, mai 1976, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p27
[19] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p29-30
[20] Michel Foucault, « La loi de la pudeur », entretien avec Jean Danet et Guy Hocquenghem, France-Culture, 4 avril 1978 in Foucault (1994, 776)
[21] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p47
[22] Ibid, p48
[23] Renaud Camus, L’infini, « La question pédophile », n°59, 1997, p24-25, cité du livre de Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p49
[24] Pierre Verdrager, Le grand renversement, Pédocriminalité : comment en est-on arrivé là ?, Armand Colin, 2021, p49
[25] Ibid, p50