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Billet de blog 12 janvier 2022

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La violence masculine, une norme du masculinisme (11-12)

Tous les masculinistes ont une chose en commun : l’éloge de la masculinité hégémonique, celle qui assujettit et asservit, celle qui agresse, viole et tue, celle qui fait que ces hommes puissent « se sentir véritablement homme », tous en sécurité dans cet entre-soi misogyne qui justifie leur manière d’exister comme ils existent, c’est-à-dire comme des dominants.

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Au fil de mes articles sur les courants et les figures masculinistes, j’ai exposé les nombreuses relativisations et apologies des violences sexuelles de la manosphère. Que ce soient les M.R.A et les figures françaises, les Pick-Up Artist, les MGTOW, les Incels ou d'autres formes d'antiféminisme, ils ont tous en commun, à quelques différences près, un certain imaginaire du désir. Celui de l’homme reposerait sur la prédation, celui de la femme sur l’envie de jouer son rôle de « proie » pour l’homme, et/ou sur le seul amour. Pour maintenir cette vision phallocrate des relations entre les deux genres, ils combattent le féminisme, ou plutôt le prétendu néo-féminisme, qui criminaliserait le désir masculin et dénaturerait le désir féminin. En d’autres termes, ils attaquent les femmes qui luttent contre les effets de la domination masculine qui se déploient dans les interactions les plus anodines et quotidiennes.

Ainsi, la justification du harcèlement sexuel, l’euphémisation de l’agression sexuelle, la relativisation ou l’éloge du viol, mais encore l’apologie du meurtre, sont des énoncés qui structurent l’univers du masculinisme. Cet article reprend l’ensemble de ces propos.

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1. L’apologie du harcèlement sexuel

Les apologies du harcèlement sexuel prennent différentes formes dans la manosphère.

Le site « Les trois étendards » radicalise pleinement les positions antiféministes. Selon eux, l’agressivité des hommes est une condition essentielle à la rencontre entre les deux genres car elle répondrait à deux besoins. D’une part le besoin de maîtrise des hommes, d’autre part cette prétendue envie des femmes d’être « forcées ». Ainsi dans leur guide masculiniste, les auteurs du site conseillent aux hommes « d’avoir de l’audace », en traduction non-masculiniste, d’harceler sexuellement les femmes puisqu’elles « aiment secrètement quand un homme poursuit agressivement ce qu’il veut et fait connaître ses intentions sexuelles. (…) il vaut mieux être un goujat plutôt qu’un homme poli, toujours ». Par ailleurs, dans leur article qui ne nomme « éloge du sexisme », ils légitiment la pertinence et l’indispensabilité du harcèlement sexuel. Selon eux, « les femmes se moquent éperdument des questions relatives au « consentement » et au « harcèlement ». Les femmes pardonnent toutes les tentatives de séduction, toutes les approches, toutes les formes de drague, dès lors que les hommes qui les pourchassent leur plaisent. ».

Selon les Pick-Up Artist, ces pseudos « expert de la drague », leur savoir-faire leur permettrait d’amener n’importe quelle femme à coucher avec eux. En réalité, leurs théories reposent sur des clichés sexistes, des techniques de manipulation, et sur la pratique du harcèlement sexuel. Le refus d'une femme ne serait qu'une « simple résistance psychique à dépasser », un « obstacle supplémentaire qu’il va falloir franchir en sortant les techniques d’urgence » de harcèlement.

En France, ce sont les masculinistes Eric Zemmour et Alain Soral qui nous ont offert la meilleure apologie du harcèlement sexuel. Pour Zemmour, les lois contre le harcèlement sexuel au travail criminaliseraient le désir masculin par une « surveillance judiciaire du désir ». Les hommes n’auraient plus le droit de désirer, de bousculer, d’attirer, puisque « dans notre société féminine, toute séduction est assimilée à une violence insupportable de l'infâme macho. »[1] Ainsi, selon Zemmour, l’Etat ne doit pas intervenir contre de la "nature" du désir masculin qui se caractériserait par la prédation : « Il est très difficile, voire impossible, de réconcilier la part d'animalité en nous et nos désirs d'égalité juridique.[2] » En d’autres termes, l’Etat ne doit pas mettre en place de politiques d’égalité au risque de dénaturer le désir de supériorité des hommes.

En ce qui concerne Alain Soral, il ne légitime pas seulement le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, il inverse les victimes et les coupables. Pour lui, le harcèlement sur le lieu de travail est une vision fantasmée du féminisme pour cacher le véritable harcèlement, et les victimes de celui-ci : le harcèlement médiatique avec la prolifération d'images de femmes dans la publicité, sur les affiches, dans les magazines, qui pousse l'homme à résister à son désir et qui a du mal à ne pas y succomber. C’est pourquoi, il disculpe les agresseurs sexuels de leurs actes qui ne seraient que la réponse logique au harcèlement qu’ils subissent à longueur de journée : « Comment ne pas penser que ce racolage glacial n’ait pas de conséquences funestes sur les relations entre les sexes et sur la statistique ?[3] ». Ainsi pour Soral, ce ne sont pas les femmes qui sont victimes de harcèlement sexuel, mais les hommes.[4]

Ensuite, dans son livre « Sociologie du dragueur », Soral fait un éloge omniprésent du harcèlement sexuel. Tout en assumant que « Le dragueur est sans doute pervers[5] », la pratique de la drague de rue – c’est-à-dire du harcèlement de rue – relèverait du domaine de l’artistique : « le dragueur s’élève alors de la technique à l’esthétique. » En continuant dans ses dérives sexistes, Soral affirme que « l’art de la drague » permettrait d’éviter le viol….. en faisant craquer psychologiquement les femmes : « Quant au dragueur dont la pratique multiplie les situations à risques, disons que le viol constitue pour lui un défaut de maîtrise dont il se prémunit par sa technique - soit l’art de lui faire dire « oui » avant qu’il ne soit trop tard.[6] ». Dans l’immonde univers Soralien, d'une part la notion de consentement n'a aucun sens - céder à l'acte n'est pas consentir -, d'autre part le harcèlement sexuel permettrait d’empêcher le viol !

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2. Apologie de l’agression sexuelle

Chez les Pick-Up Artist (PUA), des techniques de « séduction » relèvent de l’agression sexuelle comme le « Kino ». Il se définit comme "l’art d’établir le contact physique avec une femme". Il consiste à toucher progressivement le corps des femmes sans se soucier de leur consentement, des parties « visibles » aux plus intimes. La première étape est de caresser des parties « visibles » comme la main, le poignet, l’épaule, etc. Ensuite les cheveux et le visage, considérés comme les derniers obstacles avant le baiser. Pour la dernière étape, l’homme doit caresser les seins, prendre la main de la femme pour la placer sur son sexe, ou encore la plaquer contre un mur pour la maintenir sous emprise. Le site « Art de séduire » propose un guide pédagogique où est répertorié « 26 manières de toucher une fille »[7], c’est-à-dire une pédagogie d’agression sexuelle dont la règle essentielle est de « commencez à la toucher le plus tôt possible. »

Par ailleurs, les PUA affirment que les femmes aiment secrètement être forcées, surtout si elles n'osent pas l'avouer. De ce fait, ils conseillent de ne jamais se fier à leurs refus mais toujours amplifier notre présence à leur égard : « Toucher une femme de façon inappropriée lors du premier rendez-vous vous permettra d’aller plus loin avec elle que de ne pas la toucher du tout. Ne laissez pas la fausse indignation d’une femme diminuer votre audace ; elles aiment secrètement quand un homme poursuit agressivement ce qu’il veut et fait connaître ses intentions sexuelles. »

Le deuil de l’agression sexuelle est également difficile pour le masculiniste français Eric Zemmour. Dans son livre « Le suicide français », il écrit sa nostalgie du silence des femmes victimes d’agressions sexuelles : « Quand le jeune chauffeur de bus glisse une main concupiscente sur un charmant fessier féminin, la jeune femme ne porte pas plainte pour harcèlement sexuel. La confiance règne. »[8] En d’autres termes, pour Zemmour, le fait que les femmes ne portent pas plainte contre les agresseurs ne relèvent pas des difficultés pour défendre leurs droits, de la peur, de la honte ou des mécanismes psychotraumatiques, mais d’une prétendue « confiance » d’antan entre l’agresseur et l’agressée !

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Relativisation du viol

Les Pick-Up Artist proposent des conseils pour les « débutants en drague ». Ils préconisent d’utiliser les avantages d’une situation. Par exemple, ils constatent qu’il est plus facile de contrôler l’esprit d’une femme lorsqu’elle est fatiguée. Il faut donc que les hommes profitent de cette situation. Le refus d’une femme d’avoir une relation sexuelle ne doit pas inhiber le désir masculin. Il doit la réveiller, poser un ultimatum, et la toucher avec des techniques de Kino pour l’exciter. Le « non », est toujours interprété comme un obstacle à franchir. Il faut le dépasser en imposant son désir.

Alain Soral s’inscrit parfaitement dans cette apologie des violences sexuelles. La relativisation du viol de Soral repose sur trois éléments : le « non » d’une femme est ambiguë et cache souvent un « oui » ; pour qu’il y ait viol, la victime doit dire « non » jusqu’où bout ; les hommes ne peuvent s’arrêter aux premiers refus au risque qu’il n’y ait plus d’interaction entre les deux genres.

Dans un premier temps, il affirme qu’il serait difficile de caractériser un viol à cause de l’ambiguïté du désir féminin. Selon lui, si le désir masculin ne connaîtrait pas l’équivoque, auquel cas « non, c’est non », le « non » féminin relèverait souvent d’un « oui » inconscient. Les femmes ne sachant prétendument pas se positionner sur leur désir, elles auraient besoin d’être forcées par les hommes. Il l’explique en ses termes :

« Si l'on excepte la pure pathologie et là pure violence (avec un couteau, à six sur un parking), le danger et l'ambiguïté du viol tiennent aussi à la spécificité du désir féminin. Désir qui a tendance à avancer masqué et à se mentir à lui-même. (…) La femme n’éprouvant pas, au moins à cet endroit, de frontière franche entre le ‘’oui’’ et le ‘’non’’ se trouve naturellement en porte-à-faux face au désir de l'homme qui s'annonce plus clairement, (…) [qui] n'admet pas l’équivoque. (…) L'existence même de la séduction (qui à en croire la presse féminine constituent la principale activité des femmes) n’est d'ailleurs possible que par cette incertitude ; comme espace et stratégie du peut-être entre le ‘’oui’’ et le ‘’non’’.[9] »

Ensuite, il va plus loin dans l’ignominie. Il affirme qu’on ne peut être sûr qu’il y a eu viol seulement si la victime a dit « non » jusqu’au bout des violences sexuelles, car il serait très difficile de savoir quand le « non » du langage féminin cesse inconsciemment d’être un « oui » non avoué : « Si rétrospectivement on est sûr qu'il y a eu viol quand elle a dit ‘’non’’ jusqu'au bout, dans certaines situations ambiguës il n'est pas toujours évident de déterminer le moment où le ‘’non’’ proféré par l’être du peut-être cesse d’être un ‘’oui’’ qui joue à se faire prier. [10] »

Dans un troisième temps, Alain Soral conseille aux hommes ne se jamais s’arrêter malgré le refus des femmes, auquel cas la rencontre entre des deux genres ne reposerait que de l’affection soudaine ou de l’achat marchand : « [si] l'homme doit stopper au premier ‘’non’’, comme l'exigent les féministes américaines, alors la réunion de deux êtres de sexes opposés ne pourra plus résulter que de l'alternative brutale : coup de foudre ou prostitution. »[11]

Pour finir, le masculiniste Soral instrumentalise la question de l’inceste en accusant les féministes de le propager. En effet, il prétend que c’est la féminisation de la société qui a créé ce type de violences intrafamiliales par la destruction de la famille patriarcale avec le divorce. Ce dernier, en rendant indépendantes les femmes de leur mari, aurait eu pour conséquence que les hommes, après un certain âge, aient recours aux viols d’enfant : « Passé quarante-cinq ans, le pauvre [l’homme sans femme], pour tirer de la chair fraîche, n’a lui pas d’autre choix que de recourir à l’inceste (surtout dans les régions désertifiées) ».[12] Après avoir fait des agresseurs sexuels les véritables victimes du harcèlement sexuel, Soral fait des féministes les responsables des viols incestueux !

Eric Zemmour s’inscrit aussi dans une forme de relativisation du viol. Il défend les hommes accusés de viol, voire condamnés, en les transformant en simple séducteur : « De Dominique Strauss-Kahn à Harvey Weinstein, ils sont les nouveaux Don Juans, les « grands seigneurs méchants hommes » qui ont tiré un parti extrême de la libération sexuelle des années 1960.[13] » Par ces condamnations, il dénonce que le désir de prédation masculine est désormais assimilé au viol : « DSK, menottes derrière le dos entre deux cops new-yorkais, marchant tête baissée, c’est un renversement de mille ans de culture royale et patriarcale française. C’est une castration de tous les hommes français. Le séducteur est devenu un violeur, le conquérant un coupable. ‘L’homme à femmes’ était loué pour sa force protectrice, il est enfermé et vitupéré pour sa violence intempérante. »

Eric Zemmour nous offre ici un bel amalgame. Pour lui, condamner les violeurs revient à castrer tous les hommes ! Et après, ce même Zemmour se victimisera avec un NotAllMen (Pas tous les hommes) en accusant les « néoféministes » de faire des généralités. Néanmoins, alors qu’aujourd’hui de nombreuses femmes l’accusent aujourd’hui d’agressions sexuelles, son euphémisation constante des violences sexuelles s’explique avec une simple raison : il fait partie du camp des agresseurs.

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Relativisation (hominisme et soral) et apologie du crime (incel)

Chez l’hoministe Patrick Guillot, le terme de féminicide n’a aucun sens parce que selon lui, « certains meurtres conjugaux sont de type euthanasie liée à la maladie du conjoint. »[14] Ainsi, un homme qui assassine sa femme parce qu’elle est malade ou âgée ne relèverait pas véritablement d’un crime, mais de l’euthanasie. En d’autres termes, l'homme a le droit de mort sur sa femme, une mort prétendument libératrice pour la victime ! 

Alain Soral, quant à lui, avoue sans problème que le dragueur (harceleur) est un « lointain cousin [du] sérial killer[15] » jusqu’à poser une ambiguïté sur la séparation de ces deux figures : « Sérial killer symbolique, le dragueur se contente de tirer ses proies avec son sexe dans les limites du jeu et de la légalité. Même s'il est parfois à deux doigts, (…) [de] lâcher le symbolique pour passer au concret.[16] » Soral nous propose ici une relativisation du meurtre de femmes. Il assume que le dragueur, si proche des affects de l’assassin, peut passer du tueur symbolique au meurtre concret lorsqu’une femme se refuse à lui. Cette séparation fragile entre les deux figures, parfaitement assumée par Soral, est plus qu’angoissante, elle est terrorisante.

L'apologie du meurtre et des violences sexuelles s'expriment pleinement chez les Incels : déshumanisation des femmes, suppression de tous leurs droits, incarcération des femmes dans des camps, apologie du viol et proposition du droit de viol encadré par l’État (une femme assignée à chaque homme et forcée d’avoir des rapports sexuels avec lui), appels au meurtre, éloge des terroristes antiféministes comme Elliot Rodger.

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Des « apologistes » de la violence masculine

Que ce soit les MGTOW, les incels, les Pick-Up Artist, les M.R.A ou les figures françaises comme Zemmour ou Soral, ou encore d'autres formes d'antiféministe comme « Les trois étendarts », ce sont tous des « apologistes » de la violence masculine. Si certains valorisent le harcèlement sexuel, d’autres font l’éloge de l’agression sexuelle, relativise les viols ou encore le féminicide. Si les théories masculinistes sont diverses, complémentaires et parfois contradictoires, elles se rejoignent toujours sur une chose : l’éloge de la masculinité hégémonique, celle qui assujettit et asservit, celle qui agresse, viole et tue, celle qui fait que ces hommes puissent « se sentir véritablement homme », tous en sécurité dans cet entre-soi misogyne qui justifie leur manière d’exister comme ils existent, c’est-à-dire comme des dominants.

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[1] Eric Zemmour, Le premier sexe, Denoel, 2006, p53-54

[2] Eric Zemmour, Destin Français, Albin Michel, 2018, p495

[3] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p114

[4] Alain Soral, Vers la féminisation ? Démontage d’un complot anti-démocratique, Bibliothèque Blanche, 2007, p170-171

[5] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p48

[6] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p114

[7] https://www.artdeseduire.com/technique-de-drague/toucher-une-fille-kino

[8] Eric Zemmour, Le suicide français, Albin Michel, 2014, p96

[9] Alain Soral, Vers la féminisation ? Démontage d’un complot anti-démocratique, Bibliothèque Blanche, 2007, p173-174

[10] Alain Soral, Vers la féminisation ? Démontage d’un complot anti-démocratique, Bibliothèque Blanche, 2007, p175

[11] Alain Soral, Vers la féminisation ? Démontage d’un complot anti-démocratique, Bibliothèque Blanche, 2007, p175

[12] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p231-232

[13] Eric Zemmour, Destin Français, Albin Michel, 2018, p495

[14] Patrick Guillot, Misogynie, misandrie, il y a DEUX SEXISMES, De Varly, 2018, p141

[15] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p49

[16] Alain Soral, Sociologie du dragueur, Blanche, 2011, p49

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