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Billet de blog 14 novembre 2020

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Les hommes et le féminisme

Comment un homme-cis peut-il se positionner dans le mouvement féministe alors que son genre est dans une position de domination face au genre féminin ? Contrairement à ce que Félix Radu a dit, les hommes ne sont pas les meilleurs alliés du féminisme, mais les femmes elles-mêmes conscientes de leurs intérêts. Alors, comment peuvent-ils être des alliés supplémentaires et secondaires ?

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Introduction

Comment un homme-cis* (voir fin de l'article) peut-il se positionner dans le mouvement féministe ? Son genre, qu’il le veuille ou non, est dans une position de domination face au genre féminin. Ainsi, peut-il contribuer à la cause des femmes, ou en est-il exclu ?

Depuis quelques années, de plus en plus d’hommes se revendiquent féministes. La pression des associations, des collectifs et des mouvements féministes, jusqu’aux artistes, ont permis de mettre la question du droit des femmes à l’ordre du jour politique. Parce qu'il est dans l'air du temps, cet engagement donne un habillage progressiste à quiconque le revendique. Les détournements sont donc courants. En témoigne l'émergence d'un ''féminisme'' d'extrême droite, bel oxymore ! Tout comme le « wokefishing », une nouvelle technique de drague masculine qui consiste à se faire passer pour un « progressiste » dans le but de se faire accepter par les féministes. Par ailleurs, l'écrasante majorité des hommes ne se rend pas compte de ce qu’implique le soutien aux luttes féministes. Bien souvent, ils sont de la cause seulement en surface, par aveuglement ou méconnaissance. En témoigne la chronique à la radio de Félix Radu le 5 octobre 2020. Dans son intervention, il reconnaît qu’il « connaît peu » ce domaine, qu’il « se sent exclu de cette lutte », qu’il faut « ouvrir le dialogue », que les hommes doivent « oser se tromper », qu’il faut que les deux sexes puissent « partager ses points de vue », que « les hommes sont les meilleurs alliés du féminisme », et que les femmes montrent aux hommes la place à prendre dans leur combat.

Malgré le succès qu’a eu cette chronique, elle est totalement à côté de la plaque. En attestent les critiques qui lui ont été faites. Lorsqu’on a la chance d’avoir accès à l’espace médiatique, il est incompréhensible de prendre la parole sur un sujet qu’on ne connaît pas, même si on le reconnait ! L’humilité n’est pas garante du bienfait d’un propos. Je reviendrai sur cette chronique dans ce billet. Cependant, malgré la bonne foi de Félix Radu, son discours n’est en rien féministe. Les hommes ne sont pas les meilleurs alliés des femmes, mais les femmes elles-mêmes conscientes de leurs intérêts, ce que Marx nommait une classe pour soi.

L'objet de ce billet sera donc la place des hommes dans le combat féministe. Sans vouloir faire de moralisme ou de paternalisme, quelques idées seront proposées dans cet écrit sur le positionnement que les hommes devraient avoir s’ils veulent véritablement lutter contre la domination masculine.

1. Quel positionnement pour les hommes ?

a. Arrêter la pleurniche

Je vais être rapide sur ce sujet car je l’ai déjà traité dans un ancien billet. Dans un premier temps, les hommes doivent arrêter avec l’argument #NotAllMen. Celui-ci est souvent utilisé pour demander aux femmes de ne pas faire de généralités. Littéralement, que tous les hommes ne sont pas des violeurs et des criminels. Or, à aucun moment le féminisme n’affirme que tous les hommes sont des agresseurs ! Ce sont seulement les hommes soucieux de leurs privilèges qui projettent cela dans le féminisme pour ensuite le lui reprocher. En revanche, si tous les hommes ne sont pas des agresseurs, l’écrasante majorité a déjà eu des comportements et des propos sexistes dans leur vie (silence face à la misogynie, insulte, blague, appel sexuel, sifflement, harcèlement, regard insistant, drague importune). 

Ensuite, les hommes accusent souvent les féministes d’être dans le déni des violences que peuvent subir certains hommes, tout comme le fait qu'ils sont plus souvent victimes du meurtre, du suicide, de l’alcoolisme, des accidents du travail, de la pénibilité etc. Tout comme l’argument #NotAllMen, le féminisme ne déni pas ces réalités. Seulement, ce n’est aucunement aux femmes d’en parler et de militer pour ces causes, mais aux hommes de se mobiliser. S'ils utilisaient à bon escient tout le temps qu’ils perdent à stigmatiser les féministes, ils pourraient par exemple créer des réseaux d’aides et d’écoute pour accompagner les hommes qui ont subi des traumatismes. Or, dans le discours de la pleurniche, les hommes accusent les féministes sur ce qu'ils ne sont pas capables de faire, ou ne veulent pas faire eux-mêmes. Les femmes devraient porter la voix de toute la souffrance du monde. Mais les hommes dans tout ceci ? En fin de compte, ces arguments masculinistes délégitiment la cause des femmes pour empêcher d’agir soi-même, le but n'étant pas d’aider les hommes qui souffrent mais de garder ses privilèges en stigmatisant l'engagement des femmes construit sur la sororité.

b. Se taire et écouter

S’il y a bien une première chose qu’un homme doit faire, c’est se taire et écouter. Or, ces deux choses ne sont pas aussi simples car l’homme est socialisé pour parler, expliquer, et prendre toute la place. Les femmes ont des problèmes et les hommes des solutions. En témoignent deux facettes du sexisme ordinaire que sont le mansplaining et le manterrupting. Le mansplaining est le fait qu'un homme explique à une femme ce qu’elle connaît mieux que lui, comment faire quelque chose qu’elle sait faire, ou pourquoi elle a tort à propos d’un sujet sur lequel elle a raison. Ensuite, le manterrupting est l’interruption incessante des femmes par les hommes et la monopolisation de la parole. Cette réalité a été prouvé scientifiquement : une étude montre que les hommes accaparent 75% de temps de parole dans les réunions professionnelles.

La première chose à faire est donc d’écouter les premières concernées. Le témoignage des personnes victimes de la domination masculine est un apport indispensable à toute compréhension du rapport de domination viriarcale. Car lorsque les hommes parlent de l’égalité femmes-hommes, ils ont trop souvent des arguments préconçus par leur genre. Les deux sexes vivent dans des mondes sociaux et symboliques différents. Par leur socialisation genrée, il est construit en chacun d’eux des perceptions et des représentations divergentes sur ce qu’on est, sur ce qu’est l’autre, et sur ce qu'on peut devenir. Ainsi, écouter les femmes, c’est comprendre le monde dans lequel elles vivent au quotidien. Les sifflements, la drague importune, l’insécurité dans les transports en commun et dans la rue, les insultes sexistes, le harcèlement sexuel, ne sont pas des expériences que les hommes subissent structurellement, tout comme les violences physiques, sexuelles et psychiques. Se taire et écouter, c’est croire les femmes sur les violences qu’elles subissent et ne jamais les faire culpabiliser. C'est une posture qui implique de ne pas essayer de leur expliquer ce qu’elles devraient faire et encore moins ce qu’elles auraient du faire (si j'étais à ta place, je....).

Par ailleurs, ce sont les femmes qui subissent les plus fortes – voire toutes les contraintes liées au foyer (charge mentale), à la charge émotionnelle du couple, à l’enfantement, à l’éducation des enfants, à la contraception, à la rigidité du marché du travail etc. Écouter ces réalités, c’est reconnaître la place singulière de l’homme dans le rapport de domination genré et les privilèges qu’il en retire. 

c. Sortir du silence

Si les hommes doivent se taire et écouter les femmes, ils doivent aussi sortir de leur silence. Ceci n’est en rien paradoxal, la parole se joue sur deux tableaux différents. Si les hommes ne peuvent prendre la parole pour expliquer aux femmes ce qu'elles vivent, ni ce qu'elles devraient faire, ils doivent la prendre pour condamner les actes sexistes de leurs pairs. Car s’il est juste que tous les hommes ne sont pas des agresseurs, l’écrasante majorité ne dit rien sur la violence systémique masculine. Peut-on y voir une forme de solidarité avec les agresseurs ? Deux études de psychologie scientifique montrent que pendant les situations de harcèlement sexuel à l'encontre des femmes, les hommes sont plus susceptibles de blâmer la victime, et par ricochet de soutenir l’agresseur.[1] Cette culture du viol est une force patriarcale qui s’opère par un double processus de responsabilisation de la victime, et d’une déresponsabilisation de l'agresseur. 

Sortir du silence, c'est défendre dans le quotidien les femmes victimes de violences sexistes même si les auteurs sont des proches. Les hommes ne doivent jamais les culpabiliser, ni remettre en cause leur témoignage, les soutenir. Pour prendre un autre champ, celui du cyberespace, il est devenu un lieu où se déploie des campagnes de harcèlement sexistes de masse. Elles sont souvent le fruit d’hommes, et encore trop rare sont ceux qui les condamnent. Les personnalités comme Angèle, Rokhaya Diallo, Bilal Hassani, Nadia Daam, Hoshi en ont fait les frais ces dernières années. Le silence maintient en lui la souffrance des uns et l'impunité de la violence des autres. Comme l’écrit l’écrivaine féministe Valérie Rey Robert, « Si plus d’hommes parlent avant, pendant et après les actes de violences sexistes, ils créeront un climat où les violences faites aux femmes seront incompatibles avec des normes masculines.[2] » 

d. S’auto-éduquer et éduquer autrui

S’auto-éduquer, c’est reconnaître qu’en tant qu’homme, on fait partie du problème à résoudre. Le système viriarcal[3] (voir note en fin d’article) est un système idéologique qui a permis de rendre naturelle l’infériorité de la femme vis-à-vis de l’homme-cis, mais également une partie des hommes qui ne rentrent pas dans son tableau viriliste (la personne en situation de handicap et la personne homosexuelle.) Le problème n’est pas l’homme en soi mais la façon dont on devient un homme. La socialisation masculine s’inscrit dans un cadre normatif de virilité. Elle intime à l’homme de devenir homme en « se construisant comme tel à travers un lent travail de socialisation, et de le demeurer, en le prouvant sans cesse par ses actes ». Le genre masculin se façonne en opposition radicale avec le féminin qui est dégradé et infériorisé : « Le genre se construit par différenciation et par opposition : on apprend à être un garçon en apprenant à rejeter ce qui est féminin ». Une étude scientifique a montré que les enfants, majoritairement les garçons, assimilent le pouvoir à la masculinité et la soumission à la féminité dès l’âge de 4 ans. Les institutions de socialisation continueront ce travail de domestication du sexe masculin sur le féminin.

Les hommes doivent donc réaliser un grand travail sur eux-mêmes. La remise en cause de ce qui leur a été transmis durant la socialisation viriliste est indispensable pour engager des relations égalitaires avec les femmes et les minorités de genre. D'ailleurs, le devoir de virilité est un fardeau pour eux. Ils doivent sans cesse se conformer à des exigences sociales en termes de performance sexuelle, professionnelle, sportive, financière. Si les hommes deviennent sexistes et dominateurs, c’est par la mutilation de leur psyché. Ils sont condamnés à redouter l’impuissance, à être en concurrence avec leurs pairs, à réprimer leurs émotions, alors que des études de psychologie scientifique ont montré que les garçons étaient plus émotionnels que les filles à la naissance. Or, leur expressivité va diminuer au fil des années par un apprentissage de répression et de canalisation de leurs émotions, contrairement aux filles à qui on intime leur manifestation.[4]

L’auto-éducation est indispensable si l’homme veut apporter son soutien aux luttes féministes. La chronique de Félix Radu est ici très représentative de cette absence de déconstruction. Déjà, il avoue qu’il connaît « peu ce domaine », mais il se permet tout de même de prendre la parole sur l’espace public au risque d'être hors-sujet, déniant les effets qu'il peut produire sur autrui. Ensuite, il « se sent exclu de cette lutte » alors qu’il n’a pas fait l’effort de s’y intéresser. Il demande aux deux sexes « d’ouvrir le dialogue » et de « partager ses points de vue », mais quel est la justesse d'un dialogue si on ne part pas du principe que la socialisation genrée crée dès le départ des représentations différentes, dont le féminin est dégradé face au masculin. On n’échange pas des points de vue si l'on n'a pas remis en cause ses représentations sexistes issues de la socialisation masculine ! Il faut avant tout écouter, apprendre et se déconstruire.

Pour finir, ce ne sont pas aux femmes d’apprendre aux hommes ce qu’ils doivent connaître du féminisme. Les ressources abondent sur le net par des articles, des enquêtes, des études, des podcasts, des interviews, des magazines, des conférences, des sites d’associations et de collectifs, des blogs, tout comme les expositions et les livres. Les féministes ont forgé depuis une centaine d’années un corpus de connaissances important. Alors qu’elles subissent la violence viriarcale au quotidien et militent pour sa suppression, elles devraient en plus prendre par la main les hommes pour leur montrer ce qu’il faut lire et écouter. Les femmes ne sont pas des mamans universelles et intemporelles qui doivent montrer le chemin à suivre pour tous les hommes.

Comme toujours, cette auto-éducation ne permet pas aux hommes de parler au nom des femmes, ni à prendre leur place dans la lutte sociale. La déconstruction ne doit jamais les amener à expliquer ce qu’elles vivent et ce qu’elles devraient faire. Se déconstruire, c’est écouter les femmes tout en s’auto-éduquant. Ceci ne fera pas disparaître les privilèges qui leurs sont donnés par le système d’oppression patriarcale, mais cette prise de conscience permettra de commencer à être un allié de la cause des femmes.

Si les hommes ne doivent pas parler au nom des premières concernées, en revanche, ils peuvent reprendre leurs pairs lorsqu’ils ont des propos ou des comportements sexistes. S'ils veulent jouer un rôle actif dans la lutte féministe, qu’ils commencent à éduquer leurs pères, leurs frères, leurs cousins, leurs amis, leurs connaissances et leurs collègues de travail. Ils ne doivent pas avoir peur du conflit. Confronter autrui à ses propos et à ses représentations misogynes, c'est le renvoyer à ses responsabilités. Sortir du silence et ne pas se taire face au sexisme, c’est refuser la solidarité masculine du « Bros before hoes » (Nos potes avant les putes), tout comme la culture du viol qui responsabilise la victime sur ce dont elle n’est jamais coupable, la perversité de l’agresseur.

2. Agir dans le quotidien

Un homme ne se revendique pas, il agit autant qu’il le peut. L’humilité est une ressource importante, car il faut garder à l’esprit que l’homme a une position supérieure dans l’ordre genré et social. Agir au quotidien, c’est se taire et écouter les femmes, sortir du silence, s’auto-éduquer et éduquer les autres. Ce sont des activités et des postures qui peuvent répondre à la question du désir d’engagement des hommes dans la cause des femmes. Rééquilibrer la charge mentale et émotionnelle, comprendre la charge raciale pour les femmes racisées, accepter la contraception masculine, changer sa manière de communiquer avec les femmes, questionner son genre, s'éloigner de la virilité, reprendre ses pairs, sont autant d’exemples pour agir au quotidien.

Toutes ces propositions ne sont pas exhaustives, mais travailler sur celles-ci est déjà un travail long, fastidieux, mais indispensable pour tout homme voulant être allié du féminisme. J’insiste sur cette expression « allié du féminisme » et non féministe. Il est complexe de se prétendre féministe lorsqu’on fait partie du problème par son genre, et qu'on est donc extérieur au groupe dominé. Contrairement à ce que Félix Radu a dit, les hommes ne sont pas les meilleurs alliés du féminisme, mais les femmes elles-mêmes conscientes de leurs intérêts. Les hommes en déconstruction peuvent être des alliés supplémentaires, mais aucunement les principaux !

* Un homme cis est une personne dont son identité de genre est en adéquation avec son sexe assigné à la naissance. Lorsque j'utiliserai la notion d'homme, il faudra le comprendre à partir de cette définition.

[1] Bongiorno Renata, Langbroek Chloe et Bain Paul. G., « Why women are blamed for being sexually harassed : the effects of empathy for female victims and male perpetrators », Psychology of women Quartterly, 18 août 2019.

[2] Valérie Rey-Robert, Le sexisme, une affaire d’hommes, Libertalia, 2020, 264 pages, p231

[3] Comme pour mon dernier billet, « je substitue ce terme à celui de patriarcat, reprenant ainsi la thèse de la philosophe féministe Olivia Gazalé. Sans vouloir faire perdre toute la puissance historique et conceptuelle du terme de patriarcat, celui de viriarcat a cette force de définir le cœur du problème de la domination masculine qu'est l'ordre normatif de virilité. En d'autres termes, la « supériorité historique du principe masculin sur le principe féminin », qui s'opère par la façon singulière qu’ont les hommes de se socialiser. » Le but étant donc de mettre l’accent sur les modes de socialisation des hommes et des femmes.

[4] Valérie Rey-Robert, Le sexisme, une affaire d’hommes, Libertalia, 2020, 264 pages, p43

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