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Billet de blog 15 octobre 2022

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Le racisme structurel dans l'accès au logement (8/15)

Le racisme structurel qui s'exerce dans l'accès au logement est une donnée importante pour comprendre la fragilisation sociale des immigrés et de leurs descendants dans la société française. Entre continuités et reconfigurations, la domination ethno-raciale s'exerce aujourd'hui à travers deux phénomènes : la ségrégation socio-spatiale et la discrimination directe.

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Plan de l'écrit

  1. Introduction
  2. La ségrégation socio-spatiale au 20e siècle
  3. Continuités et reconfigurations des processus discriminatoires
  4. Conclusion

.

1. Introduction

La question du logement est fondamentale pour comprendre les processus de fragilisation des immigrés et de leurs descendants dans la société française. L’hypothèse de cet écrit est de démontrer les continuités et les reconfigurations de la discrimination raciste et classiste, du début du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui. Dans un premier temps, j’exposerai les principales formes de relégations résidentielles des travailleurs immigrés pendant le 20e siècle. Puis, je montrerai leurs reconfigurations à travers deux processus : la ségrégation socio-spatiale dans les quartiers populaires qui repose sur des contraintes socio-économiques d'une part, et les politiques d'attribution des logement sociaux d'autre part, et la discrimination directe dans l'accès au logement.

2. La ségrégation socio-spatiale au 20e siècle

Taudis, hôtels-meublés et bidonvilles

A partir du milieu du 19e siècle, la France connaît sa première vague d’immigration de masse. Pour combler un manque de main d'œuvre, elle fait appel à une immigration frontalière, d’abord belge et allemande, puis italienne - qui sera la première immigration jusque dans les années 1960 -, ainsi que polonaise. Sans confort ni hygiène, les taudis sont le quotidien de ces premiers immigrés - comme de la classe ouvrière française. Beaucoup se retrouvent également en hôtel-meublé. Ce type d'hébergement, ne se distinguant guère des taudis, est utilisé comme un « SAS » d’entrée pour de nombreux travailleurs immigrés. Ces hôtels-meublés accueilleront les nouvelles immigrations après la seconde guerre mondiale, principalement maghrébines. L’historien Emmanuel Blanchard estime que dans les années 50, pour le seul département de la Seine, environ 400 000 personnes vivent en hôtel-meublé. La population est composée de 40 % d’étrangers, dont la moitié des Algériens (Blanchard, 2018, p101). L’historien Yves Lequin, quant à lui, affirme qu’à cette époque 68% des Algériens vivent en hôtel-meublé dans la métropole française (Lequin, 2006, p408).

Ensuite, la vie en bidonville est le lot pour de nombreux immigrés, mais également pour une fraction de la classe ouvrière française. L’appel de l’Abbé Pierre le 1 février 1954 sur les ondes de Radio Luxembourg est un événement qui incite l’Etat à intensifier ses efforts pour la construction de nouveaux logements. En 1970, alors que les bidonvilles commencent à se résorber avec la loi « Résorption de l’Habitat Insalubre (RHI) » nommée « loi Vivien », on comptabilise toujours 113 bidonvilles en région parisienne dans lesquels (sur)vivent 75 000 personnes, pour l’écrasante majorité des étrangers (92 %), dont 42 % de maghrébins (Lequin, 2006, p410).

Néanmoins, si ces espaces de relégation regroupent une pluralité de nationalités - européennes (dont une forte population portugaise), non-européennes (population maghrébine et subsaharienne) mais aussi française -, ils sont également des lieux d’expressions de solidarités communautaires. Le cas algérien est un bon exemple. Pendant la période coloniale et post-coloniale, les bidonvilles peuplés d'une forte population algérienne sont producteurs d’espaces politiques dans lesquels l’influence du Front de Libération Nationale (FLN) est importante. Le FLN y promeut le combat anticolonialiste, organise des levées d’argent pour la résistance algérienne et met en place des mobilisations collectives. En réaction, l'Etat bourgeois multiplie les opérations de police dans les bidonvilles entre les années 1950 et 1970 pour contenir la politisation des immigrés algériens (Blanchard, 2018, p102). Autrement dit, si la politique de résorption des bidonvilles dans les années 70 a pour finalité officielle de résoudre le problème du mal-logement, elle poursuit également officieusement l’objectif de neutraliser l’implantation du FLN dans ces espaces de relégation sociale et résidentielle.

 

Foyers collectifs et cités de transit

Le logement collectif est une politique publique d’hébergement qui démarre dès les années 1920. L’Etat organise un réseau de foyers pour les nord-africains qui recouvre une double dimension de surveillance et d'assistance. Mais c’est surtout à partir du milieu des années 1950 que cette politique se développe avec la création de la SONACOTRA en 1956, dont l'État détient 55% du capital. Entre les années 60 et le début des années 70, l’institution propose plusieurs dizaines de milliers de chambres de 7 à 12 m², réparties dans 342 foyers situés à la périphérie des villes. Le seuil maximum est atteint en 1975 avec 265 000 lits répartis dans 660 foyers (Lequin, 2006, p414). Entre le début des années 60 jusqu'à la fin des années 70, ce sont très majoritairement les travailleurs immigrés maghrébins qui sont hébergés dans ces foyers. Ensuite, la diversification de l’immigration modifie en partie le public. Ainsi, entre les années 70 et 80, les subsahariens seront nombreux à investir les chambres de la Sonacotra (Lequin, 2006, p416).

Pour les historiens Jean-Yves Blum Le Coat et Mireille Eberhard, la SONACOTRA n’a pas seulement une dimension d'assistance, elle détient également une dimension de surveillance. En effet, si cette institution est créée pour résorber les bidonvilles, elle sert aussi à contrôler le développement du nationalisme algérien. Autrement dit, alors que l'influence du FLN était propice dans les bidonvilles, l'Etat organise un nouveau dispositif d’hébergement collectif permettant de mieux fragiliser le pouvoir d’action des nationalistes algériens. Pour autant, comme l’exprime Emmanuel Blanchard, ces lieux restent toujours favorables à une implantation hégémonique du FLN (Blanchard, 2018, p103).

Si les foyers de la Sonacotra permettent un meilleur accueil que les bidonvilles, ils se dégradent rapidement. En effet, les hébergements ont été construits rapidement avec des matériaux fragiles et temporaires. Les accidents deviennent fréquents et certains immigrés meurent dans les nombreux incendies qui surviennent entre 1970 et 1982, comme le 1 janvier 1970 à Aubervilliers où 5 maliens meurent asphyxiés dans une pièce d’un foyer à la suite d’émanations de gaz carbonique (Lequin, 2006, p415). En l’espace de 20 ans, les foyers ne se distinguent donc plus de l'insalubrité des hôtels-meublés et du surpeuplement des bidonvilles.

Pour finir, on observe dans les années 70 qu'une fraction de la population immigrée, principalement algérienne, est orientée dans des « cité de transit » à visée « éducative ». Dans celles-ci, les résidents n’ont ni le statut, ni le droit des locataires. Bien qu'elles offrent de meilleures conditions de vie que l’hôtel-meublé et le bidonville, elles sont plus un dispositif de surveillance qu'une mesure d’assistance socio-éducative pour les familles immigrées, l’Etat ne sachant pas comment les assimiler et les mélanger à la population française. Dans la continuité des autres modes d’hébergement, les « cités de transit » sont des espaces de stigmatisation sociale qui s’inscrivent toujours dans la même dynamique : relégation spatiale et contrôle social (Blanchard, 2018, p104-105).

 

Les grands ensembles (cités HLM)

Si la construction des HLM repose sur la volonté de loger la population française de la classe moyenne inférieure à partir des années 60, ce sont les immigrés qui leur succèdent vers la fin des années 70 - début des années 80. Pour les immigrés, c'est une véritable promotion sociale. La famille y acquiert une dignité grâce à un bâti neuf ou peu ancien, des espaces verts et des commerces de proximité, mais surtout la possibilité d’une vraie vie de famille. Comme le rapporte Yves Lequin, c’est l'espérance d'une vie loin des bidonvilles, des hôtels-meublés, des cités de transit et des marchands de sommeil (Lequin, 2006, p418). Au milieu des années 80, les cités HLM offrent un confort sanitaire standard pour 75% des ménages immigrés. Cependant, la dégradation de l’environnement matériel, la concentration des ensembles HLM loin des centres-villes, la diminution de la mixité sociale et ethno-raciale, la ségrégation socio-spatiale, la déliquescence des services publics, la désindustrialisation, le chômage et la pauvreté, la délinquance juvénile, la dégradation du bâti et l’insalubrité progressive des premiers grands ensembles, la stigmatisation et la discrimination raciste, deviennent progressivement le lot des grands espaces HLM. (Lequin, 2006, p418).

 

3. Continuités et reconfigurations des processus discriminatoires

Après ce détour historique sur les formes d’antan de la ségrégation socio-spatiale, l’hypothèse de cet article est de montrer leurs continuités et leurs reconfigurations à destination des nouveaux immigrés et des descendants d'immigrés.

Le temps des taudis du 19e siècle, des hôtels-meublés et des cités de transit sont terminés. Pour autant, d’autres formes de relégation se sont poursuivies, comme les foyers de la SONACOTRA renommé Adoma en 2006, ou encore les campements de migrants, même si leur nombre est bien inférieur en comparaison au siècle dernier. Aujourd'hui, c'est l'accès au logement - social ou privé - qui reste la norme pour les immigrés et les descendants d’immigrés - sauf pour les demandeurs d’asile qui sont orientés vers l’hébergement d’urgence. Pour autant, leurs trajectoires résidentielles sont toujours traversées par un ensemble de discriminations, qui, si elles n’ont pas disparu, se sont reconfigurées. Nous pouvons en distinguer deux types : la relégation résidentielle qui s’opère par des processus de ségrégation socio-spatiale dans les quartiers populaires, et la discrimination directe dans l’accès au logement.

 

Les mécanismes de ségrégation socio-spatiale

La ségrégation socio-spatiale est un phénomène qui impacte toutes les sphères de la vie sociale : l’école, le logement, le travail, le service public, la citoyenneté etc. Alors que la ségrégation est elle-même une conséquence des mécanismes inégalitaires, elle crée également – selon la sociologue Mirna Safi - « les structures nécessaires à la pérennisation de ces inégalités et à leur généralisation à toutes les sphères sociales » (Safi, 2013, p68). Autrement dit, la ségrégation, en tant que cause et conséquence, amplifie toutes les formes de discriminations et d'inégalités structurelles.

La sociologie urbaine enseigne que la persistance de la ségrégation socio-spatiale repose sur une diversité de processus, dont je n’ai pas la place ici pour toutes les énumérer. Je vais m'attarder sur les contraintes socio-économiques ; l’hypothèse de la jonction entre la structure du marché du travail et celui du logement ; et la politique de distribution des logements sociaux.

 

Les contraintes socio-économiques

Il faut concevoir la ségrégation socio-spatiale comme un phénomène de classe et ethno-racial. Si elle est une logique contre les classes populaires, elle l’est principalement contre une certaine partie des prolétaires. En effet, la sociologue Mirna Safi constate que les données de ségrégation peuvent atteindre des niveaux considérables pour les immigrés non européens dans certains territoires (40 à 50%), notamment pour les maghrébins, les subsahariens et les turques (Safi, 2013, p59). Pour comprendre comment les quartiers sont ségrégués, il faut analyser les liens entre leur évolution et les mutations économiques.

 

  • De la « banlieue rouge » au territoire d’ « exclusion »

Le visage des quartiers populaires s'est transformé avec les mutations économiques des années 70/80. Tout au long du 20e siècle, la centralité du travail traverse l’ensemble des sphères de la vie sociale jusqu'à l’organisation des espaces. Comme le rappelle Robert Castel (2015), le quartier de la société salariale est structuré autour du travail. Il est nourri par une forte identité ouvrière locale, avec ses sentiments d'appartenance, sa culture, ses valeurs, ses modes de relation, ses luttes etc. Dans ces « banlieues rouges » cohabitent les ouvriers immigrés - principalement européens - et les ouvriers français. Cependant, le capitalisme néolibéral qui émerge dans les années 70 fait évoluer la structuration des banlieues « rouges ». Le chômage de masse, les licenciements collectifs, la désindustrialisation, les fermetures d’usines, la culture individualiste promue par le néolibéralisme, font exploser les identités ouvrières. La chute du syndicalisme et les mouvements révolutionnaires en sont les témoins. Il s’opère donc un double mouvement de « désouvriérisation », à la fois des classes populaires, mais aussi des banlieues avec notamment le départ de fractions entières de la classe ouvrière qui ont obtenu une relative ascension sociale.

Ainsi, le travail ne structure plus la société, ni les quartiers populaires, et les politiques publiques vont orienter les immigrés et leurs descendants dans ces territoires dans les années 80. Le chômage de masse, la désaffiliation, la précarité sociale, le départ progressif des nouvelles classes moyennes, la diminution de la mixité sociale et ethnique, recomposent un nouveau visage territorial dont plus rien, si ce n’est pas la précarité sociale, structure l’espace du quartier populaire. Autrement dit, la question économique est essentielle pour comprendre les évolutions d'un territoire puisqu’elle module les possibilités d’embauche, de promotion ou de fermeture d’usine d’une part, mais aussi puisqu’elle engendre des évolutions démographiques des territoires (diversité sociale et ethno-raciale) d’autre part (Beauchemin et al., 2016, p472).

 

  • La jonction entre la structure du marché du travail et du logement

On peut observer concrètement la causalité du contexte économique sur la production de la ségrégation socio-spatiale à partir de l'hypothèse suivante : la concordance entre les besoins de certains secteurs d’emploi dans lesquels les travailleurs racisés sont assignés et les propositions du marché locatif. Autrement dit, le jeu mécanique des marchés favoriserait les logiques de ségrégation, l’un s'ajustant à l'autre.

Aujourd'hui, 60 % des immigrés vivent dans les 15 premières métropoles et sont logés dans les quartiers populaires les plus précaires (Guilluy, 2016, p24). Ce modèle métropolitain est très inégalitaire. Il repose sur un marché clivé avec d’un côté les petites-bourgeoisies très qualifiées, de l’autre des emplois ouvriers et précaires réservés aux travailleurs immigrés (B.T.P, services de nettoyage, aide à la personne, la restauration). Ainsi, les nouveaux immigrés africains et maghrébins prennent place dans ses grandes métropoles par stratégie et par contrainte : d’une part pour augmenter leurs chances de trouver un emploi, d’autre part parce qu’une population familiale et communautaire est déjà présente sur place, elle-même le produit de la ségrégation spatiale et ethno-raciale. Autrement dit, les conditions de présence des immigrés seraient en partie créées par la jonction entre le marché de l’immobilier et du marché du travail (Guilluy, 2016, p39).

 

L’importance du logement social

L’enquête TeO (2016) révèle que les politiques publiques, par les décisions des bailleurs sociaux et des acteurs politiques locaux, peuvent également jouer un rôle important sur la composition socio-ethnique d’un territoire (Beauchemin et al., 2016, p472). On constate que les nouvelles formes de ségrégation socio-spatiale – celles qui se succèdent aux hôtels-meublés, aux bidonvilles et aux cités de transit -, se localisent principalement dans l’habitat social H.L.M. Ainsi, il faut prendre connaissance de l’évolution du parc social et les formes de hiérarchisation ethno-raciale en son sein, pour comprendre les logiques ségrégatives et discriminatoires qui le traversent.

 

  • Évolution du parc social

Le parc social situé dans les quartiers populaires est devenu la source principale de logement pour les immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Au cours des 40 dernières années, leurs présences dans l’habitat social passe de 34 % en 1982 à 51 % en 2008 pour les maghrébins et de 26 % en 1982 à 54 % en 2008 pour les subsahariens (Beauchemin et al., 2016, p475-476). En ce qui concerne les descendants d’immigrés maghrébins, subsahariens mais aussi turcs, si on observe des trajectoires résidentielles plus positives et ascendantes que leurs parents, une part importante d’entre eux vivent toujours dans le parc social : plus de 40 % pour les descendants subsahariens et algériens, et un peu plus de 35 % pour les descendants des marocains, tunisiens et turcs. Pour finir, si on observe une surreprésentation des individus racisés dans l’habitat social, il ne faut pas oublier que l’habitat social est constitué à 60 % par la population majoritaire (Beauchemin et al., 2016, p475-476).

 

  • Hiérarchisation, ethnicisation et discrimination dans le parc social

En réalité, le parc social n’est pas automatiquement un indice de ségrégation socio-spatiale. Pour qualifier un territoire ségrégué, il faut prendre en compte les indicateurs socio-démographiques des territoires dans lesquels sont distribués les logements sociaux (chômage, pauvreté, composition ethno-raciale etc.), la proximité des territoires avec le centre-ville, leur attractivité économique, l'accès aux transports au commun, la qualité des services publics, l'état des bâtiments, etc. Autrement dit, les territoires dits « ségrégués » possèdent des caractéristiques socio-économiques dégradées (chômage, pauvreté), des services publics de moins bonnes qualité (éducation nationale, poste, ligne de transport en commun), un manque de mixité sociale et ethno-raciale, un bâti davantage délabré, un éloignement géographique avec le centre-ville, et on pourrait ajouter un rapport à la police particulier qui repose sur une suspicion permanente des agents à l'encontre des habitants et des habitantes.

En prenant en compte tous ces indicateurs, on observe une distribution différenciée des logements du parc social sur une base ethno-raciale. Les immigrés et les descendants d’immigrés d’Europe du Sud, ainsi que la population majoritaire, subissent des indices de ségrégation bien moindre que les populations racisées. En effet, les travaux quantitatifs publiés à la fin des années 2000 montrent que depuis les années 80, on observe une double trajectoire contradictoire dans la population immigrée, dont la ligne de démarcation est le caractère européen ou non de celle-ci : « Qu’il s’agisse de l'habitat en logement social où privé, ces travaux constatent la fin de la concentration des immigrés italiens, espagnols ou portugais, contrastant avec le haut niveau de concentration urbaine qu'il connaissait en 1968. Dans le même temps, entre 1968 et 1999, la distribution des immigrés non européens s'est modifiée, passant d’une ségrégation selon l'origine nationale à une ségrégation par région d'origine. » (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p105-106). Autrement dit, les logiques ségrégatives ont fortement diminué pour les immigrés d’Europe du Sud et ont augmenté chez les immigrés subsahariens et maghrébins (Safi, 2013, p59).

Dans cette perspective, d’autres études montrent que les immigrés et les descendants d’immigrés maghrébins, subsahariens et turcs, sont surreprésentés dans les territoires les plus paupérisés qui proposent le parc social le plus détérioré. En effet, l’enquête TeO (2016) montre que les immigrés et les descendants d’immigrés maghrébins et subsahariens sont surreprésentés dans le parc social situé dans les quartiers les plus précarisés, dégradés, et dans lesquels se trouvent les plus forts taux de chômage (Beauchemin et al., 2016, p480). Ce phénomène permet de poser l'hypothèse que l’attribution des logements sociaux est traversée par des logiques d’ethnicisation qui discriminent ces groupes racisés.

Dans son étude monographique sur la ville de Gennevilliers, le sociologue Olivier Masclet rapporte que certains bailleurs sociaux « sacrifiaient les secteurs les moins attractif de leur parc de logement uniquement peuplés d’immigrés non européens (…) éloigné des centres urbains, des lieux d’activité, mal desservi par les transports publics, et réservé aux Africains, aux Maghrébins et aux Turcs. » (Masclet, 2005). L’enquête Teo (2016, p471) confirme que certains modes d’attribution du logement social réservent volontairement les parties du parc social les moins attractives aux ménages subsahariens, maghrébin et turcs, ainsi qu’à leurs descendants (Genest et al. 1996 ; Tanter et Toubon, 1999 ; Kirszbaum, 1999 ; Masclet, 2005 ; Tissot, 2005).

En définitive, les politiques du logement social contribuent à la ségrégation dans certains territoires des immigrés et des descendants d’immigrés maghrébins, subsahariens et turcs, à partir de « formes d’ethnicisation des modalités d'attribution des HLM » (Beauchemin et al., 2016, p476). Ces populations sont orientées principalement dans les quartiers les plus précarisés qui proposent le parc social le plus dégradé. Ainsi, cette distribution inégalitaire des logements sociaux s’apparente à une réelle discrimination structurelle ethno-raciale.

 

La discrimination raciste dans l’accès au logement

Si nous avons vu l’importance des contraintes économiques et du logement social dans les processus de ségrégation socio-spatiale des classes populaires racisées, un autre mécanisme fragilise leurs trajectoires résidentielles : la discrimination directe. Contrairement aux autres logiques dont les responsabilités sont complexes à déchiffrer, la discrimination directe est un comportement intentionnel et volontaire. La discrimination directe, si elle participe aussi à la ségrégation socio-spatiale en entravant l'ascension résidentielle des habitants des quartiers populaires, elle fragilise l'accès au logement de tous les individus racisés, toutes classes sociales confondues. Par ailleurs, il faut noter qu’elle est quasi-exclusivement le fruit des propriétaires privés.

En 2006, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), révèle dans son rapport que les immigrés et les descendants d’immigrés maghrébins et subsahariens subissent des discriminations à chaque étape de la recherche de logement : les renseignements sur l’immobilier (mail, appel téléphonique), les relations avec les agents et propriétaires, les visites de logement etc. A travers la méthode du testing, la HALDE montre qu’ « à niveau de vie équivalent, les candidats avec un nom évoquant une origine française obtiennent deux fois plus facilement un rendez-vous pour une visite d'appartement. Au terme de cette visite, ils ont quatre fois plus de chances d'obtenir l'appartement que les candidats d'origine maghrébine ou africaine. » (cité par Bonnet, et al., 2011).

Une autre étude réalisée auprès des agents immobiliers de Paris révèle que les critères ethno-raciaux jouent un rôle important dans la sélection des locataires (Bonnet et al, 2015). Par une approche qualitative – entretien avec les agents immobiliers -, les chercheurs montrent qu’environ 10 % des propriétaires expriment explicitement aux agences des préférences ethno-raciales qui excluent les personnes d’origine maghrébine, et davantage pour les personnes d’origine subsaharienne (Safi, 2013, p64-65 ; Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p105-106). Pour finir, un récent testing réalisé par SOS Racisme (2022) sur 136 agences immobilières révèle que 49% d’entre elles acceptent les exigences discriminatoires des propriétaires dont elles gèrent le logement.

 

4. Conclusion

L’ambition de cet écrit était de montrer comment se sont développées et reconfigurées les formes de relégations résidentielles subies par les immigrés et leurs descendants dans la société française, du début du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui. Dans un premier temps, nous avons vu que les formes de ségrégation socio-spatiale d’antan – l’assignation résidentielle dans les hôtels-meublés, les bidonvilles, les foyers collectifs, les cités de transit -, sont aujourd’hui supplantées par une concentration socio-ethnique dans le parc social situé dans les territoires les plus précarisés. Si de nombreux processus sont à l'œuvre, il faut noter l’importance des contraintes socio-économiques et des politiques d'attribution des logements sociaux. Dans un deuxième temps, la fragilisation des trajectoires résidentielles s’opère également par la discrimination directe dans l’accès au logement qui s'exerce à l'encontre des groupes racisés de toutes classes sociales. La question du logement constitue donc bien un élément important pour comprendre la fragilisation des trajectoires de vie des groupes racisés.

 

Bibliographie

Beauchemin, C., Hamel, C., Simon, P. (2016). Trajectoires et origines. Ined. (Enquête TeO)

Blanchard, E. (2018). Histoire de l'immigration algérienne en France. La Découverte.

Blum Le Coat, J.-Y., Eberhard, M. (2014). Les immigrés en France. La documentation française.

Castel, R. (1995). Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard

Guilluy, C. (2016). Le crépuscule de la France d'En haut. Flammarion.

Lequin, Y. (2006). Histoire des étrangers et de l'immigration en France. Larousse.

Safi, M. (2013). Les inégalités ethno-raciales. La Découverte.

 

Webographie

Bonnet, F., Safi, M., Lalé, E. & Wasmer, É. (2011). À la recherche du locataire « idéal » : du droit aux pratiques en région parisienne. Regards croisés sur l'économie, 9, 216-227. https://doi.org/10.3917/rce.009.0216

Bonnet, F., Lalé, E., Safi, M. & Wasmer, E. (2015). Better residential than ethnic discrimination! Reconciling audit and interview findings in the Parisian housing market. Urban Studies, 53(13), 2815–2833. https://doi.org/10.1177%2F0042098015596107

Genest S., Kirszbaum T., Pougnet F., (1996), Les représentations de l’ethnicité dans les politiques locales du logement. Paris, Rapport Acadie-PCA.

Kirszbaum T., (1999), « Les immigrés dans les politiques locales de l’habitat. Variations locales sur le thème de la diversité », Sociétés contemporaines, 33-34, p. 87-110. DOI : 10.3406/socco.1999.1752 

Masclet, O. (2005). Du « bastion » au « ghetto » : Le communisme municipal en butte à l'immigration. Actes de la recherche en sciences sociales, no<(sup> 159), 10-25. https://doi.org/10.3917/arss.159.0010

France Info. Logement : près de la moitié des agences immobilières accèdent aux exigences discriminatoires des propriétaires, selon SOS Racisme. 21/03/2022. Consulté le 08/08/22. https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/logement-pres-de-la-moitie-des-agences-immobilieres-accedent-aux-exigences-discriminatoires-des-proprietaires-selon-sos-racisme_5030486.html

Tanter A., Toubon J-C. (1999). Mixité sociale et politiques de peuplement : genèse de l'ethnicisation des opérations de réhabilitation. Sociétés Contemporaines, 33-34  pp. 59-86 DOI : 10.3406/socco.1999.1751

Tissot, S. (2005). Une « discrimination informelle » : Usages du concept de mixité sociale dans la gestion des attributions de logements HLM. Actes de la recherche en sciences sociales, n°159, 54-69. https://doi.org/10.3917/arss.159.0054

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