Madame Bérangère Couillard, Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, je vous adresse cette lettre pour vous rappeler les promesses faîtes par votre parti politique sur une question faiblement médiatisée, mais hautement importante : le soin pour les femmes victimes et survivantes de mutilations sexuelles féminines. Qu’elles soient françaises, étrangères en situation régulière ou irrégulière, il est de votre responsabilité, Madame la Ministre, de défendre et de développer l’ensemble des droits (sociaux, économiques, d’asile etc). de ces femmes au nom du droit à l’égale dignité humaine.
Aujourd’hui, vous faîtes partie d’un gouvernement qui a approuvé le texte le plus discriminatoire sur l’immigration et l'asile depuis plusieurs dizaines d’années. La remise en cause du droit du sol, du regroupement familial et des conditions d’accès à la nationalité, le durcissement pour l’accès aux prestations sociales et la délivrance du titre d’étudiant étranger, la remise en place de quotas pour l'immigration et du délit de séjour irrégulier, bref, toutes ces dispositions relèvent d’une « préférence nationale », un principe contraire aux valeurs que la République prétend défendre. Il n’est donc pas étonnant que le projet de loi ait reçu un soutien massif de la part de l’extrême-droite qui, depuis toujours, demande la mise en place de ce principe nationaliste. Cette alliance idéologique ouvre à présent la voie à une aggravation sans précédent des droits des étrangers et des étrangères. En effet, dans un souci de trouver un compromis avec les courants politiques les plus réactionnaires, la Première Ministre Elisabeth Borne a promis à la droite et à l’extrême-droite une réforme sur l’Aide Médicale d’Etat (AME) pour le début de l’année 2024.
Madame la Ministre, vous avez une position peu rassurante sur ce sujet. Le 10 novembre sur Sud Radio, si vous affirmez que vous n’êtes pas favorable à la suppression de l’AME, dans le même temps vous dites qu’un « travail est en cours pour voir comment on peut l'améliorer ». Or, il n’y a pas d’amélioration prévue, comme par exemple un élargissement des interventions de soin pris en charge par le dispositif, mais bien une « réforme » annoncée par Elisabeth Borne et Gérald Darmanin. Par expérience, travailleurs et travailleuses, français et étrangers, nous savons que chaque réforme est une avancée de plus pour faire reculer nos droits sociaux, économiques, culturels etc. Ceci est d’autant plus vrai pour le cas des droits à la santé. Depuis l’émergence du capitalisme néolibéral, le paradigme politique - considéré comme indiscutable - est à la réduction des dépenses publiques et sociales, une dynamique qu’Emmanuel Macron a fait sienne à travers son expression méprisante de « pognon de dingue ».
J’en viens maintenant au cœur de mon sujet. En tant que Ministre déléguée aux droits des femmes, vous savez parfaitement que l’Aide Médicale d'État est indispensable pour que les femmes excisées en situation irrégulière puissent prétendre à certains soins, notamment la chirurgie réparatrice du clitoris. Ce parcours de soin est multidisciplinaire : consultation médicale, psychologique, sexologique, parfois une permanence sociale et juridique pour les structures qui en ont la capacité, et enfin la clitoridoplastie comme dernière étape, c'est-à-dire une chirurgie du clitoris (il faut noter que la majorité des femmes arrêtent le parcours aux consultations psychologiques et sexologiques car celles-ci ont répondu à leurs attentes). Depuis 2004, cette opération est remboursée par l’Assurance Maladie grâce au Dr. Pierre Foldes, l'initiateur de cette chirurgie.
Or, la volonté du gouvernement de réformer l’AME sur un principe de réduction des dépenses publiques fait peser le soupçon d’un rétrécissement des soins remboursés pour les étrangers et les étrangères en situation irrégulière, notamment pour les femmes victimes de MSF. Je rappelle les promesses formulées par la France il y a quelques années. En 2019, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, présente le Plan national d'action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines (MSF). Celui-ci ambitionne de faire de la France une référence internationale en matière de lutte contre les mutilations sexuelles féminines. Cependant, quelle serait l’exemplarité d’un pays qui promet dans son plan de « Faire enfin de la France un pays exemplaire » en matière de lutte contre les MSF, tout en remettant en cause le dispositif de financement qui permet à de nombreuses femmes excisées d’avoir accès aux soins ?
Le 30 novembre 2023, vous étiez invitée au colloque « L’excision En Ile-De-France : Agissons Ensemble ». Menant actuellement une enquête sur les mutilations sexuelles féminines en France, j'étais également présent pour cet événement. Lors de votre discours, vous avez rappelé les engagements de la France vis-à-vis de l’éradication des MSF, ainsi que de la nécessité d'accompagner les femmes concernées en France. En revanche, alors même que l'ensemble des professionnelles des unités de soins pour femmes excisées et des bénévoles associatifs que je rencontre me font part de leur inquiétude sur le devenir de l'AME, vous n’avez rien dit sur les possibles transformations du dispositif, ni sur votre volonté de défendre au sein de votre famille politique les droits à la santé des femmes excisées en situation irrégulière. Et par expérience, nous pouvons affirmer que les craintes des profesionnelles sont justifiées. Les promesses du gouvernement en matière de santé sont rarement tenues, comme en témoigne la suppression massive de lits d’hospitalisation complète en 2022 malgré l’engagement du gouvernement d'investir massivement dans le secteur hospitalier. Comme le note la DRESS, 6700 lits ont été supprimés l’année dernière, et 29 800 depuis le premier mandat d'Emmanuel Macron (2017). Paradoxalement, cette dynamique s’intensifie depuis l’année 2020, comme si le gouvernement n’avait pas tiré les leçons du manque de moyens humains et matériels de notre système hospitalier pendant la crise de la Covid19.
Madame la Ministre, les prochains mois seront importants puisqu'ils détermineront le maintien ou non des droits à la santé des femmes excisées en situation irrégulière. Leurs conditions sociales, leur mobilité et leur droit à la protection étant déjà fragilisés par la nouvelle loi sur l’immigration, la France ne peut les exclure d’un processus de soin qui favorise leur résilience et leur autodétermination. Face à un énième épisode du racisme d'Etat qui pourrait initier une nouvelle politique discriminatoire au début de l'année 2024, il est de votre responsabilité, Madame la Ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de défendre le droit de toutes les femmes victimes de MSF, qu'elles soient françaises, étrangères en situation régulière ou non.
Une seule question résume les prochaines semaines à venir : voulez-vous entrer dans l’histoire politique comme étant la Ministre au droit des femmes qui aura participé au recul, voire à la suppression, d’un des droits les plus fondamentaux des femmes excisées en situation irrégulière : le droit à la santé ?