J’ai découvert, il y a quelques jours, une pièce dont je ne sais encore que penser. « La Tendresse », oeuvre collective écrite par Julie Berès, Lisa Guez et Kevin Keiss qui donnent ou délèguent la parole à un autre collectif composé, cette fois, de jeunes hommes désœuvrés. Posés sur la scène grise comme le bitume, ils se parlent, se charrient, se bousculent et partent parfois en monologues, comme s’ils étaient, in fine, seuls dans leur virilité. Ils racontent leurs premières expériences sexuelles, entre performance, vantardise et sincérité. Ils échangent leurs techniques de drague, se vantent d’enchaîner les conquêtes puis s’effondrent lorsqu’ils content les échecs et les violences qu’ils infligent. Et s’il y a beaucoup de justesse dans cette pièce, entre les fulgurances poétiques sur la masculinité et la misogynie à laquelle elle semble irrémédiablement rivée, il y a aussi un quelque chose qui me dérange. Car ce qui se déroule sur scène, c’est le récit d’une violence diffuse qui ne ferait que des victimes.
Un viol est raconté par l’un des personnages, il pleure, s’enfuit puis revient en ballerines, sur ses pointes, comme une danseuse, pour nous livrer la misère de sa vie sexuelle ruinée par la pornographie.
Je crois, moi aussi, que la sexualité masculine est triste, pauvre et navrante quand elle est violente. Mais je crois que la brutalité ne s’exerce pas sans bourreaux. Je crois encore que la domination ne se vit pas comme un monologue parce que l’entre-soi masculin est un sacré espace de puissance. Les hommes n’y vivent pas sans pressions ni craintes, mais ils y vivent dans la jouissance d’un pouvoir volé, chaque jour, aux femmes. Volé collectivement, dans la froideur et la sérénité. Alors la virilité n’est pas un monologue. La virilité est un grand dialogue d’amour des hommes pour les hommes, et de haine des hommes pour les femmes.
Plus tard, un autre personnage prend la parole et dresse la liste des injonctions contradictoires qui pèseraient sur les hommes aujourd’hui. Il souffre parce qu’on lui demande d’être fort sans démesure, de désirer les femmes sans les forcer, d’enfanter sans abandonner… Il faudra qu’on m’explique pourquoi ces exigences sont si difficiles à respecter…
J’ai ri pendant cette pièce qui se moque de la virilité, j’ai été émue aussi par ce portrait des émotions réprimées et des corps contrariés. Je remercie donc ses créateurs·trices, ses acteurs·trices pour cette rencontre avec un théâtre vivant qui cherche, dans les coins obscurs de nos consciences, les traces d’une liberté perdue et à venir.
Mais les hommes ont épuisé ma patience et je ne peux plus entendre sans soupirer que la masculinité est dure à porter. Les hommes la protègent trop pour que je puisse les plaindre. Qu’ils cessent d’élever les murs qu’ils feignent ensuite de vouloir détruire. Quant à la tendresse, je m’efforce de la faire taire pour qu’elle ne se retourne plus contre moi. Car la tendresse dont il est question dans ce titre appartient, il me semble, à Julie Berès et au public qui posent, sur ces jeunes délicatement misogynes, un regard d’indulgence et de douceur. On peut attendre longtemps encore que les hommes qui détestent les femmes se laissent attendrir par la souffrance qu’ils génèrent, ils sont trop occupés à s’apitoyer sur leurs difficultés à opprimer calmement.