Hier, j'ai fait une rencontre à laquelle je ne m'attendais pas. Une rencontre avec la vie ordinaire et ses hasards invisibles que Vivian Maier a su percevoir et capturer à la surface de ses pellicules.

Agrandissement : Illustration 1

Il suffit parfois d'un miroir pliant pour que le réel se dédouble et se décale. Alors une nuque expose les parcelles de son visage caché et compose ainsi un portrait cubiste où les poins de vue cohabitent dans leurs contradictions manifestes.
D'un cadre à l'autre, la jeune fille se regarde. In fine, c'est le reflet qui observe son référent et découvre ainsi les lignes de sa face.
Derrière, la fenêtre est barrée. Elle n'ouvre d'ailleurs que sur la face toute lisse d'un immeuble qui n'a rien à promettre. Ainsi débarrassée de son paysage primitif, la Joconde nouvelle peut enfin se regarder dans les yeux et se libérer des spectateurs encombrants auxquels elle sourit depuis des siècles.

Agrandissement : Illustration 2

Les passants se ressemblent et se répondent au détour d'un trottoir. Le couple de droite chemine tranquillement, il ne sait pas qu'en quelques pas, il deviendra le couple survolté qui se dispute, s'étreint et se violente.
L'espace bégaie et prend ici l'allure d'une planche de roman graphique où les instants se fixent et se côtoient. Alors nous constatons que ces ressemblances intolérables qui semblent nier nos individualités et nous priver de toute prétention à l'originalité nous transforment parfois en personnages.

Agrandissement : Illustration 3

Mais il ne s'agit pas toujours de transformer l'espace en narration. Il s'agit parfois de créer une image et de saisir un instant de poésie surréaliste.
La tête comme un ballon de baudruche, comme un corps d'enfant : rond et léger.
La beauté onirique de cette superposition nous libère de notre tendance à l'investigation qui nous pousse souvent à désirer ce qui est caché. Derrière le visage-ballon, il y a un visage-homme auquel nous renonçons volontiers.

Agrandissement : Illustration 4

Et voilà qu'un câble roulé sur lui-même attire toute l'attention des curieux. Par mimétisme peut-être, on se prend à croire qu'il dessine les contours d'un passage secret vers un autre monde. Un passage à emprunter avec la stupeur et l'avidité d'un explorateur de mondes parallèles.
Enfin, il y a les autoportraits d'une Vivian Maier qui ne s'appréhendent qu'à travers les médiations successives des miroitements, des projections et des enchâssements.

Agrandissement : Illustration 5

La femme-ombre se fait femme-maison pour accueillir le reflet minuscule du corps qui lui permet d'exister.
Ce délire amusant d'auto-engendrement nous rappelle que nous ne verrons jamais notre visage. Pas directement du moins.
J'ai souvent dit que je n'aimais pas la photographie, j'aurais dû dire que je ne la connaissais pas.