J’aime la danse à bien des égards car j’y trouve une énergie dont le cinéma semble se départir depuis quelques années. Cette énergie loge, au sein même de l’œuvre, une interrogation sur l’existence de cette œuvre, comme si son créateur s’émerveillait de la voir apparaître là, sous ses yeux, et se demandait ce qui avait pu donner naissance au prodige. Cette interrogation peut prendre la forme d’un personnage dont l’identité est énigmatique. Prenons l’exemple bien connu de Mary Poppins. Qui est cette femme qui gronde son reflet et porte une maison entière dans son sac ? À ses côtés, Bert n’est pas un personnage moins troublant. Qui est cet homme qui se prétend musicien de rue, crayonneur de trottoir et ramoneur londonien ? À eux deux, ils animent les dessins colorés et allègent les corps pesants, alors on se demande si ces illusionnistes ne sont pas les allégories joyeuses du cinéma. Par un jeu discret de sonorités suggestives, ils portent dans leur nom le principe de la magie et du jeu puisque l’un bursts et l’autre pops, comme des apparitions fulgurantes, des apparitions dansantes qui rient, s’envolent et inventent des images mouvantes.
Hier, j’ai assisté à la représentation du dernier spectacle de Mourad Merzouki intitulé Zéphyr. Ici, pas de personnages, juste des corps qui se tordent, se contractent et se soulèvent parce qu’ils luttent contre le dieu du vent. Au fil des contorsions, c’est une définition de la danse qui nous est livrée. Danser, c’est résister aux forces de la nature qui nous vieillissent et nous appesantissent. Les corps chutent mais se redressent in extremis. La chorégraphie de Merzouki se forme là, sur la corde tendue du funambule, au bord de la mer et du précipice. Pour survivre, il faut danser ; il faut se transformer en feuille de papier bleu qui se froisse et se promène dans le vent ; il faut tendre les bras et les tourner en hélice ou se cacher sous un voile et faire la sirène tentaculaire car la danse plie et déplie les organismes jusqu’à la métamorphose qui ravive plus qu’elle ne tue. Et puisque la scène est le lieu de cette renaissance, elle change de couleur et perce le fond bleu d’une tache de chair toute rouge qui se meut et s’étire. Une tache de vie dans la froideur.