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Billet de blog 15 octobre 2012

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La compétitivité des entreprises impose-t-elle une réduction du coût du travail ?

La question cruciale de la compétitivité des entreprises françaises fait débat. Le gouvernement a chargé Louis Gallois d'un rapport sur le sujet, attendu le 5 novembre prochain. Cette question est directement reliée à celle du coût du travail, qui serait trop important comparé à nos voisins et partenaires européens, notamment car trop grevé par les charges sociales sur les salaires. D'où l'idée de déplacer certaines de ces charges vers l'impôt. Pour en juger, il faut d'abord distinguer deux questions :

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La question cruciale de la compétitivité des entreprises françaises fait débat. Le gouvernement a chargé Louis Gallois d'un rapport sur le sujet, attendu le 5 novembre prochain. Cette question est directement reliée à celle du coût du travail, qui serait trop important comparé à nos voisins et partenaires européens, notamment car trop grevé par les charges sociales sur les salaires. D'où l'idée de déplacer certaines de ces charges vers l'impôt. Pour en juger, il faut d'abord distinguer deux questions :

1- la question de la compétitivité des entreprises, grevée par les charges sociales. Alors il faut regarder des chiffres exacts et considérer les autres facteurs de dégradation de la compétitivité. Quant au charges sociales jugées trop lourdes, suffit-il de les déplacer ailleurs, en impôt, c'est à dire sur les citoyens, ou bien de les réduire en diminuant les dépenses sociales, en assurant moins de couverture ?

2- la question de la logique de financement entre charges sociales et impôt et de répartition entre charges patronales et charges salariales. La part patronale et salariale des charges est un faux problème. On peut reporter 50% des charges patronales sur les charges salariales en faisant augmenter d'autant les salaires bruts, si on veut avoir le même niveau de charges patronales qu'en Allemagne (qui en revanche a 1/3 de plus de charges salariales et aussi plus d'impôt). En revanche, autant il est logique de charger les salaires de cotisations assurancielles visant à la protection sociale (d'ailleurs la cotisation retraite, indemnités maladie et chômage sont proportionnelles aux prestations), autant il ne l'est pas de faire financer la politique familiale par les salaires, de même que tout ce qui est de nature redistributive, qui selon moi est du ressort de l'impôt.

Un transfert de charges patronales vers la TVA ou vers la CSG se traduirait inéluctablement par une baisse de pouvoir d'achat des citoyens, consommateurs ou salariés/retraités/indépendants (la seconde faisant contribuer aussi le capital, les revenus financiers donc les épargnants).

Dans l'hypothèse d'une hausse de la TVA dite "sociale", les entreprises étaient supposées jouer le jeu en augmentant les salaires ou en ne répercutant pas la hausse de TVA sur les prix (ce qui dans ce cas ne reconstitue pas leur marge) mais offrait un avantage compétitif à l'importation (renchérissement) et à l'exportation (baisse du coût). Cependant, comme les salaires représentent environ 25% du prix des échanges extérieurs, une hausse de TVA de 1.6% telle que prévue par N. Sarkozy n'aurait joué que pour 0.4% sur le prix de ces échanges, autrement dit insignifiant et symbolique. Sachant qu'il est difficile d'augmenter plus la TVA alors qu'est visée une convergence fiscale en Europe (la moyenne de l'UE est à 19%).

Dans l'hypothèse d'un transfert de charges sur la CSG, si l'entreprise doit augmenter d'autant les salaires pour compenser la perte pour les salariés suite à une augmentation de la CSG, comme le préconise François Chérèque, cela n'améliore pas de beaucoup la compétitivité des entreprises si ce n'est de la part de coût transféré aux revenus non salariés (retraités, indépendants, commerçants, revenus financiers).

Dans l'hypothèse d'un transfert de charges sur un impôt supplémentaire sur les banques, comme le préconise Arnaud Montebourg, il y a de fortes chances que celui-ci soit répercuté sur les clients des banques, entreprises et particuliers. Contrairement à ce que veut faire croire Arnaud Montebourg avec un langage très populiste, les banques ne vont pas si bien que ça et font des plans sociaux. Leur cours s'est effondré et leurs actionnaires ont énormément perdu d'argent depuis 2007. Elles font encore des profits car la réglementation prudentielle leur impose de réaliser ces profits et de les mettre en réserve pour les risques. La part de profit distribué aux actionnaires ne donne qu'un rendement compris entre 2 et 5% depuis la crise (0 en 2011 pour le Crédit Agricole).

Focaliser surtout sur la question de compétitivité sur le "coût du travail" ne paraît pas être une bonne idée, il y a d'autres facteurs plus importants comme le coût de l'énergie, la stratégie industrielle, l'innovation, la flexibilité, l'accès au financement ...

Le coût du travail en France est du même ordre qu'en Allemagne et nos pays partenaires à niveau de vie équivalent. Même s'il y a une polémique avec chiffres contradictoires (Eurostat/Rexecode le décrive comme 12% au dessus du côut allemand alors que l'Insee, le BIT et l'OCDE le décrivent moins élevé qu'en Allemagne).
Un document de travail ( No 1208 ) du Cepremap - Centre de recherche pour l'économie et ses applications -   publié par l'économiste Philippe Askénazy, directeur de recherche au CNRS , nous avertit que les éléments servant à évaluer le " coût du travail " en France, sont fragiles, voire incohérents . Ainsi, l'organisme européen de la statistique, Eurostat, aurait tendance à surestimer de 10% la hausse du coût du travail en France, dans les comparaisons avec l'Allemagne . ( Marianne : No 807 du 6 au 12 octobre 2012 ) .

En revanche, les marges de nos entreprises se sont considérablement dégradées comparées à l'Allemagne et sont inférieures. Ce qui peut expliquer l'insuffisance de leur investissement, notamment en innovation. Le 20 juin 2012, l'Insee a publié une étude intitulée "éclairage sur l'évolution de l'économie française depuis la récession de 2009"qui dresse le constat de dégradation du taux de marge des entreprises françaises qui n'a jamais été aussi faible depuis 25 ans (28.6%) comparé à l'Allemagne (34,4%), -1,5 points de marge entre 2010 et 2011, -2,2% pour l'EBE alors même que le coût du travail (salaires bruts et charges patronales) est du même ordre et même un peu plus élevé en Allemagne.

Voir mon dernier billet :
http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft/041012/deficit-public-et-competitivite-francois-hollande-fait-du-bayrou

Ci-dessous des liens sur articles et rapports intéressants :

- Un rapport remis la semaine dernière à Arnaud Montebourg par un think-Tank de Français à l'étranger, qui ont comparé les pratiques de différents pays qui font leur succès industriel :
http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120410trib000692747/la-france-a-t-elle-encore-un-avenir-industriel-.html
http://www.latribune.fr/getFile.php?ID=5788782 (Rapport)

- Un rapport commandé par le FSI qui explique le "miracle" allemand du Mittelstand :
http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20121010trib000724068/competitivite-un-rapport-detaille-le-miracle-allemand.html
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Economie/Le-Mittelstand-allemand-se-nourrit-de-la-perfection-du-banal-_NG_-2012-10-11-863371

- Un rapport de La Fabrique de l'Industrie : "L'Allemagne : un modèle, mais pour qui ?" qui distingue les facteurs de compétitivité non transposables et ceux dont la France pourrait s’inspirer :
http://www.la-fabrique.fr/uploads/telechargement/505c96c0-ec68-4d7d-8138-37905762912c-Allemagne_WEB2.pdf

- un cahier du Cercle des Economistes "L'Allemagne, un modèle pour la France ?" (Patrick Artus):
http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr/spip.php?article276

- article datant de fin 2011 :
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/l-allemagne-ce-modele-que-la-france-ne-peut-pas-copier_271601.html

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