En ce moment où est challengée la politique de rigueur, de contention des déficits publics et des dépenses publiques, il est important de s'intéresser à la cause de la hausse de ces dépenses et à la pertinence des comparaisons internationales. Il est indispensable notamment de distinguer, au sein de ces chiffres, la part correspondant aux dépenses de protection sociale.
La dépense publique atteint 57.1% du PIB en 2013. Elle comprend la dépense de protection sociale (pour 55% du total!).
Les prélèvements obligatoires (impôts, taxes et charges sociales) ont atteint 46% en 2013. Ilscomprennent aussi les cotisations santé-chômage-retraite. Ils
Les prélèvements obligatoires servent à financer les dépenses publiques mais ne suffisent pas. La différence entre les deux = 11.1% du PIB, correspondant au déficit public (4.1%) et les autres recettes de l'Etat (par exemple dividendes des participations de l'Etat) pour 7%.
J'avais déjà critiqué dans un précédent article le fait de raisonner sur des chiffres incluant les dépenses de protection sociale. Ce serait plus clair de différencier d'un côté les dépenses de fonctionnement de l'Etat (et séparément d'investissement d'ailleurs) face aux recettes fiscales (déficit budgétaire de fonctionnement) et de l'autre les dépenses de protection sociale face aux cotisations (déficits sociaux). Je l'avais rappelé aussi l'an dernier dans ce billet "De la vérité des chiffres en économie".
L'évolution de la dépense publique depuis 1978 montre que la hausse en % du PIB provient de la protection sociale pour 12 points et des dépenses des collectivités locales pour 4 points. En revanche les dépenses de l'Etat (administrations centrales et opérateurs de l'Etat) dont restées stables, n'ont pas augmenté. Voir ce graphique extrait d'un article de blog de la Tribune.

De même que l'évolution des prélèvements obligatoires montre que la hausse est expliquée par celle des cotisations sociales pour l'essentiel et plus modérément par celle de la fiscalité locale alors que les recettes fiscales de l'Etat ont baissé notablement en % du PIB.
L'augmentation de nos dépenses publiques et de nos prélèvements obligatoires provient donc de la protection sociale et plus modérément des dépenses publiques locales.
Les dépenses de santé ne cessent de croître en France : augmentation annuelle de 2,2% en moyenne depuis l'an 2000, représentant environ 5 milliards/an.
Mais il faut se méfier de la comparaison internationale de ces taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires, qui comprennent les dépenses de protection sociale, notamment de santé.
Cette façon de présenter les choses biaise la comparaison entre pays (46% de prélèvements obligatoire en France contre 39% en Allemagne). Sachant que les charges de protection sociale publiques représentent une part moins élevée en France qu'en Allemagne. En revanche, la part de prélèvement fiscal est plus élevée en Allemagne qu'en France, ce qu'on oublie souvent de préciser.
L'Allemagne a le même niveau de protection sociale que la France mais avec une part de cotisations privées (assurances complémentaires) plus importante qui n'est donc pas dans le chiffre de prélèvements obligatoires, ce qui fausse la comparaison. Par exemple les dépenses de santé s'élèvent en France comme en Allemagne à 12% (au 2ème rang des pays OCDE en 2011) contre 17.4% aux Etats-Unis. Les chiffres globaux de dépense de santé masquent aussi les inégalités dans la protection sociale, les moins favorisés étant moins capables de souscrire des assurances privées.
Cependant si on rapporte ces dépenses par habitant, l'Allemagne est plus économe. Comme le montre cet article de la Tribune (datant de 2012) commentant une étude de l'institut Thomas More, si la France ramenait sa dépense publique de santé par habitant au niveau allemand, cela représenterait une économie de 7,2 milliards d'euros par an. Il faut aussi comparer ces dépenses par type de dépense : sur les dépenses hospitalières, l'économie potentielle de la France serait de 26,4 milliards d'euros comparé à l'Allemagne (chaque Français dépense pour l'hôpital 409 euros de plus que son voisin d'outre-Rhin (1 229 euros contre 819). Sur les coûts administratifs de gestion de la santé, il y a 4 milliards d'économies possibles. Concernant les dépenses de médicaments, si les Français dépensaient comme les Allemands, on économiserait 1,1 Milliard/an.
Ceci démontre que si l'on doit réduire les dépenses publiques et donc le déficit, c'est surtout sur la protection sociale, en particulier sur la santé qu'il faut viser les économies. Il y a deux façons de le faire : réellement, en économisant vraiment que la dépense soit publique (sécurité sociale) ou privée (à charge des mutuelles), ou virtuellement en transférant des dépenses publiques (de sécurité sociale) vers le privé (mutuelles), ce qui diminuerait le chiffre affiché de dépenses publiques et de prélèvement obligatoire à dépense égale (de14,3 milliards d'euros d'après l'étude citée) sans pour autant faire de vraie économie ...
Ces chiffres montrent aussi que l'Etat a eu des dépenses de fonctionnement (+ charge financière de la dette) stables en % du PIB face à des recettes fiscales en baisse (d'où un déficit budgétaire accru). Par ailleurs, les déficits sociaux ont également augmenté, s'ajoutant au déficit global.
Pourtant aujourd'hui, à l'heure où on parle de politique de rigueur et d'économie de dépenses publique pour réduire le déficit, il est étonnant de constater qu'on ne parle que de viser une dépense de fonctionnement de l'Etat et des collectivités locales (réforme territoriale), sur lesquelles les marges de manoeuvre potentielles sont beaucoup plus faibles et sans doute plus difficiles à appliquer en tout cas à court terme. Ne pas remplacer un fonctionnaire sur trois partant à la retraite ne ferait économiser que 400 millions d’eurospar an (voir le rapport de la Cour des Comptes).
En conclusion, pour redresser nos finances publiques tout en redonnant de la croissance, de la respiration aux entreprises et une capacité d'investissement dans l'avenir, il faut :
- se donner les moyens d'investir dans l'innovation (publique et privée) et des infrastructures sources d'économies futures, dans l'énergie, l'isolation, etc. Ces moyens doivent être donnés prioritairement au niveau européen, en transférant du budget national sur un budget européen ;
- réaliser des économies, à la fois sur le fonctionnement de l'Etat, des collectivités territoriales et sur les dépenses de santé en ciblant tout particulièrement ces dernières, pour permettre à la fois de redéployer un budget vers l'investissement et pour réduire et même supprimer le déficit public (depuis trente ans nous vivons à crédit en faisant peser sur nos enfants nos actuelles dépenses de fonctionnement et de protection sociale, c'est inadmissible) ;
- ne pas faire ces économies au prix d'une réduction de la qualité de la santé ni en aggravant les inégalités sociales. Il faut être très pragmatique et prendre exemple sur nos voisins ;
- quand a changer le thermomètre, c'est à dire la mesure des dépenses publiques, ce n'est pas la solution pour réaliser vraiment les économies mais il y a une action de clarification à faire, au niveau national comme international (Eurostat) afin de raisonner sur de bonnes bases et ne pas tout mélanger, en séparant clairement dépenses publiques de fonctionnement et dépenses de protection sociale.
http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft/230313/de-la-verite-des-chiffres-en-economie
http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft/270713/depenses-publiques-desinformation-et-manipulation
http://netreferendum.pagesperso-orange.fr/la-depense-publique.htm