Le groupe socialiste du Sénat a eu la bonne idée d'utiliser son droit de tirage pour une mission d'information sur les pesticides. Joël Labbé, notre collègue breton écologiste y participe, aux côtés de représentants de tous les groupes politiques.
Il y a des différences entre une mission commune d'information et une commission d'enquête: la première invite, la seconde convoque. Les auditionnés dialoguent avec la mission, alors que dans une commission d'enquête ils répondent sous serment.
Non satisfaites des réponses de l'agence de sécurité sanitaire ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail - ex AFSSA + ex AFSSET), la présidente UMP Sophie Primas, et la rapporteure socialiste Nicole Bonnefoy, ont voulu utiliser l'article 6 de l'ordonnance de 1958 et l'article 22 du règlement de notre assemblée. Cette disposition qui n'a jamais été utilisée, permet à une commission permanente, ici une de celle chargée de la recherche, de se voir confier les prérogatives d'une Commission d'enquête pour un temps et un sujet limités.
L'étape obligatoire de la proclamation de la demande en séance publique a été franchie, le 18 juillet, malgré les réticences initiales de l'administration.
L'étape difficile mais incontournable de la validation de la démarche par la commission des lois aussi, le 25 juillet.
Ne restait plus l'après-midi du même jour, que la Conférence des Présidents, instance solennelle qui ordonne la vie politique de nos débats, et réunit les présidents de commissions et les présidents de groupes politiques autour du Président du Sénat.
Seule, seule, seule, je me suis sentie trahie et écrasée par les invisibles agissements des lobbies, ainsi que par l'étouffoir d'une institution qui, ce soir là, a eu peur du changement.
Des motifs changeants de rejet se sont succédés: « la rapporteure ne le jugerait plus utile », disait le président du groupe socialiste François Rebsamen... Faux. Je venais de la croiser, elle m'avait dit tout son espoir.
« Cela aurait pu revenir à ma commission, qui s’occupe de recherche innovations » disait Daniel Raoul, le Président de la commission des affaires économiques... Oui mais c'est à la notre, que la demande avait été faite, et la procédure ne pouvait plus être modifiée: le Parlement fermant sa session au 31 juillet.
Il ajouta qu'il était indigne de placer un organisme d'état sous le soupçon des parlementaires....
Il acheva l'estocade en sortant une lettre de l'ANSES qui se disait prête à fournir toutes les réponses...
Aucune des leçons de l'amiante, ou du récent MEDIATOR n'ont été tirées: on laisse la bride sur le cou des agences, on ne vérifie rien. Et dans le Parlement, elles ont de solides relais qui veillent à leurs intérêts.
Les relais sont si efficaces que dès la proclamation en séance publique du 18 juillet 2012, l'ANSES alertée (par qui?) commençait ses démarchages téléphoniques pour désamorcer la commission d'enquête...
Or l’ordre du jour du Sénat (conventions internationales sur l’Afghanistan et l’Arabie Saoudite…) rendaient plus qu’improbable une veille spécifique de l’ANSES sur nos travaux.
Voilà, la commission d’enquête n'aura pas lieu. Ce changement-là, ce n'est pas maintenant.
Et ceux qui par leur activisme ou leur passivité ont tué l'initiative n'auront aucun compte à rendre à leurs collègues de base, puisqu'il n'y a plus de réunions de groupe politique avant la rentrée. Décidemment, la chaleur de l'été est favorable aux mauvais coups pour les gens: licenciements, augmentation des tarifs, mais aussi pour la démocratie, comme l'étouffement d'une commission d'enquête.
L'enjeu est quand même le regard des élus sur les modes de mise sur le marché des pesticides, ces charmantes substances riches en perturbateurs endocriniens, molécules cancérigènes et neurotoxiques.
Face à l'opportunité d'aller voir de plus près comment sont protégés les citoyens, que ce soit pour les rassurer ou pour alerter sur des insuffisances, les "autorités" du Sénat ont fait le choix de ne surtout pas se saisir de ce pouvoir dormant que la démocratie donne au Parlement...
Marie Blandin
www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120723/cult.html
Extraits des COMPTE RENDUS DE LA COMMISSION DE LA CULTURE DE L'EDUCATION ET DE LA COMMUNICATION
Lundi 23 juillet 2012
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120723/cult.html#toc5
Demande d'une mission d'information de disposer des pouvoirs d'une commission d'enquête - Communication
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La mission commune d'information sur les pesticides, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont la rapporteure est Mme Nicole Bonnefoy, a souhaité bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête afin d'interroger les responsables de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Il s'agit d'une première ! Notre commission ayant compétence sur la production des savoirs et la recherche, c'est à moi qu'est adressée cette demande par la présidente de la mission, qui a fait l'objet d'une annonce en séance publique la semaine dernière. Il faut ensuite que la commission des lois l'inscrive à son ordre du jour, ce qui est fait, puis que celle-ci suive la procédure prévue au Règlement avant que la question puisse être débattue au fond en Conférence des Présidents.
Mme Sophie Primas. - Cette demande ayant suscité quelque émoi, je précise qu'elle ne résulte d'aucune volonté agressive, mais seulement de la nécessité qui nous est apparue de disposer d'informations précises sur les autorisations de mise sur le marché notamment.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Si la Conférence des Présidents donne l'autorisation, la commission devra se réunir pour nommer un rapporteur : je proposerai Mme Primas.
Mme Sophie Primas. - Merci de votre soutien.
Jeudi 26 juillet 2012
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120723/cult.html#toc9
Rejet d'une demande d'une mission d'information de disposer des pouvoirs d'une commission d'enquête - Echange de vues
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous devions maintenant désigner un rapporteur, dans le cadre d'une procédure complexe -l'application du Chapitre X de l'Instruction générale du Bureau -, pour exercer les prérogatives qui auraient pu être confiées à notre commission pour approfondir les investigations conduites par la mission commune d'information portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement.
Nous avons dû franchir plusieurs paliers démocratiques. La proclamation en séance publique de ma demande fut faite le 18 juillet dernier après vérification de la recevabilité de la procédure par la Direction de la Séance. Un deuxième avis, sur la forme, a été rendu par la commission des lois, à l'unanimité moins une abstention, hier matin. En troisième lieu, il revenait à la Conférence des Présidents de se prononcer sur le fond.
Hier soir, le Président du Sénat a remis en scène tous les textes qui encadrent cette procédure inscrite dans le Règlement de notre assemblée. Après avoir constaté que toutes les considérations étaient remplies, il a ouvert le débat. Or le résultat est décevant. Par consensus sauf ma voix, sa mise en oeuvre a finalement été repoussée. Je ne sous-estime pas que certains présidents de commission ont pu considérer que leurs prérogatives étaient ainsi bousculées. Je précise toutefois que la production des savoirs et l'expertise qui étaient l'objet de notre demande relèvent de la compétence de notre commission. Nombre de commissions pouvaient en effet être concernées, la commission de la culture étant compétente en matière de recherche fondamentale et de diffusion de la culture scientifique, la commission de l'économie s'intéressant à la recherche appliquée et à l'innovation.
Les groupes politiques ne se sont pas exprimés et ne nous ont donc apporté aucun soutien. Je me suis permis de rappeler que la démarche de Mmes Sophie Primas et Nicole Bonnefoy, respectivement présidente et rapporteure de la mission commune d'information, n'était pas soupçonneuse, mais s'inscrivait dans leur travail de parlementaires. Souvenez-vous du Mediator ou du Bisphénol ! Il a fallu que le législateur se transforme en chimiste et interfère en votant une loi pour en interdire la commercialisation. Il serait préférable que les agences fassent leur travail !
M. David Assouline. - Vous avez rappelé les délibérations de la Conférence des Présidents sans citer les propos du président du groupe socialiste, M. François Rebsamen. Un argument doit être avancé. Le président de la commission de l'économie, M. Daniel Raoul, a en effet montré une lettre qui lui a été adressée par l'organisme visé, indiquant la disponibilité de ses dirigeants pour répondre aux questions et accueillir sur leur site les membres de la mission. Ceux qui en ont l'expérience peuvent certes juger que c'est insuffisant. Le président Rebsamen a indiqué que c'était la première fois qu'il était envisagé de mettre en oeuvre cette procédure de transformation d'une mission commune d'information en commission d'enquête. On peut craindre que la tentation soit grande de la réutiliser de façon courante. Il a toutefois précisé que si l'engagement de l'organisme en question à répondre aux attentes de la mission n'était pas suivi d'effet, il faudrait en rediscuter.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les réponses sont faites sous serment dans une commission d'enquête !
Mme Sophie Primas. - Je voudrais vous remercier, madame la Présidente, pour le soutien que vous nous avez apporté. Vous avez permis la mise en oeuvre de cette procédure inhabituelle. Elle a eu probablement un effet excessif pour certains présidents de commission qui ont eu le sentiment de perdre certaines de leurs prérogatives. C'est la raison qui explique sans doute son échec.
Compte tenu des délais, nous voulions dans notre démarche obtenir les bonnes réponses le plus rapidement possible. Je regrette cette décision. Nous nous rendrons à l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) au début du mois de septembre. La perspective de ces pouvoirs élargis a d'ailleurs provoqué une attitude différente de ces organismes d'État.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie de rappeler les délais. Si les réponses ne vous sont pas données, le Sénat ne sera pas en session et donc nous ne pourrons pas engager la procédure.
Mme Corinne Bouchoux. - Je voudrais apporter à ce débat des propos sensibles mais francs. Dans cette maison, il y a une peur maladive du changement ! Il est apparu que les présidents de commission ne souhaitaient pas s'engager dans une procédure qui n'avait jamais été mise en oeuvre.
Je voudrais féliciter notre présidente pour son engagement. Vous avez fait usage hier soir d'un texte réglementaire qui posait la bonne question. Différentes sensibilités politiques s'interrogeaient sur les conditions les plus satisfaisantes d'établissement de la preuve. Je pense que la décision de la Conférence des Présidents ne donne pas forcément une bonne image de notre maison ni de notre travail.
J'ai mesuré ce type de difficultés dans la commission d'enquête sur l'évasion fiscale. Certaines personnes auditionnées avaient peine à mobiliser leurs connaissances et à nous en faire part. Il a été fait le choix de dénoncer ces faits dans les annexes du rapport ou de transmettre le dossier à la justice.
Le Sénat n'a pas à hésiter à utiliser toutes ses prérogatives pour que la vérité soit dite.
M. Jacques Legendre. - Je ne suis pas étonné de l'émotion qu'a pu produire cette procédure. Son échec provient sans doute de la défense habituelle des frontières des commissions. S'agissant de la recherche, je confirme la compétence de notre commission qui était chef de file de la commission spéciale pour la dernière loi de programme en 2006.
En l'espèce, j'aimerais être sûr qu'il n'y a pas eu de la part de ces organismes, utilisation à d'autres fins de ce réflexe de défense des commissions.
Mme Sophie Primas. - Il n'était pas dans notre intention de dénoncer un organisme ou de le poursuivre. Nous souhaitions mettre en avant une bonne pratique ou des améliorations possibles.
Mme Bariza Khiari. - Vous avez défendu hier soir, madame la Présidente, la position que vous venez d'exprimer.
Je n'avais pas saisi tous les enjeux de cette procédure. Je voudrais faire mon mea culpa. Je ne vous ai donc pas apporté mon soutien en Conférence des Présidents. Je le regrette. Il n'y a pas de raison pour qu'on n'innove pas dans cette maison.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie pour cette étrange, cordiale et grave séance.