Le fonctionnement des sociétés globales
La politique trouve son origine dans la nécessité d’un ordre, d’une unité pour le bien commun et se donne pour but l’accord de tous les hommes dans la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général. Dans les trois formes de gouvernement distinguées depuis Aristote, à savoir monarchie, aristocratie (étymologiquement gouvernement des meilleurs) et démocratie, se dresse le même schéma :
- la nature et les hommes extrayant de celle-ci les ressources nécessaires à leur survie représentent les forces productives ;
- les hommes agissent les uns sur les autres dans les rapports de production (relation d’exploitation d’une classe par une autre, relation tributaire ou communautaire).
- L’intérêt général devant se substituer à l’intérêt particulier, le pouvoir politique transforme les débats sociaux en règles et lois prenant le relais des normes. Il résulte le plus souvent d’un rapport de forces, puis, il s’appuie sur l’idéologie pour répondre à l’exigence de légitimité ;
- le pouvoir s’assoie sur l’autorité induisant les moyens de son respect par la force (armées, milices, polices) en cas de transgression aux règles.
L’organisation de la production est désignée par MARX sous le vocable d’infrastructure, les appareils idéologiques et juridico-légal configurent la superstructure.
De la nature à la culture
Avec les grandes découvertes et l’Age d’or, la relation au milieu social se substitue à la contrainte de domination du milieu naturel et l’utilisation de ses ressources. L’homme tire de l’organisation sociale à la fois les biens nécessaires à sa subsistance et à ses frustrations et menaces, cela dans un rapport de forces politiques.
La catégorie dominante prétend lever la contrainte dominante et assure la protection des sujets en contrepartie de privilèges. Il lui appartient de régler son action autour d’une doctrine ou d’un idéal dont elle suscite et entretient la valeur aux yeux de ses administrés par une idéologie appropriée. Celle-ci doit justifier du bien fondé des règles du système. Dans ce but, elle investit les différentes formes de la culture et la marque par ses institutions.
La religion demeure l’appareil idéologique privilégié d’assujettissement des individus dont l’obéissance aveugle s’acquiert par le dogme. La religion investit elle-même la morale qui répond à la question de la destination de l’homme, de sa finalité : la vertu, morale du devoir ou du bonheur, morale du bien pour y accéder. Pour résigner les producteurs de biens économiques sous la dépendance de la catégorie dominante, la science, la technique ou l’art, cultive les adhérents des systèmes, victimes mêmes des divorces entre les intérêts. C’est l’arme du pouvoir persuasive, non violente et porteuse d’illusion de liberté.
Puis, peu à peu la dynamique sociale entre en contradiction avec les formes institutionnelles. Les classes bourgeoises pénètrent le pouvoir en prétendant au nom de la science lever la contrainte économique. C’est en effet dès le début du XVIIe siècle que le philosophe et écrivain MONTCHRETIEN créa l’expression « économie politique » pour désigner l’étude de la production, de la répartition et de la consommation des richesses[1].
De l’idéologie au politique
Dans les sociétés occidentales, le capital a investi le système comme régime politique et gouverne les mécanismes de la production sociale, une production de masse donnant naissance à un nouveau mode d’accumulation du capital : l’accumulation intensive, augmentation de la productivité par l’accroissement du capital fixe (nouvelles technologies) sans allongement du temps de travail et du nombre de travailleurs (élévation de la composition organique du capital).
IL prétend que le passage de l’agriculture à l’industrie était la voie nécessaire au développement. Or, il résulte des travaux des historiens que si l’on vivait mal à la campagne, on y vivait mieux que dans les fabriques de l’industrie.
Les outils idéologiques
Ainsi les théories classiques et néo-classiques, qui prétendent que tout est économique, constituent un mode de représentation subjectif
de la réalité légitimant les rapports sociaux capitalistes dans une rationalité de croissance et de reproduction élargie du capital. Les économistes classiques ont pensé que l’économie obéissait à des lois « naturelles » et que ses variables étaient interdépendantes. Insistant sur le caractère naturel de ses lois (par exemple la loi de l’équilibre de RICARDO, MALTHUS etc.), ils occultaient le libre arbitre de l’homme face à la contrainte économique.
Dans son essai sur le capitalisme, l’historien anglais Maurice DOBB [2] passe en revue les grandes définitions de ce terme pour défendre ensuite celle de MARX :
- Böhm BAWERK lui donne un sens purement technique dans lequel le capitalisme n’est pas un système social particulier, mais consiste dans des méthodes de production où interviennent des délais temporels, les « détours de production » ;
- Adam SMITH, fondateur de l’école classique anglaise, le conçoit comme un système de libre entreprise de marché généralisé et de concurrence ;
- l’école allemande, inspirée par Max WEBER et Werner SOMBART, l’analyse comme un état d’esprit, synthèse entre l’état d’esprit d’entreprendre ou d’aventure et de l’état d’esprit bourgeois de calcul de rationalité, inspirant une société nouvelle où l’élite au pouvoir recherche le profit. La forme optimale à son développement propre et à son organisation serait la bureaucratie ;
- une autre interprétation l’associe à l’organisation de la production pour un marché éloigné, tant dans le temps que dans l’espace.
Le mode de production capitaliste (M.P.C.) s’accompagne d’un ensemble de techniques particulières : la gestion. Comme l’idéologie économique, l’idéologie gestionnaire prétend que, quasi-éternelle, elle recouvre toute activité humaine puisqu’elle vise l’optimisation des moyens en fonction de fins. Elle ne fixe ni champs d’étude particulier, ni finalité et spécificité des actions.
L’objectif de la gestion capitaliste serait de convertir des ressources d’hommes, de machines et d’argent en une entreprise utile, c’est-à-dire accroissant la production de biens désirés par la population. Mais ce principe ne permet de tirer aucune théorie économique : qui définit le niveau des besoins et qui fixe celui de la production ?
Par ailleurs, d’autres définitions très larges de la gestion, telle celle de PATTERSON, assimilent l’ensemble des sociétés : « Le management (gestion) est la mise en œuvre et la coordination des fonctions et des personnes qui remplissent ces fonctions de façon à atteindre un but donné». « Depuis les premiers âges, le management a existé ; il est simplement à l’heure actuelle plus complexe. » [3] La coordination d’un travail collectif serait donc une condition nécessaire et suffisante. Sont ainsi mises sur le même plan l’entreprise capitaliste et la distribution de l’eau chez les Touareg dont l’objectif n’est pas le profit (ce concept n’existe pas non plus dans la culture esquimaude d’Alaska).
Dans tout l’occident, les gouvernements et les églises monothéistes (les adeptes du judaïsme exclus de la propriété foncière pratiquèrent les premiers l’usure financière) ont joué un grand rôle dans le développement du capitalisme. Le capital est devenu la catégorie dominante dans les sociétés occidentales, imposant une prolétarisation familiale massive, permettant une accumulation extensive par le mécanisme de la plus-value absolue, moteur de l’augmentation des profits.
Au tournant des années 1850, le patronat se rend compte qu’il écrase la classe qui fait vivre la société Aussi, la politique paternaliste qui encadre les ouvriers à l’extérieur de l’usine, tient-elle un grand discours hygiéniste. Au début du XXème siècle, la classe dominante prend conscience que les salaires doivent être augmentés pour maintenir la classe ouvrière dans un état physique minimal. FORD, dans ses mémoires, signale qu’en sous-payant les ouvriers, on provoque la préparation d’une génération faible de corps et d’esprit, donc inefficace et qu’en définitive, c’est l’industrie qui paiera la note.
Les sophismes
La crise de 1929 trouve son origine dans le mode d’accumulation : la classe ouvrière n’ayant pas accès à la production industrielle, la crise prend l’apparence d’une surproduction massive. La plus-value ne peut se réaliser par la vente de la production. Aussi, après la seconde guerre mondiale, le choix s’opère-t-il sur un régime d’accumulation intensive centré sur la consommation de masse. Les pays détruits, pour éviter le communisme adhèrent au plan Marshall.
Le productivisme et la politique de l’offre. Mais la demande devant écouler l’offre à tout prix, elle ne l’équilibre pas naturellement. Depuis, le marketing muni de sons outil de persuasion de plus en plus clandestine, la publicité, oriente et accroît la demande. Moulinex libère alors la femme, les produits laitiers deviennent vos amis pour la vie puis manger cinq fruits et légumes par jour deviennent une règle et les hommes choisissent leur voiture en fonction de l’idée qu’ils doivent donner de leur virilité. Mais la publicité ne représente que le symbole de la partie visible de l’iceberg marketing qui s’est transformé en pieuvre aux tentacules planétaires depuis la numérisation.
Le système capitaliste triomphe suite à la chute du mur de BERLIN et de l’effondrement de L’Union soviétique. Depuis, les droits sociaux acquis à partir de 1945 sont peu à peu abrogés dans tous les Etats du Nord sous prétexte de modernisation.
La crise déclenchée par les « subprimes » fin 2008 sera probablement analysée tardivement comme une crise de surproduction à l’instar de la crise de 1929. En effet, la recherche généralisée de la diminution du coût du travail tend à étrangler le pouvoir d’achat qui ne permet plus de se procurer l’offre encouragée par le système néolibéral. Puis cette dernière finit par diminuer à travers faillites et chômage. Commence alors la spirale de la diminution à la fois de l’offre et de la demande, sans que les besoins soient satisfaits.
clandestine, la publicité, oriente et accroît la demande. Moulinex libère alors la femme, les produits laitiers deviennent vos amis pour la vie puis manger cinq fruits et légumes par jour deviennent une règle et les hommes choisissent leur voiture en fonction de l’idée qu’ils doivent donner de leur virilité. Mais la publicité ne représente que le symbole de la partie visible de l’iceberg marketing qui s’est transformé en pieuvre aux tentacules planétaires depuis la numérisation.
Le système capitaliste triomphe suite à la chute du mur de BERLIN et de l’effondrement de L’Union soviétique. Depuis, les droits sociaux acquis à partir de 1945 sont peu à peu abrogés dans tous les Etats du Nord sous prétexte de modernisation.
La crise déclenchée par les « subprimes » fin 2008 sera probablement analysée tardivement comme une crise de surproduction à l’instar de la crise de 1929. En effet, la recherche généralisée de la diminution du coût du travail tend à étrangler le pouvoir d’achat qui ne permet plus de se procurer l’offre encouragée par le système néolibéral. Puis cette dernière finit par diminuer à travers faillites et chômage. Commence alors la spirale de la diminution à la fois de l’offre et de la demande, sans que les besoins soient satisfaits.
Marx n’avait pas prévu la concentration horizontale du capital (entre entreprises du même secteur d’activité) et sa concentration verticale (mariant divers secteurs). Les lois permettant les holdings, les multinationales forment un maillage, sorte de bouclier concurrentiel, fiscal, financier et de réduction des coûts du travail. Tout entre dans le domaine du spéculatif et de la financiarisation. Le prix mondial des biens vitaux (céréales, café etc.) échappe aux producteurs. Celle de l’eau, ressources devenant rare, représente une manne future pour les financiers à l’instar du modèle catastrophique australien.
Les pays occidentaux se sont désindustrialisés, choisissant de se tourner vers l’exportation agroalimentaire et les produits de luxe tandis que la consommation interne a été compensée sur des biens importés à moindre coût. Avec la mondialisation, que les dirigeants ont appelée de leurs vœux, l’univers s’est transformé en un gigantesque marché de « concurrence libre et non faussée», non seulement pour les marchandises, mais aussi pour les travailleurs entre eux.
Le système crée ses propres crises et ses corrections ponctuelles renforcent le modèle par ceux qui les apportent devant ceux qui le supportent. Ceux mêmes qui instaurent et défendent les contre-réformes, véritables agressions, clament que la lutte des classes n’existe plus.
Les syndicats ouvriers sont inaudibles parce qu’on les a discrédités tandis que les confédérations patronales sont consultées et les lobbies de tous les secteurs, munis de l’arme du chantage aux licenciements, entrent au pouvoir auprès des gouvernants occidentaux qui ne visent que leur réélection quitte à devenir totalitaires.
Les responsables de la crise financière et de sa généralisation à toute l’économie, de revenus patronaux, dividendes hors de toutes proportions et de ceux du capital financier exorbitants ne feront jamais l’objet de sanctions car ils demeurent dans la légalité du système libéral. Ce dernier n’est pas « moralisable» ou réformable car intrinsèquement vicié.
La croissance pour qui ?
L’idéologie s’efforce de confondre croissance et bien-être comme finalité de l’activité économique. Le pouvoir politique prétend partager avec le patronat les compétences indispensables pour lever la contrainte dominante : la création et la répartition des richesses. Les rapports marchands uniformisent les valeurs de références, les symboles, tout l’univers culturel. Ils classent hiérarchiquement les individus, égaux par principe, selon leurs revenus et leur niveau de consommation.
Pour que les travailleurs participent à l’ordre institué, ils doivent croire qu’il leur est possible de devenir riches et propriétaires. La rareté détermine la valeur et les prix. L’inégalité alimente le système en alimentant l’envie de posséder ce que le voisin a déjà. L’espoir du mieux-être cache la réalité de l’exploitation d’une classe par une autre et l’inégalité qui en découle. Le système intègre la pauvreté patente qu’il ne peut dissimuler en l’utilisant comme argument pour poursuivre la croissance au nom des besoins restants insatisfaits. Or, c’est pour une grande part les rapports marchands généralisés sur le mode du toujours plus (de profit pour l’entrepreneur et de consommation pour l’acheteur) qui créent les besoins.
Il est enseigné et « communiqué » avec insistance que la croissance (taux d’accroissement de la Production intérieure brute par le nombre d’habitants ratio de productivité) génère quasiment des emplois. Or, si ce gain de productivité est dû à la technologie qui résulte d’une accumulation intensive du capital, la croissance n’est due ni ne va à l’emploi ni aux salaires.
La durée du temps de travail, maintenue artificiellement élevée par la production de biens inutiles ou rendus fragiles, irréparables, même jetables après un seul usage. Elle assure le maintien du système par le manque de temps non contraint aux salariés pour la réflexion, leur autoconsommation, leur organisation sociale. Elle crée de nouveaux besoins par l’encadrement marchand des loisirs.
Par ailleurs, dans la doctrine, le taux de plein emploi a été relevé à 5 %, taux optimum afin que les chômeurs acceptent une diminution de leurs rémunérations, se fassent concurrence et que les travailleurs deviennent plus productifs. D’après un rapport de l’O.C.D.E. la croissance, dans les années 2000 notamment, dans de nombreux de ses pays membres, aura favorisé les classes les plus riches et la pauvreté a augmenté. Ce phénomène reste d’actualité.
Durant la crise des subprimes, les gouvernements ont renfloué l’économie par les banques centrales en laissant la Grèce en chemin ; durant la crise sanitaire de ces dernières années, ils ont distribué en s’endettant, des aides aux entreprises sans contraintes ni contrôles. Les inégalités sociales se sont accrues et la croissance, c'est-à-dire, le contenu, de la production et de ses achats c’est centrée sur les produits de luxe.
Les pseudo-libertés et la confusion entretenue du terme libéral
L’économie libérale est-elle garante de nos libertés dans un système marchand généralisé dont le moteur est le profit ? Même les médias lui sont soumis, appartenant pour la majorité à de grands groupes financiers, ou au pouvoir en place sous lesquels les journalistes dont l’investigation et la contradiction ont presque partout été abandonnées pour éviter la perte de leur emploi ou leurs entrées auprès des puissants. L’idée force de la bourgeoisie révolutionnaire était déjà que la liberté doit rester le privilège d’une minorité.
Ce sujet est régulièrement décrit sur ce journal, excepté peut-être l’aliénation technologique.
Un autre système est-il possible ?
« Le capitalisme épuise les deux seules sources de richesses : la terre et les travailleurs » écrivait Karl Marx (1818-1883). Ce système s’oppose de la sorte aux théories du contrat social qui impliquent une organisation volontariste du lien social. Pour ceux qui en profitent, le capitalisme est le moins pire de donc le seul possible. Mais ce terme est devenu si grossier, si péjoratif pour les opposants de Marx lui-même tant caricaturé, qu’ils se prétendent tantôt conservateur, tantôt progressistes, sociaux-démocrates, sociaux-libéraux ou se cachent derrière le masque de socialistes.
Selon MARX, l’infrastructure détermine la superstructure. Pour MENDEL, c’est aussi le processus de production qui implique les rapports sociaux, les mentalités, les formes politiques : « L’une des thèses défendues dans ce livre est que depuis le XVIe siècle, ce sont les Institutions économiquement productives (…) qui sont le modèle non conscient, la matrice de toutes les autres Institutions sociales et des rapports sociaux »[1]
De ce fait, une transformation future du système social des sociétés occidentales actuelles marquée par une rupture avec le capitalisme ne peut se situer qu’au niveau du processus de travail. Mais MARX s’est exprimé avant FREUD et n’a pu expliquer l’origine de l’exploitation et de l’aliénation technologique. Le changement libérateur ne s’est pas opéré. Même Gérard MENDEL, l’inventeur de la socio-psychanalyse n’a pas pris en considération les transferts possibles de l’inconscient. Pour lui, l’obstacle au changement résultait du refus de l’homme de continuer à s’identifier au Père. En m’inscrivant dans la discipline qu’il avait créée, j’ai défendue la thèse dès 1980 selon laquelle l’identification au père était corrélée au processus de formation du capitalisme porté par le patriarcat dominant la nature et la moitié de l’humanité : les femmes. Or, certaines se repositionnent sur l’échiquier. J’ai essayé de démontrer le cheminement des prises de consciences économiques et environnementales qui s’opèrent aujourd’hui et celui espéré du changement. Cette recherche achevée il y a plus de quarante ans fera l’objet de futurs billets.
Marie-Christine MERCIER
Bibliographie :
[1] in « Traité d’Economie Politique » 1615
[2] Maurice DOOB, Etudes sur le développement du capitalisme ; MASPERO, PARIS 1971, Pages 11-22
[3] PATTERSON in « Théorie du Management ».
[4] Gérard MENDEL : « Pour une autre société », Editions Payot, page 16 ; 1975