marie-cecile naves (avatar)

marie-cecile naves

Politiste

Abonné·e de Mediapart

32 Billets

1 Éditions

Billet de blog 17 mai 2025

marie-cecile naves (avatar)

marie-cecile naves

Politiste

Abonné·e de Mediapart

« Les attaques en ligne contre les femmes : un enjeu géopolitique majeur »

Dans le livre « Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux », la journaliste Pauline Ferrari rappelle cet enjeu bien connu des féministes. Les pouvoirs publics commencent à peine à saisir l’ampleur et la gravité de la menace. Interview.

marie-cecile naves (avatar)

marie-cecile naves

Politiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comment le masculinisme s’est-il, en quelques années, propagé sur les réseaux sociaux et d’où vient-il ?

Pauline Ferrari : Le masculinisme est un mouvement ancien, en vérité. On peut le relier à des discours antiféministes très anciens, mais sa forme actuelle se développe à peu près au moment du féminisme de la seconde vague, dans une opposition féroce aux droits des femmes. Il reprend de la vigueur dans les années 1980 et 90, au moment où le féminisme s’institutionnalise : on commence à voir, notamment en Amérique du Nord, des manifestations de Men’s Right Activists (des activistes des droits des hommes) qui se sentent menacés par certaines mesures pour l’égalité femmes-hommes. Mais depuis le début des années 2010, la puissance du web 2.0 et des réseaux sociaux, ainsi que la professionnalisation de l’influence changent la donne. En 2017, le mouvement #MeToo provoque une résistance très forte de ces réseaux masculinistes, qui y voient la réalisation de leur prophétie : la guerre contre tous les hommes. Conjugués aux outils numériques et aux confinements de 2020, ces discours prennent de l’ampleur, grâce à de la désinformation et des attaques organisées.

Illustration 1

En quoi cette dynamique obéit-elle à une stratégie politique délibérée ?

Pauline Ferrari : Si beaucoup de ces influenceurs masculinistes sont avant tout des businessman (et qui donc agissent dans un intérêt financier et capitaliste), ils restent pour beaucoup convaincus que le féminisme est un danger pour la civilisation. Ce n'est pas pour rien qu’il s’allient facilement avec les mouvements réactionnaires, conservateurs et d’extrême-droite. Ce que j'ai pu constater, c’est que les influenceurs et influenceuses d’extrême-droite développent de plus en plus un discours autour du genre (de la masculinité, des attaques aux personnes trans et LGBTQ+, sur le déclin démographique, etc.) pour attirer un jeune public. D’autant plus depuis la seconde victoire de Donald Trump, et son application concrète du masculinisme à la tête d'une grande puissance étatique. 

Les pouvoirs publics semblent à peine prendre la mesure du phénomène : que vous inspire cette prise de conscience relative ?

Pauline Ferrari : Cela fait longtemps que les militant·e·s, journalistes, créateur·ice·s de contenus, alertent sur ce phénomène, sans qu'aucune réponse adaptée ne soit formulée. Nous sommes tellement en retard par rapport aux enjeux autour des cyberviolences et du masculinisme en ligne et hors-ligne ! Pour moi, cette prise de conscience ne provoque que de l’énervement, car elle s’accompagne d’une vision très limitée des réseaux sociaux, et de leur fonctionnement. J’ai été auditionnée à ce sujet auprès de la Commission d'enquête de l’Assemblée Nationale sur les dangers de Tik Tok : les rapporteur·e·s avaient l’air de tomber des nues, alors que les premiers rapports et études sur le sujet existent depuis plusieurs années... Ce qui laisse tout peser sur les épaules des associations, journalistes, militantes, qui sont bien démunies face à des communautés véhémentes et leurs relais technologiques possédés par des multinationales. 

Diriez-vous que c’est un enjeu démocratique majeur, à analyser au prisme géopolitique ?
Avec quelles implications dans la vie individuelle et collective ?

Pauline Ferrari : À mon sens, c’est un enjeu majeur, pour la simple et bonne raison que le masculinisme tue. Il a déjà tué, à travers des attentats, et il continue de le faire. Les attaques contre les femmes, motivées par ces discours, sont en expansion depuis une dizaine d'années. Il faut analyser ce phénomène par un angle géopolitique, car Internet permet à ces contenus de voyager et de se démocratiser, et malheureusement, certains pays donnent le ton en matière de masculinisme. Les cyberviolences font partie du continuum des violences faites aux femmes et aux minorités. Et comme je le dis souvent, même si tous les ados qui regardent des contenus masculinistes ne débarquent pas avec une arme dans leur école, certains se sentiront autorisés, voire valorisés, à agresser sexuellement une camarade de classe, à forcer leur copine à des actes sexuels non consentis, à insulter des femmes sur Internet... Les conséquences sont réelles et urgentes. 

Pauline Ferrari, Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux, Pocket éditions, 2025, 10,70 euros.

Acheter le livre ici.

Inscrivez-vous à ma newsletter hebdo, « MC Géopo ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.