Les Atrides. Revue du Théâtre du Soleil. Cartoucherie, 1992. Plongée dans un silence immémorial et très parlant, celui de l’innommable de nos vies, et de l’Histoire.
Je vous reparlerai prochainement de Macbeth, Shakespeare, et de toutes les émotions que j’ai vécues, récemment, en allant voir sa mise en scène par la troupe du Théâtre du Soleil. Du plaisir, de la joie, de l’éblouissement, et de la profonde réjouissance qui m’habita dimanche dernier, dans ce lieu magique. Pour l’heure, je veux commencer par plus surprenant, plus essentiel. Un événement plus actuel, malgré les apparences…
De l’époque où, à distance du temps présent, la troupe du Théâtre du Soleil, sous la direction d’Ariane Mnouchkine, mettait en scène les Atrides, au début des années 90, Iphigénie en Aulis et Agamemnon, il n’est pas vain de s’y replonger, pour entendre le message percutant que contenaient ses pièces, et feuilleter le merveilleux catalogue, totalement inoubliable, conçu à l’époque pour ponctuer les moments essentiels, les clés et les enjeux de ces tragédies, servies par les photos sublimes de Michel Laurent…
Un « voyage immobile » dans le temps et dans l’histoire immémoriale de l’Humanité, d’hier à aujourd’hui. Qui n’a pas pris une seule ride, ni historique, ni théâtrale, ni dans ce qui nous est transmis, dans ce discours sans parole, de consubstantiel à notre humanité partagée. Nous, tour à tour les spectateurs, les acteurs, ou les témoins muets d’une histoire, celle des humains, qui nous concerne tous, puisqu’elle est aussi la nôtre, et qui souvent même peut nous désoler, du seul fait de notre impuissance à pouvoir juguler nos craintes de voir se réaliser le pire, qui malheureusement, bien souvent, se réalisent…
Plongée dans un silence très parlant qui accompagne un certain innommable, commun à tous et à chacun, et dont le texte d’Hélène Cixous, mille fois sublime de pressentiments réels, dit et place d’emblée les enjeux essentiel de prophéties terribles, inéluctables, qui sont ceux proférés par le Chœur, les Choryphées, dans leur place de témoins impuissants d’un pire qu’ils craignent, sans néanmoins parvenir ni à l’éviter ni à le juguler…
Comme c’est étrange ! Les photos se succèdent, en plan arrêté, sans mouvement, et pourtant résonnent au fond de nous tous les mots et tous les maux qui ont envahi les personnages et les témoins de ces tragédies inéluctables, bien trop humaines, et qui disent toutes un bout de nous, de nos drames personnels, susceptibles d’être agis par nous, d’autres… Le tragique toujours possible de notre condition humaine émerge par la beauté sublime de ces visages, de ces costumes et de leurs postures tragiques, épurées, auquel nous tentons désespérément d’échapper, sans y parvenir vraiment.
Il faut relire, et écouter au fond de nous, les résonnances inouïes de ce texte d’Hélène Cixous, plus que superbe, poignant, vrai, prophétique, réel quoiqu’imaginé. Texte littéraire incomparable, dont la voix s’élève tel, comme dirait l’autre, dans l’espace d’un « sublime, forcément sublime »…
Plus aucune nécessité du mouvement, du défilé fondu des images, pour reconstruire les tenants et les aboutissants les plus indicibles de ces grandes tragédies dont sont faites nos petites vies apparemment insignifiantes, et pourtant prises dans les filets de l’histoire des ancêtres, nos vies antérieures, et le réseau de tous les signifiants qui nous précèdent et nous attachent à l’histoire d’un lieu – territoire psychique que nous méconnaissons, et qui pourtant agit inlassablement en nous, à notre corps défendant.
Relecture capable de délier les nœuds invisibles qui nous tiennent arrêtés dans la vie ?