Lettre ouverte à J., mon ex-brésilien
« Allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »
Jetée naguère aux chiens, ou une tranche de l’histoire collective de ces dix années en France…
Jetée aux chiens, mais n’oublie pas que l’histoire m’a finalement donnée raison ! Ils ont agi par la force, c’était le début d’une ère nouvelle, autoritaire, en France…Oui, internement abusif pour avoir dit (ce qu’il ne faut jamais faire) et dénoncé, l’ignominie d’une fratrie, en 2003, lors de la canicule, qui voulaient se débarrasser de leur mère en « maison de vieux » dans le sud de la France ! « Le fou, c’est celui qui dit ce qui ne doit pas être dit ! », comme dirait Basaglia. Il y a folie dès quecertains ne veulent pas entendre tenir certains discours.Voir Foucault aussi à propos de l’enfermement : Prisons et HP. Car ça dérange les normes bourgeoises et l’ordre social existant…
Avec tous ceux qui, alors, ont emboîté le pas implicitement à ce qui se préparait de pire dans le pays, qui nous a tous (et certains) pris de plein fouet, sans prévenir, comme face à tout régime qui s’empare du pouvoir par la force. Sauf qu’en l’occurrence c’étaient les prémisses, en France, de l’ère de la haute corruption, « à la Berlusconi », soutenue par une frange de gens d’extrême-droite, héritiers des pétainistes de la 2de Guerre Mondiale et des OAS de l’Algérie Française.Tous ceux qui étaient allés armer les dictatures latino-américaines pendant des décennies, et qui, se retrouvant au chômage, puisque l’Amérique Latine s’était re-démocratisée, avaient décidé de tisser, en sourdine, et sans coups férir d’abord, la toile de la nouvelle extrême-droite française, puis européenne, sur laquelle se sont appuyés les sbires de Sarkozy, puisqu’ils en étaient membres.
Moi, je venais de la génération de 68, celle tant décriée par les sarkozystes, avec la Princesse de Clèves, elle aussi jetéeaux orties. J’ai maintenu le cap, coûte que coûte, comme je le pouvais, et contre vents et marées. Depuis le 9 juillet 2014, je suis propriétaire d’un appartement à Toulouse, qui aura défait en quinze ans, toute ma vie, tous mes rêves, mais aussi toutes mes illusions, me clouant à Paris ces longues années, faite esclave d’un nouveau genre, comme une partie de la communauté afro-américaine, aux Etats Unis, sans pourtant ne jamais baisser les bras devant l’obscénité du fric, la corruption, et tous ses bras armés, avec toutes ses conséquences, dans le petit peuple mais aussi dans les élites front national, tous plus ou moins couverts par les grands corps constitués et les institutions les plus prestigieuses, du Conseil d’Etat au Conseil Constitutionnel.
Malheureusement aujourd’hui, à la tête du pays, il y a un homme qui n’existe pas, un président normal, illisible, totalement incompréhensible, sans visée politique ni dessein historique, traînant lui aussi toutes les casseroles de ses plus proches collaborateurs. Et prolongeant ces deux dernières années la politique de son prédécesseur, comme l’analyse si bien Edgar Morin, dans un récent article sur Médiapart, sans tenir aucun compte de l’opposition de gauche à cette politique dévoyée – il y a qu’à voir la question pointue des intermittents, en cette période de festivals d’été - celle qui comptait sur lui, justement, pour virer les crapules, et ne pas ouvrir des avenues au grand capital ni au patronat français. Quelle déception ! Quelle désillusion ! Quelle trahison !
La seule chose qu’on puisse lui reconnaître, dans tout cela, à Hollande, c’est la liberté retrouvée de la justice ! D’ailleurs, c’est maintenantqueje peux commencer à rendre public ce que je me suis toujours promise d’écrire un jour. Au Canada, s’il l’avait fallu. Au moment où j’écris ces lignes, les avions de l’armée française passent au-dessus de nos têtes. Nous, on n’en a marre de toutes ces commémorations ! Il vaudrait mieux avoir résisté au pire, et pouvoir, aujourd’hui, offrir un destin à ce pays, plutôt que ses armées !!! Lis donc Médiapart pour te tenir informé du « désastre national ». Donc, jetée aux chiens ! Oui, mais pas seulement une fois, deux fois, ou trois fois. Non ! Jetée aux chiens de l’extrême-droite française, pendant douze ans, nichée dans tous les réseaux, internet ou autres, mais aussi dans les entreprises, toutes privées aujourd’hui, puisqu’en quelques années ce pays a été vendu aux plus offrants. Et il y en avait des dictateurs arabes et africains, dans ce réseau de la France Afrique !
As-tu oublié d’où je viens ? De la génération de 68, et tout ce que cela signifie pour les femmes de ma génération ! Au Brésil, quand nous y vivions ensemble, te souviens-tu de mes centres d’intérêt, quand j’allais suivre les cours d’Heloïsa Buarque de Holanda à l’Universidade Federal do Rio de Janeiro, UFRJ, pour préparer des travaux sur la Poésie Concrète, avec la mobilisation intellectuelle qui l’accompagnait, ou que je rejoignais Silviano Santiago à la PUC, pour y étudier Derrida ou Foucault. Je n’étais pas seulement une simple prof. de français à l’Alliance ! D’ailleurs, tu ne peux pas ne pas t’en souvenir : quand j’allais arpenter la Mangueira, à une époque où peu de français y circulaient, …et que je revenais éblouie d’être passée chez un ami de Cartola !Avant, pendant et après t’avoir connu, j’ai toujours été fille des émancipations de mon temps. Emancipation intellectuelle. Emancipation individuelle. Pendant toutes ces décennies, où tu n’avais pas le moindre intérêt pour la psychanalyse, j’étais aussi sur ses rangs-là, sur ces divans. D’ailleurs, souviens-toi, mes premiers pas dans le journalisme à Rio, dans O Jornal do Brasil, présentant ce livre d’introduction à l’enseignement de Lacan par un auteur français, Lemaire. Mon baptême du feu !
N’oublie pas que j’ai été mise dans les cales d’un HP, à Paris, à la pire époque de fermeture politique de ce pays, en 2004, quand le monde de la psychanalyse, de la psychiatrie et du soin mental, tous se sont levés pour dénoncer la gravité de la situation répressive en France, qui renonçait à plus d’un siècle de progrès, pour imposer de véritables mesures de tortionnaires dans l’univers du soin mental, revenant à la période près 1838… N’oublie pas que j’ai lutté, toutes ces années – Sache-le si tu ne le sais pas - aux côtés de ceux qui ont fait front dans tous les domaines de la vie sociale et collective, pour contrer les penchants autoritaires de ce nouveau régime d’alors. Au Collectif des 39, à L’Appel des Appels, à Pas de zéro de conduite, avec les écoles de psychanalyse etc.…
Pour une jeune femme de ma génération, ce n’était pas facile de vivre au Brésil, pendant la dictature, jusqu’à même 1984, alors que des Sócrates, désespérés, fuyaient à Rome, et que j’étais loin de pouvoir comprendre le centième de tout ce que vivait alors le Brésil, … J’aimais ce pays, je l’aime toujours. Je ne suis pas sûr que l’expérience de ces dix dernières années, pour aller vite, et de cette insistance à m’avoir vue « interdite de séjour au Brésil », par mes ex-plus proches, soit de nature à me le rendre toujours aussi sympathique. J’ai vieilli. Et surtout, je suis bien mieux formée. Les personnes qui m’ont accompagnée dans ma vie ont toujours été des exilés politiques : j’avais donc bien choisi mon camp. Et quand ton fils est né, je ne me suis jamais refusée à venir à Rio faciliter les démarches administratives nécessaires pour qu’il puisse légitimement bénéficier de tous ses droits.
Que sais-tu, toi, de la souffrance mienne, d’avoir perdu soudain tous ceux auprès de qui j’avais construit toute ma vie? Sans jamais avoir pu en parler à personne, car considérée comme quoi, d’ailleurs ? Comme folle ! Mais cette époque est bien révolue. J’ai payé cher d’être de gauche, anarchiste sur les bords, et une femme libérée, qui,jusqu’à la fin, s’est occupée de « ses » petits-enfants, et s’est faite jetée, tout de même, et mettre dehors comme une malpropre, par des militaires dans mon propre cercle familial. Pourquoi ? Simplement parce que j’étais une femme, et j’en aimé une autre. D’ailleurs, deux autres. Car j’aimais aussi ma mère, et là encore, on peut dire que tout a été fait plus de dix ans pour m’en éloigner, me tenir à l’écart, m’empêcher de la voir, couper ce lien tout aussi essentiel que d’autres, et tenter d’effacer plus de cinquante d’histoire et de relation partagée avec ma mère…
Je n’ai donc pas seulement été internée abusivement dans un HP, un jour ou 78 heures. J’ai aussi été pourchassée dans ce pays, aussi bien par l’extrême-droite qu’une certaine gauche ! Par des flics chaque fois que j’allais à Caen voir ma mère, postés en blitzz sur l’autoroute, à Troarn. Mais aussi par des ex-socialistes de mon quartier, qui venaient jusque chez mon psy, me faire la peau pour avoir soutenu Ségolène Royale en 2007 ! Il n’y avait pas seulement des militaires, rue S., à mon ancienne adresse, il y en avait aussi dans les valises de deux sœurs, à Paris comme dans le Sud de la France, à Vers dans le Gard, près d’Avignon. Là où, de tout temps, je n’avais jamais eu le plaisir d’être invitée à partager ce lieu, à l’occasion du si fameux Festival ! Un père, retrouvé à moitié mort de soif, en 2005, à Fréjus, abandonné dans un hôpital militaire, que j’ai dû fuir avant que de me faire moi aussi enfermer…. Fréjus vient d’ailleurs d’élire un maire d’extrême-droite ! Et des frères avisés, un qui vivait à la Réunion depuis son plus jeune âge et avait eu une seule attitude avec sa mère : ne rien partager de sa vie personnelle, ni mariage, ni naissances, ni rien. Mais, se dédommager d’une vie confortable d’ex-coopérant, vivant au loin, « en PAYANT » son absence, son omission, son indifférence, comme dirait Gramsci, avec du fric…L’autre frère, dont je n’ai jamais su ce qu’il trafiquait dans sa vie, tout comme cette sœur, honnis tous deux de par leurs liens avec l’extrême-droite italienne, ayant pignon sur rue à Ouistreham, dans la propriété de sa belle-famille Desprairies, sur la côte, se sont retrouvés, à partir de 2004, soutenant à Caen, comme à Paris - malheureusement aujourd’hui l’on sait qu’ils étaient nombreux ceux qui ont collaboré avec le régime sarkozy… - l’extrême-droite, même celle qui dans ma ville natale, à Ouistreham, étaient finalement des italiens fascistes plutôt que, comme certains auraient préféré écrire l’histoire avec une psychanalyse de bas étage, des résistants… Et Sarkozy, cerise sur le gâteau, se trouvait à Ouistreham tout récemment pour les commémorations du 6 Juin. C’est avec ceux-là, l’extrême-droite de Ouistreham et de Caen, par l’intermédiaire d’un oncle collabo, qu’un frère et une sœur, en particulier, ceux-là même qui avaient leurs entrées au Ministère de l’Education, m’ont fait internée…
Mais c’est récemment que j’ai compris aussi que d’avoir circulé librement entre la France et le Brésil, à l’époque de la dictature, avait dû me faire mettre sur fiche par certains, dans les services du renseignement français, ceux qui, à la faveur d’un durcissement considérable de régime, ont ressorti leurs fiches …Quand en 2013, je suis allée demander des comptes au Rectorat, de ce que j’avais vécu en 2004, et pourquoi j’avais été interdite d’enseignement du portugais, dix ans, humiliée et destituée comme personne ne l’a été dans cette période, mais au su et au vu de tous, le service des ressources humaines a fait pression sur moi pour que je signe une décharge pour cause de maladie mentale. Ce que j’ai évidemment refusé. Les deux années qui ont suivies, j’ai connu l’enfer, jusque y compris les pires intimidations et rétorsions sur mon lieu d’habitation !
Et toi, où étais-tu en 2002 ? Pour penser, imaginer et accréditer l’idée de ma prétendue infamie, telle qu’il faille me honnir collectivement et faire de ma personne le rebut de tous ? Alors que je venais de tout donner et vivre de plus beau plus de dix ans d’affilée avec la femme que je m’étais choisie, Poronga, dans une famille que nous avions recomposée et qui avait su innover. Tu le sais, tu en as été témoin lors de tes passages à Paris. Et en a profité, au bon sens du terme. Après l’épisode de tes plus récentes lettres, qui venaient toujours accompagnées de colombes - ce qui me réjouissait profondément, juste à l’époque des élections présidentielles de 2012, il est temps de te dire explicitement ce que tu n’as jamais voulu entendre, quand j’ai été mise bien plus en danger alors que tous les années précédentes, et j’ai heureusement un témoin de taille. Je comptais sur toi. Et une deuxième fois, comme en 2002, tu as fait défaut. Car le changement de gouvernement a provoqué deux longues années de vengeance, de la part des perdants de cette mafia internationale. Pour moi, a commencé, non plus des pressions et intimidations, mais une véritable chasse à l’homme, Il faudrait dire, chasse à la femme, un aspect de ce que tu méconnaissais. Des pressions policières et immobilières, pour me faire vendre ou non un appartement, je n’ai jamais bien compris, de façon anticipée, après ce qui venait de se passer à Toulouse, l’affaire Merah. C’est le moment que tu as choisi pour tourner les talons, le pire moment de toute ma vie. Celle où vraiment j’aurais eu besoin de ton aide, après les dix ans où je m’étais débrouillée seule…
Ceux que j’ai vraiment aimés dans l’existence, resteront toujours dans ma mémoire et dans ma vie. Présents. Ils sont peu nombreux et ils comptent. Faut-il s’en excuser ? J’ai vécu une page, la pire, de mon histoire en France, toutes ces années. La façon de la tourner, pour moi, la page, c’est maintenant de raconter ces douze ans d’horreur ! Dois-je d’avoir écrit ce billet, ce jour, au fait d’avoir retrouvé hier dans mes affaires, ce superbe numéro 77 de Cassandre, printemps 2009, qui disait déjà tout de ce que nous allions affronter ?
Soudain, je me souviens, en relisant la 4e de couverture, que j’avais traduit en portugais, à l’époque, le texte qui s’y trouve : l’Appel des Appels.….