Brésil, Mondial de Foot 2014 : quel bilan parisien provisoire ? Elections Présidentielles futures, quelles questions ? Année du Brésil en France: quelle politique ?
L’événement sportif, contexte politique brésilien et mondial
Nous aurons tous, ou presque, été abreuvés d’images en tous genres sur le Mondial de Football 2014 et, en conséquence, sur le Brésil. Jusqu’à plus soif ! Faire le bilan de ce Mondial, à mi-parcours, pour tout européen qui y assiste via les médias, faire retour sur cet événement « exceptionnel », peut donc aisément se passer de tout document audio ou visuel, et s’appréhender par une lecture silencieuse, pour marquer le retrait nécessaire à une réflexion secondarisée, aussi bien sur la situation de la réalité brésilienne telle qu’elle nous est apparue, que sur le type de manipulations politiques des foules – et l’usage des masses mondiales- dans ce Mondial englouti sous une débauche de corruption généralisée.
De France, tourner son regard vers le Brésil, à cette occasion, n’empêche pas de souligner les zones d’ombres ou les pays passés sous silence, alors, dans les médias, comme la Syrie, pourtant si touchée par le régime de Bachar-El-Assad, ou d’autres conflits mondiaux, mis en arrière-plan d’une actualité qui s’est ostensiblement tournée vers la fête et les jeux. Le cas de la Syrie est d’ailleurs paradigmatique – malheureusement- des procédés de « l’actualité occidentale », et n ‘aura jamais obtenu l’attention, ni du monde ni de l’Europe. Et les horreurs vécues par ces populations auront été quotidiennement oubliées ! Ce fût aussi le cas des tracas que pouvaient déjà nous causer les avancées de l’EIIL en Irak, la poudrière que redevenait Le Moyen Orient, mais aussi la situation au Proche Orient - qui, comme à l’accoutumée, était le prélude à un nouvel embrasement de la région, prouvant ainsi qu’après les jeux, dans une partie du monde, viennent les guerres et les règlements de compte, dans une autre partie. Comme dans la Rome Antique ! Jeu d’équilibre mondial ? Avec, dans les deux cas, l’incapacité et l’impuissance assumée du monde occidental, brillant par ses renoncements collectifs, dans sa participation aux côtés de la résistance des populations, pendant des mois. Avant que, 6 mois plus tard, le monde ne s’avise de la nécessité d’interventions militaires d’envergure ( ?).
Pour tous ceux qui ne sont pas fanatiques de football – je pense en particulier à une bonne partie des femmes, ce sport est très souvent associé, et à juste titre, à la violence des supporters et l’obscénité des joueurs qu’il charrie le plus souvent, ainsi qu’à la corruption souvent attachée aux hommes qui participent à son organisation : rien en tout cela qui ne soit ni attrayant ni réjouissant. Je pense aussi à Freud qui, dans Psychologie des foules et Analyse du Moi, analyse le rapport des foules aux institutions de l’Église, l’Armée et la Famille, à cause de l’impression que laissent ces mouvements collectifs, ici d’enthousiasme, qui sont susceptibles, d’une seconde à l’autre, de verser dans l’extrême violence ou le débordement. Monnaie et envers de la pièce des fascinations collectives !
Fascinations toujours susceptibles de verser - pour ceux qui sont sensibles à la mémoire des mouvements de population- dans le fanatisme, comme dans des régimes autoritaires passés, que ce soit le fascisme, le nazisme et le stalinisme, ou d’autres actuels, avec l’embrigadement potentiel des foules à des fins précises pré-existantes. Processus de fascination béate de foules agglutinées, qui ne laissent pas de questionner, même si en mode mineur, ce Brésil en joie, ce Brésil carte postale, au regard des mouvements sociaux qui lui ont préexisté, et donnaient le ton de la gravité réelle des problèmes sociaux !
Et puis il y eut aussi chez certains cette forme d’agacement ou d’irritation quand, chaque fois qu’un but était marqué, au cours d’un match, l’on entendait dans les rues avoisinantes ou sur les places publiques, des hordes de téléspectateurs s’écrier de joie ou d’horreur, en parallèle aux holás brésiliennes.
Réflexions après-coup
Parmi les questions soulevées par ce Mondial, donc : la place du pain et des jeux dans le XXIe siècle commençant, même s’il est important de savoir lâcher prise pour se réjouir de choses simples… Une autre question tient à la préparation du Mondial de Foot lui-même. Nous apprenions, en effet, par les mouvements sociaux agitant une bonne part de la jeunesse brésilienne, avant l’événement, combien la FIFA s’était arrogée, par sa puissance de feu financière, le droit de soumettre entièrement le Brésil à ses propres enjeux et dictats financiers. Aussi bien par l’énorme système de corruption immobilière attachée à la construction des stades, ces nouveaux « éléphants blancs », que par l’établissement de zones franches, auprès des stades, interdisant durant tout le mondial tout commerce local aux habitants les plus proches. La FIFA s’attribuant ainsi l’exclusivité d’un commerce officiel, sous son unique bannière. Et excluant les plus pauvres du jeu de la redistribution potentielle des richesses produites par ce Mondial.
En effet, ce fameux Mouvement Social Brésilien aurait pu lui aussi venir ternir, interrompre ou annuler « la fête », un peu comme tous les Festivals d’Été en France auraient pu être annulés, vu l’importance et la légitimité des revendications catégorielles des intermittents du spectacle. Ce ne fut pas le cas, et pourtant ! Les autorités, rappelons-le, et même de la présidente du Brésil, Dilma Roussef, lancèrent plusieurs fois des appels au calme, au civisme, à la bonne tenue et à l’accueil et hospitalité des touristes par la « population brésilienne habituée à la cordialité », pour tenter d’endiguer un mouvement social d’importance et apparemment irrépressible.
Rien à voir en cela, cependant, avec la façon éhontée dont un Platini, de ce côté-ci de l’Atlantique, prenant fait et cause pour les intérêts de la FIFA, enjoignit les Brésiliens, - et de quel droit s’il vous plaît, peu avant l’ouverture du Mondial- à bien « vouloir faire taire leurs revendications » sociales et leurs réclamations syndicales pour plus de justice, d’éducation et de santé, mais aussi pour l’augmentation de leurs salaires et aussi la réduction du prix des transports communs, en regard des millions dépensés dans l’organisation de cette manifestation, s’arrogeant de la sorte, en petit français besogneux, un droit d’ingérence dans la politique intérieure brésilienne ! Honte à lui !
Vu de la fenêtre de quelqu’une qui n’est absolument pas fanatique de ce « pain des jeux –là », je m’en suis tenue aux flashs, assez sympathiques d’ailleurs, de Dany Cohn-Bendit que transmettait Arte, et qui, même s’il s’enthousiasmait assez facilement, n’en portait pas moins simultanément un regard politique sur le Brésil, donnant une profondeur à son tour du Brésil en caravane. En effet, il plaça ses interventions dans une perspective historique, celle d’un Brésil divisé par un passé de dictature militaire, donc de régime autoritaire, et les avancées récentes de cette nouvelle démocratie, depuis qu’en 2003, Lula, élu tout nouveau président, et issu du PT- Parti des Travailleurs, avait donné de nouvelles orientations plus sociales et égalitaires à ce grand pays. Un exemple, la référence historique qu’il fit au Dieu du foot brésilien, Sócrates, qui, dans les années 80, avait su mobiliser, grâce à son Club pauliste du Corinthias, une grande partie des brésiliens assoiffés de démocratie, qui voulaient voir se réaliser, en 1984, les « Diretas Já », ces élections directes tant attendues pour le choix d’une nouvelle gouvernance.
Dialectique française
Ce Mondial de Foot, organisé en juillet 2014 au Brésil, aura aussi été l’occasion à Paris, d’un large concours de médias, rivalisant d’informations nouvelles, à travers les supports les plus variés. Le journal Libération annonça la couleur avec un numéro spécial Brésil, fin juin. Puis vint la semaine organisée par France Culture, qui vit la présentation de divers ouvrages en français tel L’Éloge de l’Esquive, en devanture de toutes les librairies, mais surtout le livre de J.J. Fontaine, L’Invention du Brésil. De crises en crises, un géant qui s’affirme, paru récemment aux éditions L’Harmattan, et qui permettait amplement de revisiter les dix dernières années du nouveau Brésil, dit démocratique. Le tout suivi d’une série de films présentés sur Arte, en commençant par Rio, 50 graus, en référence au film historique de Nelson Pereira dos Santos, et de nombreux reportages culinaires qui furent l’occasion de revisiter la diversité des régions brésiliennes et de leurs saveurs…
Dans le domaine de la recherche universitaire, s’exposèrent de nouveaux fronts, notamment dans des centres comme le CRBC à l’EHESS, sous l’égide de la Maison des Sciences de l’Homme, qui offrit au public un regard plus approfondi sur les tensions et le devenir de ce « Brésil émergé », comme le dénomme Hervé Théry, dans son dernier ouvrage. Affrontant les questions politiques actuelles, en regard de l’Histoire passée, celle de la Dictature, et son « Coup d’état militaire, 50 ans après », comme l’atteste le titre de la revue de la MSH, n°5, parue à l’occasion des journées éponymes qui se sont tenues à la Maison des Cultures du Monde, avec la participation d’historiens et de chercheurs brésiliens, mais aussi d’autres venant de France, des Etats-Unis, d’Allemagne, etc.
En avant-première, une journée plus intimiste sur les mêmes questions, sous un angle plus directement militant et engagé, fut organisée celle-là au Théâtre de l’Opprimé, sous la responsabilité de Rui Frati. On put y écouter des interventions centrées sur l’implication directe des acteurs sociaux de l’époque, dans leur résistance à la dictature, sa mise en place et ses débordements policiers. Certains purent témoigner, de façon personnelle, de leur lutte à l’époque, qui comme étudiant, qui, engagé dans des mouvements d’alphabétisation ou culture populaire, contre l’installation alors du régime militaire. D’autres, comme Autres Brésils, témoignaient grâce à des représentants des réseaux naguère liés à la Théologie de la Libération, qui précéda et fut le fer de lance d’une résistance farouche à ce nouveau régime placé sous l’insigne de l’impunité, redoublé en 1968 par la promulgation du décret de l’AI 5, contre lequel s’insurgèrent les défenseurs de l’Habeas Corpus.
Le Brésil s’est alors retrouvé fauché dans son mouvement d’ouverture démocratique, amorcée avec la construction de Brasília, au coeur du Brésil, par le Président JK- Juscelino Kubitschek- au début des années 50. Et lorsqu’éclata le Coup d’État militaire, en 1964, le Brésil cherchait alors, dans un 2d souffle, à implanter durablement un régime démocratique. Comme tenta lui aussi de le faire, un peu plus tard, Allende au Chili, et lui aussi tristement fauché, peu après son élection, par les militaires de Pinochet.
On sait combien les EUA, attentifs à ce que se passait alors en Amérique Latine, avaient eu peur de voir s’installer dans cette région du monde, ce qu’ils considéraient comme des succursales de l’Union soviétique, avec cette vision bien américaine d’un communisme terrorisant, que le Mac Carthysme des années 50, et son influence délétère de « chasse aux sorcières », tentèrent de faire accréditer dans le monde entier, au sortir de la seconde guerre mondiale. Etc.
Quelle joie, donc, de pouvoir, à l’occasion de ce Mondial, discuter et réfléchir sur d’autres questions combien plus importantes et pertinentes concernant la vie politique brésilienne présente, encore trop souvent noyautée et étouffée à l’étranger, au profit de l’éternelle référence au foot, au carnaval et à la samba brésiliennes, à part pour une poignée de l’élite intellectuelle ! Enfin, avec l’approche des futures élections présidentielles brésiliennes, se reposent les questions soulevées avant le Mondial par les Mouvements Sociaux, sur cet autre chapitre : celui de l’énormité de la corruption qui lui était associée, notamment immobilière…
Le Brésil : une terre paradigmatique et un laboratoire de toutes les grandes questions mondiales contemporaines pour faire advenir les nouveaux modèles économiques et démocratiques du futur, en tenant compte aussi bien du bien-être des populations que de celui de la planète, sans verser dans le cynisme et la corruption généralisée qui nous ont déjà tous, ou presque, emportés dans « la soi-disant crise de 2008 » ?
Beaucoup de questions. Quelles réponses futures, possibles et humaines ?