Ce qu’il y a de bien avec la période des vacances, c’est qu’on trouve le temps de lire ou de relire, des classiques de l’histoire, de la littérature et de la psychanalyse ! Cela nous permet de mettre, encore une fois et pour nous-même, les points sur les I.
Quelques titres qui, ces derniers jours, m’ont aidé à y voir plus clair, dont Françoise Sironi, dans Bourreaux et victimes, Une psychologie de la torture, paru dans les années 80. Kessel, L’Armée des ombres, et mon chéri entre tous, Camus, dans l’Homme Révolté, et le si bel hommage que lui avait rendu Jean Daniel, en 2006. Et tant d’autres. La liste est loin d’être exhaustive ! J’ai une pensée pour René Girard, pour son ouvrage, Le Bouc Émissaire… Et finalement, je pense qu’on a beaucoup de chance de pouvoir relire tous ces auteurs qui nous ont tant apporté et appris à penser. De ces lectures, il ressort, d’une part, que la thèse selon laquelle la torture est faite pour faire parler, est plutôt fausse, car elle sert aussi, comme le précise la psychanalyste, « à faire taire », pour soumettre progressivement l’autre à un modèle unique de pensée, et en arriver à anéantir toute forme de résistance aux pratiques de tortionnaires qui visent à l’établissement d’un régime d’exception, par la désactivation de ses propres croyances personnelles sur lesquelles repose, par exemple, une éthique politique, morale, citoyenne et républicaine.
Françoise Sironi nous offre, par ailleurs, des témoignages impressionnants de gens extrêmement perturbés, et à juste titre, pour avoir subi le pire - persécutions, humiliations, intimidations et « autres tracasseries multiples », et nous rappelle que l’exemple de Luminitza - dont elle parle, dans le chapitre Clinique de la destruction, « est l’exemple vivant venant attester que, de façon délibérée, on avait fabriqué la folie, on avait modifié le fonctionnement psychique d’une personne ». Mais elle évoque aussi un autre phénomène qui, ici, n’est pas sans avoir un grand intérêt. Et dans lequel certains ne pourront pas ne pas se reconnaître, où qu’ils soient dans le monde, tellement ces procédés inhumains ont traversé les siècles et les régions du monde, quel qu’en soit le lieu, chaque fois que des hommes ont voulu anéantir la pensée et la liberté d’autres hommes, avec toujours des motivations obscènes de maîtrise de l’autre et d’esclavagisation, pour des profits personnels associés à des pulsions et penchants sadiques à assouvir.
C’est cela : ceux qui peuvent vous avoir torturé et s’être conduit en tortionnaires, des années durant, peuvent d’un jour à l’autre – et souvent pour se prémunir eux même de mesures de rétorsion qu’ils fantasment et pourraient souffrir en retour, quand les vents tournent, vu ce qu’ils savent parfaitement avoir pratiqué sur d’autres que eux-mêmes, les injures, les insultes et les tentatives d’avilissement – ils peuvent donc, surprise ?, recommencer à se comporter « normalement » (?), vous saluer, dans la rue ou dans le quartier, se montrer « presque » courtois, un comble ! Du moins, soudainement, modifient-ils leurs anciens comportements immondes pour des apparences de neutralité, ne vous faisant plus souffrir une vie et un quotidien d’horreur, et optant pour des comportements à peu près normaux ou « habituels » – par peur que le pire ne leur arrive à eux aussi ? Par peur de la revanche ? Eux qui n’imaginent même pas peut-être qu’on puisse fonctionner autrement que par la peur et la recherche de la soumission de l’autre ? Des voisins, par exemple, peuvent soudain se taire, se faire discrets, et ainsi organiser d’autres scénarios, à votre attention, certes bien plus amènes, moins violents, plus humains, mais peut-on avoir la moindre confiance en des gens qui, au plus près de votre quotidien, se seront conduits, des années d’affilée, et comportés plus de dix ans comme les escrocs, les voyous, et les truands qu’ils étaient et dont c’était la seule image qu’ils étaient capables de vous présenter ? Associés, évidemment, à une extrême-droite, sinon, jamais, ils ne se seraient comportés de la sorte, comme les personnages décrits dans tous les récits de guerre sale ! Même si, vous leur aviez écrit, dès le début, en votre qualité d’enseignante, pour les mettre en garde de ne pas tomber dans les mains de ces gens-là ! Ne serait-ce que pour éduquer leurs enfants dans une autre optique, et avec d’autres valeurs que celles héritées de l’Algérie Française. Peine perdue, visiblement. Un peu comme quand Balkany oublie sa femme, dans sa déclaration de revenus !!! Point final, sur cette histoire.
Hommage ce matin, vendredi 25 juillet 2014, à Ariano Suassuna, qui, dans A pedra do Reino, La Pierre du Royaume, nous emmenait dans ses terres natales, la Paraíba, pour pénétrer l’intérieur de cette région du Nordeste, sa culture populaire, son goût des folhetos de cordel – littérature issue des traditions populaires médiévales de la Langue d’Oc, en vers et en musique, avec de superbes illustrations graphiques, et sous forme de desafios- défis poétiques - qui nous racontent l’histoire quotidienne de sa région, ses Cangaceiros et autres Marias Bonitas, avec leur code de l’honneur et leur respect des traditions, auxquels Suassuna avait su associer son esprit moderniste de fin lettré. Le tout, au milieu de ces principaux protagonistes qu’étaient la végétation aride du Sertão et ses bichos-animaux, venus tout droit du bestiaire médiéval. S’illustrant, y compris, avec A Mulher de Sete Cabeças - La Femme aux Sept Têtes…
Ariano Suassuna, l’homme de la simplicité, l’intelligence et la finesse des gens de sa terre.