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Billet de blog 27 juillet 2016

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Interview de Dilma Rousseff à RFI, lundi 25 juillet 2016

« Je n’ai pas l’intention de participer aux Jeux Olympiques de Rio, dans un rôle subalterne » a déclaré Dilma Rousseff dans une interview à Márcia Bechara pour RFI. Traduction.

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Interview de Dilma Rousseff à Rfi, lundi 25 juillet 2016 

« Je n’ai pas l’intention de participer aux Jeux Olympiques de Rio, dans un rôle subalterne » a déclaré Dilma Rousseff dans une interview à Márcia Bechara pour RFI, le 25 juillet.

Traduction

Dans cette interview, elle évoque la crise politique actuelle au Brésil, le processus d’impeachment, les futurs Jeux Olympiques de Rio, mais aussi les attaques sexistes dont elle a été l’objet ces derniers mois.

Éloignée depuis deux mois déjà du Palácio do Planalto - du Palais Présidentiel, c’est du Palais de l’Alvorada, à Brasília, qu’elle a déclaré que «  Le Brésil vit une phase fâcheuse de misogynie aigue », insistant sur le fait que « la présence des femmes en politique au Brésil est un acquis définitif ». On peut donc y entendre en filigrane que ces messieurs d’arrière-garde et d’un autre temps vont devoir s’habituer un jour ou l’autre…

RFI - Votre présence à la Présidence de la République semble avoir fait sortir le loup- machisme brésilien du bois. Avec, en conséquence, de nombreuses agressions sexistes envers les femmes en général. Mais aussi un « Printemps féministe » au Brésil. Pensez-vous que ce soulèvement aura des suites ?

Dilma Rousseff – Je pense que les femmes vont rester sur la scène politique au Brésil. En effet, la première femme élue présidente de la République l’a été avec 54,5 millions de voix, pour la deuxième fois consécutive. Nous assistons à un impressionnant contrecoup hyperbolique de misogynie au Brésil. Qui révèle, avec l’impeachment sans crime, une composante profondément machiste de la classe politique à l’égard de la Présidente, usant de stéréotypes « éculés » ( mot de la traductrice) tels que « dure, insensible et froide », ou encore « hystérique, qui a des crises de nerfs ». Nous savons parfaitement  bien d’où vient ce concept d’hystérie (+) ? Le pire c’est qu’ils se trompent totalement, usant de modèles contradictoires pour me définir. Les femmes se sont installés pour longtemps dans le paysage politique brésilien, car elles ont parfaitement  bien compris que ce coup de force sans crime a pour seul objectif d’empêcher les investigations sur la corruption, et d’un autre côté, de mener un agenda politique de gouvernement totalement contraire à celui approuvé par les rues, qui d’ailleurs est profondément conservateur et néo-libéral.

RFI -  Les Jeux Olympiques de Rio vont avoir lieu dans un contexte bien plus complexe que la coupe du Monde de Football de 2014. Épidémie de Zika, Rio en état de crise financière avancée, des délégations qui refusent de se rendre dans le village Olympique. Tout d’abord, pensez-vous assister à la Cérémonie d’ouverture ?

Dilma Rousseff -  Je n’ai nullement l’intention de jouer les seconds rôles dans ces Jeux Olympiques. D’abord parce que ces jeux sont le fruit d’un travail considérable de l’ex-président Lula, qui est arrivé à les faire venir au Brésil. De plus, le gouvernement fédéral avait fait un grand effort, qui a rendu possible l’infrastructure nécessaire, c’est-à-dire la construction du Parc Olympique et de la Vila de Deodoro. Je veux dire clairement que toutes ces questions en rapport à la Ville des Athlètes renvoient au PPP, un partenariat public-privé entre la Préfecture de la ville de Rio de Janeiro et le secteur privé. Je veux croire que la question du virus Zika ne créera aucune compression  dans le nombre des spectateurs potentiels. L’OMS elle-même, l’Organisation Mondiale de la Santé a même déclaré que cet hiver, avec des températures au-dessous de la norme, il n’y aura aucun risque de prolifération du moustique. Jusqu’à il y a deux mois, nous avions mis en place une politique de contention de la propagation du virus par les organismes compétents. Je pense que les Jeux réunissent les conditions pour que tout se réalise dans un climat serein. Principalement si  nous conservons, aussi bien dans le domaine de la sécurité, que dans les autres champs connexes aux différentes installations. Principalement dans le centre des médias, dans tout l’accompagnement dans le domaine de la santé, et la sécurité dans les équipements où auront lieu les Jeux.

RFI -  Dans ce contexte-là, pensez-vous que la ville de Rio est prête pour les Jeux Olympiques ?

Dilma Rousseff – Oui, je pense que Rio est prêt pour recevoir les Jeux, dans ce contexte. Ce qu’il faut, c’est que les autorités ne « se reposent » pas une minute jusqu’aux Olympiades. Nous avons accompagné la Coupe du Monde dans 12 villes brésiliennes, simultanément, et ce fut particulièrement intense. Par exemple, dans le domaine de la sécurité, il y avait des centres de commandement et de contrôle connectés nationalement. Je crois que, du point de vue de la sécurité, il n’y aura aucun problème, si les procédures face aux risques sont suivis à la lettre. De plus nous avons l’expérience accumulée de la Coupe du Monde, il y a deux ans, de la venue du Pape au Brésil, comme des Jeux de la Jeunesse et des Jeux Militaires internationaux, qui ont permis au brésil d’acquérir un know-how, dans le domaine des grands évènements. Les lieux où auront lieu les compétitions auront la structure qui convient et sont déjà prêts. 

RFI -  A l’extérieur, spécialement en France et en Allemagne, la question du terrorisme est une évidence présente tragique. Vou pensez que la ville de Rio de Janeiro est prête à affronter d’éventuelles attaques terroristes pendant les Jeux olympiques ?

Dilma Rousseff -  Je crois, sans l’ombre d’un doute, que le monde vient d’assister lamentablement à des attaques terroristes, et à des actions d’intolérance, comme c’était le cas dans la boîte d’Orlando. Dans le cas des Olympiades, le Brésil a maintenu des contacts avec toutes les unités des services d’intelligence des principaux pays du monde ayant  de l’expérience dans ces questions. Nous avons donc la meilleure sécurité possible. De plus, il y a toute une tradition au Brésil d’éloignement de cette question du terrorisme. Ici, nous n’avons pas de conflits ethniques ni même de conflits religieux, le climat est meilleur. J’ai bien conscience que ça ne suffit pas pour nous assurer d’un quelconque problème, c’est pourquoi nous avons pris toutes les mesures nécessaires.

RFI -  En rapport au vote du Sénat, qui doit advenir dans quelques semaines, pensez-vous que vous devez continuer à assumer la Présidence de la République même avec les récentes accusations de délations « premiadas »- recompensées, proférées par João Santana et sa femme ?

Dilma Rousseff -  Mais ma pauvre, ni João Santana ni sa femme n’ont accusé ma campagne. Les épisodes auxquels ils se réfèrent ont eu lieu après la fin de la campagne, et après que le comité financier de ma campagne eût été dissous, deux années après. Et donc, il n’y a aucune affirmation qui ne me touche ni moi ni ma campagne. Il est de notoriété publique que je n’ai jamais autorisé une caisse B dans ma campagne. Je suis en train de me battre pour défaire ces accusations émises contre moi à l’occasion de la procédure  d’impeachment, qui d’ailleurs se limitent à deux questions, celle qu’on appelle «  les pedaladas »-rétropédalages, les fameux transferts de ressources du budget de l’Union pour le financement du plan Safran de l’Agriculture. Le Ministère Public Fédéral et l’enquête du Sénat affirment qu’il n’y a pas eu « de responsabilité », c’est-à-dire, que je n’ai participé à rien. Ils ne peuvent pas m’accuser d’un crime que je n’ai pas commis. Le Ministère Public Fédéral n’a trouvé aucun crime de responsabilité et a archivé le procès. L’enquête du Sénat montre qu’il n’y a en aucun moment de tentative de fraude. Ils utilisent cette allégation par manque total d’arguments pour m’accuser.  Et de cette façon, ils ont inventé un « non-crime ». Je suis accusée et jugée pour un « non-crime ». Et ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des organismes institutionnels irréprochables de ce pays. Des sénateurs conscients, courtois et attachés à la démocratie et à l’état de droit démocratique sauront ans aucun doute se prononcer correctement. 

RFI -  Pensez-vous, si c’était nécessaire, remettre en cause la décision du Sénat au STF- Suprême Tribunal Fédéral ?

Dilma Rousseff J’ai dit systématiquement que je le ferai. Je veux croire que très probablement ce ne soit pas nécessaire.

RFI – Revenant au pouvoir, quelles seraient les premières mesures prises ?

Dilma Rousseff -  Nous avons une situation atypique au Brésil. Dans aucun pays du monde, on ne voit un gouvernement provisoire intérimaire pas même élu assumer le pouvoir temporairement et décider de changer toute la politique de l’ancien gouvernement. Y compris qui change de cap totalement, définissant des objectifs radicalement opposés au programme pour lequel j’ai été élue. Cela concerne aussi bien la santé, quand ils essaient d’imposer l’idée que la santé publique brésilienne, le fameux SUS- Système Unique de Santé, ne peut pas faire partie du budget, et qu’il va falloir créer des plans de santé de deuxième catégorie pour les pauvres, une des menaces actuelles en mouvement. Un autre exemple concerne l’éducation publique brésilienne, ce qui est très grave. A cela, il faut ajouter la perte imposée de droits du travail. Par exemple, ils parlent de créer une loi de contrats de services dans laquelle les travailleurs pourraient se transformer en personnes juridiques, donc en auto-entrepreneurs, qui perdraient du coup les droits du travail correspondants. C’est vrai qu’il existe au brésil 11 millions de travailleurs du tertiaire qui doivent être reconnus et officialisés. Ca c’est une chose. Mais c’est tout autre chose de transformer tous les travailleurs en personnes juridiques. De plus, il y a une perte de droits si on fait prévaloir « les accords d’entreprise sur le droit législatif ». L’accord travailliste, en dehors des syndicats, entre une population désorganisée de travailleurs, alors que la syndicalisation est encore précaire au Brésil -  si un tel accord prévaut sur les grandes conquêtes du droit du travail qui, au Brésil,  remontent aux années 30, cela est assez incorrect.  Donc, il y a encore beaucoup de choses à faire, en plus de l’effort que nous devons consentir pour sortir le Brésil de la crise. La crise économique à l’intérieur du Brésil n’a pris cette dimension qu’à cause de la crise politique. Je crois d’ailleurs que c’est en intensifiant la crise économique qu’on a créé un contexte propice à l’impeachment.

RFI – Vous pointez la nécessité d’élections générales pour rétablir un pacte national au Brésil. Vous pensez que le système politique brésilien est entré en crise terminale ?

Dilma Rousseff – Oui, le système politique brésilien est à bout de souffle pour plusieurs raisons. D’abord à cause de l’’impeachment et de la fameuse séance à la Chambre des Députés, le 17 avril dernier, où l’on a assisté à un vote époustouflant qui a laissé bouche bée la population brésilienne, et je le pense, le monde entier, quand des parlementaires corrompus ont voté contre la corruption, élevant l’hypocrisie à son degré le plus élevé. C’est très grave : certains ont voté pour le retour de la torture. Nous avons ici au Brésil pas moins de 35 à 37 partis politiques. Cela produit une fragmentation, une sorte de physiologisme que s’appuie sur le fait que les partis perdent leur visée programmatique et finissent par poursuivre des intérêts spécifiques et restreints.  Sans parler du grand nombre de personnes accusées formellement de corruption, ce qui entraîne une forme de désillusion totale de la population dans les structures politiques en général, où la politique devient synonyme de pratiques contradictoires. Enfin, la politique, cette activité essentielle dans toute société démocratique, et sans laquelle il n’existe pas de démocratie, se retrouve amplement disqualifiée, perdant sa spécificité, et les gens finissent par ne plus rien vouloir savoir de politique. C’est là que se profile un bouillon de culture favorable aux sauveurs de la patrie, avec des issues très compliquées et des régimes dictatoriaux et de droite, comme il est déjà arrivé dans toute l’Amérique Latine et le Brésil.

RFI – J’aimerais revenir sur une de vos phrases : « On a voté pour la torture ». C’est un épisode qui a beaucoup choqué l’opinion internationale, lorsque le député Jair Bolsonaro a rendu hommage au colonel Carlos Brilhante Ustra, pendant le vote en faveur de votre impeachment au Parlement. Vous êtes connue pour votre fermeté et votre self controle. Mais comment vous êtes-vous senti au moment de cette ignoble provocation ?

Dilma Rousseff – J’ai trouvé que c’était d’une grande tristesse pour le Brésil. C’était comme si l’Histoire passée était de retour. Il s’est passé quelque chose de très important au Brésil ces 20 dernières années, après que Monsieur Carlos Alberto Brilhante Ustra ait torturé dans une unité militaire à São Paulo. Depuis, nous avons construit la démocratie, et avec elle, la condamnation de la torture et des pratiques arbitraires. A ce moment-là précis, dans la Chambre Fédérale brésilienne, ce que fait Bolsonaro, ce n’est pas de voter pour la torture, en générale mais il vote pour cette deuxième forme de torture qui m’est faite. C’est ça le sens de son geste. Ce qui est extrêmement grave, car ceci n’aurait été accepté dans aucun Parlement civilisé du monde.

RFI – Nous avons pu observer votre rapprochement de 4 figures de gauche, mais pas nécessairement du Parti des Travailleurs, comme Ciro Gomes e Luíza Erundina. Cherchez-vous de nouvelles alliances politiques ? Vous sentez-vous ou vous êtes-vous sentie trahie de quelque forme que ce soit du Parti des Travailleurs ?

Dilma Rousseff – Je pense que vous vous trompez. Ma relation avec l’ex-député fédéral, ex-gouverneur et ex-ministre du président Lula, Ciro Gomes, est assez ancienne. J’ai beaucoup de respect et de considération pour lui. Il est, sans aucun doute, un des hommes politiques les plus capables, les plus sérieux et les plus attachés à l’éthique au Brésil. De plus, c’est un homme qui a beaucoup d’expérience. J’ai également beaucoup de respect pour Luíza Erundina, c’est quelqu’un qui a été membre du Parti des Travailleurs, et qui a toute une tradition  de militance, et qui maintenant est candidate à la mairie de São Paulo. Il ty a encore un autre candidat de gauche, c’est Fernando Haddad. C’est très important que cela ait lieu, car le Brésil a besoin de personnes de la qualité de Luíza Erundina, de l’ex-député Ciro Gomes, etc… Cela signifie qu’il y a tout un champ populaire au Brésil, composé de gens du PDT, le Parti de Brizola, d’autres du PC do B, le Parti Communiste du Brésil, et des personnalités comme Luíza Erundina ou Ciro Gomes. Je conserverai toujours des liens avec tous ces gens-là, et cela ne signifie en rien que j’abandonne le Parti des Travailleurs. Pour nous, ce qui compte c’est que cette alliance se fortifie et se consolide. Et il est toujours important que les secteurs progressistes ne se divisent pas. 

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