Carta Maior, le 27 avril 2016
Lettre d’exilés brésiliens à la presse française
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes des citoyens brésiliens qui vivons depuis plus de 40 ans en France et en Belgique,
Où nous avons été accueillis en tant que réfugiés ou exilés politiques, victimes de la dictature militaire brésilienne, puis du coup d’État militaire au Chili.
Nous prenons la parole pour faire savoir combien nous sommes préoccupés par la façon dont la presse française rend compte de la situation actuelle au Brésil. A part de rares et nobles exceptions, les articles publiés sont pour le moins discutables. Pratiquement tous les articles comportent des allusions qui vont du folklore à la superficialité et à la misogynie ( « Dilma et son Maître Lula », « Dilma l’intraitable », « Lula le séducteur », etc…), reproduisant de façon univoque les échos de la grand presse brésilienne « golpista » (NT : il s’agit principalement de la Globo qui fût naguère le bras armé médiatique de la dictature militaire de 64), qui n’a cessé d’instruire un procès contre la Présidente Dilma Rousseff et l’ex-président Lula.
Ces articles ne cherchent pas à informer mais à instruire le récit d’un coup d’état qui cherche à renverser un gouvernement légitimement élu grâce au vote de 54 millions de brésiliens.
La grande presse brésilienne, comme Globo, o Estadão, a Folha de São Paulo déclament leur engagement militant pour un coup d’état, et leurs correspondants français, et l’AFP au Brésil, connaissent parfaitement la situation. Ils assistent directement à toutes les manifestations plus qu’inquiétantes de la crise politique brésilienne et disposent de toute la presse alternative et des réseaux sociaux, ils connaissent les immenses mobilisations démocratiques contre ce « golpe »- tentative de coup d’état. Mais malheureusement, il semble bien que pour leurs lecteurs français et pour le bien de la vérité, ils ne s’y intéressent nullement et se contentent de l’établissement de médiocres répliques de ce que produit la presse brésilienne « golpista »…
Lula est systématiquement présenté comme « mouillé jusqu’au cou dans le scandale de la Petrobras », et Dilma « isolée », « fragilisée », etc… Les immenses mobilisations de la société civile en soutien à ces deux « isolés », « achevés », « suspects de corruption » sont largement minorées et passées sous silence. La seule référence à une « révolte de rues » est celle de la manifestation de la droite et de l’extrême-droite du 13 novembre dernier !
Quand à ceux qui organisent et articulent ce coup d’état, les informations les concernant sont rarissimes, spécialement en ce qui concerne le Président de la chambre des Députés, Eduardo Cunha, directement impliqué dans la corruption et le blanchiment d’argent sale, et touché par un processus de cassation de son mandat, en plus d’avoir été récemment cité dans les Panamá papers. Quasiment rien ne filtre dans la presse sur ces hommes qui ont pour seul objectif de remplacer l’actuel modèle d’exploitation du pétrole national (proche du modèle norvégien, avec des fonds souverains), par un système de concessions aux multinationales. Et l’illégalité des méthodes de certains juges et politiques ne sont pas mis en évidence à la hauteur de leur importance, etc…
Nous savons bien que la réalité brésilienne est complexe, mais surtout qu’elle n‘est nullement celle décrite par la plupart des médias français.
Nous regrettons profondément l’absence systématique de reportages plus équilibrés, comme nous ne comprenons pas le silence fait sur tant de personnalités brésiliennes de différentes tendances politiques, d’intellectuels, ou d’universitaires, comme Chico Buarque, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Leonardo Boff, Luiz Carlos Barreto, qui se sont pourtant engagés ouvertement dans la lutte pour la défense de la démocratie.
Sans démocratie, il n’y aura pas de solution à la crise politique que le Brésil traverse.
Sans démocratie, nous régresserons aux années sombres de la dictature militaire et au verrouillage de nos libertés fondamentales, celles de s’organiser, de s’exprimer et de manifester.
Pour une presse qui se respecte, qui possède une éthique, et qui respecte ses lecteurs, la « désinformation » est un « accident » qui doit être rectifié le plus rapidement possible, surtout quand il s’agit de la presse française.
Nous ne voulons absolument pas vivre un troisième coup d’état, nous savons suffisamment ce que cela veut dire, et particulièrement en termes de liberté d’information.
Nous, citoyens brésiliens, résidant en France et en Belgique, nous demandons à la presse française qu’elle soit tout simplement objective et qu’elle aborde avec sérieux la complexité du Brésil actuel, évitant ainsi les visions unilatérales et réductrices.
Hamilton Lopes dos Santos
Dirceu Greco Monteiro
Roberto Metzger
Marilza de Melo Fouché
Sueli Heliópolis
Marlova Canabarro
Maria José Malheiros