Outreau, on le sait, est un référentiel toxique qui a fait régresser la prise en compte de la parole des enfants et a également concouru à l'éviction en décembre 2023 du juge Édouard Durand co Président de la CIIVISE1.En effet la nouvelle Présidente de la CIIVISE avait évoqué « Outreau » pour s'opposer à la doctrine « je te crois je te protège ». Elle a depuis, fait l'objet plainte pour agressions sexuelles. Aujourd'hui cette doctrine qui est un véritable progrès sociétal face au déni des violences sexuelles faites aux enfants, est de nouveau gravement mise à mal par les auteurs de la série de Netflix « Outreau, un cauchemar français ».
Soulignons que l'exigence du respect du contradictoire est légitime puisque face aux acquittements des accusés, la vérité judiciaire comporte la reconnaissance officielle de 12 victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et pour certaines de proxénétisme. Ce verdict a subi une omerta totale dans l'après Outreau jusqu'à ce qu'il soit inscrit en sous titre du livre « Outreau, la vérité abusée » publié en 2009, 2015 et dont la nouvelle édition condensée et actualisée est prévue pour le 8 avril 2024.
Le visionnage de « Outreau, un cauchemar français »
Ce qui provoque la stupéfaction quand on termine le visionnage de la série, si l'on connaît un tant soit peu l'affaire, c'est l'absence forcément intentionnelle de deux informations fondamentales. On peut parler de mensonge par omission et d'omerta :
1ère omission : sur le nombre d'experts :- il n'est pas dit que les enfants d'Outreau ont été examinés par 7 experts (2 experts lors de l'instruction et 5 experts lors du procès de St Omer, la fratrie Delay a été examinée par 3 experts différents). Au total 34 expertises ont été réalisées et les conclusions sont toutes allées dans le même sens selon le Président des assises Jean-Claude Monier. J'avais pourtant dénoncé clairement lors de mon interview pour Netflix cette omerta dans les médias sur le nombre d'experts.
2ème omission : sur l'énoncé des sévices sexuels :- Il n'est jamais dit à aucun moment que ces 12 enfants ont été reconnus par la Justice, victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme. Il est juste écrit en manière d'épilogue : 12 enfants sont reconnus victimes, ils ont reçu des indemnités ente 10.000 et 30.000 euros. Tous les professionnels ont également rappelé clairement la nature pénale des violences sexuelles lors de leur interview.
A l'époque de l'enregistrement, en 2021, l'actualité sur Outreau rebondissait avec le renvoi aux assises pour viol par ascendant sur mineur, par l'un des acquittés Franck Lavier. France2 s'était mis dans le rang pour la réalisation d'un documentaire sur l'affaire Nous l'avons refusé ayant eu l'écho dune nouvelle charge contre la parole des enfants. Puis deux autres projets nous ont été présentés pour la plate forme Netflix.
On peut poser la question suivante à Fabrice Burgaud, aux magistrats et à moi-même : pourquoi avoir accepté la pénibilité d'une nouvelle exposition au risque de réveiller l'hostilité du public à notre égard ? Tout simplement par sens du devoir, parce qu'il nous a semblé qu'une dernière chance nous était donné pour que, à l'international, et loin des pressions a t-on naïvement imaginé, la véritable affaire d'Outreau serait reconnue comme telle et du coup la parole des enfants serait normalement réhabilitée.
C'est donc en 2021 que le directeur de la création, Jean-Paul Géronimi pour la société Mediawan, est venu me rencontrer en mon cabinet de psychologie, avec mon livre « Outreau, la vérité abusée » à la main. Il m'a dit avoir été bouleversé par la lecture de ce livre et par l'auteure et il me proposait de faire partie d'un documentaire de nature différente de ce qui a été fait jusqu'à présent avec de ce fait un respect du contradictoire. Il estimait par ailleurs que cela ne pourrait se faire si Fabrice Burgaud et moi, la psychologue qui a examiné les 15 enfants, n'étaient pas de la partie. Il est revenu ensuite avec les productrices et la réalisatrice, pour faire plus ample connaissance. De nombreuses rencontres en sont suivi et pourtant nous n'avons pas obtenu de pouvoir visionner la série en avant première comme il est normal de le faire. Toutefois l'équipe nous avait régulièrement rassurés sur le respect de l'équilibre. La méfiance s'est installée quand il n'a plus été question que de traiter la complexité de l'affaire avec la crainte d'un revirement des bonnes intentions à l'égard des enfants suite à de probables pressions. Ce fut le cas malheureusement, et même la complexité n'y apparaît pas, il ne reste que les caricatures qui servent la doxa et nos personnages minimisés et malmenés dans l'esthétique comme dans le discours.
Le déséquilibre démontré par les chiffres
Il s'avère que la parole des professionnels interviewés durant les longues heures d'une ou deux journées de tournage n'a pas été respectée. En effet par les temps infimes réservés à leurs quelques phrases, tronquées et sorties du contexte, ils en ont été réduits à n'être que les cautions piégées d'un documentaire indigne. Le procédé n'est pas rare. Il dérange en général l’honnêteté intellectuelle et quand il s'agit de victimes, les repères éthiques en sont véritablement bousculés.
Le constat sur les temps de parole réservé à chaque intervenant a été calculé. Il est accablant en terme de respect du contradictoire non seulement judiciaire mais aussi journalistique. Le documentaire dure globalement 160 minutes voici la répartitions des apparitions et des temps
– Le magistrat Fabrice Burgaud apparaît durant 13,82 minutes soit 8,64 % du temps total après deux jours d’interview.
– Les magistrats de la Chambre de l'instruction sont à peine plus de 2 % du temps total
Quant à Jonathan Delay 4,68 minutes soit moins de 3 % du temps total.
Sur ma journée d’interview, 5 ou 6 heures, toutes mes apparitions cumulées donnent à l'écran un total de temps de parole de 2,15 minutes donnée à l'experte judiciaire spécialiste de la parole des enfants victimes de psychotraumatisme ce qui correspond à 1,34 % du temps de parole sur les quelque 160 minutes du documentaire. Rappelons que j'ai expertisé 15 enfants dont les 12 enfants reconnus victimes et que c'est à partir de mon ouvrage que la mobilisation s'était faite en amont. Je suis aussi le porte-parole des autres psys dont les expertises sont allées dans le même sens.
– A titre de comparaison, les avocats de la défense occupent 42,65 minutes soit plus du quart du temps total.
En conclusion le contradictoire, victime, avocat de la partie civile, magistrats et expert, occupe 20,81% du temps total, alors qu'on nous avait promis que le documentaire serait équilibré ! Dans ces proportions, notre confiance a bien été trahie. On retrouve donc exactement les mêmes manquements très graves dans ce documentaire que dans celui de France 2 et bien d'autres.
Les autres manquements à titre de censure de ma parole sur les faits que j'ai cités
La stratégie du bouc émissaire est réactivée par le montage réducteur en ne gardant que quelques minutes de mon témoignage sans évoquer l'unanimité des conclusions des 7 experts ni les renseignements sur la manière dont j'ai travaillé avec plus de 42 critères de validation1. En revanche le psychiatre sexologue Paul Bensussan qui n'est pas pédopsychiatre qui n'est pas psychologue, encore moins victimologue, mais missionné par les avocats de la défense est montré à la caméra comme caution de la parole d'enfants carencés – qu'il n'a jamais examinés – qui pourraient soi disant inventer des violences sexuelles.
Les auteurs du documentaire n'ont pas gardé ma description sur le travail d'expertise et l'exemple donné avec l'expertise publiée dans « Outreau, la vérité abusée » :
https://outreau-verite-abusee.com/documents/expertise_de_damien.pdf
Ils n'ont pas non plus montré les images de mes explications sur le travail même de l' expert :
https://outreau-verite-abusee.com/documents/extr-chap7.pdf
Ils n'ont pas non plus gardé ma description du calvaire des enfants lors du procès de St Omer :
https://www.village-justice.com/articles/Justice-enfant-aux-assises-maltraitance-legale-deni-realite-Comment-allier,24300.html
Pas plus que mon analyse des processus pervers qui ont illustré ce procès :
https://www.village-justice.com/articles/affaire-Outreau-ses-processus,19614.html
Il n'a pas non plus été gardé mon témoignage sur certains faits décisifs du procès de St Omer. C'est suite aux mensonges stratégiques de Me Berton – m'accusant à tort de conflit d'intérêt pour avoir prétendument suivi en thérapie les enfants d'Outreau – que le Président Monier en son pouvoir discrétionnaire a mandaté 5 nouveaux experts qui ont réexaminé les 15 enfants.
Le rapport de l'IGSJ qui, au passage, me dédouane de tout conflit d'intérêt, n'a pas non plus été gardé. S’il l’avait été, les auteurs n'auraient pas laissé l'un des avocats de la défense dire que les enfants communiquaient entre eux, sous entendu pour se donner des noms d'agresseurs et des descriptions de sévices sexuels. En effet, le rapport a démontré le contraire, les enfants ne communiquaient pas entre eux. L'aberration de cet argument n'est pas mis en valeur bien entendu.
Par ailleurs, la caméra qui évoque le procès en appel à Paris montre des enfants dessinés au crayon interrogés à la barre par un seul avocat en tête à tête avec chaque enfant. Ce n’était pas le cas à Saint-Omer où les enfants, placés dans le box des accusés, ont subi un véritable calvaire comme l'illustre très bien Me Pouille-Deldicque avocate de Myriam Badaoui filmée pour Serge Garde dans son documentaire jamais produit à la télévision « Outreau, l’autre vérité »2
« J'ai vu tous ces avocats monter, en robe noire, avec le poids du nombre face à un petit enfant de 12ans, à côté de cela, le haka des All Black c'est rien... » Aucune mention de ce scandale, autre mensonge par omission.
L'irrespect autorisé des avocats de la défense face aux révélations des enfants terrorisés
Il n'est pas fait mention non plus de l'acharnement des interrogatoires des enfants terrorisés et qui ont perdu pied. Toutes les précautions avaient été prises en amont, les OPJ formés à la procédure Mélanie et donc aux questions non suggestives n'ont pas attendu le Garde des Sceaux pour exercer correctement leur travail. Les mille précautions des experts spécialisés dans le psycho traumatisme et les voilà 4 ans après les faits obligés de décrire leur intimité dans des pratiques aberrantes qu'ils ne comprennent pas 3. Rien n'est rapporté, seuls leurs deux avocats évoquent en filigrane la peur de se retrouver face à Eric Dupond-Moretti pour subir ce qu'ils avaient subi à St Omer4 . Quand au placement des enfants dans le box des accusés, la série de Netflix montre juste les travaux dans la salle d'audience et les explications du procureur Maurel ne donnent pas la mesure de ce dispositif scandaleux.
Le plus révoltant est l'attitude des avocats que les auteurs laissent impunément piétiner leur déclarations sans que l'experte justement présente dans la série, puisse décrypter, analyser et renseigner de manière professionnelle le fonctionnement et la parole traumatique des enfants. Des enfants qui ont perdu pied 4 ans après les faits, dans une situation effrayante face à une centaine d'adultes dans le prétoire – effervescent et parfois insultant – dont les présumés agresseurs qu'ils avaient dénoncés.
– On filme aussi sans vergogne les railleries d'un autre avocat de la défense, Me Lescène, qui se permet d'extraire de l'une de mes expertises le dessin d'une victime. Et de manière choquante, il le critique je n'ai pas eu la possibilité là non plus d'expliquer et de défendre les dires de l'enfant et la validité de mon analyse. Il expose un dessin à la caméra et devient le spécialiste du récit traumatique d'une petite fille qui est vierge alors qu'elle dit avoir subi des violences sexuelles de la part de plusieurs personnes. C'est ce qui a été fait durant le procès et j'ai pu rétorqué – et redit lors de mon témoignage – que les sodomies et les fellations sont aussi des viols. Mais ici rien de tout cela et une certaine presse en fera encore des gorges chaudes le lendemain de sa diffusion.
Comme on ne peut parler de virginité pour les petits garçons c'est un autre enfant qui est mis sur le gril de la moquerie de la part de Me Delarue qui a utilisé le terme de « balivernes »pour caractériser les révélations des enfants5. Il s'agit de révélations de pratiques zoophiles classiquement retrouvées dans les images pédopornographique qui circulent par millions sur le net. L'avocat, hilare énumère tous les animaux de la ferme, laissant un enfant interdit humilié, perdu.
Jamais la souffrance des enfants n'est évoquée dans ce documentaire, elle ne peut s'incarner à l'image comme celle des accusés futurs acquittés lors des procès télé réalité et le verdict de saint Omer n'est pas énoncé alors que 15 enfants ont déjà été reconnus victimes et que les jurés ont suivi les experts… c'est bien ce qui a créé l'emballement et de la même façon, la série s'emballe !
Pour ce qui concerne Fabrice Burgaud trois jours de tournage ont réactivé le traumatisme du lynchage qu'il a subi et c'est de manière odieusement exhibitionniste que l'on garde à l'image quelques moments de sidération liés à ces événements. Ils laissent croire que c'est le juge tel qu'il était ! NON ce magistrat n'était pas traumatisé avant l'affaire et son instruction a été menée de telle manière que les inspecteurs de l'IGSJ n'y ont trouvé aucun élément justifiant une faute professionnelle. Donner foi comme lors des procès à cette prétendue fascination pour Myriam Badaoui relève d'une aberration qui continue de fonctionner grâce aux erreurs de jugement des auteurs de cette série.
Un mot sur les manipulations par une démonstration tronquée dans son dérouement : le doute appartient au juge c'est pour cela qu'il donne une mission à l'expert spécialiste en la matière et par définition très expérimenté. L'expert donne un avis circonstancié et il peut proposer qu'un autre expert puisse intervenir pour croiser les avis. En revanche, s'il dit qu'il doute ( sauf s'il n' a pas suffisamment d'éléments et cela m'est arrivé de ne pas me prooncer) la défense de rupture ou non, anéantira ses travaux avec cynisme "même l'expert a des doutes"! Le doute est donc bien une arme du déni si c'est l'expert qui l'exprime en matière de victimologie infantile, et non pas si c'est l'enquêteur aux différentes phases de la procédure, il est là, absolument nécessaire.
En conclusion on se demande quel intérêt y avait il à proposer cette série malheureusement à l’internationale, qui ressasse à nouveau les mêmes poncifs et retombe dans les mêmes écueils que les autre reportages qui renforcent la doxa sur le prétendu mensonge des enfants d'Outreau après deux heures de négation de leur parole, du moins c'est ce qu'il ressort de l'ensemble des épisodes.
Au delà de nos sentiments personnels de déception et de trahison, le plus grave est d'avoir une fois de plus bafoué l'honneur et la parole des enfants victimes ainsi que de celles et ceux qui s'efforcent de les protéger eux et tous les autres enfants.
Pour terminer, il ne fallait pas s'attendre que soit diffusée la raison pour laquelle que je ne suis plus inscrite sur la liste des experts et que j'explique : en fait c'est uniquement pour avoir écrit l'ouvrage « Outreau la vérité abusée » dès lors il s'agit d' « un manquement à l'obligation de réserve ». Je peux toujours réaliser des expertises mais en prêtant serment, car il n'y ni faute professionnelle ni faute disciplinaire.
Dans la dernière édition de mon livre « Outreau la vérité abusée » qui paraît aujourd’hui, tous les mécanismes d'inversion des valeurs et des culpabilités, sur les expertises des enfants sur les stratégies utilisés par la défense, tous les mécanismes psychosociologiques du fonctionnement de désinformation sur l'affaire ainsi que ses conséquences délétères dans tous les domaines de la protection de l'enfance sont analysés.
La préface est rédigée par le Dr Pierre Levy-Soussan qui est pédopsychiatre, expert judiciaire et responsable d'un DU de Victimologie, il y rend hommage à mon travail d'expertise. La post face est elle rédigée par Jean-Yves Hayez Professeur honoraire de psychologie et de psychiatrie infantile à l'Université de Louvain, elle va dans le même sens que la préface de son confrère.
Agrandissement : Illustration 2
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1 Protocole publiés dans « L'enfant agressé et le Conte créatif »https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/enfant-agresse-et-conte-creatif
2 https://www.youtube.com/watch?v=octSak9QmOc « Outreau, l'autre vérité » de Serge Garde, Bernard de la Villardière et Innocence en danger.
3 https://www.village-justice.com/articles/Justice-enfant-aux-assises-maltraitance-legale-deni-realite-Comment-allier,24300.html
4 https://www.youtube.com/watch?v=Vn74Ba2GZhQ
5 Florence Aubenas, très proche de la défense les avaient qualifiés de la même façons :https://www.village-justice.com/articles/MEPRISE-Les-mensonges-Florence,19584.html L'abbé Wiel lui parlait de « salades » ...