Le neuropsychiatre psychothérapeute et chercheur David Servan Schreiber nous a quitté le 24 juillet 2011 après avoir survécu 19 années à un cancer reconnu comme l'un des plus agressifs qui soit. Comment ne pas éprouverla sensation consolatrice de l'accompagner doucement dans sa fin de vie - comme il l'avait fait lui-même au plus près de ses patients - quand on lit, ou plutôt quand on écoute les confidences de son dernier ouvrage :« On peut se dire au revoir plusieurs fois »
Il s'agit d'un livre testament qui nous transmet en héritage le souvenir de ce qu'il a étudié et expérimenté pour lui et pour tous, comme un don de soi pour tous les autres. En plus de son dialogue avec le lecteur en vue du dernier voyage, il y fait le bilan positif de tout ce travail consigné dans son célèbre best-seller : « Anticancer ». Il a bien raison de le faire, car cette lecture a redonné des forces mentales et physiques à un nombre considérable de personnes comme en attestent les témoignages des familles, des médecins et des psychothérapeutes recueillis dans le monde entier.
Pour ma part, c'est en 2004 que j'ai lu « Guérir » son premier best-seller qui rassemble toutes les recherches sur les résultats des psychothérapies dont l'efficacité peut être démontrée. Parmi elles,
l'EMDR ( Shapiro) qui soigne les victimes de traumatisme par la visualisation de la scène traumatique associée à des mouvements des yeux spécifiquement guidés qui créent un réaménagement neuro-biologique dont les composantes sont encore en cours d'étude.
L'amélioration extraordinaire et objectivable des symptômes de stress post-traumatique récalcitrants depuis des années, l'avait amené à pratiquer et à conseiller cette thérapie avec tout le pragmatisme qui caractérise une démarche de recherche appliquée.
Il peut sembler étrange a priori d'associer le nom de David Servan Scheiber à l'affaire
d'Outreau ! Pas si étrange pour qui a lu mon ouvrage « Outreau la vérité abusée » et se souvient qu'il y a été «convoqué» virtuellement par mes soins à la barre du procès d'assises de St Omer en Juin 20041.
Lors de ma déposition à ce terrible procès, au moment où il fallait rapporter qu'en séance d'expertise les enfants d'Outreau revivaient le traumatisme comme s'ils le visualisaient de nouveau, j'expliquais que cette visualisation faisant partie des indices très puissants de la validité psychologique du récit. Il s'agissait bien d'un acquis de la victimologie puisque c'était à partir de cette habituelle visualisation des victimes que l'on avait créé la thérapie du traumatisme la plus efficace, à savoir l'EMDR.
Pour être plus claire, précisons que l'événement « présentifié » par l'expertise ( les viols en réunion) amenait les enfants à re-visualiser les scènes, à les revivre dans toutes leurs composantes sensorielles : visualiser un visage ( c'est à ce moment là que la personne était nommée) va réactiver une douleur physique qui va réactiver une posture ( prise par l'enfant ) qui va réactiver une parole d'agresseur 2 qui va à son tour réactiver une parole défensive de la victime etc...
Et c'est donc à ce moment là que la référence au célèbre psychiatre a été évoquée au procès d'Outreau...Le souci était bien de citer les sources de mes commentaires cliniques, et d'éclairer les jurés et l'auditoire médiatique ( plus de 100 journalistes à l'audience) dans un consensus plus large ( un livre best seller !) que celui des références techniques aux tests spécialisés, tant il est mal aisé d'apporter en peu de temps les éléments qui permettent de les comprendre.
Cette difficulté n'avait pas échappé aux avocats des accusés qui ont su opportunément faire alliance avec les médias en utilisant la stratégie perverse d'inversion des compétences mais aussi et surtout des culpabilités laquelle était déjà bien installée3 quand je suis arrivée à la barre et l'argument fut balayé comme nul et non avenu.
Les « coupables » désignés par la stratégie d'inversion des culpabilités étaient les enfants a priori présumés victimes - d'ailleurs placés dans le box des accusés - et ensuite ceux qui avaient validé leur parole à savoir les experts et en particulier l'expert qui les avait examinés au plus près des faits, au moment où le stress post-traumatique était encore très significatif.
Les jurés n'ont pas été dupes des stratégies des avocats et ils ont entendu mes arguments et ceux des 5 autres experts - désignés par le Président des Assises après mon départ volontaire- puisqu'à Saint Omer, les 15 enfants(12 en appel à Paris4) ont été reconnus victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme.
David Servan Schreiber est donc présent dans mon livre sur Outreau...et cette présence est comme un îlot de lumière qui s'impose à la sombre barbarie des êtres humains qui en font l'objet. Aujourd'hui je me sens fière et heureuse de l'y avoir invité car il restera le modèle
d'une action pour le Bien -Être et pour le Bien, au sens de l'éthique universelle.
Laissons-lui la parole finale - c'est la moindre des politesses - parole qu'il garde d'ailleurs très modeste à l'orée de son «passage de l'autre côté du miroir»5 :
«Je pense avoir bien travaillé peut-être un peu trop au vu des conséquences, mais je ne regrette pas de m'y être donné à fond. J'ai appris des choses passionnantes dont je me suis servi ensuite avec bonheur pour contribuer au «bien commun». j'ai l'impression d'avoir été utile, ce qui donne à mes yeux beaucoup de sens à ce que j'ai vécu».6
1«Outreau la vérité abusée» p 95
2«Outreau la vérité abusée» p38
3Le revirement pour quelques jours de l'accusation de Myriam Badaoui, dont les motivations ont été passés sous silence, avait permis le passage en boucle des larmes des accusés qui sont devenus des pièges à conviction dans ce premier procès télé-réalité de l'histoire de la Justice.
4 3 enfants terrorisés face à l'avocat surnommé l'Ogre des assises ou Acquitator, n'ont pas maintenu leurs accusations. Lire à ce sujet «Je suis debout» L'aîné des enfants d'Outreau brise le silence de Chérif Delay.(Cherche Midi)
5Ce sont ses propres termes.
6 «On peut se dire au revoir plusieurs fois» Rober Laffont Juin 2011