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Juriste Militante de l'égalité et des droits Vice-Présidente de la LDH 2019/2024 Députée européenne de 2009/2019

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Billet de blog 14 juin 2024

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Migration : l’Europe se cloître dans ses frontières

Une interview pour la revue Options de l'Ugict-CGT sur les politiques migratoires européennes, les pires dispositions du pacte et le coût aberrant de ces mesures au regard de ce que pourrait couter un accueil digne

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Le Parlement européen a adopté le 10 avril le Pacte sur la migration et l’asile visant à limiter l’entrée des migrants sur son territoire. Si les extrêmes-droites européennes ont voté contre ce texte qu’elles jugent encore trop laxiste, ce durcissement à la veille des élections européennes résonne avec leur poids grandissant dans les débats.


Un des dispositifs majeurs du pacte migration est le « règlement filtrage ». De quoi parle-t-on ?

Il va permettre aux membres de l’Union Européenne (UE) de créer des « hotspots », des camps de rétention, de l’autre côté des frontières européennes et dans les aéroports, donc en situation d’extraterritorialité, c’est-à-dire possiblement hors du droit européen ou des droits nationaux. Cela correspond aux « zones d'attente à la française », dont le ministère de l'Intérieur s'est vanté qu’elles soient devenues un modèle à l’échelle européenne... Mais au final, les réfugiés continueront à arriver en Espagne, en Italie, à Chypre, à Malte, en Grèce. On aura juste placé les camps de l'autre côté des frontières européennes, en durcissant la politique en place.

Ce règlement vise également l’accélération des procédures d’asile. Dit ainsi, cela semble une bonne nouvelle pour les réfugiés.

Concrètement, en sept jours maximum, les autorités vont opérer un premier filtrage pour trier les arrivants et les diriger, soit vers la sortie parce qu’ils ne seront pas autorisés à déposer une demande d’asile, soit vers deux procédures distinctes de demande. A cette occasion, toutes les personnes seront fichées dans la base européenne Eurodac, qui recense les demandeurs d’asile et des étrangers entrés sans autorisation. Un verrou a lâché : en plus des empreintes, Eurodac contiendra désormais aussi des images faciales associées à d’autres informations comme l’état civil ou le parcours des gens. Longtemps, le Parlement européen avait résisté à un tel fichage. 

Une procédure accélérée de douze semaines s’appliquera ensuite aux demandeurs d’asile qui viennent d'un pays dont les ressortissants obtiennent en moyenne moins de 20% de réponses positives à leur demande. Cette procédure accélérée n’est donc pas pensée pour accélérer l’attribution de l’asile, mais pour renvoyer les déboutés plus vite.

Si la demande d’asile aboutit à un refus, elle doit conduire à un « retour »  dans un délai de douze semaines vers le pays d’origine ou dans un pays de transit. On accélère donc les procédures de ce côté-là.

Moi je parle d’expulsion, pas de “retour”. Ça se fait notamment avec l’aide de Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes qui contribue, aux côtés des pays, à la surveillance des frontières extérieures. C’est elle qui parfois affrète des avions-charter de cent-vingt places avec dix personnes à bord. C’est une aberration ! Renvoyer implique aussi que les pays d’origine acceptent qu’on leur renvoie leurs ressortissants. C’est loin d’être toujours le cas : refuser ces expulsions constitue pour certains pays une façon de contester les politiques migratoires européennes et les refus quasi systématiques des visas qu’essuient leurs ressortissants. Parfois aussi ces états ne sont pas convaincus de la nationalité des personnes qu’on leur envoie, et pour certains d’entre eux, l’aide de la diaspora représente un soutien important. A mon avis, on aura toujours des camps remplis de personnes à qui on ne permettra pas de s’installer, de construire une vie, mais qui ne seront pas renvoyées. Et cela, dans les mêmes pays du pourtour européen, car le Pacte migration ne contraint toujours pas réellement les membres de l’UE à se répartir d’accueil des réfugiés.

Le Pacte inscrit la possibilité de signer des accords avec des « pays-tiers sûrs » qui permettront notamment d’y renvoyer des exilés déboutés. Qu’en pensez-vous ?

En réalité, chaque État membre a déjà ses propres listes de pays non-européens considérés comme suffisamment sûrs pour y renvoyer des déboutés de l’asile. Mais le pacte vient renforcer cette notion dans les textes officiels européens avec l’objectif, à terme, d’aboutir à une liste commune. Le pays-tiers sûr est un pays non européen par lequel l’exilé a transité avant d’arriver aux frontières européennes et dans lequel il aurait pu demander l’asile plutôt que de continuer sa route jusqu’en Europe. C’est comme cela que l’Europe justifie le rejet de l’asile et le renvoi vers ce pays avec lequel cette personne doit tout de même avoir un « lien suffisant », comme le précise le Pacte sans toutefois définir clairement ce que l’on entend par là. Il s’agit encore une fois de sous-traiter hors de l’UE la procédure de demande d’asile et le contrôle de la frontière naturelle que constitue la Méditerranée. Mais quand vous regardez les pays avec lesquels l'Union européenne vient de passer des accords migratoires pour qu’ils empêchent les exilés de traverser la Méditerranée et qu’il les gardent sur leur territoire, c’est inquiétant. Par exemple l’Egypte, dont un rapport de l’ONG Refugees Platform vient de dénoncer  les mauvais traitements qu’elle inflige aux migrants, notamment les Soudanais.

L’adoption de ce dispositif par l’Europe, qui vise à réduire le nombre de demandeurs d’asile sur son territoire, laisse supposer qu’elle considère en accueillir déjà trop. Qu’en pensez-vous ?

Selon le HCR, fin 2022, les pays européens, dont la population totale représente un peu moins de 450 millions d’habitants, accueillaient 12,4 millions de personnes déplacées, dont plus de 4,4 millions d’Ukrainiens bénéficiaires du dispositif de « protection temporaire » décidé par l’Europe au déclenchement de la guerre. La Turquie et ses 85 millions d’habitants accueillent quant à eux 3,4 millions de réfugiés, essentiellement syriens. L’Allemagne, le pays européen le « plus » accueillant compte environ 2,5 millions réfugiés. Donc il faut relativiser « l’effort » européen... Aujourd'hui, la demande d’asile est abordée de manière négative dans les débats européens, comme si elle était instrumentalisée par les étrangers pour pénétrer dans l’Union européenne Or, qui demande l’asile à UE ? Ce sont des Soudanais, des Érythréens, des Afghans, des Iraniens, des Syriens… S'il y a effectivement plus de demandes d'asile depuis deux ans, c’est parce que la situation mondiale est dramatique ! Dans son rapport sur l’année 2022, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés comptabilise 112 millions de personnes déracinées dans le monde. C’est le chiffre le plus élevé depuis que le HCR fait des statistiques.

Mais alors quel est le problème pour les tenants d’une restriction de l’accueil des demandeurs d’asile ? S’agit-il d’une question de coût ?

Un demandeur d'asile, en attendant d’être autorisé à trouver un travail et gagner sa vie, représente pour l’Etat une « dépense » d’un maximum de 15 000 à 20 000 euros par an, c’est-à-dire le financement de sa survie (nourriture, alimentation, accès aux soins, cours de langue…). Ce n’est rien. Dans le cadre de son accord avec le Rwanda visant à y renvoyer les migrants illégaux, la Grande-Bretagne s’apprête à dépenser plus de 430 millions d’euros au titre des 300 premiers renvois, auxquels s’ajouteront 175 000 euros par personne renvoyée qui s’installerait au Rwanda. Qu’un pays soit prêt à dépenser autant d’argent pour expulser des migrants, ça montre qu’on est malade quand même…

Qu'est-ce que ce que l’adoption de ce Pacte, intervenue à quelques semaines des élections européennes, dit de notre Europe ?

L’Europe est en train de se replier sur elle-même, elle refuse le monde tel qu’il est, la mondialisation et ses mouvements de population. Sauf lorsqu’il s’agit des Européens : il faut savoir que nous sommes parmi les plus gros contributeurs aux flux migratoires mondiaux mais jamais nous ne parlons de nous comme des migrants – nous, nous sommes des expatriés – et nous n’avons pas de difficultés d’accès aux visas. Au fond, il y a du racisme dans ces politiques. L’Europe a déclenché immédiatement la procédure de protection temporaire pour les Ukrainiens, avec un véritable accueil. On est donc capable d’accueillir des déracinés dignement. Pourquoi ne le fait-on pas pour d’autres nationalités ? Le discours sur la protection des frontières est modelé par la terreur des extrêmes-droites : on finit par anticiper leurs attentes, par faire de la surenchère. Elles donnent le LA et imposent le sujet des migrations au premier rang. Or, la cause de la montée des extrêmes droites est ailleurs. Après 40 ans de néolibéralisme, les perdants sont les populations les plus modestes. Les gouvernants ne s’occupant pas de ces inégalités économiques et sociales croissantes, on cherche à la place des boucs-émissaires. De tous temps, l'étranger, le migrant, a été la figure idéale pour cela.

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