La séquence que nous venons de vivre est plus qu’inquiétante pour l’avenir des étrangers dans notre pays.
Gérald Darmanin a longuement préparé « sa loi » sur l’asile et l’immigration. Il l’a annoncé dès juillet 2022, a tenu bon envers et contre tous et toutes y compris la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne et durant toute cette période, il n’a cessé d’utiliser chaque fait divers impliquant une personne étrangère pour justifier la nécessité de cette énième loi sur le sujet.
Le débat n’a jamais reposé sur aucune réalité, aucun travail scientifique ou même simplement statistique. Il est devenu nauséabond d’autant que le choix fait de déposer le texte au Sénat a ouvert la voie à une surenchère sans limites de la part de celles et ceux qui osent s’appeler des Républicains. Tout cela a abouti au vote d’une loi dont le contenu n’a jamais été aussi régressif depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale.
Le ministre de l’Intérieur a joué avec le feu, il n’est pas le premier. La question des étrangers est instrumentalisée, depuis plus de 30 ans, par les gouvernements successifs, avec une accélération depuis 2002 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy d’abord comme ministre de l’Intérieur, puis comme Président de la République. Souvenons-nous notamment de la création du ministère de l’identité nationale en 2007, de la stigmatisation des Roms par Nicolas Sarkozy puis par Manuel Vals ou de la proposition de déchéance de nationalité en 2015 par François Hollande pour ne citer que quelques exemples.
A force de dérapages, l’idée qu’il y aurait trop de personnes étrangères semble s’instiller dans la société sans que l’on se préoccupe de savoir ce qu’est un étranger et sans se rappeler que cela n’est pas nouveau et que la xénophobie a juste changé de cible. L’étranger, celui que l’on ne connait pas, est de nouveau un bouc émissaire parfait face à la crise économique, sociale et politique que traverse notre pays.
Pire, l’étranger devient le délinquant quand ce n’est pas le terroriste et l’étranger en question se distingue avant tout par sa couleur de peau ou sa religion (les ressortissants des pays du « nord » ne sont pas montré du doigt).
La France est une vieille terre d’immigration et les personnes étrangères y ont été le plus souvent mal accueillies mais elles se sont pourtant insérées parfaitement dans la société française l’enrichissant de leur diversité culturelle. La proportion de personnes immigrées a connu beaucoup de fluctuations (6.6 % dans les années 30, 5 % en 1946, 8 % dans les années 90 et 10, 2 % aujourd’hui). Rien d’un grand remplacement d’autant moins que ce chiffre cache beaucoup de diversité : du Belge au Polonais en passant par le Russe, l’Italien, l’Espagnol puis l’Algérien, le Marocain, le Tunisien et encore, plus récemment le Congolais, l’Afghan le Malien ou le Soudanais et bien d’autres…
Les migrations qui concernaient, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, les seuls Européens et Européennes[1], se sont aujourd’hui mondialisées. Pour autant, elles se font essentiellement à l’intérieur de chaque continent.
Seulement 14 % des personnes migrantes dans le monde sont africaines, chiffre à comparer à celui de 41 % pour les Asiatiques et de 24 % pour les Européens. Et si l’on compare ces chiffres à la population des différents continents, c’est encore plus surréaliste. Ainsi il y a environ 70 millions de migrants d’origine européenne parmi les personnes migrantes pour une population de 700 millions d’habitants et un peu plus de 40 millions d’Africains pour un continent dont la population est d’1.2 milliard. En fait, c’est normal car contrairement aux idées reçues, plus le niveau de vie est développé, plus la mobilité est importante. Et si les migrations en provenance d’Afrique et du Moyen Orient augmentent, c’est justement en raison de l’augmentation du niveau d’éducation et notamment de celui des filles dans la plupart des pays du monde[2]. De fait, les personnes les plus pauvres restent dans leur pays. Et quand elles sont contraintes de partir, elles fuient d’abord à l’intérieur de leur pays, puis dans les pays voisins[3]. Le même constat peut être effectué partout dans le monde. Cela s’est vu avec les Syriens, les Afghans comme avec les Ukrainiens. C’est la Turquie qui a accueilli le plus de Syriens, les Afghans se sont surtout réfugiés au Pakistan et en Iran et les Ukrainiens en Pologne.
En 2022, l’accueil des Ukrainiens partout dans l’Union européenne (y compris les pays les plus réfractaires aux migrations telle la Pologne en 2022) a montré que tout est question de volonté politique bien que cet exode a été le plus massif et le plus rapide de l’histoire moderne. Tous les moyens possibles ont été déployés et la directive européenne sur la protection temporaire (votée en 2001, sous la pression du Parlement européen pour tirer les leçons du démantèlement de l’ex-Yougoslavie et jamais déclenchée depuis) a été très rapidement mise en œuvre. Elle a permis un accueil immédiat des personnes concernées avec accès à un logement, à la langue du pays d’accueil et le droit de travailler sans parler de l’accès à l’éducation et à la santé.
Alors pourquoi ce qui a été possible pour les Ukrainiens, et surtout les Ukrainiennes et leurs enfants, ne peut l’être notamment pour toutes celles et tous ceux qui cherchent refuge et fuient la misère quel que soit leur pays d’origine. Pourquoi l’Union européenne (UE) et plus encore la France, loin d’accueillir toute la misère du monde[4] n’y ont même pas pris leur part.
Simplement parce qu’obsédée par la montée des extrêmes droites, l’immense majorité des responsables politiques européens reprend ses idées en espérant la contenir comme si l’électorat ne préférait pas l’original à la copie. Résultat : l’UE a construit des barrières, y compris de plus en plus numériques, pour tenter d’empêcher les ressortissants des pays tiers et surtout ceux qui viennent du Moyen Orient et d’Afrique de venir sur le continent. Et cela ne marche pas. Le nombre de personnes qui arrivent dans l’UE continue d’augmenter et celles qui viennent de pays du sud peinent de plus en plus à obtenir des visas, n’ont donc pas accès à des voies régulières, et doivent prendre des routes de plus en plus dangereuses pour le plus grand profit des passeurs et des trafiquants d’êtres humains. Et celles et ceux qui finissent par rejoindre le continent européen sont contraintes de vivre dans des conditions précaires en essayant d’échapper aux « radars ».
C’est dans la même logique que s’inscrit la dernière loi sur l’asile et l’immigration en France dont une grande partie est largement inspirée de ce qui était, il n’y a pas si longtemps, le programme de la seule extrême droite. Marine Le Pen, n’a donc pas hésité à la faire voter à ses troupes et à dire qu’elle avait remporté une victoire idéologique. Malheureusement, elle n’a pas tort au regard du contenu du texte voté.
Dès son adoption en Conseil des ministres en février 2023, ce texte, malgré son titre (contrôler l’immigration, améliorer l’intégration) a été placé dans une logique quasi exclusivement sécuritaire, marqué par la volonté de contrôler et de réprimer les étrangers et non de leur permettre de mieux s’insérer dans la société française. C’est une logique de suspicion généralisée, de régression des droits et de précarisation de toutes les personnes étrangères même les plus intégrées.
Il n’est pas question ici de faire une analyse exhaustive de la loi mais de dénoncer sa logique à partir de quelques exemples parmi les plus significatifs.
Prenons le volet dit « intégration » de la loi. Pendant des mois, le débat n’a quasiment porté que sur les fameux métiers dits en tension, occultant tout le reste du projet de loi au grand dam des associations et avec un résultat peu probant puisque le dispositif finalement adopté ne permettra sans doute pas plus de régularisations que le système antérieur[5]. Il donnera même encore plus de pouvoirs aux Préfets[6] Il est même assez hallucinant de vouloir régulariser des personnes sans titre de séjour occupant des emplois dans des métiers où il est difficile de recruter en leur demandant de prouver qu’elles ont été embauchées de manière irrégulière depuis plusieurs mois, voire années. Il serait plus logique et plus positif pour les personnes étrangères qui sont prêtes à travailler dans les secteurs concernés d’obtenir immédiatement le droit de travailler.
C’est encore pire avec la soi-disant intégration par la langue. En réalité, les mesures adoptées ne font qu’augmenter le niveau de langue exigé pour accéder à des titres plus pérennes et encore plus pour les naturalisations. Loin d’intégrer, cela créera un système de tri social en fonction des capacités des un.e.s et des autres. Même le Conseil d’Etat lors de son examen préalable du projet de loi a dénoncé l’insuffisance des moyens alloués par l’Etat à ces apprentissages de la langue.
Plus contestables encore, la nouvelle loi va créer une instabilité permanente sur le séjour, quels que soient le titre de séjour et le nombre d’années passées en France qui va s’ajouter aux conséquences de la dématérialisation. A chaque renouvellement de titre de séjour pluriannuel, la personne étrangère devra prouver, outre son niveau de langue, qu’elle a bien séjourné six mois par an dans notre pays et qu’elle aura bien respecté les principes de la République[7].
Il n’y aura plus de renouvellement automatique même pour les titulaires d’une carte de résident.e. Toute personne étrangère pourra se voir retirer son titre de séjour, voire expulsée sur des décisions purement administratives.
Même les personnes les mieux insérées et qui disposait de ce fait d’une protection particulière, dite relative pour certain.e.s et quasi-absolue pour d’autres, pourront à tout moment recevoir une OQTF et être expulsées sans intervention du juge judiciaire, pourtant garant du respect des libertés publiques, et notamment de la vie familiale, sur la base notamment d’une simple menace à l’ordre public, concept flou qui laisse un total pouvoir d’appréciation au préfet. Parmi elles, sous certaines conditions, les personnes étrangères arrivées en France avant l’âge de 13 ans, celles qui y résident depuis plus de 20 ans, les conjoint.e.s de Français.e, les parents d’enfants français. Ce sont ces catégories dites protégées que le ministre n’a cessé de mettre en avant pour justifier sa loi. Ces dispositions l’auraient empêché d’expulser 4 000 personnes ce qui est totalement faux puisqu’aucune des personnes appartenant à ces catégories ne bénéficiaient d’une protection absolue. Le ministre a cependant demandé, au lendemain de la publication de la loi, aux préfectures de revoir les dossiers de ces 4 000 personnes qui n’ont pu être expulsées du fait desdites protections.
Ce n’est que mise en scène, puisque seuls les mineurs ne peuvent absolument pas être expulsés.
Ceci a été démontré avec l’expulsion de l’iman Iquioussen, auteur de propos condamnables mais qui ne l’ont jamais été (les poursuites ayant abouti à des non-lieu). Hassan Iquioussen est né en France, parents d’enfants et de petits enfants français et d’ailleurs bien connu de G. Darmanin puisqu’il vivait à Tourcoing dont G. Darmanin a été le maire.
Même chose avec Mohamed Mogouchkov, l’assassin du Dominique Bernard, le professeur d’Arras. Russe d’origine ingouche, arrivé sur le territoire français avant l’âge de 13 ans, sa famille n’avait pu être expulsée en 2014 en raison de la mobilisation des militants et militantes du MRAP, de la CIMADE et de RESF refusant de voir une famille déboutée du droit d’asile, expulsée vers la Russie. En quoi les associations peuvent-elles être responsables de l’évolution d’un gamin vers le pire. N’est-ce pas l’Etat qu’il aurait fallu mettre en cause y compris parce que M. Mogouchkov était fiché S, un fichage administratif qui venait d’être renforcé récemment par une surveillance active. Mais il est plus facile de mettre en cause les associations plutôt que ses propres services.
- Darmanin a largement instrumentalisé ces affaires et d’autres pour servir ses obsessions en profitant une nouvelle fois pour taper sur les associations qui tentent de défendre les droits des personnes étrangères qu’il veut restreindre à peau de chagrin.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les étrangers ayant fait l'objet d'une condamnation pénale soient particulièrement visés : les personnes sortant de prison seront immédiatement envoyées en centres de rétention au mépris du sens de la peine (le condamné qui a purgé sa peine a payé sa dette à la société) si la condamnation qu’elle encourait était de 5 ans minimum et de 3 ans en cas de récidive. Elles vont donc être victimes d’une double, voire d’une triple peine car les interdictions de revenir sur le territoire (ITF) pourront être portées à 10 ans. Le fait de passer de la peine prononcée à la peine encourue aggrave considérablement la portée des dispositions et donc le nombre de personnes expulsées.
Mais le ministre préfère la répression à la réinsertion. Peu importe la réalité de la délinquance des personnes étrangères[8] plus liées à leur situation dite irrégulière ou à leur situation sociale.
Dernier exemple, mais il pourrait y en avoir malheureusement beaucoup d’autres, les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Les personnes qui ont reçu une OQTF seront inscrites dans le fichier des personnes recherchées (intégration de nouvelles mesures européennes) et les déboutés du droit d’asile se verront systématiquement délivrer des OQTF. Les chiffres de ces OQTF devraient donc augmenter considérablement alors que la France est le pays européen qui en délivre le plus et un de ceux qui en exécutent le moins (12 % en 2023, soit 20 000 expulsions). De surcroît, contrairement à ce qu'affirme le ministre de l'Intérieur, seul un quart des personnes placées en centre de rétention sortent de prison, le reste des personnes retenues n'ayant aucun problème de délinquance[9].
A quoi sert donc d’augmenter encore le nombre d’OQTF sinon à faire une politique du chiffre. On sait que la moitié des OQTF sont annulées par les tribunaux administratifs et que 20 et 30% des personnes retenues ne peuvent être éloignées faute de laisser passer consulaire (le pays déclaré refusant de l'accueillir ou de la reconnaitre comme son ressortissant). Multiplier les OQTF pour les déboutés du droit d’asile ne fera qu’accroitre le chiffre des non-exécutions et augmenter le nombre de personnes étrangères en situation précaire.
J’aurais aimé terminer cette analyse de la loi par une note d’optimisme car une disposition, longtemps réclamée par les associations a été votée : l’interdiction du placement des mineurs en centre de rétention. Tant mieux puisque la France a été condamnée 11 fois par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais cette mesure n’entrera en vigueur qu’en janvier 2025 et même seulement en janvier 2027 à Mayotte.
Or, en 2022, moins d’une centaine de mineurs avaient fait l’objet d’un placement en rétention hors Mayotte mais à Mayotte, ils étaient près de 3 000.
Et cette mesure ne concernera ni les zones d’attente (ZA), ni les locaux de rétention administrative (LRA) dont le nombre se multiplient et qui ne sont soumis à aucun encadrement légal.
Pire, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il envisageait de placer un seul des deux parents en CRA : le deuxième pouvant rester avec le ou les enfants sous assignation à résidence.
Le Conseil constitutionnel nous a évité le pire (32 articles censurés comme cavaliers législatifs[10], 3 articles censurés sur le fond (partiellement ou totalement) et deux autres assortis de réserves d’interprétation. Mais, cela veut dire que, pour l’essentiel, les articles censurés ne l’ont été que sur la forme et qu’ils pourront revenir dans le cadre d’un autre texte législatif et c’est ce qu’ont fait immédiatement les sénateurs centristes en déposant une nouvelle proposition de loi reprenant l’essentiel des dispositions censurées[11] dont les mesures limitant le regroupement familial et celles portant à 5 ans le résidence l’accès aux prestations sociales complémentaires (à l’exception de l’APL).
La bataille juridique est loin d’être terminée. Tous les articles n’ont pas été examinés par le CC et il n’y en a eu que 10 qui ont été totalement validés. Il sera possible d’attaquer les décrets d’application devant le Conseil d’Etat mais aussi des mesures individuelles découlant de la mise en œuvre de la loi via des questions prioritaires de constitutionalité (QPC). C’est d’autant plus important que le CC ne juge pas la conventionalité des lois, c’est-à-dire leur conformité vis-à-vis des conventions internationales et les mesures contraires à la Convention européenne des droits de l’Homme notamment sont nombreuses.
Mais cela ne suffira pas et c’est une bataille culturelle qui devra être menée par toutes celles et tous ceux qui étaient présents notamment aux mobilisations des 14 et 21 janvier. Nous devons démontrer sans cesse que d’autres politiques sont possibles basées sur l’accueil, la libre circulation et l’égalité des droits.
[1] 50 millions d’Européens et Européennes ont migré vers de nouveaux continents avec l’espoir d’y construire une vie meilleure entre les années 1870 et la Première Guerre mondiale.
[2] Les femmes représentent aujourd’hui plus de 48 % des personnes migrantes et plus encore parmi les personnes réfugiées.
[3] Sur 108.4 millions de personnes déplacées dans le monde fin 2022 (personnes contraintes à quitter leur domicile), 62.5 l’ont fait à l’intérieur de leur pays et sur celles qui vont dans un autre pays, 70 % ne dépassent pas le pays voisin qui est dans les ¾ des cas un pays à revenus faibles ou intermédiaires.
[4] 38 millions de personnes qui ne sont pas nées dans l’Union européenne y vivent soit 8.5 % de la population européenne et ce bien sûr quelle que soit le niveau de richesse ou l’origine des personnes concernées.
[5] Pourra être régularisé celui qui pourra prouver qu’il a eu 12 mois d’activités dans les 24 derniers mois, réside en France depuis 3 ans et qu’il n’a pas de casier judiciaire.
[6] Plus ou moins les critères sur ce sujet de la circulaire Valls du 3 décembre 2012. On peut même craindre que la dite circulaire ne soit plus applicable et ferme un certain nombre d’autre possibilités.
[7] Liberté individuelle, liberté d’expression, égalité femmes/hommes, dignité de la personne humaine, respect de la devise et des symboles républicains (emblème national, hymne national et devise de la République). On voit très bien comment tout cela peut être utilisé.
[8] Voir notamment https://www.histoire-immigration.fr/societe-et-immigration/y-a-t-il-un-lien-entre-delinquance-et-immigration
[9] A noter que la tentative de rétablir le délit de séjour irrégulier a échoué.
[10] C’est-à-dire sans aucun lien, même indirect, avec le moindre article du texte.
[11] https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/immigration-les-senateurs-centristes-deposent-un-texte-sans-les-irritants-censures-par-le-conseil-constitutionnel