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Billet de blog 14 juin 2024

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Un « nouveau » pacte européen sur l’asile et l’immigration ?

Article publié fin avril pour la revue Les possibles analysant le fameux soi disant nouveau pacte européen, son nouveau tour de visse contre les personnes étrangères qui ont le plus besoin de protection au mépris du droit international dont le pacte organise le contournement

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En décembre dernier, le Parlement européen et le Conseil se sont mis d’accord sur le contenu du « nouveau » pacte européen sur l’asile et l’immigration, lequel a été adopté définitivement par le Parlement européen le 10 avril dernier et par les Etats membres avant les élections européennes.

Ce pacte se situe dans une logique analogue à celle de la loi « asile/immigration » adopté en France en décembre dernier et G. Darmanin a même anticipé certaines de ses dispositions. Ce n’est qu’une nouvelle étape de fuite en avant dans la construction de l’Europe forteresse dont le durcissement s’accélère depuis la fameuse « crise » de 2015/2016[1]. C’est pour l’essentiel la reprise, en pire, de propositions plus anciennes qui n’avait pas pu être adoptées sous la précédente législature en raison du blocage du Parlement européen (8ème législature - 2014/2019). Cette fois, certes seulement avec une courte majorité, le Parlement européen a cédé à la logique des Etats membres. Les textes adoptés sont presque tous des règlements européens et seront donc applicables sans transposition dans le droit national (entrée en vigueur annoncée pour 2026). La logique est toujours la même : durcir encore et encore le contrôle aux frontières ; faciliter les refoulements, l’enfermement, et les expulsions ; rendre encore plus difficile l’accès au territoire européen notamment des demandeurs d’asile et s’éloigner de plus en plus de l’application des conventions internationales.

L’un des dispositifs les plus hallucinants est la création d’une procédure de filtrage (sic) permettant d’examiner dans un délai de sept jours la situation de toute personne étrangère se présentant aux frontières de l’Union européenne (UE) sans remplir les conditions d’entrée sur le territoire européen[2]. Même les enfants voyageant avec leur famille seront concernés dès l’âge de 6 ans et les mineurs non accompagnés dès lors que les autorités de l’Etat se chargeant du filtrage considéreront qu’il peut constituer un « danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public ».

Ces personnes seront fictivement considérées comme n’ayant pas pénétré sur le territoire européen selon le modèle, que le ministère de l’Intérieur français est fier d’avoir fait accepter au niveau européen, des zones d’attente françaises qui existent notamment dans les zones aéroportuaires. Dit autrement chaque Etat sera libre de créer des zones d’extra-territorialité où, pour l’essentiel, les droits nationaux et européen ne seront pas applicables.

Durant ces 7 jours, les personnes seront identifiées, fichées avec une collecte de « données biométriques »[3] et « des contrôles de santé et de sécurité » seront opérés via l’interrogation des différents systèmes de données[4] pouvant concerner de près ou de loin une personne  étrangère quel que soit son statut. Certes, une attention particulière sera accordée aux personnes « vulnérables ».

Un premier filtrage, ou plus exactement un premier tri, sera ensuite effectué entre les personnes qui pourront être orientés vers le système d’asile et celles qui devront être dirigées vers les autorités chargées des retours pour  lesquels FRONTEX verra son rôle renforcé.

Celles et ceux qui seront orientés vers l’asile n’en seront pas pour autant au bout de leur peine. Un nouveau tri sera ensuite effectué entre celles et ceux qui seront jugés peu susceptibles d’obtenir une protection internationale, c’est-à-dire celles et ceux qui viendront d’un pays dont moins de 20 % (en moyenne au sein des pays de l’UE) des ressortissants ont obtenu une protection internationale[5].  Leur demande d’asile sera alors examinée dans le cadre d’une procédure accélérée d’une durée maximum de douze semaines. Autant dire que la Convention de Genève n’est plus vraiment appliquée puisque celle-ci demande un examen de chaque situation de façon et non en fonction du pays d’origine.

L’une des grandes ambitions annoncées par la présidente de la Commission était de réformer le règlement Dublin et de définir un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration afin d’assurer la solidarité entre tous les Etats. En réalité, rien de tout cela. Le mécanisme de solidarité[6] se traduira soit par l’acceptation d’accueillir une partie des personnes arrivées aux frontières (mécanisme de relocalisation), soit par la participation à des mécanismes de financement (amélioration du système d’asile du pays dit de première entrée, financement de projets dans des pays tiers ou encore de programmes de retour). Tout cela semble assez dérisoire au vu des chiffres actuellement mis en avant (30 000 relocalisations annuelles annoncées à répartir entre les 27 moins le pays d’accueil à comparer au nombre de personnes arrivant aux frontières sans visas, soit plus de 255 000 en 2023)[7]. On se demande comment les pays de première entrée ont pu accepter cela car c’est toujours eux sur qui pèsera le plus lourd tribu. Au mieux, recevront-ils quelques espèces sonnantes et trébuchantes des autres États mais le plus probable est que ces derniers préféreront financer les retours ou les projets dans les pays tiers pour empêcher leurs ressortissants de partir. On peut craindre que ces nouveaux hotspots (théoriquement hors territoire UE) soient comme aujourd’hui ceux des îles de la mer Egée en situation de surpopulation chronique. Peut-être même que ce seront les mêmes espaces qui seront utilisées puisqu’une disposition permet cette hypothèse.

D’autant que les dispositions concernant les retours même s’ils semblent de plus en plus encadrés (la directive retour ayant été en partie modifiée) sont peu explicites. Dans les textes, lesdits retour vont être essentiellement réglés par ce qui est appelé pudiquement la coopération avec les pays d’origine et de transit ou autrement nommés « pays sûrs » et « pays tiers sûrs », dont la liste reste établie Etat par Etat faute d’accord sur le sujet pendant ses longues négociations. Les récents accords entre l’Union européenne est d’une part la Tunisie et d’autre part, l’Egypte montrent cependant que, quels soient les beaux discours, le respect des droits des personnes expulsées ne sera pas la première préoccupation.

Enfin, deux règlements, qui pourraient presque paraitre anecdotiques, portent l’un sur les situations de crises (entendre arrivée importante aux frontières) et l’autre sur les situations d’instrumentalisation (entendre également arrivée importante aux frontières mais manipulée par un pays tiers, c’est ce qu’avait invoqué la Pologne vis-à-vis de la Biélorussie en 2021)[8]. Ils devraient à terme être fusionnés car ils ont en commun de prévoir un cadre dérogatoire permettant de mettre en cause de nombreux droits et garanties procédurale. Les Etats auront sans doute une imagination fertile pour les invoquer même si lesdits droits et garanties se réduisent comme peau de chagrin dans les procédures normales.

Au moment où le HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) constate que le nombre de personnes déracinées (c’est-à-dire celles qui sont obligées de fuir leur domicile) atteint des niveaux record, la fermeture croissante des portes de l’Europe aux personnes qui ont le plus besoin d’être protégées (il suffit de regarder la nationalité de celles et ceux qui prennent des voies dangereuses pour arriver en Europe) est un mauvais signe pour tous les pays du monde et notamment ceux du sud.

Depuis plus de 30 ans, ces murs tant physiques qu’électroniques derrière lesquelles les gouvernements européens tentent de barricader nos pays plutôt que de participer à l’effort de solidarité internationale n’empêchent en rien le franchissement des frontières.  Mais faute de voies sûres et régulières, les itinéraires empruntés sont de plus en plus dangereux, ce qui fait depuis de nombreuses années de l’Europe, le continent le plus mortifère du monde pour les migrants. Rien qu’en Méditerranée, près de 29 000 personnes[9] sont mortes au cours des 10 dernières dont 2 500 l’année dernière.

Pourtant l’UE n’accueille qu’une petite partie des personnes exilées (10 % des réfugiés dans le monde), car ces dernières fuient au plus près, elles restent d’abord dans leur pays pour les 2/3 d’entre elles, puis essentiellement dans les pays voisins (85%). Ce constat peut être fait quelque que soit les pays concernées (Syrie, Soudan, RDC ou Ukraine). L’UE est loin, très loin d’accueillir toute la misère du monde et même d’y prendre sa part.

Pourtant comme on l’a vu avec les réfugiés ukrainiens et surtout ukrainiennes, d’autres politiques sont possibles, basées sur l’accueil et la solidarité, favorisant l’accès au logement, à l’apprentissage de la langue et surtout au travail car dès lors que l’on a un emploi, on devient autonome. C’est juste le contenu de la directive « protection temporaire », c’est respectueux de la dignité des personnes et cela coûte beaucoup moins cher que les politiques forteresse de l’UE[10]. Un beau sujet de combat pour les prochaines élections européennes.

[1] Les ONG ont toujours dit que cette crise n’était pas une crise des « migrants », pas même des réfugiés mais bien une crise de l’accueil.

[2] Le dispositif sera applicable également aux personnes qui seront arrêtées sur le territoire de tout Etat européen sans remplir  les conditions relatives au séjour.

[3] Dont la liste pourra être étendue sans avoir besoin de revenir devant le parlement européen.

[4] De très nombreux systèmes d’information peuvent être concernés : SES (système d’entrée et de sortie) qui vise à enregistrer toutes les personnes étrangères ayant un visa de court séjour (devrait être opérationnel au 2ème semestre 2024) couplé avec ETIAS (système d’autorisation de voyage lui aussi en cours d’installation) pour celles et ceux qui n’ont pas besoin de visas, SIS (système d’information sur les personnes recherchées dont les catégories sont de plus en plus nombreuses et comprend notamment désormais non seulement celles qui ont fait l’objet d’une décision de retour – G Darmanin a fait ajouter dans le fichier français toutes celles qui ont reçu une OQTF - ainsi que les personnes étant sous le coup d’une interdiction de revenir sur le territoire), VIS (système d’information sur les visas), ECRIS-TCN (système européen d’information sur les casiers judiciaires des ressortissants de pays tiers), Eurodac (qui vient d’être modifié dans le cadre du pacte) sans parler des fichiers d’Europol et d’Interpol.

[5] Chaque Etat gardant une totale liberté au regard des critères d’attribution de l’asile, de fortes distorsions existent sur l’octroi de la protection internationale selon les nationalités des personnes concernées entre les Etats.

[6] La contribution de chaque État sera basée sur la taille de sa population, son produit intérieur brut (PIB) et le nombre de personnes étrangères arrivées sur son territoire. On peut en déduire que la France devrait être profondément tenu à la solidarité avec les pays de première entrée puisqu’elle est le 2ème pays de l’UE par sa population et son PIB mais qu’elle est peu impactée par des arrivées importantes.

[7] En 2015, la Commission européenne, alors présidée par Jean-Claude Juncker, avait tenté un plan de relocalisation de 120 000 + 40 000 personnes mais deux ans après, au moment du bilan, c’est environ une sur quatre qui avait bénéficié du dispositif.

[8] Notons que les tentatives de passage entre la Biélorussie et la Pologne se poursuivent : 26 000 détectées en 2023 (une nouvelle route semble avoir été ouverte par les trafiquants via des vols depuis les capitales du Moyen Orient vers la Biélorussie dans une région particulièrement inhospitalière).

[9] 63 000 dans le monde essentiellement venant de pays en guerre ou comptant un grand nombre de réfugié.e.s.

[10] A titre de comparaison, les Britanniques vont consacrés 2 millions d’euros par an pour chaque personne refoulée vers le Rwanda. L’accueil d’un demandeur d’asile s’élève à moins de 20 000 euros par an et ils n’ont pas le droit de demander à travailler avant six mois de séjour en France.

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