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Juriste Militante de l'égalité et des droits Vice-Présidente de la LDH 2019/2024 Députée européenne de 2009/2019

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Billet de blog 14 juin 2024

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Un pacte de la honte sur l’asile et l’immigration ?

Analyse rapide du pacte européen sur les migrations montrant qu'il se situe dans la même logique que la loi Darmanin alors que contrairement aux sornettes que l'on entend l'UE est bien loin d'accueillir toute la misère du monde ni même d'y prendre toute sa part

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Un pacte de la honte sur l’asile et l’immigration ?[1]nin

Tout a été fait pour que ce pacte européen sur l’asile et l’immigration soit adopté avant les élections européennes y compris en cédant aux pays les plus hostiles à l’accueil des personnes exilées. C’est la même logique que pour la loi « asile/immigration » adoptée en France en décembre dernier (G. Darmanin a même anticipé certaines de ses dispositions) qui a prévalu et ce n’est qu’une nouvelle étape dans le durcissement de l’Europe forteresse qui qui ne cesse de s’aggraver depuis la « crise » de 2015/2016[2].

L’un de ses dispositifs les plus hallucinants est la création d’une procédure de filtrage (sic) qui doit permettre l’examen en sept jours de la situation de toute personne étrangère arrivant de façon dite irrégulière aux frontières de l’Union européenne (UE)[3].

Les personnes seront le plus souvent enfermées dans des zones extraterritoriales selon le modèle des zones d’attente françaises existant notamment dans les aéroports (ce que le ministère de l’Intérieur est fier de revendiquer) ce qui permettra de s’exonérer un peu plus du droit et sans doute de rendre plus difficile l’accès aux personnes susceptibles de venir en aide et de faire respecter les droits des personnes concernées.

Celles-ci seront alors identifiées, fichées avec une collecte de « données biométriques », toujours plus importantes. Des contrôles de santé et de sécurité » seront opérés en particulier en interrogeant  les différents systèmes européens de données[4] pouvant concerner de près ou de loin une personne  étrangère quel que soit son statut. Là aussi, on ne peut que s’inquiéter du nombre croissant de ces fichiers et de l’accès donné à un nombre lui aussi croissant d’agents chargés tant du contrôle aux frontières que de question de police. Et même s’il est dit qu’une attention particulière sera accordée aux personnes « vulnérables », force est de constater que les enfants seront concernés dès l’âge de 6 ans (contre 14 actuellement) et que les mineurs non accompagnés n’y échapperont que s’ils ne constituent pas un « danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public ».

Un premier « tri » sera ensuite effectué entre les personnes pouvant être orientées vers le système d’asile et celles qui devront être dirigées vers les autorités chargées des retours pour lesquels FRONTEX verra son rôle renforcé.

Les personnes orientées vers l’asile n’en seront pas pour autant au bout de leur peine puisqu’un nouveau tri permettra d’envoyer vers une procédure accélérée (maximum de 12 semaines) celles qui seront jugées peu susceptibles d’obtenir une protection internationale (ressortissants de pays dont moins de 20 % en moyenne au sein de l’UE obtiennent une protection)[5].  Autant dire que la Convention de Genève ne sera plus vraiment appliquée puisque celle-ci exige un examen de chaque situation et non en fonction du pays d’origine.

Quant au mécanisme de solidarité[6] entre les Etats, il rend pour le moins septique, car si un mécanisme de « relocalisation » devrait permettre de répartir une partie des personnes arrivées aux frontières entre les différents Etats membres (30 000 annoncées pour des arrivées de 255 000 personnes en 2023 pour l’essentiel via la Méditerranée[7], il sera possible de s’en exonérer en finançant l’amélioration du système d’asile de pays de première entrée, des projets dans des pays tiers ou des programmes de retour).

Les pays dits de première donc continueront de supporter l’essentiel de la charge des dispositifs d’entrée sans cesse renforcés et on se demande comment ils ont pu accepter ce système d’autant que le régime de Dublin est maintenu. Au mieux, recevront-ils quelques espèces sonnantes et trébuchantes mais le plus probable est que les autres Etats préféreront financer les retours ou les projets dans les pays tiers pour empêcher leurs ressortissants de partir comme ils en auront la possibilités. Les hotspots « nouvelle formule puisqu’hors territoire UE » risquent d’être comme aujourd’hui ceux des îles de la mer Egée en situation de surpopulation chronique. Peut-être même que les mêmes espaces seront utilisées puisqu’une disposition permet cette hypothèse.

Quant aux retours théoriquement plus encadrés, ils seront permis par une coopération accrue avec les pays d’origine et de transit ou autrement nommés « pays sûrs » et « pays tiers sûrs », dont la liste restera établie par les Etats en fonction de leurs intérêts spécifique. Les récents accords entre l’UE et la Tunisie ou l’Egypte montrent que le respect des droits des personnes expulsées ne sera pas la première préoccupation. En réalité, l’essentiel de ce nouveau système est bien d’accélérer le nombre d’expulsions[8].

Enfin, en cas de crises (entendre arrivée importante aux frontières) ou de situations d’instrumentalisation (cf. arrivée importante aux frontières manipulée par un pays tiers, ce qu’avait invoqué la Pologne vis-à-vis de la Biélorussie en 2021)[9] ont en commun de prévoir un cadre dérogatoire permettant de mettre en cause droits et garanties procédurale. Les Etats auront sans doute une imagination fertile pour les invoquer même si lesdits droits et garanties se réduisent comme peau de chagrin dans les procédures normales.

Au moment où le HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) constate que le nombre de personnes déracinées (celles qui sont obligées de fuir leur domicile) atteint des niveaux record, la réponse européenne est de fermer encore plus les portes et ce sont les personnes ayant le plus besoin de protection qui sont dans le collimateur.

Pourtant l’UE est loin d’accueillir toute la misère du monde ni même d’y prendre sa part puisque les personnes exilées fuient au plus près et restent à 85 % dans les pays voisins.

Pourtant d’autres politiques sont possibles comme on l’a vu avec les Ukrainiennes et les Ukrainiens basées sur l’accueil, la solidarité, l’accès au logement, à la langue et surtout au travail car dès lors que l’on a un emploi, on devient autonome. C’est une question de volonté politique.

[1] L’article emprunte beaucoup à un autre texte écrit précédemment par l’autrice pour la revue Les Possibles d’ATTAC

[2] Les ONG ont toujours dit que cette crise n’était pas une crise des « migrants », pas même des réfugiés mais bien une crise de l’accueil.

[3] Le dispositif sera applicable également aux personnes qui seront arrêtées sur le territoire de tout Etat européen sans remplir  les conditions relatives au séjour.

[4] Systèmes d’information pouvant être concernés : SES (système d’entrée et de sortie) signalant les personnes étrangères ayant dépassé la durée de séjour autorisé, ETIAS (système d’autorisation de voyage) pour celles et ceux qui n’ont pas besoin de visas, SIS (concernant les personnes recherchées et désormais non seulement celles qui ont fait l’objet d’une décision de retour mais aussi celles qui ont reçu une OQTF ou une interdiction de revenir sur le territoire, VIS (système d’information sur les visas), ECRIS-TCN (système européen d’information sur les casiers judiciaires des ressortissants de pays tiers), Eurodac (sur les demandeurs/ses d’asile) sans parler des fichiers d’Europol et d’Interpol.

[5] Chaque Etat gardant une totale liberté au regard des critères d’attribution de l’asile, de fortes distorsions existent selon la nationalité des personnes concernées entre les Etats membres.

[6] Contribution de chaque État basée sur sa population, son produit intérieur brut (PIB) et le nombre de personnes étrangères accueillies. La France devrait être très concernées puisqu’elle est le 2ème pays de l’UE par sa population et son PIB mais qu’elle est peu impactée par des arrivées importantes.

[7] En 2015, la Commission européenne, alors présidée par Jean-Claude Juncker, avait tenté un plan de relocalisation de 120 000 + 40 000 personnes mais deux ans après, au moment du bilan, c’est environ une sur quatre qui avait bénéficié du dispositif.

[8] En 2022, 422 400 personnes ont été sommées de quitter le territoire l’UE en 2022 dont 32 % en France, bien plus que dans tout autre État membre. 94 970 citoyens ont effectivement quitté l’UE. La France est le pays qui a signalé le plus de retours14 240), suivie par l'Allemagne (13 130) et la Suède (10 490).

[9] Notons que les tentatives de passage entre la Biélorussie et la Pologne se poursuivent : 26 000 détectées en 2023.

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